Juste une image…

 

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Peu de temps avant la Seconde Guerre mondiale, le collège de Saint-Agil, quelque part en Ile-de-France, est le théâtre d’événements nocturnes et étranges. Beaume, Sorgue et Macroy, trois élèves, ont créé une association secrète, Les Chiches Capons, dans le but de préparer un tout aussi secret projet de départ pour l’Amérique. Mais un soir, dans la salle de sciences naturelles où ils tiennent leurs réunions, Sorgue voit un homme sortir d’un mur. Bientôt, à la suite d’une visite chez le directeur à propos d’un chahut, Sorgue disparaît. Puis c’est au tour de Macroy. Le collège est en émoi. Le directeur envisage de renvoyer Beaume, le dernier membre du trio encore présent, après la fête du collège.
Lors de cette fête, M. Lemel, le professeur de dessin alcoolique, meurt, victime d’une chute durant une panne de courant qui plonge l’établissement dans le noir. Tout le monde croit à un accident. Beaume se cache pour enquêter, laissant ainsi croire qu’il a disparu à son toue. Avec l’aide du professeur d’anglais, M. Walter, il parvient à découvrir la vérité…
Dans le cadre de la nouvelle saison de Ciné-Ried à Riedisheim consacrée à des acteurs de légende, voici, après Monsieur Ripois qui célébra Gérard Philipe, Les disparus de Saint-Agil, un drame réalisé en 1938 par Christian-Jacque et qui trouve sans peine sa place dans la (longue) liste des films qui ont l’enseignement pour thème. Cependant, dans cette adaptation du roman éponyme de Pierre Véry, les aventures ne se passent pas en classe mais bien dans les coulisses du collège. Où se trament en effet de singulières pratiques criminelles.
Le film sera l’occasion d’évoquer la haute figure d’Erich von Stroheim, l’acteur viennois (1885-1957) devenu américain, qui fut d’abord l’un des plus extravagants réalisateurs de l’époque du cinéma muet avec des films comme Folies de femmes (1924) Les rapaces (1924) ou encore Queen Kelly (1932). Perfectionniste à l’extrême, le cinéaste exigea, pour Folies de femmes, que les armoires et les commodes soient remplies de vêtements. Alors même qu’elles ne seront jamais ouvertes, dans aucun plan ! Et devait arriver, ce qui arriva. Hollywood décréta : « On ne doit jamais plus permettre à Stroheim de diriger un film ».
Lâché par l’usine à rêves, Von Stroheim qui, à ses débuts, avait fait sien le slogan « L’homme que vous aimerez haïr », se tourna vers une carrière au long cours de comédien.
Il émigre en France où il est toujours considéré comme un des plus grands cinéastes de son temps avec Charlie Chaplin. Il trouve des rôles à la hauteur de son talent dont celui de Von Rauffenstein, l’officier à la minerve dans La grande illusion (1937) de Jean Renoir. La même année, Pierre Chenal lui offre un face-à-face avec Louis Jouvet dans L’alibi.
Et, en 1938, Christian-Jacque le fait jouer avec Michel Simon dans Les disparus de Saint-Agil où il incarne M. Walter, un professeur d’anglais à l’oeil malicieux et aux cheveux en brosse, qui prendra toute sa place dans l’aventure des Chiches Capons…
Alors qu’il s’apprête à réaliser et jouer dans La dame blanche, un film dont il a écrit le scénario avec Jean Renoir, la Seconde Guerre mondiale éclate. Von Stroheim retourne aux États-Unis. Il retrouve le chemin des studios, incarnant entre autres le maréchal Rommel dans Les cinq secrets du désert (1943) de Billy Wilder. Ce dernier lui offre, en 1950, un de ses plus grands rôles dans Boulevard du crépuscule, critique au vitriol de l’industrie hollywoodienne. Au côté de Gloria Swanson dans le rôle de Norma Desmond, une ancienne star du muet, il est le majordome Max von Mayerling, en fait réalisateur des films de Norma Desmond au temps de sa gloire passée. Il n’avait pas échappé à Wilder que Stroheim avait effectivement dirigé, vingt ans plus tôt, Gloria Swanson dans le sulfureux Queen Kelly !

Les disparus de Saint-Agil, le mardi 11 novembre à 19h30 à La Grange, avenue Foch à Riedisheim. La séance est présentée et animée par Pierre-Louis Cereja.

© DR

 

La critique de film

L’architecte de génie et l’héritière fortunée  

"L'inconnu...": Mitterrand (Michel Fau) en visite sur le chantier. DR

« L’inconnu… »: Mitterrand (Michel Fau)
en visite sur le chantier. DR

ARCHE.- En 1982, François Mitterrand lance un concours d’architecture anonyme sans précédent pour la construction, du côté de la Défense, d’un édifice emblématique dans l’axe du Louvre et de l’Arc de Triomphe… Sous les ors de l’Elysée, on lui présente une maquette et le président observe : « C’est très beau !»
Lorsque les résultats du concours sont annoncés, la stupéfaction est générale. Mais qui est donc cet architecte danois de 53 ans nommé Johan Otto von Spreckelsen ? On téléphone à l’ambassade du Danemark à Paris. Inconnu au bataillon. Et lorsqu’au cours d’une conférence de presse, on interroge le lauréat sur ses précédentes réalisations, il cite sa propre maison et quatre églises…
C’est ce Spreckelsen qui débarque donc dans la capitale, accompagné de son épouse Liv, pour s’atteler au plus grand chantier de l’époque. L’architecte entend bien bâtir sa grande arche, qu’il nomme Le cube, telle qu’il l’a imaginée mais ses idées et sa radicalité vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.
Si Mitterrand s’inquiète de la perspective de l’arche dans l’alignement des Champs, l’architecte, en visite sur la dalle de la Défense, remarque, lui, que les joints sont envahis par de l’herbe. Et ça, ça n’est pas du tout de bon augure. Liv von Spreckelsen, elle, se penche sur la question des droits d’auteur et réclame des émoluments de 25 millions de francs : « Le cube, c’est ton œuvre ! »
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans etc. L’inconnu de la grande arche (France – 1h46. Dans les salles le 5 novembre) raconte une page des années Mitterrand. En adaptant le roman La grande arche de Laurence Cosse, paru en 2016 chez Gallimard, Stéphane Demoustier invite le spectateur à se glisser dans les arcanes d’un chantier quasiment pharaonique. Mais le réalisateur de La fille au bracelet (2019) et de l’excellent Borgo (2023) montre surtout un Spreckelsen confronté, à travers Mitterrand, même lorsqu’il est invisible, à un fonctionnement politique et technocratique. De là dire comme l’architecte, qu’il se sent cerné par les gangsters et les menteurs…

"L'inconnu...": Von Spreckelsen (Claes Bang) et son épouse Liv (Sidse Babett Knudsen). DR

« L’inconnu… »: Von Spreckelsen (Claes Bang)
et son épouse Liv (Sidse Babett Knudsen). DR

« Nous avons en France, dit Demoustier, un système de cour qui est consubstantiel à notre Ve République, elle-même inspirée par l’ordre monarchique et le culte du Grand Homme. On a souvent du mal à être clairvoyant quant à ce qui fait notre quotidien. L’une de mes motivations à faire ce film tenait au fait que son personnage principal est étranger, nordique. Dans sa perspective, notre système de cour apparaît comme une incongruité… » En s’appuyant sur le décalage de plus en plus grand qui s’instaure entre l’architecte danois et le monde qui l’entoure, depuis Subilon, le haut fonctionnaire en charge du dossier, à l’architecte français Paul Andreu, maître d’oeuvre de réalisation, le cinéaste construit une fable moderne parfois cinglante (ah, la qualité du marbre de Carrare!), parfois ubuesque, toujours palpitante et qui nous maintient agréablement en haleine. Et lorsque la cohabitation s’en mêle (avec le délicieux Juppé en ministre du budget), Spreckelsen finit par rendre son tablier… Devenu enseignant, l’architecte soupire, las, à une étudiante : « Ce n’est plus mon cube… »
L’inconnu de la grande arche est aussi réussi sous l’angle de la reconstitution historique des années 80. On sent l’échelle du chantier, la monumentalité de l’ouvrage. Par sa démesure, l’arche finit par écraser Spreckelsen. Le film a recours à des effets spéciaux qui ont permis d’animer des photographies et, en somme, à faire rentrer le film dans les images d’archives.
Les comédiens se chargent de porter allègrement cette aventure architecturale et intime. Michel Fau est un étonnant Mitterrand volontiers marmoréen. Xavier Dolan est Subilon et Swann Arlaud incarne Andreu. Enfin Sidse Babett Knudsen (la fameuse série Borgen) et Claes Bang (vu dans The square de Ruben Ostlund) forment le couple danois. Quant à la fin, dans un cimetière sous la pluie, elle est émouvante !

"La femme...": Marianne (Isabelle Huppert) et Fantin (Laurent Lafitte).

« La femme… »: Marianne (Isabelle Huppert)
et Fantin (Laurent Lafitte).

ABUS.- L’argent, Marianne Farrère n’en à rien à faire. Elle en a tellement que ça n’a plus d’importance. Lorsqu’elle s’entiche d’un artiste-photographe plus jeune qu’elle, elle décide de lui donner des sommes considérables. Parce que Pierre-Alain Fantin l’amuse considérablement. Avec lui, elle oublie les sinistres séances de conseil d’administration, l’appartement immense et trop conventionnel, les déjeuners de convenance, la classe politique qui gravite autour d’elle et de Guy, son mari. Alors, Marianne sort dans des soirées, déjeune et dîne avec Pierre-Alain. Elle découche même et revient au matin, lançant qu’avec son nouvel ami, « elle vole, elle frise ! » Dans l’existence de Marianne, Fantin devient vite incontournable. La première fois qu’il avait rencontré la richissime Madame Farrère, c’était pour un reportage photo. « Je ne photographie pas les gens, je les emporte » clame le zigoto. Dans Marianne, il veut voir une héroïne. Même si elle n’ignore pas que Fantin a une réputation épouvantable, elle confesse : « Grâce à vous, c’est comme si je revivais ! » Alors Fantin se sent en territoire conquis. Dans l’appartement des Farrère, il débarrasse les « croûtasses », vire la « bonnicherie ». Mais lorsque Marianne lui signe un contrat de dix ans pour ses créations, à raison de deux millions par an, Frédérique Spielman, la fille de Marianne, décide de sonner la fin de la recré. Quitte à se fâcher avec sa mère, elle veut que le bouffon pique-assiette quitte la scène. Et elle décide de lancer une action en justice pour abus de faiblesse…
La femme la plus riche du monde (France – 2h03. Dans les salles le 29 octobre) c’est Fantasia chez les ultra-riches ! Après avoir touché son chèque, Fantin, presqu’en s’excusant, observe : « Je ne veux léser personne… » et d’ajouter « Il y a assez d’argent pour tout le monde. »
Connu pour des films comme Le héros de la famille (2006), Tout nous sépare (2017) ou Les rois de la piste (2024), Thierry Klifa s’inspire ici, librement, de l’affaire Bettencourt-Banier qui, au début des années 2000, avait d’abord défrayé la chronique people avant de devenir un dossier judiciaire à rebondissements avec notamment un accord entre les parties sur les intérêts civils… Dans cette affaire, Françoise Bettencourt-Meyers accusait François-Marie Bainier d’avoir profité de la fragilité psychologique de sa mère Liliane Bettencourt, alors âgée de 87 ans, pour obtenir près d’un milliard d’euros de dons sous forme de tableaux de maîtres, de chèques ou de contrats d’assurance-vie…

"La femme...": Marianne et sa fille Frédérique (Marina Foïs). Photos Manuel Moutier

« La femme… »: Marianne
et sa fille Frédérique (Marina Foïs).
Photos Manuel Moutier

Pour apprécier cette comédie souvent vacharde, il n’est nulle besoin d’avoir une connaissance approfondie de l’affaire Bettencourt-Banier, ni de connaître la vie de Liliane Bettencourt (1922-2017), femme d’affaires, milliardaire française, fille unique et héritière d’Eugène Schueller, fondateur d’une société de teintures inoffensives pour cheveux devenue le groupe L’Oréal et veuve de l’ancien ministre André Bettencourt.
« J’ai très vite compris, dit le cinéaste, qu’il y avait autre chose qui se cachait derrière, et ce que la fiction allait m’autoriser à faire. Ce qui m’intéressait était de passer par l’intime, de parler d’une histoire d’amour et de désamour. C’est l’histoire d’une fille qui comprend que sa mère est capable d’aimer, surtout comme elle ne l’a jamais aimé, avec l’arrivée de ce personnage de Pierre Alain Fantin dans sa vie… »
Alors, il y a, ici, de la beauté, du pouvoir, un coup de foudre, de l’ambition, de l’insolence, de l’esbrouffe, de la cruauté, de la méfiance, des secrets de famille, une guerre où tous les coups sont permis ! Tout cela délivré par des acteurs en verve : Isabelle Huppert (Marianne), Marina Foïs (Frédérique), Raphaël Personnaz (un mystérieux majordome), André Marcon (Guy) et évidemment Laurent Lafitte formidable en virevoltant, odieux et insupportable Fantin.
On n’est pas obligé d’être fan des ultra-riches pour aller bien se divertir des rocambolesques aventures de cette femme très fortunée.

 

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