Juste une image…

Sentiers_gloire
En 1916, lors de la Première Guerre mondiale, en France, la tactique de la guerre de tranchées n’a mené qu’à l’enlisement du conflit. Afin de faciliter sa prochaine promotion, l’ambitieux général de brigade Paul Mireau ordonne au 701e régiment commandé par le colonel Dax de donner l’assaut et de prendre une position très solide tenue par l’armée allemande. Dax exprime son opposition à cette mission quasiment suicide. L’opération est vouée d’emblée à la catastrophe. Mais Dax lance néanmoins ses troupes à l’assaut. Après l’échec de l’assaut, Mireau réclame que cent soldats soient fusillés pour lâcheté… Finalement, ce sont trois soldats qui sont condamnés au cours d’une parodie de procès où Dax, avocat dans le civil, se charge en vain de la défense. Le lendemain matin, les trois hommes passent au peloton d’exécution. Le supérieur hiérarchique de Mireau l’informe qu’il y aura une enquête sur ses agissements et propose à Dax le poste du général. Révolté par le cynisme de son supérieur, Dax refuse… Peu après, il observe ses hommes qui écoutent avec émotion une jeune prisonnière chantant un air militaire allemand et il leur accorde quelques minutes avant de repartir vers le front
Signant alors le quatrième long-métrage de sa carrière, Stanley Kubrick adapte un roman d’Humphrey Cobb et s’attelle à un projet qui n’intéresse guère les studios. Il faudra que Kirk Douglas entre dans l’aventure, tant comme producteur que comme interprète du colonel Dax, pour que cette œuvre sur l’absurdité de la guerre voit le jour.
Tourné en Allemagne en 1957, au nouveau château de Schleissheim en Bavière, Paths of Glory (en v.o.) a aussi la particularité d’être entré dans l’histoire de la censure cinématographique. Le film fait en effet scandale en France et en Belgique. Face à la pression et aux menaces de représailles d’associations d’anciens combattants français et belges, le gouvernement français, alors plongé dans les remous de la guerre d’Algérie, proteste auprès d’United Artists. La carrière européenne des Sentiers de la gloire s’interrompt lors de sa projection en avant-première à Bruxelles en Belgique.
Les producteurs du film décident, dans un acte d’auto-censure, de ne pas le distribuer en France et ne demandent pas de visa d’exploitation au ministre chargé du cinéma français.
L’universitaire Séverine Graff note : « L’enjeu du débat n’est jamais de savoir si la représentation de Kubrick est fidèle ou non au sort réservé aux fusillés pour l’exemple en 1916. La question est de savoir si le film est antimilitariste, si la représentation sévère des officiers supérieurs français pourrait nuire au rôle de la France dans cette période de décolonisation et si Kubrick pointe délibérément la France afin de dénoncer l’attitude de l’armée en Algérie… » 1957 marque bien sûr la bataille d’Alger et la révélation des tortures commises par les parachutistes français en Algérie…
Il faudra attendre 18 ans pour que le film soit finalement projeté en France en 1975.
Face à la censure, Kubrick s’exprimera dans la presse (L’Express en mars 1959) en se défendant d’avoir voulu critiquer directement la France et ses soldats, insistant sur le fait que son scénario aurait pu avoir pour cadre n’importe quelle guerre. Certains commentateurs observeront que le réalisateur, à peine trentenaire, a profité de cette interdiction pour vendre son film comme un objet sulfureux, quitte à renoncer aux entrées françaises…
Souvent négligé dans la filmographie du réalisateur de Shining ou Docteur Folamour, Les sentiers de la gloire ne se contente pas d’une dénonciation de la mécanique militaire à travers une description violente des rapports hiérarchiques et du cynisme des généraux. Derrière la façade historique, l’abstraction et la folie règnent, doublant le récit martial d’un soupçon angoissant que la mise en scène distille dans les espaces et les mouvements, dans les lumières et dans le jeu…

Les sentiers de la gloire, le mardi 18 novembre à 19h30 au Palace, avenue de Colmar à Mulhouse. La séance est présentée et animée par Pierre-Louis Cereja.

© DR

 

La critique de film

Une star égyptienne dans les griffes du pouvoir  

George Fahmy (Fares Fares) devant les studios qui affichent son effigie.

George Fahmy (Fares Fares) devant
les studios qui affichent son effigie.

Il n’est que de voir les grandes salles du centre-ville de Caire pour mesurer l’impact du cinéma en Egypte, plaque tournante du 7e art en Afrique et au Moyen-Orient. George Fahmy est aujourd’hui l’acteur le plus adulé du pays des pharaons. Dans la rue Talaat Harb, ses fans font la queue devant le Miami ou le Metro pour l’applaudir…
Au générique des Aigles de la République, on a eu la bonne idée de mettre ces grandes affiches peintes et très colorées qui faisaient le charme des années où Omar Sharif, Faten Hamama, Leila Mourad ou Adel Imam précédaient la gloire de George Fahmy…
Le comédien adulé, tourne, une scène dans une voiture… On le flatte : « Je te jure, c’est digne d’Antonioni ! » A son grand fils, dont il a oublié l’anniversaire, il offre une Breitling et va boire un verre avec lui et sa petite amie. A cette dernière, George lance : « Tu sens bon ! » Mais la jeune fille dit qu’elle ne met pas de parfum. Même les légendes de l’écran peuvent prendre un vent.
Soudain, George se sent mal à l’aise. Là-bas, à une table, un homme le regarde fixement. George demande à un serveur de le faire quitter le restaurant…
On a découvert, à l’international, le cinéma de Tarik Saleh avec son second long-métrage, Le Caire confidentiel (2017) qui, dans la tradition du film noir, racontait, avec en toile de fond la fin du régime Moubarak, l’enquête menée par l’inspecteur Noureddine Mostafa sur le meurtre, dans une suite d’un grand hôtel, d’une célèbre chanteuse… Le flic soupçonne un puissant député et entrepreneur d’être lié au meurtre. Le dossier est vite classé. Trois jours avant le début du tournage en Egypte, la sécurité d’État expulsa l’équipe et interdit à son auteur de pénétrer sur le territoire égyptien. Le tournage de Le Caire confidentiel sera organisé en catastrophe à Casablanca au Maroc.

La star égyptienne avec Madame Suzanne (Zineb Triki).

La star égyptienne
avec Madame Suzanne (Zineb Triki).

Après avoir tourné un thriller d’action (The Contractor, 2021) aux Etats-Unis, le cinéaste de 53 ans, né à Stockholm d’un père égyptien et d’une mère suédoise, sera de retour, en 2022, avec La conspiration du Caire, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes où il obtiendra le prix du scénario. Cette fois, il donne un thriller sur les rivalités entre les élites religieuses et le pouvoir politique, à travers une intrigue qui a pour cadre la très influente université cairote Al-Azhar.
Voulu par Tarik Saleh comme une lettre d’amour à l’âge d’or du cinéma égyptien des années 1950-70, Les aigles de la République parle de mensonge et de vérité au travers du personnage de George Fahmy, un menteur patenté, dans son travail comme dans sa vie privée. Ce talent lui a permis de devenir riche et célèbre. C’est aussi ce qui pourrait entraîner sa perte.
Dans les réceptions mondaines qu’il fréquente, souvent pour briller au bras de Donya, sa jeune petite amie, Fahmy la joue profil bas quand on parle politique. Et il se tait quand on affirme que « L’ennemi est partout » et qui, lui, la vedette du film Le premier Egyptien dans l’espace, serait droitdel’hommiste. Star, George Fahmy peut toujours dire qu’il ne travaille pas pour le régime. La pression devient trop forte quand on lui demande d’interpréter le président al-Sissi au grand écran. De fait, George ne va pas avoir voix au chapitre. Bientôt, il se retrouve sous la coupe, discrète mais précise, du docteur Mansour, véritable éminence grise du président.
N’ayant pas d’autre choix même s’il remarque, qu’avec son 1,66m, al-Sissi est beaucoup plus petit que lui, George Fahmy va se glisser dans la peau et l’uniforme de l’homme qui entend conduire l’Egypte vers un avenir radieux. « Je suis très honoré de prendre part à cette aventure ». Le pharaon de l’écran connaît son métier (son interprétation est si convaincante que les autres comédiens tremblent comme s’ils étaient en face du vrai président) et l’équipe a tous les moyens nécessaires pour faire du bon boulot. Même si l’inflexible docteur Mansour, ici ou là, rectifie le tir.

Le docteur Mansour (Amr Waked) ou l'oeil et l'oreille du président.

Le docteur Mansour (Amr Waked)
ou l’oeil et l’oreille du président.

Sans dévier de son propos, en l’occurrence la relation complexe qu’entretient l’artiste avec le pouvoir et l’argent, le cinéaste multiplie cependant avec justesse les notations, qu’il s’agisse des relations entre George et son exigeante petite amie (Lyna Khoudri), d’une visite à la pharmacie où George veut acheter du viagra, des difficiles relations avec sa femme ou encore de son amitié avec Rula, une comédienne qu’un haut dignitaire du régime désire ardemment…
En acceptant de jouer le rôle principal de La volonté du peuple, le comédien va se retrouver au plus près des cercles du pouvoir. Désormais, il dîne et trinque avec l’entourage de Sissi, croise la mystérieuse Madame Suzanne, épouse du ministre de la Défense. Les deux se retrouveront même dans une suite de l’hôtel Hilton Nile… Bientôt George va se retrouver en terrain miné et au coeur d’une machination. Pour faire bonne mesure, le docteur Mansour (Amr Waked) a glissé dans le contrat de George, une lettre manuscrite où il s’excuse pour son suicide. « Au cas où vous disparaitriez… » souffle Mansour.

George au coeur du pouvoir... Photos Yigit Eken

George au coeur du pouvoir…
Photos Yigit Eken

Nourri au bon lait du film noir de l’âge d’or du cinéma américain, Tarik Saleh mène son film d’une main solide et embarque, sans coup férir, le spectateur dans un festival de coups tordus. Pour cela, le cinéaste peut compter sur d’excellents comédiens comme Zineb Triki qui fut de l’aventure du Bureau des légendes, et qui incarne, ici, la belle Madame Suzanne. Et puis bien sûr, il y a l’ami et acteur fétiche Fares Fares, présent dans tous les films de Saleh. Il campe, ici, un George Fahmy, vedette accomplie puis simple rouage d’un complot qui le dépasse.
Après une projection, plutôt glaciale, de La volonté du peuple, George est de retour, dans la rue, parmi un groupe de vieux parieurs accrochés à un poste de radio. Même si, en 1956, Nasser a interdit les courses de chevaux et fermé l’hippodrome de Gizeh, ils se réunissent toujours pour jouer. Pour le cinéaste, ces parieurs représentent un rêve anéanti. Peu importe qui est en train de piller le pays, ils sont toujours là…
Les chevaux sont au départ. Les jeux sont faits. George va sans doute perdre de l’argent. Mais qu’importe, ce n’est pas vraiment un problème pour lui. Par contre, son visage est plus fermé qu’autrefois. Comme s’il venait de se réveiller d’un mauvais songe.

LES AIGLES DE LA REPUBLIQUE Thriller (Suède/France/Danemark/Finlande – 2h09) de Tarik Saleh avec Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked, Chrerien Dabis, Ahmed Kairy ; Nael, Sherwan Haji, Suhaib Nashwan. Dans les salles le 12 novembre.

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