Juste une image…

Phantom Paradise
Propriétaire de la maison de disques Death Records, le puissant Swan recherche la musique digne d’ouvrir son Paradise, une salle de spectacle qu’il vient de faire construire. Il la trouve dans la musique de Winslow Leach. Talentueux mais inconnu, ce jeune compositeur rêve de percer dans le métier. Winslow accepte de fournir les ébauches de sa cantate à condition de la jouer lui-même. Mais Swan refuse, le trouvant trop peu charismatique…
Après des semaines de silence, Winslow demande à voir Swan avec qui il était convenu d’un rendez-vous, mais l’hôtesse d’accueil de la maison de Swan, qui est surtout la groupie de ce dernier, fait éconduire brutalement Winslow. Il s’introduit clandestinement au domicile de Swan, où ce dernier fait passer des auditions à des jeunes femmes pour des postes de choristes. Il y rencontre la belle Phoenix, qu’il trouve trop talentueuse pour se contenter des chœurs. Ayant refusé de coucher avec Philbin, le bras droit de Swan, Phoenix est exclue de la sélection. Winslow, reconnu, est expulsé par Swan et celui-ci fait cacher de la drogue sur lui. Le juge, qui a été corrompu par Swan, condamne Winslow à vingt ans de prison au pénitencier de… Sing Sing (appellation qui pourrait se traduire par : « Chante, chante »).
Entendant dans une radio une version dégénérée de sa musique, destinée à faire l’ouverture du Paradise, Winslow s’évade et s’introduit dans les usines Death Records pour y détruire les disques. Se trouvant immobilisé dans la cabine de la presse à disques à la suite d’un faux mouvement, son visage est embouti par la machine : une moitié de celui-ci est détruite. Poursuivi par la police, Winslow s’enfuit et semble se noyer dans le port. Il en réchappe et s’introduit dans le Paradise. Là, il se confectionne une tenue pour cacher son identité.
Pour conclure sa saison consacré au cinéma des années soixante-dix, Ciné-Ried joue la carte de la musique avec Phantom of the Paradise (1974), le film musical que Brian De Palma adapte librement (et en le situant dans l’univers du glam-rock seventies) du roman de Gaston Leroux Le Fantôme de l’opéra paru en 1910.
Le cinéaste américain livre une méditation cathartique sur le mercantilisme qui pervertit toute œuvre artistique et confiait : « Traiter avec le diable fait de vous un démon. » A travers le personnage du Fantôme, De Palma s’interroge sur la place de l’artiste dans un monde (capitaliste) du show-business qu’il ne peut rejeter, sous peine d’être rejeté à son tour.
Echec commercial à sa sortie en salles aux Etats-Unis, Phantom… sera néanmoins nominé aux Oscars 1975 pour la meilleure partition de chansons et l’adaptation musicale pour Paul Williams et George Aliceson Tipton. En France, le Festival international du film fantastique d’Avoriaz lui attribuera son Grand prix. Au film du temps, Phantom of the Paradise est devenu un film-culte et l’un des fleurons de la carrière de Brian de Palma.

Phantom of the Paradise, le mardi 21 mai à 20h à La Grange, avenue Foch à Riedisheim. La séance est présentée et animée par Pierre-Louis Cereja.

© Photos DR

La critique de film

« Votre avis personnel n’est pas pris en compte »  

Florence (Léa Seydoux) et Willy (Raphaël Quenard). DR

Florence (Léa Seydoux)
et Willy (Raphaël Quenard). DR

« Il est temps pour moi de fermer mon clapet. » C’est Quentin Dupieux qui le dit, lui qui affirme, qu’avec l’accélération de la cadence de sorties de ses films (Daaaaali ! est sorti en février dernier), il a accumulé sans s’en rendre compte « un temps de parole dans les médias probablement supérieur à la durée de (ses) 12 films réunis. » Un comble donc pour le musicien-cinéaste qui n’entend pas paraphraser « un film dans lequel tout est tout le temps dit et commenté en temps réel. »
On respecte bien volontiers le choix du silence de Dupieux puisque son film, très bavard, dit avec des mots bien choisis tout ce qu’il a envie d’exprimer et contient déjà de façon extrêmement limpide sa propre analyse. Ayant été retenu hors compétition en ouverture du Festival de Cannes, le film produira assurément d’abondants commentaires. Probablement aussi quelques solides insultes.
Dans un petit matin brumeux et triste, un gros type barbu arrête sa voiture dans un coin de campagne. L’homme, manifestement extrêmement stressé, va ouvrir les portes du Deuxième acte, un restaurant au look de Dinner américain, installé au milieu de nulle part.
Non loin de là, David et son copain Willy marchent dans cette campagne. David a un gros problème. Il s’estime harcelé par Florence, une fille follement amoureuse de lui. Mais David n’éprouve rien pour elle. Surtout il n’arrive pas à se débarrasser de l’importune. Son idée, c’est de jeter Florence dans les bras de Willy, dragueur semble-t-il émérite… Mais Willy flaire un piège, une mascarade : « Il est bizarre, ton plan ». Et si Florence était moche ? Et si Florence était en fait un homme ? Et ça, Willy ne le conçoit pas. Pas question pour lui de batifoler avec un mec. Pire, il balance à la figure de David sa bisexualité : « Toi, tu joues dans les deux camps ! ». David le somme de cesser de suite : « Tu veux qu’on se fasse cancel ! » C’est alors que David s’adresse, hors champ, à l’équipe du film. On a compris que les deux compères sont comédiens et qu’ils tournent un plan dans un film.

David (Louis Garrel) et Guillaume (Vincent Lindon). DR

David (Louis Garrel)
et Guillaume (Vincent Lindon). DR

Tout Le deuxième acte va alors se développer autour de cette dualité entre la vraie vie et l’illusion d’une vie filmée, donc constamment réinventée. Même si, en ces temps délicats dans l’univers du cinéma, ses dialogues paraîtront clivants à d’aucuns, Dupieux peut cependant s’amuser à distiller sa satire sur ce mensonge éminemment séduisant qu’est la fiction. On assiste alors à un jeu souvent savoureux où, par exemple, Guillaume, le père de Florence, s’indigne de la futilité du cinéma alors que le monde n’est plus qu’un grand chaos. Mais le même oublie très vite toutes ces questions lorsqu’il apprend que le brillant cinéaste hollywoodien Paul Thomas Anderson veut l’engager pour sa prochaine production.
Ah, la vie d’acteur n’est pas un long fleuve tranquille. Et les egos sont à fleur de peau. Guillaume et Willy en viennent aux mains. Dans les toilettes, Florence panse le nez sanglant de Willy qui tente de l’embrasser. « Un geste de plus, assure Florence, et tu ne travailleras plus jamais ! » Et que dire du malheureux Stéphane, stressé parce que, pour la première fois de sa vie, il est figurant dans un film ! Tellement tendu qu’il ne parviendra jamais à verser du vin dans quelques verres…

Stéphane (Manuel Guillot), un figurant très stressé. DR

Stéphane (Manuel Guillot),
un figurant très stressé. DR

Dans la hiérarchie des films de Dupieux, ce 13e opus n’est sans doute pas le plus enlevé. On a parfois l’impression que la mécanique tourne à vide et que le capital d’absurdité, propre à ce cinéma, s’épuise.
Evidemment, Quentin Dupieux peut toujours compter sur des comédiens en verve pour défendre ses belles fantaisies. On retrouve ainsi l’épatant Raphaël Quenard auquel le cinéaste, après déjà deux apparitions dans ses films, avait offert un premier rôle dans Yannick (2023). Comme chez Woody Allen en son temps, on imagine volontiers que les vedettes se pressent désormais au portillon pour figurer dans la distribution d’un Dupieux. Cette fois, c’est Louis Garrel, Léa Seydoux et Vincent Lindon qui viennent faire un tour dans cet univers déjanté…
Enfin, le réalisateur, qui semble toujours travailler avec la décontraction (apparente) d’un joyeux artisan, porte, à notre connaissance, le premier coup cinématographique à une inquiétante évolution qui touche notre société. On parle évidemment de l’IA. Car on apprend que le film qui se fabrique sous nos yeux est produit et réalisé par la fameuse Intelligence artificielle. Lors de la fin de journée de tournage, un assistant présente aux comédiens un ordinateur sur lequel s’affiche un metteur en scène de synthèse qui se réjouit que la charte artistique définie par la production a été respectée à 92 %.
Mais Willy se fait réprimander pour avoir bâclé douze lignes de dialogues. Pour cela, la retenue sur son cachet sera de 460 euros hors taxe. Lorsque Guillaume propose une suggestion, la voix métallique lui répond : « Votre avis personnel n’est pas pris en compte ». Florence, elle, a beau trouver « hyperexcitante, cette nouvelle façon de faire du cinéma », on n’y croit qu’à moitié.
Quant au dernier (très long) plan – un travelling porté par une musique jazzy sur des rails de cinéma-, il atteste de la permanence de la magie du 7e art. D’ailleurs, répondant à son collègue qui affirme que les gens « s’en foutent de nous. Ils sont passés à autre chose », David préfère croire au cinéma : « Il y a plein de merveilleux cinéphiles qui nous regardent ». Mais oui !

LE DEUXIEME ACTE Comédie dramatique (France – 1h20) de Quentin Dupieux avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, Raphaël Quenard, Manuel Guillot. Dans les salles le 14 mai.

Un restaurant comme lieu de tournage... DR

Un restaurant comme lieu de tournage… DR

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