Le fakir, l’instituteur et le libérateur
VOYAGE.- On peut rêver des pyramides du Caire ou des jardins de Babylone, du fleuve Jaune ou du Machu Picchu… Ca peut avoir l’air plus « banal » mais Ajatashatru Lavash Patel, lui, n’a d’yeux que pour la tour Eiffel sur une vieille carte postale dans son modeste logement des quartiers pauvres de Mumbaï. Mais quand on est un gamin, un peu « magicien » chapardeur, en Inde, la ville-lumière, ça vous a de l’allure. Surtout qu’Aja a prévu que ce voyage-là, il le ferait avec sa maman bien-aimée.
Adapté par le Québécois Ken Scott du roman de Romain Puertolas L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, cette comédie aux accents bollywoodiens se regarde tout à fait agréablement. Parce que le réalisateur (connu pour Starbuck en 2012) s’ingénie, avec une gentille aisance, à aligner les péripéties, évidemment les plus improbables, que le hasard met dans les pas du pauvre Aja. Avec pour tout viatique, son passeport, un faux billet de 100 euros et les cendres de sa mère, trop tôt disparue, notre homme part donc à l’aventure. A Paris, il apprécie de se faire arnaquer par un chauffeur de taxi (Gérard Jugnot) parce que, pour la première fois, il se sent dans la peau d’un… riche. Mais c’est dans un magasin Ikea (enfant, il apprenait par coeur les pages d’un catalogue de la firme suédois) que l’amour naît pour les beaux yeux d’une jolie Américaine et que ses ennuis commencent. Ils ne s’arrêteront plus avant un moment.
Car Aja se retrouvera dans la peau d’un migrant sans papiers, ballotté de Londres à Barcelone en passant par Rome et la Lybie. Dans la ville éternelle, il croise Nelly, une star française (Bérénice Béjo) et, dans les sables lybiens, des malheureux dont il exaucera les rêves… Servi par Dhanush (star tamoul de Bollywood et inconnu chez nous) dans le rôle d’Aja, L’extraordinaire voyage du fakir (USA – 1h36. Dans les salles le 30 mai) est une « tragédie » drôle et même optimiste. On se doute qu’Aja se tirera de tous les mauvais pas, ce qui n’est pas le cas de tous les clandestins africains qu’il côtoie. Aja qui fait sienne une pensée de Tagore: « Comment peut-on traverser la mer en se contentant simplement de la regarder? »
GROENLAND.- Pour son premier poste d’instituteur, Anders Hvidegaard, plutôt que d’opter pour une situation confortable, choisit l’aventure et les grands espaces… Il s’en va ainsi enseigner au Groenland et plus précisément à Tiniteqilaaq, un hameau inuit de 80 habitants. Dans ce village isolé du reste du monde, la vie est rude, plus rude que ce qu’Anders imaginait.Pour s’intégrer, loin des repères de son Danemark natal, il va devoir apprendre à connaître cette communauté et ses coutumes.
On avait remarqué le Bisontin Samuel Collardey en 2008 avec son premier long-métrage, L’apprenti, une docu-fiction qui faisait le portrait d’un jeune apprenti dans une ferme du Haut-Doubs et qui avait valu au cinéaste le prix Louis-Delluc du premier film. Avec Une année polaire (France – 1h34. Dans les salles le 30 mai), c’est encore une docu-fiction que réalise Collardey mais, cette fois, son film fut, en lui-même, une véritable aventure. On imagine bien les difficultés de production rencontrées par l’équipe dans un environnement sinon hostile, du moins difficile et isolé.
Aux Rencontres du cinéma de Gérardmer où il était venu, en avril, présenter Une année polaire en avant-première, Samuel Collardey racontait: « Nous avons fait, là-bas, six sessions de trois semaines et une session de six semaines, à ce moment-là, l’équipe avait vraiment envie de rentrer! La société inuit est en plein changement. Les maisons datent des années 60 mais ils ont tous leur profil Facebook… A cause des changements rapides, il y a de gros problèmes d’alcool et de suicide. La volonté du Danemark, auquel appartient le Groenland, est d’emmener les enfants à l’école. Mais quand ils reviennent du collège, ils ne savent plus chasser, ni pêcher… » Avec ce récit d’acclimatation inuit, le cinéaste développe un thème qui lui est cher, celui de la transmission. Anders (qui joue son propre rôle) s’applique, souvent difficilement au début, à transmettre du savoir à ses élèves mais, au coeur de cette communauté isolée, rurale et souvent enneigée, l’instituteur lui-même, en apprend beaucoup. En filmant le réel avec les outils de la fiction, Collardey a créé son style et il donne un beau film où passent les aurores boréales, les ours blancs, les phoques et les baleines. Mais Une année polaire est surtout un film attachant à cause du massif Anders et de tous les inuits, jeunes ou vieux, qui l’entourent…
MAFIA.-A New York, en 1943, Arturo Giammarresi, Sicilien émigré en Amérique (incarné par Pif), travaille comme serveur dans un restaurant et aime, d’un amour partagé, Flora, la petite-fille du propriétaire. Mais la belle est déjà promise au fils du bras droit du fameux et redoutable Lucky Luciano. Arturo doit se rendre à l’évidence, la seule façon d’obtenir la main de sa Flora est de la demander directement à son père… resté en Sicile. Alors que l’US Army prépare son débarquement en Sicile, Arturo comprend qu’il n’a guère d’autre choix de revêtir l’uniforme. Ce qu’il ignore, c’est que Lucky Luciano s’entend en douce avec l’armée américaine pour faciliter son débarquement en Sicile en échange de l’impunité pour les mafieux locaux. Mais ce qui importe à Arturo, c’est d’obtenir la « bénédiction » du père, carrément moribond, de Flora…
Connu en Italie sous le surnom de Pif, le Palermitain Pierfrancesco Diliberto est animateur de radio et de télévision, écrivain, scénariste, acteur et réalisateur. En 2013, il signait et interprétait son premier long-métrage La mafia tue seulement en été. Avec Bienvenue en Sicile (Italie – 1h39. Dans les salles le 23 mai), il revient encore tourner en Sicile, dans un petit village entièrement recréé pour l’occasion, pour aborder une nouvelle fois le thème de la mafia. Cette fois, le cinéaste s’appuie sur un document authentique, en l’occurrence le Rapport Scotten sur « les problèmes de la mafia en Sicile ». Ce memorandum confirmait que la question de la mafia était à l’ordre du jour pour les Américains en guerre, le capitaine Scotten évoquant l’opportunité de combattre la mafia pour l’avoir sous contrôle, ou celle de s’entendre et de s’allier à Cosa Nostra. Cette éventualité aurait causé des dommages inqualifiables, qui auraient eu de lourdes conséquences dans le futur. « La lucidité de cette analyse, dit Diliberto, dans laquelle les Américains et les Anglais étaient prêts à transiger avec Cosa Nostra nous a vraiment frappés. » Si la trame historique est sérieuse, Pif met cependant en scène une farce militaro-mafioso-amoureuse qui cherche souvent son inspiration dans la comédie italienne de l’âge d’or. On songe parfois, avec des personnages truculents, à Affreux, sales et méchants. Ainsi, avec le gag récurrent des statues de la Vierge et de Mussolini. En même temps, tout en sacrifiant à une histoire d’amour plutôt classique, Pif intègre, dans son récit, des éléments purement dramatiques où les malheurs de la guerre rattrapent Arturo. Du coup, pour être certes plaisant, Bienvenue en Sicile apparaît souvent inégal.