Rencontres de Gérardmer: un cru 2023 sous le signe des femmes cinéastes…
Depuis le mois de janvier, Denis Blum avale des films… « J’ai dû en visionner une bonne cinquantaine… » C’est évidemment le lot de tous ceux qui, comme lui, ont pour mission de construire une programmation… Bien sûr, celui est, depuis de nombreuses éditions, l’âme des Rencontres de Gérardmer, aime le cinéma. Mais construire un planning demeure un casse-tête. Notamment parce qu’il faut jongler avec les disponibilités des équipes de film dont on sait qu’elles constituent évidemment un plus pour les Rencontres, la présence des cinéastes et des comédiens étant un indéniable attrait pour le public, toujours enthousiaste, de la Perle des Vosges.
« Ainsi, par hasard, il y a deux films dans lesquels jouent François Berléand au programme. C’était une belle opportunité de le retrouver à Gérardmer. Jean Walker avait même imaginé de monter une masterclass avec lui. Las, il joue au théâtre et ne pourra pas venir… »
Pour la 25e édition des Rencontres, qui se déroulera du lundi 3 au jeudi 6 avril dans la salle du Casino Joa, Denis Blum a retenu quinze longs-métrages et un court-métrage (D-iva) soutenu par la Région Grand Est et M2A et signé du cinéaste mulhousien Christophe Jarosz…
Sachant que les sorties cinéma sont chose fluctuante, qu’il faut tenir de l’offre à un moment donné et aussi s’organiser avec les dates des Rencontres, Denis Blum confie : « Il y a beaucoup de propositions de films français ou en langue française. Ca se sent dans la programmation. Rien qui fasse sauter au plafond mais quelques belles découvertes originales… »
Du côté des films étrangers, il n’a pas eu de souci car les propositions sont plutôt limitées. Du côté des studios américains, il y a évidemment de « grosses machines » mais on sait que les Américains sont « frileux ». Paramount a bien proposé son nouveau Donjons et dragons « Mais il sortait sur les écrans juste après les Rencontres ».
Comme les Rencontres sont un rendez-vous professionnel où les distributeurs retrouvent, en chair et en os, les exploitants du Grand Est, Denis Blum s’applique à donner du temps au temps pour permettre aux professionnels de bien « travailler » leurs programmations en choisissant des films dont les dates de sortie s’étalent, globalement, entre la toute fin du mois d’avril et la mi-juin.
Enfin on remarque que les Rencontres 2023 verront se dérouler sur l’écran géromois, pas moins d’une demi-douzaine de long-métrages réalisés par des femmes cinéastes. Pour Denis Blum, ce choix relève du pur hasard mais on peut néanmoins s’en féliciter…
L’ODEUR DU VENT
Iran – 1h30 – Bodega Films
Un électricien est dépêché pour réparer un transformateur en panne près d’une maison isolé dans laquelle vivent un homme handicapé et son fils alité. Une pièce manque, le technicien part à sa recherche. De ce maigre argument, le cinéaste iranien Hadi Mohaghegh (qui incarne lui-même le personnage principal) tire une épopée miniature. Les embûches autant que les solutions, les transactions financières autant que les gestes d’entraide, emplissent la durée et les silences de ce qui, peu à peu, prend la forme d’une méditation sur la bonté. Le film a obtenu la Montgolfière d’argent au Festival des 3 continents 2022.
Lundi 3 à 17h30
Sortie dans les salles : 14 juin.
LA FILLE D’ALBINO RODRIGUE
France – 1h33 – Arp Sélection
Rosemay, 16 ans, vit dans une famille d’accueil et ne rejoint sa famille biologique que pour les vacances. Un jour, son père n’est pas là pour l’accueillir comme prévu. D’ailleurs, il ne réapparaît pas et semble s’être évaporé. Ses questions ne rencontrant que des mensonges, Rosemay ne peut se fier qu’à son intuition…
Remarquée en 2008 avec Les inséparables (et Guillaume Depardieu dans l’un de ses derniers rôles), Christine Dory (qui sera présente à Gérardmer), scénariste pour Emmanuel Salinger ou Mathieu Amalric, signe son second long-métrage qui réunit, autour de Galatée Bellugi (vue dans L’apparition en 2018) Emilie Dequenne, Romane Bohringer ou Samir Guesmi.
Lundi 3 à 19h30
Sortie en salles : 10 mai.
TROPIQUE
France – 1h50 – Rezo Films
Lázaro et Tristán, jumeaux, font partie d’un programme militaire qui vise à former les meilleurs astronautes de demain. Leur mère a tout sacrifié pour les porter vers cet objectif. Mais leur rêve se brise et la cellule familiale explose lorsque Tristán est contaminé par un résidu toxique qui le transforme physiquement et mentalement…
Le réalisateur Edouard Salier est graphiste, designer, photographe,auteur de videoclips pour Docteur L ou Massive Attack. Ses courts-métrages Flesh (2005) et Empire (2005) ont été représentés dans le monde entier. Le comédien Pablo Cobo, interprète du rôle de Lazaro, sera présent à Gérardmer.
Mardi 4 à 8h45
Sortie en salles : 14 juin.
LA NUIT DU VERRE D’EAU
France/Liban – 1h23 – JHR Films – jour2Fête
En 1958, alors que la révolution gronde à Beyrouth, trois sœurs passent l’été en villégiature dans un village reculé de la montagne libanaise. Le danger de la guerre qui approche et l’arrivée de deux estivants français, poussent Layla, la mère et l’épouse parfaite, à envoyer valser les apparences et à se révolter contre cette société patriarcale qui la tient sous contrôle. Pour son premier long métrage, Carlos Chahine (présent à Gérardmer) plonge dans l’histoire de son Liban natal et distille une histoire d’amour adultère d’une jeune femme non épanouie dans son couple qui devient dès lors une échappée vers l’ailleurs plus qu’une véritable romance basée sur un amour réciproque. Le film a reçu le Prix du Public de la 44e édition du festival Cinemed.
Mardi 4 à 11h
Sortie en salles : 14 juin.
FIFI
France – 1h48 – New Story
Nancy, c’est le début de l’été… et Sophie, dite Fifi, 15 ans, est coincée dans son HLM dans une ambiance familiale chaotique. Quand elle croise par hasard son ancienne amie Jade, sur le point de partir en vacances, Fifi prend en douce les clefs de sa jolie maison du centre-ville désertée pour l’été. Alors qu’elle s’installe, elle tombe sur Stéphane, 23 ans, le frère aîné de Jade, rentré de manière inattendue. Au lieu de la chasser, Stéphane lui laisse porte ouverte et l’autorise à venir se réfugier là quand elle veut… Jeanne Aslan (qui sera présente à Gérardmer) et Paul Saintillan mettenet en scène Céleste Brunnquell (vue dans Les éblouis en 2019) et Quentin Dolmaire découvert chez Desplechin dans Trois souvenirs de ma jeunesse (2015).
Mardi 4 à 15h
Sortie en salles : 14 juin.
MAGNIFICAT
France – 1h37 – Alba Films
À la mort d’un prêtre, la chancelière du diocèse découvre abasourdie qu’il s’agissait d’une femme ! Contre l’avis de son évêque qui souhaite étouffer l’affaire, elle mène l’enquête pour comprendre comment et avec quelles complicités une telle imposture a été possible…
Pour son premier long-métrage, Virginie Sauveur (qui sera présente à Gérardmer) adapte le roman Des femmes en noir d’Anne-Isabelle Lacassagne et réunit un beau casting avec Karin Viard (la chancelière), François Berléand (l’évêque) mais aussi le jeune Maxime Bergeron, Patrick Catalifo, Nicolas Cazalé…
Mardi 4 à 18h
Sortie en salles : 14 juin.
D-IVA
France – 14 minutes
Petite fille, Iva était croyante. Adulte, elle ajoute le D de déesse à son prénom pour devenir D-Iva, pur produit du star système. Offerte et adulée par son public en transe comme un veau d’or moderne, D-Iva se rend compte que son rêve d’enfant a viré au cauchemar.
Avec son court-métrage soutenu par la Région Grand Est et M2A Mulhouse, le réalisateur mulhousien Christophe Jarosz sera présent à Gérardmer.
Mercredi 5 à 9h45
LE COLIBRI
Italie – 2h06 – Paname Distribution
Au début des années 70, au bord de la mer, Marco Carrera, surnommé « Le colibri », rencontre pour la première fois Luisa Lattes, une belle fille un peu particulière. C’est un amour qui ne sera jamais consommé mais qui ne s’éteindra jamais. La vie conjugale de Marco se déroulera à Rome, avec Marina et leur fille Adèle. En proie à un destin sinistre qui le soumet à de terribles épreuves, Marco se retrouve à Florence. Prêt à le protéger des pires coups du destin, une psychanalyste apprend à Marco à faire face aux changements les plus inattendus de la vie.
Avec Pierfrancesco Favino (Romanzo Criminale, Le traître), Francesca Archibugi conte une existence faite d’amour absolu, de pertes et de coïncidences.
Mercredi 5 à 10h
Sortie en salles : 10 mai.
QUAND TU SERAS GRAND
France – 1h39 – Ad Vitam
Yannick est aide-soignant dans une maison de retraite. Entre pression permanente et restrictions budgétaires, il fait face aux manques de moyens avec une bonne humeur contagieuse. Mais lorsqu’on lui impose de partager le réfectoire avec une classe d’enfants, la situation se complique. Leur arrivée ainsi que celle de son animatrice, Aude, va bousculer le quotidien de tous et surtout des résidents…
Remarqués pour Les chatouilles (2018), les réalisateurs Andréa Bescond et Eric Métayer (qui seront présents à Gérardmer) signent une comédie dramatique interprété par Vincent Macaigne (Chronique d’une liaison passagère) et Aïssa Maïga, révélée par L’un reste, l’autre part de Claude Berri et Les poupées russes de Cedric Klapisch.
Mercredi 5 à 14h30
Sortie en salles : 26 avril.
A CONTRE-TEMPS
Espagne – 1h45 – Condor Films
Pour Rafa, avocat aux fortes convictions sociales, la journée s’annonce compliquée. Il a jusqu’à minuit pour retrouver la mère d’une fillette laissée seule dans un logement insalubre. A défaut, la police placera la petite en foyer. Dans sa course contre la montre, Rafa croise la route d’Azucena, une femme injustement menacée d’expulsion, et qui pour s’en sortir, tente de provoquer une révolte citoyenne. Alors que les heures défilent implacablement pour ces deux âmes en lutte, Madrid se transforme sous leurs yeux en creuset de toutes les colères…
Le comédien et réalisateur argentin Juan Diego Botto signe son premier long-métrage avec, en tête d’affiche, la star Penelope Cruz…
Mercredi 5 à 16h45
Sortie en salles : 21 juin.
LAST DANCE
Suisse/Belgique – 1h28 – Epicentre Films
Retraité introspectif, Germain vit une retraite contemplative, pratiquant un farniente nourri d’une légère misanthropie. Lorsqu’à 75 ans, il perd brusquement sa femme Lise, il a à peine le temps de réaliser ce qui lui est arrivé. Son existence est envahie par ses enfants qui se mettent à la régenter et tentent de lui imposer des activités organisées. Pour retrouver sa liberté, il est prêt à réaliser une promesse faite à sa femme : rejoindre une compagnie de danse contemporaine.
Réalisatrice suisse installée en Belgique, Delphine Lehericey a été lauréat du Prix du cinéma suisse avec son second long-métrage Le milieu de l’horizon (2019). Elle met en scène François Berléand en vieil homme inspiré et plein de charme. Il est entouré de Kacey Mottet Klein vu dans L’événement (2021) et Déborah Lukumuena, révélée par Divines (2016) et vue dans Robuste (2021) avec Gérard Depardieu.
Mercredi 5 à 19h15
Sortie en salles : non daté.
JUST SUPER
Norvège – 1h16 – KMBO
Jeune fille de 11 ans passionnée de jeux vidéo, Hedvig est obligée de remplacer son père comme super-héros de la ville.
Un allègre film d’animation signé du Norvégien Rasmus A. Sivertsen, déjà réalisateur du Lion et les 3 brigands, Le voyage dans la lune et La grande course au fromage….
Jeudi 6 à 9h
Sortie en salles : 2 août.
LOVE LIFE
Japon – 2h04 – Art House
Taeko vit avec son époux Jiro et son fils Keita en face de chez ses beaux-parents, qui n’ont jamais vraiment accepté son mariage. Alors que Taeko découvre l’existence d’une ancienne fiancée de son mari, le père biologique de Keita refait surface suite à un événement inattendu. C’est le début d’un impitoyable jeu de chaises musicales, dont personne ne sortira indemne.
Le cinéaste japonais Kôji Fukada incarne la nouvelle génération du cinéma nippon. Il a remporté la Montgolfière d’or au Festival des trois continents, en 2013, avec Au revoir l’été autour d’un réfugié de Fukushima.
Jeudi 6 à 10h45
Sortie en salles : 14 juin.
LE PRINCIPAL
France – 1h22 – Le Pacte
Principal adjoint d’un collège de quartier, Sabri Lahlali est prêt à tout pour que son fils, sur le point de passer le brevet, ait le dossier scolaire idéal. Mais il ne sait pas jusqu’où son entreprise va le mener… Chad Chenouga (qui sera présnet à Gérardmer) raconte que, lorsqu’il présentait son précédent film (De toutes mes forces), il avait rencontré deux professeurs d’histoire qui avaient travaillé sous les ordres d’un principal adjoint atypique qui avait trahi sa fonction. Il avait triché en utilisant un corrigé pour son fils qui passait le brevet. Mais comme il était bien noté, l’Académie avait étouffé l’affaire et il avait quand même été nommé principal dans un autre collège.
Roschdy Zem incarne ce père à priori peu sympathique mais dont les fêlures vont se révéler sous la carapace…
Jeudi 6 à 14h30
Sortie en salles : 10 mai.
BURNING DAYS
Turquie – 2h04 – Memento Distribution
Jeune procureur déterminé et inflexible, Emre vient d’être nommé dans une petite ville reculée de Turquie. À peine arrivé, il se heurte aux notables locaux bien décidés à défendre leurs privilèges par tous les moyens, même les plus extrêmes. Le réalisateur Emin Alper souhaitait décrire un idéaliste solitaire luttant contre l’élite corrompue d’une ville. Autour d’un problème de pénurie d’eau, le cinéaste a bâti une réflexion politique sur la corruption qui prend les allures d’un thriller…
Jeudi 6 à 17h
Sortie en salles : 26 avril.
MA LANGUE AU CHAT
France – 1h43 – Zinc Film
A l’aube de la cinquantaine, Laure ne supporte plus rien : ni son travail, ni son mari Daniel…ni sa vie. Le seul être qui trouve grâce à ses yeux et constitue son seul allié est Max, son chat. Lorsque ses amis de toujours débarquent dans sa maison de campagne pour fêter l’anniversaire de Daniel et que Max le chat disparaît, Laure disjoncte…et se met à enquêter. Qui a fait disparaître Max ? Qui est le coupable ? Laure n’est pas au bout de ses surprises… La soudaine disparition du greffier devient l’occasion pour tous de régler leurs comptes et de voir les non-dits refaire surface…
Réalisatrice de Tout pour plaire (2005) et des Yeux jaunes des crocodiles (2015), Cécile Télerman (qui sera présente à Gérardmer en compagnie de la comédienne Mélanie Bernier), met, ici, en scène, également Zabou Breitman, Pascal Elbé et Samuel Le Bihan…
Jeudi 6 à 19h30
Sortie en salles : 26 avril.
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Gérardmer: le retour des Rencontres deux ans après
« Oui ! » C’est Denis Blum qui le dit, quand on lui demande si c’est un soulagement de voir les 24e Rencontres de Gérardmer se tenir après deux éditions où la lumière ne s’est pas allumée sur l’écran géromois. « En 2020, nous étions en plein premier confinement et en 2021, les cinémas étaient fermés… » Du mardi 5 au vendredi 8 avril, les Rencontres du cinéma de Gérardmer sont donc de retour et Denis Blum, président de l’ACIEST (Association des cinémas indépendants de l’Est) et programmateur de la manifestation depuis une quinzaine d’années, a remis, depuis la fin de l’année dernière, les fers au feu. Une sélection compliquée ? « Pour les films art et essai, comme par exemple Les passagers de la nuit, ça n’a pas été difficile et sur tout ce que j’ai vu, j’aurai pu en retenir bien d’autres… » Côté films français, il en va un peu différemment car il est plus difficile de trouver des productions qui tiennent la route, notamment pour les comédies…
La sélection 2022 comprend une belle diversité de nationalités avec des films asiatiques, espagnol, allemand, argentin, norvégien… « Il y a, observe le programmateur, une sur-représentation du Japon mais c’est vraiment un hasard ! » Cependant, cette présence nippone s’inscrit aussi dans une démarche de reconquête du public des 15-25 ans. « On voit bien, dit encore Denis Blum, le succès impressionnant des mangas et le cinéma japonais marche bien en ce moment auprès de ce public que nous ciblons… »
Si les Rencontres sont ouvertes au grand public (« Les spectateurs de Gérardmer sont des fidèles des Rencontres et je ne doute pas qu’ils seront au rendez-vous de cette édition ») et voient nombre de journalistes et de critiques de cinéma venir découvrir, dans un temps rapproché, des avant-premières, cette célébration du cinéma offre aussi, depuis l’origine, aux professionnels -distributeurs et exploitants- l’occasion de se retrouver et d’échanger. Ils pourront ainsi débattre de ces 15-25 ans à ramener dans les salles avec, par exemple, des films, certes japonais comme Junk Head mais aussi norvégien comme Ninja Baby ou encore Le visiteur du futur de François Descraques. Ce dernier sera toutefois projeté lors d’une séance uniquement réservée aux exploitants de salles.
Les Rencontres étant aussi marquées par les visites des équipes de films, on notera, le jeudi 7, la présence d’un monstre sacré du cinéma français. Vedette du documentaire Tourner pour vivre, Claude Lelouch sera, après la projection du film, l’invité d’une masterclass animée par Jean Walker. « Accueillir aujourd’hui Lelouch, c’est recevoir l’un des derniers grands de sa génération… Même si on peut parfois être critique sur ses films, c’est une personnalité attachante et qu’on aime bien ! »
Alors que la traditionnelle fête des jonquilles sera de retour à Gérardmer en 2023, le coup d’envoi des Rencontres, avec une jauge que Denis Blum estime équivalente à celle de 2019, est proche… Si la pandémie semble reprendre, Denis Blum garde confiance. Dans les circonstances actuelles, il n’y a pas de recommandations. Masque ou pas masque ? « Chacun fera à son appréciation… »
Rencontres 2022: demandez le programme…
Du 5 au 8 avril 2022, les Rencontres du cinéma sont de retour à Gérardmer ! Après deux années blanches pour cause de pandémie, on retrouve, dans la salle du casino Joa, ce rendez-vous apprécié autant des professionnels que du grand public et des médias… Caractérisées par une convivialité qui se dément pas depuis le lancement de l’opération géromoise au milieu des années 90, les Rencontres proposent, pendant quatre jours, un solide « menu » d’une vingtaine d’avant-premières qui marqueront l’actualité des salles obscures des prochains mois.
L’AFFAIRE COLLINI
Pourquoi Fabrizio Collini a-t-il assassiné, en 2001, Hans Meyer, un industriel de la haute société allemande, dans un hôtel de Berlin ? Comment défendre un accusé qui refuse de parler ? En enquêtant sur ce dossier, son avocat découvrira le plus gros scandale juridique de l’histoire allemande, et une vérité à laquelle personne ne veut se confronter… Autour d’un crime sans mobile et d’un avocat sans expérience et en s’appuyant sur un livre de Ferdinand von Schirach (petit-fils d’un dirigeant nazi condamné à Nuremberg), le réalisateur allemand Marco Kreuzpaintner se penche sur une justice sans mémoire. Jusqu’où ira la prescription des crimes nazis ? (ARP – 2h03 – En salles le 27 avril)
Projection : mardi 5 avril à 14h
LA FAMILLE ASADA
Depuis ses 12 ans, seule compte la photographie pour Masashi Asada. Quand il réalise que ses parents et son frère ont renoncé à leur passion, il décide de les mettre en scène : pompier, femme de yakuzas, pilote de formule 1… Devant l’objectif de Masashi, toute la famille se prête volontiers au jeu pour permettre à chacun de vivre ses rêves de jeunesse. Quand le Japon est touché par le tsunami de 2011, les photos de Masashi prennent une nouvelle dimension. A partir d’une histoire vraie, le cinéaste japonais Ryota Kakano signe une chronique autour des images qui permettent d’accepter le présent. (Art House – 2h07 – En salles le 6 juillet)
Projection : mardi 5 avril à 16h15
J’ADORE CE QUE VOUS FAITES
Alors que Gérard Lanvin s’apprête à tourner l’un des films les plus importants de sa carrière dans le sud de la France, son chemin croise celui de Momo Zapareto… pour son plus grand regret. Car Momo est fan, très fan, trop fan ! Pour Gérard, le cauchemar ne fait que commencer… Avec Gérard Lanvin (dans –quasiment- son propre rôle) et Artus, Philippe Guillard se penche sur la notion de « popularité » : ce qu’elle est, ce qu’elle implique, ce qu’elle provoque, pourquoi on la recherche, pourquoi on en vient à la fuir… Une comédie française qui fonctionne sur le principe du tandem (bien) désassorti ! (Gaumont – 1h27 – En salles le 18 mai)
Projection : mardi 5 avril à 19h en présence du réalisateur Philippe Guillard et de l’acteur Artus.
I AM YOUR MAN
Berlin dans un futur proche : la scientifique Alma travaille au Musée du Proche-Orient. Elle se laisse convaincre de participer à un essai afin d’obtenir des fonds de recherche pour son travail sur les inscriptions cunéiformes sumériennes. Pendant trois semaines, elle doit cohabiter avec Tom, un robot humanoïde de l’entreprise Terrareca. Grâce à son intelligence artificielle (IA), il sera entièrement programmé en fonction de du caractère d’Alma et de ses besoins. Tom doit incarner l’époux parfait pour Alma (Maren Eggert), dont, jusqu’ici, la vie se résumait à la recherche scientifique. L’actrice et réalisatrice allemande Maria Schrader (vue dans la série Deutschland 83) signe un film qui mêle la comédie romantique avec la science-fiction. (Haut et Court – 1h48 -En salles le 22 juin)
Projection : mercredi 6 avril à 8h45
KARNAWAL
Pendant le carnaval andin, à la frontière entre l’Argentine et la Bolivie, Cabra, un jeune danseur de Malambo, se prépare pour la compétition la plus importante de sa vie. Lorsque son père, El corto, ancien détenu et voleur de grand chemin, revient, il met tout en péril… Le réalisateur argentin Juan Pablo Félix propose, ici, son premier long-métrage en forme de voyage initiatique d’un adolescent du nord de l’Argentine. La danse est le moteur principal de cette œuvre et le cinéaste a confié le personnage de Cabra à Martin Lopez Lacci, champion national de malambo. Un drame familial qui mêle le road-movie, le western, le thriller et le passage à l’âge adulte… (Bodega – 1h32 – En salles le 11 mai)
Projection : mercredi 6 avril à 10h45 en présence du réalisateur Juan Pablo Félix et de la productrice Edson Sidonie.
DES FEUX DANS LA PLAINE
Dans la Chine de 1997, une série de meurtres endeuille la ville de Fentun. Les crimes s’arrêtent mystérieusement sans que les autorités aient pu élucider l’affaire. Huit ans plus tard, un jeune policier, proche d’une des victimes, décide de rouvrir l’enquête. Il enquête sur le meurtre d’un chauffeur de taxi et découvre qu’un ami d’enfance pourrait être impliqué… Un thriller signé du Chinois Zhang Ji. A ne pas confondre avec Feux dans la plaine, le très violent film de guerre (1959) du Japonais Kon Ichikawa. (Memento – 1h53 -En salles à dater)
Projection : mercredi 6 avril 14h15
NINJA BABY
Astronaute, garde forestière, dessinatrice… Rakel, 23 ans, a tous les projets du monde en tête, sauf celui de devenir mère. Quand elle découvre qu’elle est enceinte de six mois suite à un coup d’un soir, c’est la cata ! C’est décidé : l’adoption est la seule solution. Apparaît alors Ninjababy, un personnage animé sorti de son carnet de notes, qui va faire de sa vie un enfer… Adaptation de Fallteknikk, un roman graphique d’Inga Saetre, le film de la cinéaste Yngvild Sve Flikke est une comédie grinçante sur la peur de la maternité des jeunes Norvégiennes. Et la cinéaste de citer le personnage de Rakel : « Je ne veux pas d’enfants. Eh ouais – c’est une chose tordue à dire, et certainement égoïste, mais… Il faut s’y attendre. Parce que c’est ce que je suis. Une égoïste de merde. » (Wild Bunch- 1h44 – En salles à dater)
Projection : mercredi 6 avril à 18h30
BABYSITTER
Cédric perd son emploi chez Ingénérie Québec après avoir fait une blague sexiste qui devient virale. Encouragé par son frère, un intello bienpensant, Cédric entame une thérapie et écrit Sexist Story, un livre qui se veut révolutionnaire et s’attaque à la misogynie. Nadine, exaspérée par l’introspection de son conjoint, elle-même en manque de rêve et d’adrénaline, se laisse alors tenter par les jeux étonnants initiés par la mystérieuse babysitter. Après La femme de mon frère (2019), la Québecoise Monia Chokri (qui tient aussi le rôle de Nadine) adapte la pièce éponyme de Catherine Léger pour distiller une comédie grinçante sur l’inconscient, le désir de dominer l’autre et la dérive du couple. (Bac – 1h28 – En salles le 27 avril)
Projection : mercredi 6 avril à 20h30 en présence de Monia Chokri, réalisatrice et actrice.
TOURNER POUR VIVRE
J’ai retrouvé Tintin, il a plus de 77 ans, il fait du cinéma et court le monde à la recherche du sens de la vie. Durant sept ans, nous partageons la vie d’un cinéaste et sa croyance en l’incroyable fertilité du chaos. Pour le réalisateur Philippe Azoulay, il s’agit dans ce documentaire, de capter et d’expliquer les processus de création artistique, si difficile à exposer, avec l’intention d’entrer dans la tête du créateur et de le suivre dans sa quête afin de percer le mystère qui accompagne la naissance d’une idée puis son développement… Pour Philippe Azoulay, son film est devenu un voyage inédit, une aventure artistique, une expérience humaine et spirituelle avec le réalisateur d’Un homme et une femme et de L’aventure c’est l’aventure… (Destiny – 1h45 – En salles le 11mai)
Projection : jeudi 7 avril à 9h en présence du réalisateur Philippe Azoulay et de Claude Lelouch
LES PASSAGERS DE LA NUIT
Paris, années 80. Elisabeth (Charlotte Gainsbourg) vient d’être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah (Noée Abita, vue dans Slalom en 2020), jeune fille désœuvrée qu’elle prend sous son aile. Talulah découvre la chaleur d’un foyer et Matthias la possibilité d’un premier amour, tandis qu’Elisabeth invente son chemin, pour la première fois peut-être. Tous s’aiment, se débattent… leur vie recommencée ? Le cinéaste Mikaël Hers (Amanda, Ce sentiment de l’été) se plonge dans les années 80 et ouvre son film par un événement politique marquant : l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981. (Pyramide – 1h51 – En salles le 4 mai)
Projection : jeudi 7 avril à 11h
TENOR
Jeune banlieusard parisien, Antoine suit des études de comptabilité sans grande conviction, partageant son temps entre les battles de rap qu’il pratique avec talent et son job de livreur de sushis. Lors d’une course à l’Opéra Garnier, sa route croise celle de Mme Loyseau, professeur de chant dans la vénérable institution, qui détecte chez Antoine un talent brut à faire éclore. Malgré son absence de culture lyrique, Antoine (MB14) est fasciné par cette forme d’expression et se laisse convaincre de suivre l’enseignement de Mme Loyseau (Michèle Laroque). Antoine n’a d’autre choix que de mentir à sa famille, ses amis et toute la cité pour qui l’opéra est un truc de bourgeois, loin de leur monde. (StudioCanal – 1h41 – En salles le 4 mai)
Projection : jeudi 7 avril à 14h30 en présence du réalisateur Claude Zidi Jr. et de l’acteur MB14.
HOMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS
Sept hommes, de 17 à 70 ans, que tout oppose, sinon d’être au bord de la crise de nerfs, se retrouvent embarqués dans une thérapie de groupe en pleine nature sauvage. Ce stage mystérieux, « exclusivement réservé aux hommes », est censé faire des miracles. Première surprise à leur arrivée : le coach est une femme ! Imprévisible et déroutante, elle va tout faire pour les aider à aller mieux. Avec ou sans leur consentement… La réalisatrice Audrey Dana fait-elle un clin d’œil à Pedro Almodovar ? Elle réunit en tout cas une belle affiche avec Thierry Lhermitte, Ramzy Bedia, François-Xavier Demaison, Laurent Stocker, Pascal Demolon, Michael Gregorio et le jeune Max Baissette de Malglaive mais aussi Marina Hands… (Warner – 1h37 – En salles le 25 mai)
Projection : jeudi 7 avril à 17h en présence de la réalisatrice Audrey Dana.
C’EST MAGNIFIQUE !
Pierre, la quarantaine, a toujours vécu loin des désordres du monde, entre ses abeilles et ses hibiscus. Lorsque ses parents disparaissent, c’est tout son univers qui bascule : il découvre qu’il a été adopté et doit apprendre à survivre, lui qui a été élevé en pleine nature, dans une société moderne qu’il n’a jamais connue et dont il ne connaît pas les codes. Il va faire équipe avec Anna (Alice Pol) qui va l’aider dans sa quête et croiser toute une galerie de personnages aussi drôles que tendres. Clovis Cornillac a débuté comme réalisateur en 2015 avec Un peu, beaucoup, aveuglément. On le retrouve, ici, devant et derrière la caméra, dans un personnage qui, au fil de son enquête, va perdre ses couleurs. Comme une photo qui s’efface… (UGC – 1h37 – En salles le 8 juin)
Projection : jeudi 7 avril à 19h45 en présence de l’acteur et réalisateur Clovis Cornillac.
LA CHANCE SOURIT A MADAME NIKUKO
Nikuko est une mère célibataire bien en chair et fière de l’être, tout en désir et joie de vivre – un véritable outrage à la culture patriarcale japonaise ! Elle aime bien manger, plaisanter, et a un faible pour des hommes qui n’en valent pas toujours la peine. Après avoir ballotté sa fille Kikurin la moitié de sa vie, elle s’installe dans un petit village de pêcheurs et trouve un travail dans un restaurant traditionnel. Kikurin ne veut pas ressembler à sa mère et ses relations avec Nikuko ne sont pas toujours simples. Jusqu’au jour où ressurgit un secret du passé. Réalsiateur des Enfants de la mer (2019), Ayumu Watanabe réussit un film d’animation émouvant et coloré. A partir de 10 ans. (Eurozoom – 1h37 – En salles le 8 juin)
Projection : vendredi 8 avril à 8h45
JUNK HEAD
L’humanité a réussi à atteindre une quasi immortalité. Mais à force de manipulations génétiques, elle a perdu la faculté de procréer, et décline inexorablement. Les clones, qui effectuaient docilement les tâches les plus dangereuses et fatigantes, se sont rebellés et exilés dans un immense monde sous-terrain… En mission pour percer les secrets de la reproduction, Parton est envoyé dans cette ville souterraine et va devoir affronter ces mutants décidés à ne plus s’en laisser conter par leurs créateurs… Le cinéaste japonais Takahide Nori réussit un film d’animation plein d’inventions volontiers délirantes… (UFO – 1h44 – En salles le 11 mai)
Projection : vendredi 8 avril à 11h15
MA FAMILLE AFGHANE
Kaboul, Afghanistan, 2001. Herra est une jeune femme d’origine tchèque qui, par amour, décide de tout quitter pour suivre celui qui deviendra son mari, Nazir. Elle devient alors la témoin et l’actrice des bouleversements que sa nouvelle famille afghane vit au quotidien. En prêtant son regard de femme européenne, sur fond de différences culturelles et générationnelles, elle voit, dans le même temps son quotidien ébranlé par l’arrivée de Maad, un orphelin peu ordinaire qui deviendra son fils… Née en République tchèque, la cinéaste Michaela Pavlatova adapte Freshta, un roman de la journaliste de guerre Petra Prochazkova et réussit un film d’animation qui repose sur un humour tendre et un sens de l’observation du quotidien de cette famille… (Diaphana – 1h20 – En salles le 27 avril)
Projection : vendredi 8 avril à 14h30 en présence de la co-scénariste Yaël Giovanna Lévy.
EL BUEN PATRON
Julio Blanco est le propriétaire charismatique d’une entreprise qui fabrique des balances industrielles dans une ville de province en Espagne. Ses employés et lui attendent la visite imminente d’un comité qui décidera de l’obtention d’un prix local d’excellence. Tout se doit d’être parfait mais le sort semble s’acharner sur Blanco… Travaillant contre la montre, Blanco essaie de résoudre les problèmes de ses employés, franchissant toutes les lignes imaginables, donnant lieu à une série d’événements inattendus et explosifs aux conséquences imprévisibles. Le réalisateur espagnol Fernado Leon de Aranoa a imaginé une comédie noire frénétiquement rythmée sur les misères du monde du travail. Le film a trusté les Goyas 2022, Javier Bardem (Blanco) étant couronné meilleur acteur. (Paname – 2h – En salles le 22 juin)
Projection : vendredi 8 avril à 16h30
LE TORRENT
Lorsqu’il découvre que Juliette, sa femme, le trompe, Alexandre (José Garcia) est dévasté. Fuyant la confrontation, Juliette quitte précipitamment la maison. Alors qu’il cherche à la rattraper, celle-ci prend peur et fait une chute mortelle dans un ravin… Pris de court, Alexandre décide de ne pas alerter la police. Le lendemain, réalisant qu’il risque d’être accusé du meurtre de sa femme, Alexandre panique. Lison, sa fille de 18 ans, effrayée à l’idée de perdre son père, se laisse convaincre et ment pour le couvrir. C’est le début d’un terrible engrenage… Comédienne et réalisatrice (Le torrent est son sixième long-métrage derrière la caméra) Anne Le Ny a tourné dans les Vosges, notamment à… Gérardmer, ce thriller qui repose sur une relation père-fille complexe et sur ce qu’est de devenir adulte. Comment trouver sa place, peut-on acheter l’amour, doit-on le gagner ou pas ? (SND – 1h42 – En salles le 5 octobre)
Projection : vendredi 8 avril à 19h30 en présence de la réalisatrice et actrice Anne Le Ny.
Les projections ont lieu dans la salle du casino Joa, 3, avenue de la ville de Vichy à Gérardmer.
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Photos DR
Une année mulhousienne pour William Wyler
Avec ses copains Edmond Cahen et Paul Jacob, le petit Willy s’amusait volontiers sur le Hardäpfelmarkt, l’une des grandes places de Mulhouse… Un terrain de jeu à la hauteur d’un Wackes des premières années du siècle précédent. Mais le fils de la mercerie Wyler, installée au 18, rue du Sauvage dans le centre-ville de l’agglomération haut-rhinoise, était promis à un autre destin…Entre le 120e anniversaire de la naissance (le 1er juillet 1902) de William Wyler à Mulhouse et le 100e anniversaire de son arrivée à Hollywood, il y a assez de raisons pour faire de 2022 l’année William Wyler à Mulhouse.
« Nous autres Mulhousiens, avons souvent des complexes d’infériorité par rapport à d’autres villes, d’autres régions… » C’est Michèle Lutz, la maire de Mulhouse qui parlait ainsi, lors du récent lancement de l’année Wyler. « On ne dit pas assez quand il y a de la fierté à partager, la fierté que la ville ait vu naître quelqu’un comme William Wyler ». La fierté est légitime car le cinéaste est une haute figure d’Hollywood et s’il suffisait de compter les Oscars, on pourrait dire que Wyler a tout juste. 127, c’est le nombre de nominations aux prestigieux Academy Awards pour les films de Wyler. Dont la moitié dans les catégories meilleur film, meilleur réalisateur ou meilleur acteur. Ses films ont remporté 38 fois la statuette. Si le cinéaste, nommé douze fois comme meilleur réalisateur, a raflé trois récompenses, ses acteurs et actrices ont été nommés 35 fois et ont obtenu treize Oscars pour leurs interprétations. A cet égard, on se souvient avec ravissement de la première apparition majeure d’une certaine Audrey Hepburn dans Vacances romaines (1953). La gracile comédienne a 24 ans et Wyler la place au cœur d’un bijou de comédie romantique, tournée en extérieurs à Rome, sur les amours impossibles d’une princesse et d’un journaliste…
William Wyler n’était pas, comme le chantait Brassens, l’un de ces « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Sa vie, il l’a faite du côté d’Hollywood, entre son métier et sa famille. Mais le natif de Mulhouse professait cependant un réel et profond attachement à sa ville. Au fil de ses déplacements, il ne manquait jamais de passer par l’Alsace, voir ses amis et humer l’air du pays. Votre serviteur a pu s’en aviser, un soir de 1974 au fond du Sundgau, en partageant une table autour de laquelle avaient pris place, outre Edmond Cahen, l’ami d’enfance, Willy Wyler, sa femme Margaret et leur fils David.
Pour fêter William Wyler, Mulhouse va mettre les bouchées doubles avec une rétrospective de ses films en salles, une exposition au Musée historique (fin juin à fin septembre), un court-métrage et une expo photos par trois classes de collégiens de la ville sous la direction d’Olivier Arnold, réalisateur et professeur au collège Wolf, le festival de l’écriture MotàMot sur le thème Ecriture et cinéma.
Temps fort, au début juillet, avec la présence d’une trentaine de membres de la famille Wyler venue des Etats-Unis pour, notamment, l’inauguration d’une fresque monumentale (le lieu reste à définir), une soirée « électro-péplum » à Motoco (le 2 juillet), une soirée spéciale Ben-Hur au Musée national de l’automobile (le 28 juillet) et la parution attendue de William Wyler, de L’Alsace à Hollywood, la première biographie en français de William Wyler due à la plume du Mulhousien de Paris Jean Walker.
Avec l’année Wyler, l’usine à rêves s’exporte à Mulhouse !
LE CINEMA ET TANT DE SCENES MARQUANTES
CONFINEMENT, DECONFINEMENT, RE-CONFINEMENT, COUVRE-FEU… LONGTEMPS (TROP LONGTEMPS !) ES SALLES DE CINEMA ONT TIRE LE RIDEAU…
POUR ATTENDRE LE PLAISIR DE RETROUVER LES SALLES OBSCURES, EXTERIEUR-JOUR A EVOQUE DES MOMENTS MARQUANTS DU 7E ART… ON LES RETROUVE, ICI, POUR MEMOIRE.
LA ROSE POURPRE DU CAIRE.- S’installer dans une salle de cinéma et savourer des images qui vous transportent dans un monde différent de celui du quotidien, quoi de plus enivrant ? Justement, le quotidien de Cécilia, petite serveuse dans le Brooklyn des années trente, pendant la Grande Dépression, n’a rien de joyeux. Son patron lui mène la vie dure et Monk, son mari chômeur, est un tire-au-flanc qui force sur la bouteille autant que sur des conquêtes d’un soir. Alors Cécilia (Mia Farrow) se console en se réfugiant dans l’obscurité complice du Jewel Palace. En 1985, Woody Allen donne The Purple Rose of Cairo. Le cinéaste, qui a souvent déclaré que c’était son film favori, a tourné les scènes de cinéma au Kent Theater, sur Coney Island Avenue à Brooklyn, dans le quartier de son enfance…
La scène la plus fameuse est celle où Tom Baxter, le héros de La rose pourpre du Caire, s’interrompt dans son texte, fixe Cécilia dans la salle et lui lance : « Mon Dieu, que vous devez l’aimer ce film ! C’est déjà la cinquième fois que vous le voyez ! » Cécilia est interloquée : « Moi ? » Et soudain, le héros sort de l’écran, passant du noir et blanc à la couleur de la vie réelle. Baxter : « Je dois vous parler ! Je veux voir comment c’est ici ! » Cécilia : « Vous êtes dans le film ! » Mais Tom Baxter (Jeff Daniels) est décidé à choisir la liberté après « 2000 séances identiques et d’une parfaite monotonie ». Pas question de retourner dans le film, au grand dam de ses collègues comédiens… Comme Cécilia, Allen rêve les yeux ouverts et nous entraîne dans la poésie des images de cinéma. Magique !
LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS.- Qui incarne le panache cinématographique par excellence ? Robin des Bois, assurément ! D’ailleurs, le 7e art l’a mis à tous les régimes. Du muet à l’animation Disney en passant par la parodie façon Mel Brooks, l’avatar italien où il bataille avec des pirates ou les grosses productions pour mettre en vedette Russell Crowe ou Kevin Costner. Mais indiscutablement, le meilleur de tous les Robin des Bois est celui que Michael Curtiz tourna en 1938 dans un Technicolor aussi flamboyant que l’était l’interprète de Robin de Locksley. On a nommé le magnifique Errol Flynn ! Jeune seigneur saxon, Robin de Locksley est fidèle au roi Richard Cœur de Lion, retenu prisonnier en Autriche alors que le prince Jean, son frère, règne, en despote, sur l’Angleterre. Avec ses amis hors-la-loi réunis dans la forêt de Sherwood, Robin va affronter Jean et son âme damnée Gisbourne.
Michael Curtiz installe d’emblée une grande séquence d’action. Un cerf sur les épaules, Robin vient au château de Nottingham provoquer le prince Jean et ses sbires. Souriant, Robin affronte une impressionnante troupe. Une lance qui se fiche, en gros plan, à côté de sa tête lance les hostilités. Bondissant en diable, Robin renverse les tables, les bancs, se bat à l’épée, se sort d’une mêlée hostile, escalade des escaliers et se montre brillant archer. Plein de malice, il se fait enfin ouvrir la porte du château pour filer à cheval en compagnie de frère Tuck et L’Ecarlate. Présente à Nottingham, Lady Marian est désormais sous le charme de Robin…
LA REINE CHRISTINE.- Et Greta Garbo devint la Divine… Ou comment une petite boulotte de Stockholm nommée Greta Lovisa Gustaffson, accéda par la magie d’Hollywood au rang de mythe absolu. Bien sûr, il y a eu Marilyn Monroe, Marlène Dietrich, Ava Gardner, Rita Hayworth mais Garbo qui disait : « Je veux qu’on me laisse tranquille », avait quelque chose d’autre. Une prédilection pour le secret qui fit qu’elle fut, for ever, belle, lointaine et inaccessible. Du milieu des années vingt à 1941, la Divine tourna au total une petite trentaine de films avant de tirer définitivement sa révérence en refusant catégoriquement de paraître en public, même si ses promenades incognito dans New York sont restées fameuses.
C’est sur le tournage d’Anna Christie (1929) que Garbo et son amie Salka Viertel parlent de Christine de Suède, atypique souveraine du 17e siècle qui, dernière de sa lignée, décida d’abdiquer pour pouvoir épouser celui qu’elle aime. Une reine à la liberté de mœurs exceptionnelles que Queen Christina (1933) ne gomme pas et qui contribua à faire de Garbo une icône très moderne de l’androgynie décomplexée…
Devant la caméra de Rouben Mamoulian et en compagnie de son ami John Gilbert, Greta Garbo va composer l’un de ses plus beaux personnages et la séquence finale est un moment de pure émotion tragique. Christine, les cheveux dans le vent, s’avance et demeure debout à la proue d’un bateau en partance, le regard dans le lointain. Travelling avant sur un sublime visage en très gros plan qui est comme une feuille immaculée où chacun peut écrire sa propre fin du film. Fondu au noir. The End.
L’AMANT.- Sur une proposition de Claude Berri, Jean-Jacques Annaud, au début des années 90, lit L’amant, l’autofiction de Marguerite Duras primée par le prix Goncourt en 1984. Dans un premier temps, le cinéaste refuse le projet puis finira par s’attacher à ce récit au féminin où Duras narre, au milieu des années vingt, son adolescence dans l’Indochine française et notamment sa découverte du plaisir physique au cœur d’une liaison sulfureuse avec un riche Chinois. Le cinéaste sent que dans ce film, il pourra déployer ses thèmes favoris, notamment son goût pour le passé, les beaux lieux exotiques et les récits initiatiques. Déçue par le film d’Annaud, Duras reviendra sur cette période adolescente en réécrivant L’amant sous le titre de L’amant de la Chine du Nord.
Si cette aventure intime et sensuelle contient moultes séquences torrides de sexe (qui ont probablement contribué à son imposant succès populaire), la scène de la limousine distille, elle, un érotisme subtil mais puissant. Une belle limousine file à travers la campagne vietnamienne. A bord, la jeune fille au chapeau d’homme (Jane March) et le Chinois (Tony Leung Ka-fai) bavardent. Le véhicule franchit un pont. Cahotés, les passagers posent leurs mains sur la banquette. Annaud filme alternativement la nymphette inexpérimentée et le Chinois fébrile mais distingué et leurs mains en gros plan. Les auriculaires se frôlent. Les yeux de la fille se ferment, le Chinois transpire. Les doigts s’enlacent de plus en plus fortement. A travers un paysages d’arbres, la limousine, dans le fond du plan, fonce en travelling…
OUT OF AFRICA.- Lorsqu’on a vu la savane s’étendre à l’infini du côté du Masaï Mara et le soleil s’y coucher dans une formidable flamboyance orange, on retrouve parfois, dans l’oreille, les accents somptueux de l’adagio du concerto K.622 de Mozart. Comme si, à cause du film de Sydney Pollack, l’unique concerto pour clarinette du divin Amadeus était indissociablement lié à la belle histoire de Karen Blixen, femme libre, pionnière mais désemparée et de Denys Finch Hatton, aventurier solitaire incapable d’abandonner sa liberté. Quintessence du film d’amour, Out of Africa s’ouvre sur les mots de Karen Blixen qui, au soir de sa vie, se souvient de son aventure kenyane : « J’avais une ferme en Afrique, au pied de la montagne du Ngong. » S’appuyant sur le roman autobiographique de l’écrivaine danoise, Pollack a construit une œuvre d’un absolu lyrisme portée par Meryl Streep et Robert Redford, couple de stars au sommet de la séduction.
Si les belles scènes ne manquent pas dans ce film sept fois couronnés par les Oscars, celle du vol du biplan jaune De Havilland intègre superbement les deux héros de ce mélodrame à l’ancienne dans la réalité de la nature africaine. Sans dialogue mais avec l’ample musique de l’oscarisé John Barry, le cinéaste filme, en plans d’ensemble, la course des buffles dans la savane, les méandres d’une rivière, une chute d’eau au cœur de la forêt ou encore le passage du petit avion au-dessus d’un imposant banc de flamants roses… Seul plan serré dans l’avion, celui, où, les cheveux au vent, Karen, radieuse, tend la main à Denys qui la serre longuement…
LES AILES DU DESIR.- Lorsqu’au mitan des années 80, Wim Wenders sollicite son ami Peter Handke pour son prochain film, il lui explique que son histoire ne tient qu’en quelques mots, celle d’un ange gardien (ou plutôt de deux, afin qu’ils puissent échanger) qui tombe amoureux et qui veut revêtir la condition humaine. Wenders qui rentre des USA, où il a tourné Paris Texas (1984), veut faire un film dans et sur Berlin, sur le passé de la ville et sur celui de l’Allemagne, sur la langue allemande et sa poésie, sur la destruction de la ville, sur le « comment vivre ? »
Der Himmel über Berlin –prix de la mise en scène à Cannes 1987- est une fable allégorique et aussi le conte moral d’un cinéaste étranger chez lui qui s’interroge sur le Mal et la mort de Dieu. Dans le Berlin d’avant la chute du Mur, les anges Damiel et Cassiel s’intéressent au monde des mortels. Ils entendent tout, même les secrets les plus intimes, et voient tout, croisant notamment Peter Falk venu à Berlin tourner un film ou Marion (Solveig Dommartin), une trapéziste de cirque pour laquelle Damiel éprouvera un désir inconnu. Invisibles aux autres (sauf aux enfants), les anges ne le sont pas pour le spectateur. Wenders a confié à Bruno Ganz et Otto Sander, deux acteurs qui se sont connus sur la scène de la Schaubühne, le soin d’incarner ces esprits au look banal. Cependant leur errance dans Berlin les amène en des lieux inaccessibles pour l’humain. Ainsi ces images où, pour observer le ballet des mortels en contrebas, Damiel se tient à côté de la tête de la statue dorée au sommet de la Siegessäulle du Tiergarten…
M*A*S*H*.- En 1970, le Festival de Cannes attribue sa Palme d’or à une farce antimilitariste unique en son genre… Robert Altman, alors âgé de 45 ans, lance ainsi sa carrière avec un imposant succès. Du côté de la Fox, on avait établi une belle liste de réalisateurs à même de mettre en scène cette aventure peu banale. Mankiewicz, Lean, Penn ou Nichols refusèrent de se frotter à un projet sujet à controverses. Engagé, Altman met les choses au clair : son film est une occasion d’agresser le public et, plus généralement, la race humaine qu’il tient pour responsable de toutes les atrocités commises à travers le monde. M*A*S*H*, c’est l’histoire de quelques chirurgiens d’une unité de campagne pendant la guerre de Corée en 1951. Parmi eux, les capitaines « Hawkeye » Pierce (Donald Sutherland) et « Trapper John » McIntyre (Elliot Gould), remarquables praticiens mais fêtards invétérés rebelles à toute autorité.
L’une des scènes les plus connues de cette tonique pochade met aux prises le groupe de médecins et l’infirmière-major Margaret O’Houlihan (Sally Kellermann). Surnommée « Lèvres en feu » (Hot Lips), elle est spécialement coincée mais Hawkeye constate, au bloc, « Tu es une emmerdeuse mais une sacrée infirmière ». Pour s’assurer qu’elle est une vraie blonde, les paris sont pris. Un piège est organisé pendant la douche de Hot Lips. Les parieurs s’installent alors comme au théâtre avec boissons et jumelles. Un lourd contrepoids arrache brutalement la bâche de la douche et dévoile Hot Lips dans le plus simple appareil. Elle se jette au sol en hurlant tandis que le public applaudit !
LE ROMAN D’UN TRICHEUR.- Pour résumer l’épatant film qu’il tire, en 1936, de son propre roman, Sacha Guitry écrit : « Quarante ans de la vie d’un homme auquel ses mauvaises actions portent bonheur et que la chance abandonne aussitôt qu’il veut s’amender ». Assis à la terrasse d’un café, un homme mûr –Sacha Guitry, lui-même- rédige ses mémoires : il raconte comment son destin fut définitivement scellé lorsque, à l’âge de douze ans, parce qu’il avait volé dans le tiroir-caisse de l’épicerie familiale pour s’acheter des billes, il fut privé de dîner. Le soir même, toute sa famille meurt empoisonnée en mangeant un plat de champignons. François Truffaut, alors critique, observe que Le roman… est l’unique film de fiction de l’histoire du cinéma qui soit commenté en voix off à 90% et qui réussit, avec maestria, à faire oublier cette singularité. Du coup, tout en jouant les voix de tous les personnages, Guitry peut donner toute sa dimension d’acteur et goûter le bonheur des maquillages, des postiches, des fausses calvities. Et il se régale !
Le film s’ouvre sur l’évocation du drame et la présentation dans un rapide travelling des membres de la famille nombreuse. Une plongée montre les mêmes douze à table puis un gros plan sur une cocotte fumante de champignons, enfin un plan d’ensemble, toujours en plongée, sur le gamin seul à table. Suivront les cadavres sur les lits, le passage du médecin et du curé, les obsèques tandis que le gamin constate : « J’étais vivant parce que j’avais volé. De là à en conclure que les autres étaient morts parce qu’ils étaient honnêtes… »
PARAMATTA, BAGNE DE FEMMES.- A la fin des années vingt, Detlef Sierck est déjà un metteur en scène de théâtre reconnu en Allemagne mais c’est en rejoignant les célèbres studios de l’UFA à Berlin qu’il va entrer dans l’univers du cinéma et s’imposer définitivement grâce à Zu neuen Ufern, un mélodrame (1937) qui aura aussi le mérite de voir naître la plus grande star du Troisième Reich. Zarah Leander (1907-1981) est une chanteuse et comédienne suédoise que Sierck découvre sur une scène viennoise. Il est aussitôt frappé par cette grande Nordique charpentée et blonde à l’air mélancolique et au visage lisse. Comme l’UFA est en quête de têtes d’affiche (Marlène Dietrich a « fui » aux USA), Zarah Leander et sa voix très grave vont faire merveille. Elle décroche ainsi son premier grand rôle dans ce mélodrame où elle incarne Gloria Vane qui, par amour pour un aristocrate anglais ruiné, s’accusera de faux et sera déportée au bagne de Paramatta en Australie…
Le futur Douglas Sirk (qui brillera à Hollywood avec Le mirage de la vie ou Tout ce que le ciel permet) filme avec délices une Leander passant de chanteuse londonienne au matricule 218 du bagne de Sidney mais continuant toujours à chanter. L’une des scènes les plus étonnantes est celle où les détenues, tel du bétail, défilent, dans une salle de la prison, devant des colons en quête de fiancées. Car, pour les prisonnières, convoler, seul, permet d’échapper à la peine. Les yeux baissés, Gloria Vane suit le mouvement. Un rustaud la choisit brutalement mais Henry Hoyer, un fermier du bush, s’interpose et la demande en mariage…
ENTREE DES ARTISTES.- « Mettre un peu d’art dans sa vie et un peu de vie dans son art », c’est le conseil que le professeur Lambertin donne à ses élèves à la fin d’Entrée des artistes. En 1938, Marc Allégret raconte l’histoire d’élèves comédiens au Conservatoire de Paris dans une belle défense et illustration du métier de comédien. Qui mieux que l’immense Louis Jouvet pouvait incarner ce Lambertin qui lui ressemble comme un double !
La scène la plus enlevée de cette comédie dramatique reposant sur les dialogues brillants d’Henri Jeanson, se déroule dans un atelier de blanchisserie. Lambertin a reçu une lettre qui contient « dix fautes d’orthographe, quatre de syntaxe et une protestation ». L’auteur, oncle d’Isabelle, apprentie-comédienne, veut qu’elle abandonne le Conservatoire. Songeant à son père qui voulait l’empêcher de faire du théâtre, Lambertin décide d’aller voir l’oncle… Dans la boutique, il lance à M. Grenaison : « Vous ressemblez furieusement à votre écriture. » Devant un café, Lambertin commence : « Ai-je l’air d’un excentrique, d’un dément ou d’un hors-la-loi ? Je suis officier de la Légion d’honneur. Cet attribut me donne le privilège d’être écouté respectueusement par les imbéciles. » Il prend alors la défense d’Isabelle et obtient que les Grenaison respectent son choix. Traversant la boutique, Lambertin conclut : « Je serai comédien quoi que vous en disiez. Je ne finirai pas mes jours entre une pile de mouchoirs et une douzaine de chemises de plastron. Voilà ce que j’aurai dû dire à mon père quand j’avais 17 ans, il y a un peu plus de 30 ans. » Fondu au noir.
LE FESTIN DE BABETTE.- Force est de reconnaître que les danois pramdragergryde, sakkuk ou ølben ne figurent pas au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. C’est pourtant un film danois qui célèbre magnifiquement la grande cuisine… française. En 1987, Gabriel Axel s’inspire d’une nouvelle de sa compatriote Karen Blixen pour mettre en scène Babettes Gaestebud. Voici l’odyssée de Babette Hersant qui, fuyant la répression de la Commune, se réfugie dans un petit village du Jutland. Un soir de tempête, exténuée, elle frappe à la porte de deux soeurs et leur propose ses services comme servante… Mais Babette n’est pas une servante ordinaire. A Paris, elle dirigea les cuisines du Café anglais et régalait ses clients de mets succulents. Un jour, elle gagne 10.000 francs à une loterie en France. Elle propose alors d’organiser un dîner de douze couverts. A condition que les convives ne fassent aucun commentaire sur les plats.
Dans une belle séquence, Axel filme alternativement Babette dans sa cuisine, assurant avec maîtrise ses préparations et les austères convives découvrant, tour à tour des blinis Demidoff ou des cailles en sarcophage farcies de foie gras et sauce aux truffes. Parmi les attablés, le général Löwenhielm reconnaît des mets qu’il dégusta un jour au Café anglais et n’en croit pas ses yeux. Autour de lui, on ne dit mot mais, par la grâce des saveurs et de la Veuve Cliquot 1860 ou du Clos Vougeot 1845, les visages luthériens s’éclairent à une forme nouvelle de félicité. Babette a utilisé tous ses 10.000 francs mais son bonheur à elle, est complet et intense aussi !
EN QUATRIEME VITESSE.- Avec effroi, le monde a observé, à l’été 1945 du côté d’Hiroshima, les conséquences de la catastrophe nucléaire. Dans le cinéma, l’apocalypse nucléaire devient un thème répandu, de Docteur Folamour (1964) de Kubrick à Hiroshima mon amour (1959) de Resnais en passant par la saga Godzilla, le dinosaure réveillé par une explosion atomique dans le Pacifique… En 1955, Robert Aldrich adapte un roman de Mickey Spillane et embarque Mike Hammer, détective privé brutal et immoral dans un thriller transformé en cauchemar apocalyptique nucléaire (avec, en sous-texte, une condamnation du maccarthysme) et qui deviendra, par son âpre pessimisme, un tournant dans l’histoire du film noir.
Parce qu’une femme qu’il a pris à bord de sa voiture, une nuit, sera torturée à mort par des malfrats, Hammer (Ralph Meeker) décide de mener l’enquête. Au cœur de toutes les convoitises, se trouve une caisse, contenant un métal radioactif, qui doit demeurer absolument close. Evidemment, ce ne sera pas le cas. La dernière séquence de Kiss Me Deadly est célèbre. Dans une villa sur la plage de Malibu, Lily Carver (Gaby Rogers) a retrouvé la caisse. Pour s’en emparer, elle tue un scientifique véreux et tire sur Mike Hammer. Blessé, celui-ci réussit à quitter les lieux non sans avoir libéré Velda, sa fidèle secrétaire, retenue prisonnière dans la villa. Lily Carver ouvre alors la boîte de Pandore. Une violente lumière apparaît. Bientôt des flammes enveloppent Lily… Sur la plage, Hammer et Velda s’éloignent rapidement tandis qu’un incendie embrase la villa avant une explosion comparable à celle d’une bombe A.
LE NOM DES GENS.- Le 7e art français propose parfois des figures de président de la République, ainsi Michel Bouquet incarnant François Mitterrand dans Le promeneur du Champ de Mars (2005) ou Denis Podalydès se glissant dans la peau de Sarkozy dans La conquête (2011). Lionel Jospin, lui, n’a jamais été président de la République et on se souvient du désespoir des socialistes au soir du premier tour de 2002 lorsque Chirac et Le Pen se retrouvèrent au second tour.
Dans Le nom des gens que Michel Leclerc tourne en 2010, ce moment politique est bien présent. On voit le personnage d’Arthur Martin, jospiniste bon teint (Jacques Gamblin), se désoler devant le journal télé de 20h. Cette savoureuse comédie politique met en scène Bahia Benmahmoud (Sara Forestier) qui couche avec les hommes de droite pour les faire changer d’opinion. Un soir, Bahia est en compagnie d’Arthur lorsqu’on sonne à la porte. « Je t’ai fait un cadeau. Vas-y, ouvre ! » Plan sur le visage ahuri d’Arthur. Contre-champ sur Lionel Jospin, souriant : « Vous ne me faites pas entrer ? » La séquence dure à peine quelques minutes. Jospin découvre un canard mandarin dans une vitrine, s’assied pour boire un verre tandis qu’Arthur demande l’origine du nom Jospin. Mais aussi comment Bahia a réussi à convaincre Jospin de venir. L’œil malicieux, il évoque les « irrésistibles méthodes politiques » de Bahia mais, « étant de gauche, elle n’a pas eu à me séduire… » Bahia lui ayant parlé de son ami jospiniste, Jospin s’est décidé à lui rendre visite: « Je me suis dit, un jospiniste aujourd’hui, c’est aussi rare qu’un canard mandarin sur l’île de Ré » !
LE CAVALIER ELECTRIQUE.- Héros américain par excellence, le cowboy est un personnage mythique du cinéma. Mais, en 1979, le temps du western classique est passé depuis belle lurette. Le cowboy de The Electric Horseman a beau avoir été cinq fois champion du monde de rodéo, il fait peine à voir… Pourtant, Sydney Pollack va faire de Sonny Steele un personnage foncièrement émouvant. Retraité du rodéo, Steele en est réduit à travailler pour Ranch Breakfast, une marque de céréales qui reproduit son image sur ses emballages. Noyant son mal-être dans l’alcool, Sonny arrive titubant là où il doit se produire dans un rutilant costume violet et vert orné de petites ampoules lumineuses clignotantes. Lors d’un show à Las Vegas, Sonny craque. Il n’en peut plus de cet univers artificiel et clinquant et il se dégoûte d’être devenu le jouet d’une compagnie capitaliste sans états d’âme.
Dans ce film qui s’ouvre et se ferme sur les grands espaces du western, Robert Redford et Jane Fonda portent une aventure intime qui retrouve la veine élégiaque du Jeremiah Johnson (1972) de Pollack pour une réflexion nostalgique sur les derniers restes d’un Ouest finissant. La séquence où, monté sur le pur-sang Rising Star, Sonny, dans son dérisoire habit de lumière, quitte la scène du Caesar’s Palace, traverse les salles de jeux et s’éloigne, sur un Strip saturé de néons, est magnifique et pathétique. Pathétique parce qu’elle illustre la chanson Mamas Don’t Let Your Babies Grow Up to Be Cowboys que chante Willie Nelson et magnifique parce que Steele n’est plus une marionnette mais un homme à nouveau libre.
BANCS PUBLICS.- Rares sont, dans le cinéma français, les cinéastes qui pratiquent avec autant de bonheur que Bruno Podalydès, une forme d’absurde poétique ou de délire burlesque qui fait la part belle aux mots et aux objets… On peut notamment le constater dans ce film tourné en 2007 et sorti en 2009 dans lequel le cinéaste s’amuse avant de divertir le spectateur. En appelant à la rescousse le gratin des comédiens français – dans de petits ou de grands rôles- Bruno Podalydès dépeint une galerie de personnages vivant ou travaillant à Versailles (le titre complet ajoute Versailles Rive-Droite à Bancs publics), entre l’immeuble de bureaux avec ses employés, le square du quartier avec ses habitués ou le magasin de bricolage avec ses vendeurs et ses clients.
Si cette comédie humaine foutraque écrite sous la forme de sketches est forcément inégale, la séquence dans le magasin de bricolage Gifarep est un pur bonheur digne des grandes heures de Jacques Tati. Une dame (Catherine Deneuve, savoureuse) arrive avec, dans les bras, une petite armoire en train de rendre l’âme. Autour du chef de rayon (Bruno Podalydès), deux puis trois employés en blouse « à nuages » s’activent dans un… massage cardiaque vain. Une cloison craque et on emporte, sur un chariot, façon Urgences, l’armoire sous le regard éploré de la cliente. Après lui avoir vanté les mérites de la colle Cyanochiolate, le chef de rayon entraine la cliente vers un espace Environnement « très sympa » pour lui proposer une tisane déstressante tandis qu’ils se lancent dans une évocation nostalgique des outils et des objets…
GARE CENTRALE.- Lorsqu’en 1957, Youssef Chahine s’attelle à Gare centrale, il n’est plus tout à fait un débutant. Celui qui va devenir, au fil du temps, le plus grand cinéaste égyptien, a déjà dix films à son actif dont Le démon du désert (1954) qui lance la carrière d’un certain Omar Sharif… Mais, avec Bab al-Hadid, Chahine passe pour la première fois devant la caméra. Il incarne Kenaoui, mendiant analphabète et obsédé sexuel, qui parcourt dans tous les sens la gare du Caire. Avec ce personnage, le cinéaste (qui jouera dans six films) tient le rôle le plus beau et le plus puissant de sa carrière… Dans le foisonnement permanent de cette gare cairote, Kenaoui, désespérément fou amoureux de la belle Hanouma (Hind Rostom, la Marilyn Monroe égyptienne), apparaît peu à peu comme un bouffon tragique, intime des plus grandes misères humaines…
L’odyssée tragique de l’émouvant Kenaoui culmine dans une sublime et ultime séquence où Chahine semble transformer la gare en plateau de cinéma. Le visage à moitié noirci par de la graisse –métaphore du Bien et du Mal- Kenaoui tient Hanouma sous le menace d’un grand couteau. Les deux sont allongés sur les rails tandis qu’autour d’eux la foule se presse. Tandis qu’Abou Serib réussit à désarmer Kenaoui en tenant à pleine main la lame (symbole sexuel… inoffensif) sans se couper, le vieux Madbouli raisonne doucement le malheureux et l’amène à enfiler une galabeya immaculée, vêtement de fête pour son mariage avec Hanouma… Lorsque Kenaoui comprend qu’il s’agit d’une camisole de force, il est trop tard…
MAMMA ROMA.- « Ma seule idole est la réalité. Si j’ai choisi d’être cinéaste (…), c’est que plutôt que d’exprimer cette réalité par des symboles que sont les mots, j’ai préféré le moyen d’expression qu’est le cinéma, exprimer la réalité par la réalité. » En 1962, dans les décors de la Ville éternelle, Pier-Paolo Pasolini tourne son second film après Accatone, l’année précédente. Il évoque l’histoire de Mamma Roma, prostituée romaine de la quarantaine (Anna Magnani), qui pense enfin être libérée de son souteneur. Elle décide de refaire sa vie, reprend avec elle Ettore, son fils de 16 ans, qui ignore tout de son passé. Ils s’installent dans une cité nouvelle près de Rome. Mamma Roma travaille désormais sur un marché, pleine d’espoir dans une vie nouvelle. Ettore, lui, traîne avec des adolescents désoeuvrés…
Si PPP reprend, ici, les thèmes du néoréalisme (errance, terrains vagues, sort des prolétaires), son travail a toujours une origine picturale. C’est notamment le cas dans les plans où Ettore, après un larcin, est enfermé en prison. Comme son état physique et mental se dégrade, on l’attache sur un lit de contention. Dans une succession de travellings arrière, réalisés à la grue, alternant avec des gros plans du visage suant d’Ettore (Ettore Garofalo), PPP filme son agonie. Le dernier travelling arrière sur Ettore mort, par la position même du corps et la tête de côté, est une référence directe au tableau d’Andrea Mantegna La lamentation sur le Christ mort… Le dernier cri de l’adolescent appelant sa mère a de fait valeur christique…
UN SINGE EN HIVER.- Un film comme un passage de relais ? Pendant l’hiver 1961-1962, sur la côte normande, notamment à Villerville (qui apparaît, dans le film, sous le nom de Tigreville), Henri Verneuil tourne ce qui sera l’un de ses grands succès. C’est aussi la seule et unique rencontre sur un écran entre Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. Gueule d’amour est dans la dernière partie de sa carrière et Bebel est l’acteur vedette de la Nouvelle vague. De là à parler de passation de pouvoir, il n’y a qu’un pas que les chroniqueurs franchissent volontiers. Dans une vidéo disponible sur le site de l’INA, l’interprète de Pierrot le fou évoque le modèle de Gabin : « Savoir si je suis le Gabin jeune ? Je préfère être Belmondo » dit-il dans un sourire.
Sur une adaptation du roman éponyme d’Antoine Blondin et sur des dialogues enlevés de Michel Audiard, Un singe en hiver met en scène Albert Quentin, ancien fusilier marin en Chine et grand buveur, qui a tiré un trait sur son passé pour jouer les hôteliers. Un soir, débarque Gabriel Fouquet, jeune type qui boit pour oublier l’échec de sa vie sentimentale. Fouquet est passionné de tauromachie et Verneuil le gratifie de deux séquences brillantes. Dans la première, bien ivre, il accomplit furieusement, dans sa chambre, des passes avec un couvre-lit pour muleta. Albert observe la scène en silence avant de dire qu’il aime, chez Gabriel, sa façon de voyager et de rêver. Plus loin, ce sont des voitures qui passent sur la grand’route qui jouent pour Fouquet les taureaux déroutés mais lancés à vive allure…
NEW YORK – MIAMI.- Quand la morosité vous gagne, rien ne vaut la fréquentation des films de Frank Capra. A cet égard, New York Miami est un pur régal. Sorti en 1934, It Happened One Night est l’archétype de la pure comédie brillamment rythmée dans laquelle un homme et une femme s’opposent pendant la majeure partie du film avant de tomber dans les bras l’un de l’autre. Rien de bien original sinon que nous avons là deux beaux personnages avec, d’une part, Ellie Andrews, jeune femme gâtée et parfois odieuse, de l’autre Peter Warne, journaliste au chômage et type content de lui et plutôt mufle. Si le film est une réussite, les choses ne furent pas faciles pour le cinéaste avec un Clark Gable, furieux d’avoir été puni par la MGM en étant prêté à la Columbia et une Claudette Colbert alignant les caprices… Mais on se souvient surtout du brio avec lequel Capra aligne les séquences d’anthologie comme celle de l’auto-stop.
Ellie et Peter sont en rade sur une route de campagne. Le journaliste explique comme arrêter une voiture. « Tout est dans le pouce ». Et de détailler trois méthodes lorsqu’Ellie s’écrie : « Voilà une voiture ! ». Au bord de la chaussée, Peter se propose d’utiliser la méthode n°1. Sans succès. Avant de faire n’importe quoi tandis que les voitures défilent à vive allure. Ellie : « Je peux essayer ? J’arrêterai une voiture sans utiliser mon pouce ! » Peter ricane. Au bord de la route, Ellie relève sa jupe et dévoile largement une cuisse galbée et le haut de son bas. Crissement de pneus et très gros plan sur une main qui tire violemment le frein à main d’une auto.
L’ARMEE DES OMBRES.- De La bataille du rail (1946) à Lucie Aubrac (1997) en passant par La grande vadrouille (1966) ou Lacombe Lucien (1974), le cinéma français s’est régulièrement penché sur la Résistance. Ancien résistant lui-même, Jean-Pierre Melville a apporté sa pierre à l’édifice avec pas moins de trois films : Le silence de la mer (1947), Léon Morin, prêtre (1961) et L’armée des ombres (1969) qu’il met en scène à la fin de sa carrière après avoir porté le projet durant 25 ans… Hommage tragique, le film ne met pas en avant l’aspect héroïque de la Résistance mais plutôt la réalité quotidienne d’hommes et de femmes ordinaires qui risquent leur vie en distribuant des tracts, en transportant du matériel, en cachant des hommes recherchés par la Gestapo…
Ce qui frappe dans cette histoire des activités puis du démantèlement d’un réseau dans la France occupée de 1942, c’est, au-delà des problèmes de conscience des uns des autres, l’épure de la mise en scène, la stylisation et le choix des couleurs froides. Le trait est net mais le sens peut être en suspens, ainsi dans le regard stupéfait et perplexe de Simone Signoret dans la séquence de la mort de Mathilde. En 18 plans, Melville filme la voiture qui tourne le coin d’une rue de Lyon, successivement les quatre occupants à bord, Mathilde marchant sur le trottoir puis s’arrêtant en ayant vu la voiture, une main tenant une arme qui avance, le regard de Mathilde, le tir, Mathilde qui tombe à terre, Jardie, le chef du réseau (Paul Meurisse) qui dit simplement : « Vite ! », enfin un long travelling rapide qui s’éloigne du corps de Mathilde…
VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU.- Lorsqu’en 1968, Milos Forman est contraint d’émigrer aux Etats-Unis à cause de la répression du Printemps de Prague, il est déjà un cinéaste reconnu grâce à ses trois satires sociales (L’as de pique, Les amours d’une blonde et Au feu les pompiers !) dont les autorités soviétiques diront qu’elles sont le symptôme de « la dégénérescence du système socialiste qui sévit en Tchécoslovaquie », obligeant à l’intervention militaire dans le pays. Installé aux USA (dont il prendra la nationalité en 1977), Forman vit d’abord une rude galère. Taking Off, son premier film en 1971, est un gros échec commercial qui le ruine. Il attendra plusieurs années avant de retourner derrière la caméra. Cette fois, le succès est au rendez-vous. Adapté du roman éponyme de Ken Kesey, One Flew Over the Cuckoo’s Nest va rafler, en 1976, les cinq Oscars majeurs dont celui de meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario.
Accusé de viol sur mineure, McMurphy, pour échapper à la prison, se fait interner dans un hôpital psychiatrique. En attendant qu’on évalue sa santé mentale, il assiste aux « thérapies » de Miss Ratched (Louise Fletcher, oscarisée pour le rôle). Rapidement, le rebelle désinvolte va se heurter à l’inflexible et cynique infirmière et remettre en cause ses méthodes répressives. D’abord dans le jeu, McMurphy (Jack Nicholson, également oscarisé) va entrer dans un vrai combat. Il culminera, après le suicide du fragile Billy, dans une agression où McMurphy étrangle Miss Ratched, soldant un affrontement aussi émouvant que perdu d’avance.
LA GRAINE ET LE MULET.- Remarqué dès son premier long-métrage (La faute à Voltaire en 2000), Abdellatif Kechiche connaîtra la reconnaissance critique et publique avec L’esquive (2004) et surtout La graine et le mulet (2007), les Cahiers du cinéma n’hésitant pas à voir dans le film, la jonction entre les cinéma d’auteur et populaire, laissé vacant par Maurice Pialat. Ouvrier sur un chantier naval de Sète, Slimane Beijii, 61 ans, se retrouve au chômage. Père de famille divorcée, il vit avec la patronne d’un petit hôtel et sa fille Rym tout en restant très lié à ses enfants et à son ex-épouse. Avec son indemnité de licenciement, il envisage d’ouvrir un restaurant spécialisé dans le couscous de poisson (la graine et le mulet du titre) sur un vieux bateau amarré dans le port…
La dernière séquence du film a largement marqué les esprits à la fois par sa durée (10 minutes) et par sa dimension dramatique. Sur le bateau, les convives sont venus nombreux mais le couscous n’est pas arrivé. Slimane s’est fait voler son cyclo et jusqu’à l’épuisement, il tente de rattraper les jeunes voleurs. Pour faire patienter la salle, Rym (Hafsia Herzi) entame, en compagnie d’un orchestre oriental, une danse du ventre qui prend vite la tournure d’une transe. En intercalant des plans sur la salle et la course de Slimane, le cinéaste filme, souvent en très gros plan, le ventre rond de Rym, ses déhanchements, ses vibrations chaloupées, ses rapides coups de hanche, ses mains dans sa crinière noire… Les yeux clos, le visage ruisselant, le corps en sueur, Hafsia Herzi réussit une singulière performance érotique…
THELMA ET LOUISE.- Comment un film a failli ne jamais voir le jour (à cause de la méfiance des producteurs) et comment il finit par devenir une œuvre culte du féminisme… En 1991, Ridley Scott va mettre en scène l’histoire de deux femmes, Thelma Dickinson (Geena Davis) et Louise Sawyer (Susan Sarandon) qui décident de s’offrir un week-end à la montagne. Sur le parking d’un bar, Thelma est sur le point de se faire violer. Louise survient in extremis, sort une arme et empêche le viol. Devant la vulgarité et l’agressivité du type, Louise l’abat. Elle refuse de se rendre à la police. Commence alors une grande cavale…
À sa sortie aux USA, Thelma and Louise a suscité la polémique parce qu’il mettait en scène deux héroïnes répondant par les armes à la violence masculine. Ce road-movie tragique est devenu un classique, notamment à cause d’une séquence finale d’anthologie.
Au volant de sa Thunderbird 1966 verte, Louise a réussi à provisoirement semer la police avant de l’arrêter au bord du Grand Canyon. Un hélicoptère surgit devant elles tandis que derrière elles, les forces de l’ordre leur bloquent la retraite. L’inspecteur Hal Slocombe (Harvey Keitel) tente de ramener les deux femmes à la raison. Dans la voiture, Louise et Thelma décident de ne pas se rendre et de partir droit devant. Elles s’embrassent brièvement sur la bouche, échangent un sourire, se donnent la main. Louise appuie sur l’accélérateur. La Thunderbird fonce vers le canyon. En contre-plongée et au ralenti, elle « plane » dans le ciel. Arrêt sur image sur la voiture au centre de l’écran. Fondu au blanc et générique de fin.
IL DIVO.- « A part les guerres puniques, j’ai été accusé de tout ce qui s’est passé en Italie ». En 2008, Paolo Sorrentino consacre une charge assassine à Giulio Andreotti, figure emblématique de la Démocratie chrétienne. Celui qui fut surnommé Le divin Giulio, la salamandre, Moloch, le pape noir ou encore Belzébuth, est au cœur d’un pamphlet politique où le cinéaste napolitain ausculte l’exercice du pouvoir à travers un personnage qui fut, à sept reprises, entre 1972 et 1992, président du Conseil italien. C’est Toni Servillo, complice au long cours de Sorrentino qui se glisse, après maquillage, dans le personnage ambigu et invulnérable d’Andreotti qui affirmait posséder le sens de l’humour autant que des… archives : « Chaque fois que je parle de ces archives, ceux qui doivent se taire, comme par enchantement, se taisent ».
Prix du jury au festival de Cannes 2008, Il Divo est un regard sans fard sur 50 années d’histoire de l’Italie et une métaphore sur le pouvoir conçue comme un ballet stylisé. C’est le cas dans le rituel quotidien qu’est la promenade nocturne d’Andreotti. Dans la Via del Corso à Rome, aux accents de la Pavane pour une infante défunte de Gabriel Fauré, trois voitures noires avancent au pas. De multiples policiers armés marchent en scrutant les toits. Le long d’un mur, une silhouette noire et rigide, les mains dans le dos, se glisse, telle un Nosferatu, dans l’aube. Soudain, Andreotti se fige, sans une expression, devant un grand graffiti « Massacres et complots sont signés Craxi et Andreotti ». Puis l’homme reprend sa marche vers une église où l’attend son confesseur…
TU NE TUERAS POINT.- Comme l’amour, la mort au cinéma est omniprésente. Parce qu’il fixe le temps, le 7e art capte le passage de la vie à la mort. André Bazin observait que « la mort est un des rares événements qui justifie le terme de spécificité cinématographique ». On songe à tous ces westerners abattus en pleine course et arrachés à leurs chevaux, à tous ces malfrats flingués de nuit, sur des pavés humides. Le cinéma fait le grand écart entre Viggo Mortensen massacrant ses agresseurs dans le restaurant de A History of Violence de Cronenberg et Hitchcock se contentant, dans Frenzy (voir plus bas) de filmer la façade derrière laquelle se déroule le crime.
En 1988, Krzysztof Kieslowski donne Krotki film o zabijaniu, adaptation (plus longue de 36 minutes) pour le cinéma du volume 5 de son Décalogue. Jacek Lazar, 21, ans erre dans une Varsovie hivernale. Il va croiser le chemin de Waldemar Rekowski, chauffeur de taxi quadragénaire peu sympathique. Dans un coin isolé, au bord d’un fleuve, Jacek assassine sauvagement le taxi. Condamné à mort, Jacek sera pendu.
La dernière séquence montre, dans une lumière glauque jaune et verte, une exécution capitale dont la violence renvoie à celle du meurtre commis par Jacek. Son avocat affirme d’ailleurs que « le châtiment n’est qu’une vengeance ». Kieslowski filme d’ailleurs des détails morbides généralement occultés. Présenté en compétition officielle à Cannes (où il remporta le Grand prix du jury), le film a laissé, pendant un long moment après la fin de la projection, les festivaliers muets et tétanisés.
LORD OF WAR.- Venu de la publicité, le Néo-zélandais Andrew Niccol est revélé, en 1997, par l’excellent Bienvenue à Gattaca, un film de SF élégant et très maîtrisé. En 2005, il s’attaque à la vente d’armes à travers le monde… Né en Ukraine soviétique, Yuri Olov a émigré aux USA avec sa famille en se faisant passer pour des Juifs persécutés. Fin négociateur, il se fait une place dans le trafic d’armes. Parallèlement à une vie de mari et de père idéal, Orlov (Nicolas Cage) devient l’un des plus gros vendeurs d’armes clandestins du monde…
La spectaculaire séquence d’ouverture a marqué les esprits. La caméra avance en travelling, au ras du sol, sur un tapis de balles et s’arrête sur Orlov, de dos. Celui-ci se tourne et s’adresse à la caméra : « On estime à environ 550 millions le nombre d’armes à feu actuellement en circulation. Autrement dit, il y a un homme sur douze qui est armé sur cette planète. La seule question c’est, comment armer les onze autres ? » Tandis que le générique (réalisé entre images réelles et effets numériques par le studio français E.S.T) se déroule, on suit le parcours d’une balle depuis la plaque de métal usinée dans un complexe industriel jusqu’à la mise en caissettes de bois des projectiles. Sur l’entraînante chanson For What It’s Worth de Buffalo Springfield, on suit la livraison des balles dans un pays en guerre. Le générique s’achève en « bullet-cam » autrement dit avec une image filmée du point de vue de la balle qui, depuis l’intérieur du canon, file, rectiligne, pour s’approcher du front d’un enfant. Fondu brutal au noir.
RECHERCHE SUSAN DESESPEREMENT.- Pour être honnête, Louise Ciccone, plus connue sous le nom de Madonna, n’est pas la comédienne la plus fameuse que le 7e art a pu mettre à l’image… D’ailleurs, Madonna est la personnalité la plus récompensée de l’histoire des Razzie Awards, cérémonie américaine primant annuellement « le pire du cinéma ». Cela dit, ce n’est pas sur le grand écran que la Queen of Pop a fait le meilleur de sa carrière. Cependant, en 1985, on la remarque dans une agréable comédie où elle partage le haut de l’affiche avec Rosanna Arquette et Aidan Quinn. La réalisatrice Susan Seidelman y met en scène l’histoire de Roberta (Rosanna Arquette), jeune bourgeoise un peu coincée du New Jersey, qui s’ennuie ferme dans sa luxueuse maison. Quand elle découvre dans les petites annonces le sibyllin « Desperately Seeking Susan », elle décide d’enquêter pour découvrir qui est cette fameuse Susan. Surtout, elle va se métamorphoser in fine en s’appropriant son style.
Alors au sommet de sa gloire, la chanteuse s’amuse clairement avec cette Susan qui va très rapidement devenir l’incarnation de la bad girl dans la culture populaire. Madonna compose son look en laissant Santo Loquasto, le designer et costumier du film, puiser dans son propre dressing. Et lance ainsi la mode avec mitaines, crucifix, tenue léopard et bijoux clinquants sans oublier un blazer mordoré à revers tigré… La scène la plus iconique se passe dans des toilettes publiques. En débardeur rose sur un soutien-gorge noir apparent, Susan lève nonchalamment les bras et passe ses aisselles au-dessus d’’un sèche-mains…
LA FIANCEE DU PIRATE.- Née à Buenos Aires dans une famille d’origine juive russe d’Odessa et Kiev, Nelly Kaplan (1931-2020) met, en 1969, un grand coup de pied dans la comédie française… Amie d’André Breton et d’Abel Gance, elle réalise son premier long-métrage avec La fiancée du pirate dont elle dit que c’est « l’histoire d’une sorcière des temps modernes qui n’est pas brûlée par les inquisiteurs, car c’est elle qui les brûle. » Marie est arrivée avec sa mère dans le village de Tellier. Lorsque la mère est écrasée par un chauffard et que les notables décident que la mort est « naturelle », Marie décide de se venger.
Actrice fétiche de la Nouvelle Vague, Bernadette Lafont se glisse avec délices dans cette pochade outrancière qui prend un tour érotique puisque les mâles alentour (mais aussi la riche propriétaire terrienne) ne peuvent s’empêcher de céder aux charmes de Marie.
Pamphlet contre la France profonde où une prolétaire sauvage lutte contre la bêtise crasse, cette fable grinçante et grotesque (qui échappa de peu à la censure) décrit une femme qui accomplit son émancipation par une prostitution non subie.
A l’écart du village, Marie vit dans un misérable gourbi en lisière de forêt où elle amasse, aux dépens de ceux qui l’oppriment, une petite fortune pour s’offrir des objets modernes et frivoles. Sorte de temple de l’art brut où une chauve-souris empaillée voisine des montres, des saucisses ou des reproductions d’art, ce cabinet des curiosités partira en fumée lorsque Marie, sa vengeance accomplie, décidera, pieds nus et l’âme en paix, de s’éloigner de ce coin de France rancie…
LA NUIT DU CHASSEUR.- Immense comédien britannique, Charles Laughton (1899-1962) a marqué de son talent (et aussi de son apparence physique) des œuvres comme La vie privée d’Henry VIII (1933), Les révoltés du Bounty (1935) ou encore Témoin à charge (1957)… Laughton est entré dans la légende du 7e art en 1955 avec le seul film qu’il a réalisé entièrement (en 1949, il a tourné des plans de L’homme de la tour Eiffel) où il raconte le parcours criminel du révérend Harry Powell, faux prédicateur et vrai tueur en série. Powell débarque en Virginie-Occidentale pour retrouver l’épouse et les deux jeunes enfants de Ben Harper, un condamné à mort avec lequel il a partagé une cellule de prison… Powell sait que Harper a conservé une grosse somme d’argent et il est prêt pour la récupérer à séduire la jeune veuve (Shelley Winters) et ses petits John et Pearl.
Lors de la première rencontre, dans la boutique du glacier Spoon, entre Powell (Robert Mitchum dans l’un de ses grands rôles) et la famille Harper, John observe fixement le prédicateur qui porte, sur les phalanges, LOVE (amour) et HATE (haine). Au gamin, Powell lance : « Veux-tu que je te raconte l’histoire de la droite et de la gauche ? Du bien et du mal ? » Entremêlant ses doigts, Powell, entre dans une transe inquiétante : « Ces doigts sont toujours en lutte… » Et de mimer la haine écrasant l’amour. « Mais la chaleur de l’amour vaincra ! » En extase devant les Harper et les Spoon, il termine : « Oui, Seigneur, c’est l’amour qui l’emporte ! » Une terrifiante mécanique criminelle se met alors en marche.
NOUS IRONS TOUS AU PARADIS.- Typographe puis pâtissier, Yves Robert se découvre une passion pour le théâtre puis pour le cinéma où il intervient d’abord comme acteur avant de passer à la réalisation. Dans les années 60-70, Yves Robert (1920-2002) va s’imposer comme un spécialiste de la comédie française. Il signe ainsi La guerre des boutons (1961), Alexandre le bienheureux (1967) avant d’atteindre les hauteurs du box-office en 1976 et 77 avec, successivement, Un éléphant, ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis.
Pour le scénariste Jean-Loup Dabadie, il s’agit de la « chronique très agitée des démêlés de certains hommes avec certaines femmes qui ne sont pas nécessairement les leurs ». Le film raconte l’amitié de quatre quadragénaires, tous confrontés à une situation difficile dans leur vie privée. Le quatuor est composé de Jean Rochefort, Claude Brasseur, Victor Lanoux et Guy Bedos. Ce dernier incarne Simon Messina, médecin étouffé par sa mère juive d’Algérie. Pour le rôle de Mouchy, cette génitrice très possessive, le cinéaste a choisi Marthe Villalonga qui va devenir la tonique spécialiste française de la mère juive au grand écran. La séquence où Mouchy débarque, en manteau de fourrure, sur le court de tennis où Simon joue en double, est excellente. Simon reproche à sa mère de le déranger. Mouchy : « S’il faut payer pour te voir, dis-le ! » Simon hurle : « Arrête ! Arrête ! Mais qu’est-ce que j’ai fait… » Le plus savoureux, c’est que Marthe Villalonga, également mère juive dans Le coup de sirocco (1979), a confié qu’elle était « ni mère, ni juive »…
LE LAUREAT.- Le succès considérable de The Graduate constitue une surprise en 1967 : personne ne croyait à ce film qui réunissait des acteurs peu connus autour d’un scénario scabreux… Et pourtant ! Souvent considéré comme le premier opus notable du Nouvel Hollywood, le film va instantanément faire de Dustin Hoffman une star tandis que la chanson Mrs Robinson, écrite par le duo Simon et Garfunkel, va largement contribuer à la notoriété de cette histoire anticonformiste reflétant l’Amérique des sixties entre puritanisme et libération sexuelle. Mike Nichols raconte, ici, l’histoire de Benjamin Braddock, 21 ans, récemment diplômé de l’université, qui rentre chez ses parents en Californie pour les vacances. Bientôt Benjamin sera aspiré dans une liaison vénéneuse, séduisant Mme Robinson (Anne Bancroft) et sa fille (Katharine Ross)…
Le lauréat s’ouvre sur un gros plan de Benjamin qu’on découvre, par un travelling arrière, dans l’avion qui le ramène en Californie. Ensuite un mémorable travelling latéral droite-gauche suit Benjamin (bord cadre à droite) sur un tapis roulant plat de l’aéroport. Tandis que le générique se déroule sur The Sound of Silence, autre titre fameux de Simon et Garfunkel, on suit le personnage principal supposé, à cet instant de son existence, faire face à l’avenir. Le travelling droite-gauche évoque cependant le fait que Braddock n’est pas prêt à se projeter vers cet avenir. Le personnage n’avance d’ailleurs pas. Ce sont le tapis et les voyageurs autour de lui qui sont en mouvement. Dans sa tête comme à l’image, Benjamin ne bouge pas. Pas encore…
PERSONA.- Célèbre actrice de théâtre, Elizabeth Vogler joue Electre lorsqu’elle s’interrompt brusquement au milieu d’une tirade. Elle ne parlera plus. D’abord soignée dans une clinique, son médecin l’envoie se reposer, sous la surveillance d’Alma, une jeune infirmière, dans sa demeure de l’île de Fårö. Les deux femmes se lient d’amitié. Le silence permanent d’Elizabeth conduit Alma à parler et à se confier. La découverte d’une lettre dans laquelle Elizabeth divulgue à son médecin les confessions d’Alma va provoquer une crise profonde.
« Je sens aujourd’hui, déclare Ingmar Bergman, que dans Persona je suis arrivé aussi loin que je peux aller. Et que j’ai touché là, en toute liberté, à des secrets sans mots que seul le cinéma peut découvrir. » Le titre premier du film (Cinématographe) résonne comme une sorte de testament d’un cinéaste alors que Persona (1966) va, au contraire, installer Bergman au sommet du 7e art. Le cinéaste suédois songe aux premières images du film alors qu’il délire sur son lit, frappé d’une grosse pneumonie.
Parmi les images les plus frappantes de Persona, on remarque, lors de la dernière confrontation entre les deux femmes, que Bergman filme successivement le visage d’Elisabeth (Liv Ullmann) écoutant Alma (Bibi Andersson) puis cette dernière. Comme elles n’ont pas le même rapport au monde, il n’y a pas d’échange. Bergman imagine alors d’achever la séquence en « fusionnant » une moitié de deux gros plans des ses actrices, créant un visage hybride perturbant. Le décalage entre les deux personnages est d’autant plus étrange qu’à l’image, ils ne font qu’un.
FRENZY.- En 1972, Alfred Hitchcock a 72 ans et il est fatigué par les échecs du Rideau déchiré (1966) et L’étau (1969). Il lit beaucoup de scénarios mais rien ne l’emballe. Jusqu’au moment où il repère une histoire de tueur à la cravate londonien. Hitch est ravi de quitter la Californie pour retrouver Londres et, plus encore, Covent Garden, le quartier de son enfance où il accompagnait parfois son père, marchand de fruits et légumes. Comme l’est le tueur à la cravate de Frenzy. Content d’être à Londres, Hitch est aussi heureux de travailler avec des comédiens anglais de théâtre dont il loue le talent. Même si le maître donnait toujours l’impression de s’occuper davantage des mouvements de caméra que des acteurs…
De fait, ce 56e (et avant-dernier) film porte clairement la touche de Sir Alfred. La maîtrise des mouvements de caméra est impressionnante et surtout elle est au service du suspense. Il en va ainsi du long plan-séquence (1’17) de l’escalier. On a suivi la serveuse Babs (Anna Massey) que Robert Rusk (Barry Foster) amène dans son appartement. Les deux entrent et l’on se doute bien que la pauvre Babs vit ses derniers instants. Plutôt que de filmer le meurtre, Hitch fait le choix de quitter les lieux. Un superbe travelling arrière descend l’escalier, traverse le hall puis la rue pour arriver sur le trottoir d’en face, découvrant la façade de l’immeuble et les fenêtres derrière lesquelles le crime se déroule ou a déjà eu lieu. Une véritable (et dramatique) réussite technique commencée en studio (pour les intérieurs) et achevée dans le décor naturel de Covent Garden… Brillant !
LA REGLE DU JEU.- Pour François Truffaut, c’est tout simplement « le credo des cinéphiles, le film des films ». En 1939, Jean Renoir, après avoir mis en scène La grande illusion (1937), La Marseillaise et La bête humaine (1938) signe son chef d’œuvre. Parlant de « drame gai » ou de « fantaisie dramatique », le cinéaste donne une peinture de mœurs de l’aristocratie et de ses domestiques, à la fin des années 1930. En s’inspirant du théâtre de Musset ou de Marivaux et en parlant d’un « monde romantique et pourri », Renoir observe, avec une lucidité teintée d’humanisme, une société où tout le monde ment alors que s’organisent des intrigues amoureuses multiples et compliquées. Avec un vrai brio dans la mise en scène et une volonté de faire « surjouer » ses comédiens pour obtenir un effet commedia dell’arte, Renoir filme le ballet d’un monde aristocratique essoufflé et en fin de vie qui se révèle hypocrite et cruel.
Le marquis Robert de la Chesnaye (Marcel Dalio) a invité des amis pour un week-end de chasse dans sa propriété de La Colinière en Sologne. La séquence de la chasse s’ouvre par du gibier filant dans le sous-bois. Puis s’approchent des domestiques en blouses blanches qui rabattent les animaux en tapant sur le sol et les arbres avec des bâtons. Plans rapides sur les chasseurs qui attendent, les fusils au poing. Soudain un coup de feu éclate, suivi par beaucoup d’autres. Dans le ciel comme à terre, lapins, lièvres, faisans tombent en abondance. Une forte séquence quasiment muette mais bruyante qui révèle la pulsion de violence d’une caste en déliquescence.
TARZAN L’HOMME SINGE.- Le roi de la jungle imaginé en 1912 par Edgar Rice Burroughs, est l’un des personnages de fiction les plus connus dans le monde. Cet enfant sauvage archétypal élevé par les grands singes d’Afrique est devenu un mythe exotico-hollywoodien dès 1918 lorsque Elmo Lincoln fut le premier acteur à enfiler le pagne de Tarzan. Mais c’est Johnny Weissmuller, premier Tarzan du cinéma parlant, qui est entré dans la légende. En 1932, dans Tarzan the Ape Man, Weissmuller va aussi pousser le fameux cri qui appartient de plein droit à l’imaginaire hollywoodien. La destinée de Johnny Weissmuller (1904-1984) relève elle-même de la légende. Né en Hongrie, il émigre, encore bébé, avec ses parents aux USA. A 9 ans, il contracte la polio et un médecin suggère la natation pour l’aider à guérir. Ca lui réussit puisqu’il sera, aux JO de 1924 et 1928, champion olympique à cinq reprises.
Le cinéma s’intéresse évidemment à ce bel athlète à la musculature avantageuse qui sera Tarzan dans douze films qui contiennent de nombreuses séquences sous-marines. Johnny Weissmuller, le premier, fit entendre le fameux cri qui annonce l’arrivée du roi de la jungle. On a dit que ce cri serait dû à l’enregistrement d’un yodel autrichien monté à l’envers et en accéléré. En réalité, il serait « le produit d’un mixage composé du hurlement d’une hyène, de l’aboiement d’un chien, d’un ut poussé à l’aigu par la cantatrice Lorraine Bridge et de la vibration d’une corde sol de violon ». Qu’importe, Johnny Weissmuller, avec Jane (Maureen O’Sullivan) dans les bras, reste définitivement associé à ce cri.
A BOUT DE SOUFFLE.- « Plus belle avenue du monde », les Champs-Elysées ont souvent servi de décor au cinéma. Mais c’est indiscutablement Jean-Luc Godard qui a donné ses lettres de noblesse aux Champs. En 1959, JLG tourne son premier long-métrage et raconte les aventures de Michel Poiccard, jeune voyou insolent (Jean-Paul Belmondo), qui a tué un gendarme motocycliste en remontant en voiture de Marseille à Paris… Dans la capitale, Michel retrouve Patricia Franchini, une étudiante américaine, avec laquelle il a eu une liaison avant de partir pour Marseille. De retour à Paris, il retrouve Patricia qui veut étudier à la Sorbonne et qui, pour se faire un peu d’argent, vend le New York Herald Tribune sur les Champs…
Dans la séquence mythique sur les Champs (où le chef opérateur Raoul Coutard tourne à la sauvette avec une caméra dissimulée aux regards des passants dans une poussette de bébé), Michel, chapeau mou et cigarette au bec, cherche Patricia alors que, sur la contre-allée, passent encore les voitures… Michel veut l’entraîner à Rome et lui déclare son amour : « Je voulais te revoir pour savoir si te revoir me ferait plaisir ». Il lui achète un journal avant de lui rendre : « Il n’y a pas d’horoscope ! » Ces plans en noir et blanc magnifient Jean Seberg. La comédienne américaine a 21 ans. Elle n’est plus une inconnue au cinéma puisqu’elle fut, en 57, la Jeanne d’Arc de Preminger et, en 58, la Cécile de Bonjour Tristesse. Mais Godard va l’inscrire dans la légende du 7e art avec ses ballerines, son fuseau noir, son tee-shirt publicitaire du Herald et sa coupe courte de piaf…
LES ENCHAINÉS.- Dans ce monument de la littérature de cinéma qu’est le Hitchcock/Truffaut (paru en 1967), le réalisateur de La nuit américaine note avec enthousiasme que Notorious constitue la quintessence du cinéma de Sir Alfred. Lorsque le film sort sur les écrans en août 1946, la critique plébiscite cette histoire atypique d’une relation à trois mêlant amour, politique et espionnage avec un couple de têtes d’affiche glamour à souhait. Ingrid Bergman et Cary Grant y échangent le « plus long baiser de l’histoire du cinéma » (2’30) alors que les censeurs de l’époque n’autorisent que… trois secondes. Hitch, au bout des dites trois secondes, demanda à ses acteurs d’improviser leur texte bouche contre bouche en répétant quelques baisers de deux secondes…
Le moment techniquement le plus brillant de Notorious est la key scene qui se passe lors d’une soirée donnée par Sebastian (Claude Rains), chef d’un groupuscule nazi, pour Alicia (Bergman), sa nouvelle épouse. D’un panoramique en vue d’ensemble de cette réunion mondaine, Hitchcock, dans un imposant travelling réalisé à la grue, plonge lentement vers le couple Sebastian/Alicia pour aller cadrer, en très gros plan, une clé qu’Alicia serre dans sa main. Largement analysé, ce modèle de plan (précieux aussi pour l’intrigue : la clé donne accès à une cave qui contient de l’uranium que les nazis destinent à la fabrication d’une bombe atomique) a été compliqué à réaliser car les caméras ne disposaient pas alors de visée reflex. On remarque bien que, lorsque le cadreur arrive sur la main d’Alicia, celle-ci n’est pas centrée mais décadrée à droite…
L’HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES.- C’est sur le tournage de Rencontres du 3e type où Spielberg lui confia un rôle de scientifique français, que François Truffaut, profitant des heures d’attente, peaufina le scénario de ce drame de l’amour et de la mort. Au cœur du 17e long-métrage (1977) de Truffaut, on trouve, avec Bertrand Morane, un magnifique personnage de don juan qui ressemble comme un frère à Antoine Doinel, Pierre Lachenay, Montag ou… Truffaut lui-même. Scientifique spécialisé dans l’aérodynamique, Morane – auquel l’immense Charles Denner apporte une fièvre sublime et inquiète- voue aux femmes une passion inconditionnelle. C’est à toutes ces femmes admirées, séduites et aimées que Bertrand va dédier le roman de sa vie et de son obsession.
Le film s’ouvre sur une longue et émouvante séquence dans le cimetière de Montpellier, au lendemain de Noël 1976. On porte en terre Bertrand Morane. On constate que ce sont exclusivement des femmes qui sont venues assister aux obsèques. Parmi elles, Geneviève, l’éditrice de Morane (Brigitte Fossey) dont la voix off observe : « Voilà le moment de vérité ! D’où il est maintenant, Bertrand est bien placé pour regarder une dernière fois ce qu’il aimait le plus en nous ». Alors que des pelletées de terre tombent sur le cercueil, Truffaut filme, en gros plan, des jambes de femmes qui passent devant la tombe. Voix de Geneviève : « Je me souviens d’une phrase de Bertrand… » Enchaînement avec la voix off de Charles Denner : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie. »
FRANKENSTEIN.- En 1930, alors que l’Amérique subit de plein fouet la crise financière et sociale qui suit le fameux Jeudi Noir, Universal va contribuer à l’âge d’or des films d’épouvante hollywoodiens. Après Dracula, le studio, songe à Frankenstein, un classique de la littérature fantastique britannique. En 1931, la réalisation est confiée au jeune James Whale. Pour incarner la créature, le comédien doit être grand, massif, inquiétant et expressif car le monstre ne s’exprime que par des gestes et des grognements. Maquillé (très longuement chaque jour) par le génial Jack Pierce, le Britannique Boris Karloff, 44 ans, va devenir un acteur mythique.
Portant les stigmates de ses origines morbides et poussant des grognements bestiaux, le comportement de la créature est cependant celui d’un être qui s’éveille à la vie, à la fois curieux et apeuré par ce qu’il découvre… Tandis que Frankenstein fuit les conséquences de son acte, sa créature sème la mort sur son passage. Ainsi lorsque le monstre arrive (45e minute) à proximité de la maison d’un menuisier et de sa fillette. Tandis que le père s’absente brièvement, la petite Maria aperçoit la créature. Nullement effrayée, elle l’invite à jouer en lançant des fleurs dans l’eau. Ravie, la créature partage ce moment innocent. Hélas, n’ayant plus de fleurs, la créature jette Maria dans l’eau où elle se noie. Terrifiée, la créature s’enfuit en poussant des grognements douloureux… A l’origine, la scène a été censurée par une coupe intervenant juste avant que la créature saisisse Maria. Elle a été réintroduite bien des années plus tard…
LA LISTE DE SCHINDLER.- En 1982, Steven Spielberg triomphe avec E.T. lorsqu’on lui parle du livre que Thomas Keneally consacre à Oskar Schindler. Surpris par l’histoire de l’industriel allemand (incarné par Liam Neeson) qui réussit à sauver la vie de quelque 1200 Juifs promis aux camps de la mort, le cinéaste américain ne sent pourtant « pas prêt émotionnellement » à réaliser un film sur la Shoah. De plus en plus impliqué par ses origines juives, Spielberg décidera finalement de réaliser le film après avoir entendu parler notamment des négationnistes de l’Holocauste. C’est seulement en 1993 que le réalisateur passe à l’acte après avoir mis en scène, à la demande du producteur Sid Sheinberg, Jurassic Park. « Il savait, dira Spielberg, qu’une fois que j’aurais tourné La liste de Schindler, je n’aurais pas été capable de faire Jurassic Park… »
Même si Universal n’était pas emballée par un film en noir et blanc de plus de 3h, Spielberg obtint cependant gain de cause. Il introduit quelques rares scènes en couleurs, les plus bouleversantes concernent celles d’une fillette juive au manteau rouge. On la voit à deux reprises marchant parmi les siens au milieu des nazis et on aperçoit, une dernière fois, le manteau rouge sur une charrette dont on imagine sans peine qu’elle brinqueballe vers une fosse commune… Accusé de sentimentalisme pour ces touches de couleur, Spielberg, indigné, dira que ces scènes qui crèvent autant les yeux qu’une petite fille en manteau rouge, sont l’essence même du propos en reflétant l’échec des Alliés à empêcher l’extermination des Juifs d’Europe.
CARTOUCHE.- Bagarreur, charmeur et avec un cœur gros comme ça, Louis-Dominique Bourguignon dit Cartouche est un brigand qui vécut au 18e siècle et qui volait les riches pour donner aux pauvres… En 1962, le personnage convient comme un gant à Jean-Paul Belmondo. Le virevoltant comédien, alors âgé de 28 ans, travaille pour la première fois avec Philippe de Broca. Entre Bebel et le cinéaste, le courant passe à merveille. Le duo se retrouvera à six reprises pour, notamment, L’homme de Rio (1964) ou L’incorrigible (1975).
Avec Cartouche, De Broca signe aussi la première réussite commerciale de sa carrière, le film réunissant plus de 3,5 millions de spectateurs en France.
Dans ce pétillant film d’aventures, Cartouche ferraille à plaisir et brave la police du roi en compagnie de ses acolytes La Taupe (Jean Rochefort) et La Douceur (Jess Hahn) tout en s’amusant à séduire une belle noble. C’est pourtant la gracieuse bohémienne Vénus (Claudia Cardinale) qui se sacrifiera pour lui sauver la vie. Vénus morte dans ses bras, Cartouche entre dans la salle de bal du château des Ferrussac et l’allonge sur une table. Sa bande dépouille les aristocrates de leurs bijoux. Dont on couvre le corps de Vénus… Extérieur nuit. Une carrosse doré avance au bord d’une eau noire. Dans le carrosse, Dominique effleure le visage de son aimée et sert le poing. Il dételle les chevaux. Plan ensemble. A la lueur des flambeaux, Cartouche pousse le carrosse vers l’eau où il s’enfonce lentement. La Taupe murmure : « Nous allons avoir des nuits froides… » Pour Cartouche désormais, il s’agit d’en finir vite.
BARRY LYNDON.- D’une grande beauté visuelle, ce chef d’œuvre du film d’époque (mal reçu par le public à sa sortie) se développe en deux parties et un épilogue… Dans l’Irlande des années 1750, on voit d’abord « comment Redmond Barry a acquis la manière et le titre de Barry Lyndon » puis, dans l’Angleterre de 1773, on suit la « relation des malheurs et désastres qui menèrent Barry Lyndon à sa chute » tandis que l’épilogue précise : « Ce fut sous le règne du roi George III que ces personnages vécurent et se querellèrent ; bons ou mauvais, beaux ou laids, riches ou pauvres, ils sont tous égaux maintenant ».
Depuis 1969 et la préparation d’un Napoléon inachevé, Kubrick désirait tourner avec pour seul éclairage des bougies. Longtemps, la chose fut impossible. En 1975, moyennant un objectif Zeiss initialement conçu pour la NASA, le cinéaste perfectionniste obtint enfin cet éclairage qui confère à Barry Lyndon une esthétique particulière dans l’esprit des peintures de genre de l’époque…
Ce modèle de réalisme historique contient une belle scène de séduction autour d’une table de jeu éclairée par des candélabres. Face à Lady Lyndon (Marisa Berenson), Barry (Ryan O’Neal) semble littéralement hypnotisé. On entend la musique de Schubert et une voix qui dit : « Faites vos jeux. Rien ne va plus ». Pour le reste, la scène –muette- repose sur des échanges de regards. Enfin Lady Lyndon, confiant ses gains à son voisin, quitte la table. Elle attend sur un balcon. Travelling qui suit Barry avançant derrière elle. Elle se tourne, Il lui prend les mains et l’embrasse lentement sur la bouche…
TITANIC.- Même s’il est talonné par deux productions françaises (Bienvenue chez les Chtis et Intouchables), le film de James Cameron, sorti en 1997, figure toujours, avec 20,63 millions de spectateurs, au sommet du box-office français de tous les temps. Il est vrai que cette aventure –dont on connaît quand même la fin dramatique- réunit tous les ingrédients qui font la meilleure des comédies romantiques.
En avril 1912 à Southampton, Rose DeWitt, passagère de première classe et Jack Dawson, vagabond embarqué à la dernière minute en troisième classe, montent à bord du HMS Titanic, direction New York. Etouffée par son entourage, Rose a des envies de suicide. Au moment où elle s’apprête à passer à l’acte, Jack survient. Ils vont vivre une merveilleuse histoire d’amour vite troublée par la rencontre tragique avec l’iceberg puis le naufrage du paquebot.
Porté par Kate Winslet et Leonardo DiCaprio, couple hollywoodien flamboyant, Titanic contient une succession de scènes légendaires mais celle qui est assurément la plus culte s’ouvre, en plongée, sur Jack à la proue du Titanic. Il est songeur lorsque Rose apparaît derrière lui… Il l’invite à avancer vers la proue, à fermer les yeux et à grimper sur le bastingage. Tandis que Jack se tient derrière elle, Rose écarte les bras et ouvre les yeux. « Je vole… » souffle-t-elle. Cameron engage alors un vaste travelling autour de la proue du Titanic. Dans un ciel éclatant de rose, de bleu et de jaune orangé, Rose et Jack s’embrassent. Fondu-enchaîné sur le bastingage de l’épave du bateau au fond de l’océan.
JOURNAL INTIME.- Au même titre que New York, Paris, Berlin et Londres, Rome est un fameux décor de cinéma. De la via Veneto aussi chère à Fellini que la fontaine de Trevi au banc du Colisée sur lequel s’endort la princesse Audrey Hepburn de Vacances romaines en passant par le Trastevere du Voleur de bicyclette, la Ville éternelle n’a cessé d’inspirer les cinéastes. S’il est né dans le Haut-Adige, Nanni Moretti a fait sienne la capitale italienne… On le mesure aisément dans Caro Diario (1993), sorte d’essai cinématographique composé de trois épisodes dans lesquels le cinéaste joue son propre rôle dans une sorte de dialogue avec son journal intime.
Intitulé En Vespa, le premier volet est une belle déambulation, fondée sur de multiples travellings, des voix off et une bonne play-list, à travers les quartiers d’une Rome estivale et à moitié déserte… Tandis que Moretti, casqué, roule dans la ville, la photographie des beautés du paysage architectural et monumental accompagne les réflexions du cinéaste sur le cinéma hollywoodien, la critique, les salles obscures, la sociologie, l’urbanisme ou la danse. A un passant, Moretti explique qu’il fait des repérages pour un musical sur un pâtissier trotskyste dans la Rome des années 50. Tournée en équipe très réduite, cette promenade romaine entraîne Moretti du quartier de Garbatella, en passant par Spinaceto et Casal Palocco jusqu’à la plage d’Ostie où le cinéaste s’arrête devant le monument érigé à l’endroit où Pier Paolo Pasolini a été assassiné tandis qu’on entend les accents émouvants du Concert à Cologne de Keith Jarrett…
LA PRISONNIERE DU DESERT.- Grand maître du western devant l’éternel, John Ford (1894-1973) a réalisé une suite de chefs d’œuvre qui célébraient le mythe de l’Amérique. On songe à La poursuite infernale (1946), La charge héroïque (1949) ou encore L ‘homme qui tua Liberty Valance (1962). Cependant le film qui les dépasse probablement tous, c’est La prisonnière du désert avec lequel le cinéaste borgne met littéralement le western en abyme. En ce milieu des années cinquante, le genre est à son apogée et il occupe largement les écrans américains et The Searchers (1956) s’impose comme un jalon important dans la manière dont le western considère la place de l’Indien…
En 1868, dans le désert de l’Ouest américain, Ethan Edwards, revenu de la Guerre de Sécession, s’installe chez son frère… Comme des Comanches auraient volé du bétail, Ethan et son neveu Martin partent pour récupérer les bêtes. Pendant ce temps, les Indiens incendient le ranch, tue la famille et enlève la jeune Debbie. Désormais, pour Ethan, commence une interminable quête pour retrouver sa nièce…
En écho quasi-parfait à celui de l’ouverture, le film s’achève sur un plan magnifique. Dans le beau décor de Monument Valley, Ethan (John Wayne dans l’un de ses plus beaux rôles) ramène enfin Debbie aux siens. Descendu de cheval, il la porte dans ses bras jusque sur le pas de la porte. Travelling arrière avec la famille qui disparaît du cadre tandis qu’Ethan reste seul sur le seuil, les regardant pensivement. Lentement, il se tourne et repart dans la poussière. Cadre dans le cadre, la porte se referme. Noir final.
EN CAS DE MALHEUR.- Fauchée, la jeune Yvette Maudet trame un mauvais coup. Avec une amie, elle repère une bijouterie de quartier. Armées d’un pistolet factice, elles braquent le vieux bijoutier lorsque sa femme surgit. Affolée, Yvette assomme la dame… En 1958, Pierre Bost et Jean Aurenche adaptent le roman éponyme (1956) de Georges Simenon. Claude Autant-Lara est chargé de la réalisation par le producteur Raoul Lévy qui a déjà produit, en 1956, Et Dieu créa la femme qui fit de Brigitte Bardot une star planétaire. Ce n’est donc pas une surprise de retrouver BB en tête d’affiche. Face à elle, un autre monstre sacré. Jean Gabin, après son retour des USA où il séjourna pendant la guerre, était devenu une véritable « institution française », imposant la silhouette massive d’un homme mûr aux cheveux blancs. Ici, il incarne André Gobillot, grand avocat parisien auquel Yvette demande de l’aide. Séduit par sa sensualité, il obtient son acquittement (au prix d’un faux témoignage) et entame une liaison avec elle…
Une scène est restée dans les mémoires. Pour convaincre l’avocat de la défendre, Yvette l’aguiche en se dénudant. Plan d’ensemble d’un grand bureau cossu. De dos, Yvette relève sa jupe, découvre ses fesses et ses cuisses et s’assied sur l’angle d’un bureau Empire. Plan rapproché sur Gabin. Planté immobile sur ses deux jambes, Gobillot, en costume sombre, les mains dans les poches, a le mâchoire crispée et les lèvres serrées. Son regard descend furtivement… Plan d’ensemble, BB se laisse aller en arrière… A la sortie du film, quelques images des fesses de BB furent coupées par la censure.
ROCKY.- Dire que la boxe est le plus cinématographique des sports est un truisme ! Quasiment depuis les origines, 7e art et noble art ont partie liée. Le cinéma, notamment américain, n’a cessé de considérer le ring comme une métaphore du monde… C’est sans doute Rocky, véritable succès planétaire de 1977, qui incarne le mieux le film de boxe à travers le rêve américain, celui d’un boxeur de seconde zone qui va réussir à prendre l’ascenseur social. Auteur de scénario (inspiré par le combat entre Mohamed Ali et Chuck Wepner), Sylvester Stallone est Rocky Balboa, un gaucher des bas-fonds de Philadelphie. Cet inconnu va monter sur le ring pour affronter Apollo Creed, le champion en titre, avec, dit-il, pour ambition de simplement tenir la distance…
La scène finale du film de John G. Avildsen est puissante et réaliste. Creed et Balboa en sont au 15e et dernier round. Creed (Carl Weathers) est allé au tapis à l’entame du match et est contraint de prendre la mesure d’un adversaire coriace qui vacille mais ne jette jamais l’éponge. En plan d’ensemble, on voit les boxeurs, le visage tuméfié, se porter coup sur coup. Le gong final retentit. Les adversaires n’arrivent pas à se lâcher. Tandis que les juges vont donner Creed vainqueur par décision partagée, Rocky, assailli par les reporters sportifs, hurle : « Adrian ! ». Coiffée de son béret rouge, Adrian (Talia Shire) fend la foule et grimpe sur le ring. Gros plan : ils sont dans les bras l’un de l’autre et se disent « Je t’aime ». Rocky a perdu le match mais il a gagné. Le moins-que-rien n’est plus et l’amour a triomphé.
LE TROISIEME HOMME.- Ecrit directement pour le cinéma par Graham Greene, The Third Man est une œuvre emblématique de la Guerre froide. Modeste écrivain américain, Holly Martins est venu retrouver son ami Harry Lime dans la Vienne dévastée de l’après-guerre. Mais Lime a été écrasé par une voiture. Martins veut mener sa propre enquête pour démasquer les assassins de son ami. Des surprises l’attendent… Porté par la fameuse musique jouée à la cithare par Anton Karas, ce thriller valut, en 1949, une notoriété internationale au cinéaste Carol Reed même si l’on eut parfois tendance à attribuer une partie de la mise en scène à Orson Welles qui trouve l’un des mythiques personnages de sa carrière avec cet Harry Lime, trafiquant de pénicilline et sinistre crapule au visage poupin.
Par son esthétique romanesque et crépusculaire, Le troisième homme rappelle autant l’expressionnisme allemand que le film noir américain. Parmi d’autres, il est une séquence superbe avec ses cadrages en biais. Martins (Joseph Cotten) déambule de nuit dans la ville. Dans la sombre entrée d’un immeuble, il croit remarquer quelqu’un avec un chat à ses pieds. Légèrement ivre, il l’apostrophe pour qu’il se montre… Ses cris réveillent une habitante. Furieuse, elle apparaît à sa fenêtre et éclaire, de la sorte, le visage… d’Harry Lime. Rapide travelling avant. Martins est abasourdi. La fenêtre s’est refermée. Le noir est revenu. Martins s’apprête à traverser la rue. Une voiture passant à vive allure, manque de le renverser. Lorsqu’il atteint le porche, plus personne. Harry Lime est insaisissable…
L’AFFAIRE THOMAS CROWN.- Séduisant banquier divorcé, Thomas Crown estime que sa luxueuse existence ne lui procure plus de satisfaction. Pour goûter à nouveau des frissons, il prépare minutieusement l’audacieux casse de sa propre banque… Alors qu’il va cacher son butin en Suisse, Crown constate que la compagnie d’assurance de la banque lui a dépêché une ravissante mais redoutable enquêtrice. Entre la belle Vicky Anderson et un Thomas Crown sûr de lui, un jeu pervers commence… En 1968, Norman Jewison orchestre un polar chic dans lequel il oppose Steve McQueen et Faye Dunaway révélée par Bonnie and Clyde. Michel Legrand signe sa première composition pour Hollywood et gagne d’emblée l’Oscar de la meilleure bande originale pour la chanson The Windmills of Your Mind.
Si la scène du baiser, avec ses 55 secondes, est l’une des plus longues de l’histoire du cinéma, une autre séquence de The Thomas Crown Affair brille par son érotisme. Dans un salon feutré, Vicky Anderson et Thomas Crown jouent aux échecs. Hormis deux plans larges sur le salon et deux plongées sur l’échiquier, Jewison privilégie les gros plans, voire les très gros plans, tour à tour sur le mouvement des pièces ou sur les regards des deux joueurs. Et puis la partie prend un tour différent lorsque Vicky commence à jouer avec son décolleté, passe un doigt sur ses lèvres ou se caresse le bras. Face à elle, Crown tente de se concentrer. En vain. Sous le table, les jambes se frôlent. Autour de l’échiquier, les mains s’effleurent. La musique habille entièrement la séquence. Pas un mot n’est prononcé. Sinon le « Check » final qui marque la défaite de Thomas Crown.
TANT QU’IL Y AURA DES HOMMES.- Le baiser au grand écran est-il incontournable ? Sans doute. Le cinéma est, par essence, un art voyeur ! En 1953, Fred Zinnemman met en scène les aventures de trois militaires sur la base de Schofield à Hawaii : les 2e classe Prewitt (Monty Clift) et Maggio (Frank Sinatra) et l’adjudant Warden (Burt Lancaster) à l’heure de l’attaque japonaise sur Pearl Harbour. En 1954, From Here to Eternity remportera huit Oscars dont ceux de meilleur film et de meilleur réalisateur, Sinatra et Donna Reed étant récompensés comme meilleurs seconds rôles.
Tant qu’il y aura des hommes est réputé pour sa scène du baiser sur la plage, symbole de la passion. Bref plan large sur le Pacifique et les vagues. Panoramique sur une vague qui avance rapidement sur le sable pour passer sur Warden et Karen, l’épouse du capitaine Holmes, chef de la base. Les deux sont allongés, enlacés et s’embrassent… En maillot noir, Karen (la magnifique Deborah Kerr) se lève et part s’allonger sur sa serviette. Warden la suit, s’arrête, debout, au-dessus d’elle. Il tombe à genoux et l’embrasse. Plan sur la main de Karen avec son alliance au doigt. « Personne ne m’a jamais embrassé comme ça ! » Mais, entre les deux, le ton se durcit. Warden évoque les nombreux amants de Karen. Celle-ci tente de le gifler puis tombe devant lui. « Tu ne me fais grâce de rien ». En gros plan, ses cheveux blonds courts mouillés, Karen raconte sa vie d’épouse bafouée et le drame de la perte d’un enfant. « Si tu étais venu plus tôt, conclut-elle, bien des choses ne se seraient pas passées… »
DILLINGER EST MORT.- Quand on évoque le nom de Marco Ferreri, on songe à La grande bouffe, imposant scandale au Festival Cannes 1973 où, derrière le fameux suicide gastronomique, le cinéaste italien disait son dégoût de la société de consommation et son angoisse devant l’évolution de la société tout court. Ferreri (1928-1997) a toujours été un observateur lucide et attentif de l’aliénation de l’homme moderne. En 1969, il signe Dillinger est mort, une fable noire et certainement l’une des plus impressionnantes représentations de la fascination pour le vide. Concepteur de masques à gaz, l’ingénieur Glauco (Michel Piccoli, pour la première fois chez Ferreri) rentre chez lui après une journée de travail. Sa femme (Anita Pallenberg) est couchée avec une grosse migraine. Affamé, il se prépare un dîner. Dans un tiroir, il découvre un revolver enveloppé dans un journal qui relate la mort du gangster américain John Dillinger. Il remet l’arme en état, la peint en rouge et la décore de pois blancs. Il regarde Fausto Coppi à la télé, fait le pitre devant des films de vacances et s’amuse à des jeux érotiques avec Ginette, sa bonne (Annie Girardot)…
Après avoir longuement joué avec son arme, Glauco entre dans la chambre conjugale. Sa femme dort profondément. Il fait mine de se tirer dans la tempe puis met en joue deux tableaux à la tête du lit. Torse nu, une serviette autour de la taille, il monte alors le son d’un transistor, pose deux coussins sur la tête de sa femme et tire à trois reprises. Ferreri vient de mettre en scène le meurtre le plus absurde et le plus gratuit qui soit. Malaise garanti.
A L’OMBRE DE LA HAINE.- Quand deux solitudes se rencontrent en pleine dérive… Hank Grotowski est gardien dans le couloir de la mort d’une prison américaine. Leticia Musgrove est l’épouse de Lawrence qui va être exécuté dans les prochaines heures. Hank a perdu son fils qui s’est suicidé, trop fragile pour son travail à la prison. Leticia a perdu, elle, son fils Tyrell, gamin obèse, renversé un soir par une voiture…
En 2001, le réalisateur germano-suisse Marc Forster met en scène Monster’s Ball qui vaudra à Halle Berry d’obtenir un Oscar à Hollywood. Egalement récompensée à la Berlinale, Halle Berry est toujours à ce jour, la seule actrice afro-américaine à avoir obtenu la fameuse statuette de la meilleure actrice.
En compagnie de Billy Bob Thornton, Halle Berry a défrayé la chronique en tournant l’une des scènes de sexe les plus « hot » du cinéma. Par hasard, Hank était passé sur les lieux de l’accident de Tyrell. Il avait secouru la mère et son fils. Et les deux s’étaient peu à peu rapprochés. Hank qui a ramené Leticia de son travail, est invité à entrer chez elle. Assis sur un canapé, ils boivent plus que de raison tandis qu’elle rit nerveusement. Hank : « Je ne comprends pas ce que vous attendez de moi… » En dégageant un sein de son tee-shirt, Leticia supplie : « Aidez-moi à me sentir bien ». En quatre minutes, Forster va filmer, en alternant gros plans et plans larges « à la dérobé » sur les corps nus, une rencontre charnelle torride et pathétique dans un abandon complet au désir. « J’avais tellement besoin de toi » dit Leticia et Hank : « Je n’avais pas ressenti cela depuis longtemps… »
LE CORBEAU.- Réalisé durant l’Occupation sous l’égide de la Continental, la société de production allemande dirigée par le francophile Alfred Greven, Le corbeau (1943) est devenu un film emblématique d’une époque très sombre. Le film, lui-même, est très noir. Inspiré d’un fait-divers qui s’était déroulé à Tulle à la fin des années 20, Le Corbeau raconte l’aventure de Rémy Germain, médecin dans une petite ville de province. Il est la victime d’un corbeau, qui, dans une série de lettres anonymes envoyés aux habitants, accuse Germain d’adultère et de pratiquer des avortements clandestins… Quand un malade, atteint d’un cancer, reçoit une lettre et se suicide, le climat de tension dégénère et la foule se cherche un coupable. Pour les détracteurs du réalisateur Henri-Georges Clouzot, le film est un acte de collaboration qui donne des Français une image déplorable. A la Libération, Clouzot est banni à vie du métier de cinéaste et le film interdit. Les deux interdictions seront levées en 1947.
Dans une scène brillante, Germain (Pierre Fresnay) discute avec son confrère Vorzet (Pierre Larquey). Celui-ci s’étonne : « Vous êtes formidable ! Vous croyez que les gens sont tout bons ou tout mauvais ! Que le bien, c’est la lumière et que l’ombre, c’est le mal. » Le psychiatre fait alors se balancer l’ampoule d’une lampe de gauche à droite, faisant ainsi bouger la lumière. Il observe : « Mais où est l’ombre ? Où est la lumière ? » Germain grince : « Quelle littérature ! Y’a qu’à arrêter la lampe… » Il le fait et se brûle les doigts. « Vous vous êtes brûlé… » sourit Vorzet en ajoutant : « L’expérience est concluante. »
PRETTY WOMAN.- En 1990, l’Américain Garry Marshall signe le plus gros succès de sa carrière (plus de 4 millions de spectateurs en France) avec l’histoire d’Edward Lewis, richissime (et antipathique) homme d’affaires, spécialiste du démembrement d’entreprises en difficulté… De passage à Los Angeles, il quitte une soirée chic, emprunte la voiture de son avocat pour rentrer à son hôtel et se perd dans la ville. Sur Hollywood Boulevard, il demande son chemin à des prostituées. Il propose à l’une d’elles, Vivian Ward, de prendre le volant de la Lotus. Arrivés à l’hôtel, Lewis engage « Viv », le temps qu’il doit rester en ville, pour jouer le rôle de sa petite amie. On s’en doute, Lewis va se transformer en prince charmant et Vivian en Cendrillon.
Cette comédie romantique culte compte nombre de bonnes scènes mais la plus fameuse est sans doute celle du collier… Dans sa suite du Regent Beverly Wilshire, Edward Lewis (Richard Gere) observe « Viv » qui apparaît dans un superbe fourreau rouge très décolleté et note : « Il manque quelque chose ? » Ce quelque chose est dans un écrin à bijoux qu’il ouvre devant Vivian. La jeune femme (Julia Roberts dans le rôle qui va la faire star) regarde le magnifique collier de rubis et avance la main vers lui… lorsque Lewis claque rapidement le couvercle de l’écrin sur ses doigts. Vivian Ward retire vivement sa main et éclate de rire. On a appris par la suite que la scène a été improvisée. Le rire éclatant et spontané de Julia Roberts a convaincu le réalisateur de conserver au montage la plaisanterie imaginée par Richard Gere.
BELLE DE JOUR.- Au milieu des années soixante, Luis Bunuel vient successivement d’adapter Octave Mirbeau (Le journal d’une femme de chambre, 1964) et Garcia Lorca (Simon du désert, 1965) et il n’est pas spécialement emballé par la proposition des frères Hakim de réaliser Belle de jour d’après un livre de Joseph Kessel paru en 1928… De plus, le cinéaste n’est pas convaincu par l’actrice choisie pour être Séverine… Catherine Deneuve a 24 ans, est presque encore une débutante (malgré ses rôles dans Les parapluies de Cherbourg et La vie de château) mais elle va brillamment s’imposer en bourgeoise sexuellement frustrée, se prostituant l’après-midi dans une maison close parisienne où elle décline toutes les perversions et prend son plaisir dans la soumission. Juste avant la grande vague du X qui va secouer la France du début des seventies, Belle de jour (1967) va impressionner par son érotisme chaste mais fortement suggestif.
Le film s’ouvre sur un couple faisant une promenade romantique dans les bois à bord d’une calèche. Alors que Séverine et son mari Pierre (Jean Sorel) se disent leur amour, le fiacre s’arrête et Pierre donne l’ordre aux deux cochers de sortir manu militari sa femme du véhicule. Malgré sa résistance, elle est bâillonnée, traînée à terre puis, les mains attachées, accrochée à un arbre. « N’ayez pas peur de la secouer, cette petite salope » lâche Pierre qui lui arrache ses vêtements (créés par Yves Saint Laurent). Les deux cochers cravachent le dos nu de Séverine. « Elle est à vous » ajoute Pierre. L’un des valets de pied tombe la veste, s’approche et embrasse la nuque de Séverine dont le visage reflète le plaisir…
BARFLY.- Du Poison (1945) de Wilder à Un singe en hiver (1962) de Verneuil, le cinéma a souvent traité de l’alcoolisme avec des ivrognes tour à tour comiques ou tragiques. Le thème a aussi permis d’évoquer l’impuissance créatrice de l’artiste, la déchéance physique, morale, l’autodestruction, la mort ou la rédemption par l’amour… Parmi les personnages d’alcooliques flamboyants, figure le romancier américain Charles Bukowski (1920-1994) auquel le grand écran a consacré plusieurs films dont Conte de la folie ordinaire (1981) de Marco Ferreri ou Barfly (1987) dans lequel l’écrivain est incarné par Mickey Rourke dans l’une de ses meilleures prestations. Barbet Schroeder y raconte l’histoire d’un auteur, Henry Chinaski (le nom choisi par Bukowski pour son alter ego dans ses nombreux romans autobiographiques) qui hante surtout les bars dans les faubourgs miteux de Los Angeles. C’est là qu’il croise Wanda Wilcox, une femme solitaire en instance de divorce qui, elle aussi, s’adonne à l’alcool.
Dans Barfly (où, pour la première fois, Bukowski écrivait pour le cinéma), le cinéaste a tourné en décors naturels, notamment dans différents rades de La cité des anges. 40e minute : Chinaski et Wanda (Faye Dunaway) sont accoudés au bar où un vieux poivrot tente d’avaler un verre d’alcool. Mais sa main tremble tellement qu’il en renverse le contenu. L’homme prend alors une écharpe, l’entoure autour du poignet de la main qui tient le verre, la passe derrière la tête et de l’autre main, tire lentement pour amener le verre à ses lèvres… C’est à peine si Chinaski et Wanda prêtent attention à lui…
PIERROT LE FOU.- Ferdinand Griffon est au bout du rouleau. Un soir, après une désolante soirée chez ses beaux-parents, il décide de tout plaquer et part avec la belle Marianne dans le sud de la France. En 1965, Jean-Luc Godard réalise Pierrot le fou, road-movie poétique et coloré où l’on rencontre la Seine de nuit et la Méditerranée de jour, un perroquet, les Pieds nickelés, Samuel Fuller, Picasso, Van Gogh, Rimbaud et surtout Jean-Paul Belmondo et Anna Karina dont le « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire… » est devenu culte.
A la Mostra de Venise où le film est en compétition, Louis Chauvet, critique du Figaro, n’est pas tendre avec Godard dont le film serait « imprégné d’un surréalisme de pacotille ». Chauvet ne retient que la prestation de Raymond Devos. Une séquence unique et courte (moins de 4 mn), en plan moyen, au bord de la mer. Jean-Paul Belmondo s’approche d’un homme qui chante. « Cet air-là, c’est toute ma vie ! » Mais Bebel n’entend rien. L’homme lui raconte trois rencontres autour d’une chanson qui dit « Est-ce que vous m’aimez ? ». La première avec une femme magnifique dont il caresse la main au-dessus, la seconde avec une femme moins belle dont il caresse la main en-dessous « pour changer un peu » et la troisième dont il caresse la main « dans les deux sens. Pour en finir ». Et l’homme chante encore. Bebel n’entend toujours rien : « Dites tout de suite que je suis fou ! » Pierrot : « Vous êtes fou ». L’homme : « Et bien, je préfère ». Du pur, du grand Devos ! Là-dessus, Chauvet avait raison.
LE SILENCE DES AGNEAUX.- Hannibal Lecter est une quintessence dans le domaine du Mal. Rien d’étonnant alors qu’il fascine Clarice Starling, jeune analyste du FBI, qui n’a pas encore fini ses études à l’école de police… Adaptant un roman de Thomas Harris, le cinéaste Jonathan Demme raconte, dans le cadre d’une enquête sur un tueur en série, la rencontre entre Clarice (Jodie Foster) et le docteur Lecter, éminent psychiatre incarcéré dans un hôpital psychiatrique pour des faits de cannibalisme. Sorti en 1991, The Silence of the Lambs (1991) a obtenu, en 1992, les cinq Oscars majeurs (meilleurs film, réalisateur, scénario adapté, acteur et actrice), parfaite récompense pour une réussite exemplaire du film de terreur.
L’admirable comédien britannique Anthony Hopkins est à la fois suave et inquiétant, imprévisible et déroutant, intelligent et machiavélique en Hannibal Lecter. La scène où il « reçoit » Clarice Starling, venue lui soutirer des informations, est un superbe moment de cinéma. Pour déstabiliser son interlocutrice, Lecter, qui se déplace souplement dans sa cage de verre, l’agresse verbalement, la traitant de « fille de ferme endimanchée ». Alors que l’agent du FBI lui suggère d’appliquer sa faculté d’analyse à lui-même, Lecter confie : « J’ai été interrogé par un agent du recensement. J’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent chianti ». Filmé en plan fixe et en gros plan, appuyé à la vitre de sa cellule, le sourire carnassier et le regard dément, le cannibale achève sa phrase par un petit bruit de bouche sifflant, gourmand et terrifiant!
JOUE-LA COMME BECKHAM.- Le football est rarement bien servi par le cinéma. A l’exception notable de Looking for Eric (2009) de Ken Loach. C’est également d’Angleterre que vient Joue-la comme Beckham, un feelgood movie réalisé en 2002 par Gurunder Chadha qui raconte les aventures de Jessminder –Jess- Bhamra, une adolescente d’origine indienne demeurant avec sa famille à Londres. Contrairement à ses amies qui n’attendent que le mariage, Jess est folle de foot et idolâtre David Beckham, la star de Manchester United. Remarquée par Juliet Jules (Keira Knightley dans l’un de ses tout premiers rôles), une jeune fille de son âge, issue d’un milieu très différent, Jess est invitée à rejoindre son équipe de foot féminin. Jess va alors mentir à ses parents, très à cheval sur les principes d’éducation de leur milieu, pour jouer.
La scène d’ouverture du film se déroule à Old Trafford où MU affronte Anderlecht en coupe UEFA. Dans les rangs des Rouges jouent Scholes, Giggs, Silvestre et Beckham qui, au terme d’une chevauchée, délivre un centre parfait dans la surface belge. Grâce à un habile trucage, Bhamra s’élève et marque de la tête. Elle fête son but dans un stade en liesse et est félicitée par Beckham. Retour sur le plateau d’une émission de télé où Gary Linecker et ses invités commentent sa performance. Linecker demande à la mère, invitée de l’émission, si elle est fière de sa Jess : « Pas du tout ! » Coloré et savoureux, Bend It like Bechkam allie la culture du foot à l’anglaise à la culture indienne. C’est une petite bulle de fraîcheur qui illustre la lutte de Jess pour aller au bout de ses rêves.
LE DIABLE AU CORPS.- Récit d’une liaison entre un garçon de 15 ans et une femme dont le mari se bat sur le front durant la Première Guerre mondiale, Le diable au corps de Raymond Radiguet paraît en 1923 et provoque une levée des boucliers des anciens combattants. La mort prématurée, à 20 ans, de son auteur contribua à l’élaboration d’un mythe autour du livre… Plusieurs fois adapté à l’écran, on se souvient de la version sulfureuse de 1947 avec Gérard Philipe et Micheline Presle. Plus près de nous, l’Italien Marco Bellochio, avec Il diavolo in corpo, inscrit son récit dans l’Italie troublée des années de plomb. Pendant la tentative de suicide d’une femme, Andrea remarque Giulia, qui regarde la scène assise à une terrasse de café. Immédiatement amoureux de Giulia, il la suit jusqu’au tribunal où elle vient assister au procès de son fiancé Giacomo, un membre repenti des Brigades Rouges.
A la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 1986, le film fait scandale. En cause une séquence de fellation réalisée par Maruschka Detmers, la première pour un film non pornographique « grand public ». Dans l’appartement où elle doit s’installer avec son fiancée à sa sortie de prison, la belle Giulia et Andrea (Federico Pitzalis) se poursuivent. Andrea finit sur le lit, rejoint par Giulia. Tandis qu’il disserte sur un voyage de Lénine en Suisse et sur le rôle de l’horlogerie helvétique, elle ouvre sa baguette en riant de manière hystérique… Les 45 secondes de la scène ont alimenté la polémique classique entre provocation gratuite et respect de la liberté artistique…
CHANTONS SOUS LA PLUIE.- Classé première plus grande comédie musicale du cinéma par l’American Film Institute, Singin’ in the Rain fut confié, en 1951, par le producteur Arthur Freed au duo Stanley Donen – Gene Kelly qui venaient de réussir Un jour à New York (1949). Mais Chantons sous la pluie n’eut qu’un succès modeste et n’acquit son statut de monument du musical que plus tard. Située après la sortie du fameux Chanteur de jazz (1927), premier film parlant de l’histoire du 7e art, cette joyeuse évocation des coulisses des studios hollywoodiens met en scène le parcours de trois artistes (Gene Kelly, Debbie Reynolds et Donald O’Connor) aux prises avec les problèmes de la transition du muet au parlant.
De nombreux beaux moments marquent le film. Mais le plus fameux est celui où, sur la chanson du titre écrite par Arthur Freed, Don chante et danse dans la rue sous une pluie battante. Il vient de ramener chez elle son amie Kathy et, amoureux, il s’en va dans la rue, jouant avec son parapluie, passant sous une grosse gouttière avant d’allègrement faire des claquettes dans les flaques. Un policier de passage interrompt le manège de Don qui s’éloigne en offrant son parapluie à un passant.
Globalement tourné en plan moyen avec quelques mouvements de grue, ce plan-séquence (4’35) découpé en huit parties inquiéta les actionnaires de la MGM à cause de son coût puisqu’il fallut construire un système de tuyauterie dans le studio pour le transformer en douche géante. Et dire que, selon la légende d’Hollywood, Gene Kelly avait de la fièvre quand il tourna cette séquence !
LE CORNIAUD.- Quand les temps sont moroses, rien de mieux qu’une comédie à la télé ! Dans ce domaine, Le corniaud tient le haut du pavé. Après, ne l’oublions pas, une brillante carrière dans les salles obscures. En 1965, le film réunit douze millions de spectateurs et Gérard Oury signe son plus gros succès public. Avant de récidiver l’année suivante avec les 17 millions de tickets vendus pour La grande vadrouille. Après avoir parcouru quelques dizaines de mètres sur la route des vacances, la 2 CV d’Antoine Maréchal (Bourvil) est fracassée par la Rolls de Léopold Saroyan, directeur d’une société d’import-export. D’abord de mauvaise foi, Saroyan (Louis de Funès) offre à Maréchal de poursuivre son voyage, tous frais payés, au volant d’une superbe Cadillac décapotable. Il devra conduire l’américaine de Naples à Bordeaux où elle doit partir pour les USA. Commence une aventure où l’on constatera que Maréchal n’est pas le corniaud que l’on croit.
La fameuse scène de la collision entre la 2 CV et la Rolls, place Ste Geneviève à Paris, est située tout au début du film… même si elle fut la dernière à être tournée. Fin spécialiste des effets spéciaux, Pierre Durin avait découpé la Deuche en pas moins de 250 morceaux avant de la reconstituer en fixant les morceaux avec des crochets. Au moment opportun, 250 boulons électriques ont permis à la voiture d’exploser complètement. Au volant lors de l’unique prise, Bourvil improvise la réplique : « Bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien ! » Surpris, De Funès est obligé de se tourner pour qu’on ne remarque pas son rire.
SCARFACE.- Libre adaptation du thriller (1932) de Howard Hawks, Scarface (1983) va devenir un film culte et l’un des plus « excessifs » de Brian de Palma, qui revendique le terme pour ce qu’il qualifie de « métaphore de la folie » autour du thème de l’avidité. Tueur cubain mégalomane, Tony Montana profite de l’ouverture des frontières par Fidel Castro en mai 1980, pour débarquer, plein d’ambition, en Floride. D’abord au service d’un caïd de la drogue, Tony va se faire sa place en tuant le caïd et en épousant sa femme. Parvenu au sommet, il devient totalement paranoïaque et succombe à la drogue.
Sur un scénario d’Oliver Stone, De Palma travaille pour la première fois avec Al Pacino. Ensemble, ils signent un vrai moment de la pop culture qui connaîtra un imposant succès mais provoquera des polémiques à cause da sa violence. Filmée sur un rythme effréné, la scène la plus fameuse du film a d’ailleurs été censuré par De Palma pour éviter le classement X pour violence.
Dans la salle de bains d’un petit motel de Miami, Tony Montana est en mauvaise posture. Une arme enfoncée dans la joue, une chaîne autour du cou, le regard halluciné, il est aux mains de dealers colombiens. Avec une tronçonneuse, ceux-ci massacrent un complice de Montana. Le sang gicle sur les rideaux de douche (clin d’œil à Sir Alfred par un fan absolu). Dans la chambre, la télé diffuse Tremblement de terre de Mark Robson dont le bruit couvre celui de la tronçonneuse. Libéré par ses hommes au prix d’un autre bain de sang, Montana poursuit le trafiquant blessé dans la rue et l’abat d’une balle en pleine tête…
LE JOUR SE LEVE.- Dans un immeuble de Boulogne-Billancourt, dans la banlieue parisienne, après une discussion orageuse entre deux hommes, un coup de feu éclate… François, ouvrier sableur dans une usine, vient de tuer Valentin, artiste de cabaret et séducteur cynique. Au comble du désespoir, François se réfugie dans sa chambre sous les toits. Il refuse de se rendre. La police assiège les lieux alors que François s’est barricadé. Pendant la nuit, François (Jean Gabin) se souvient des événements qui l’ont conduit au drame…
Œuvre majeure du patrimoine français, Le jour se lève est à la fois, un fleuron du réalisme poétique et l’apogée du film de studio où tout est reconstitué pour obtenir les effets et l’émotion recherchés. Pour son dernier film d’avant guerre (1939), Marcel Carné retrouve Jacques Prévert au scénario et Jean Gabin en vedette après Quai des Brumes (1938). Du point de vue stylistique, le cinéaste innove pour ce drame de la fatalité avec une série de grands flash-backs.
Construit par le grand Alexandre Trauner, le décor de la chambre comporte les quatre murs (et non trois comme il était de coutume) pour autoriser des plans circulaires et souligner l’enfermement. Alors que l’aube pointe, François tourne dans la chambre. Il se voit dans un miroir qu’il fracasse avec une chaise. Il va à sa fenêtre. La foule est massée devant l’immeuble. « Qu’est-ce que vous guettez, tous ? » lance-t-il. En colère, les poings fermés, il crie : « Foutez le camp. Laissez-moi seul. Foutez-moi la paix. Je suis fatigué. Y’a plus de François ! » Le drame est joué. La fin est désormais proche.
LE CUIRASSE POTEMKINE.- « Tragédie en cinq actes » selon les propres termes de Serge Eisenstein, le second film du réalisateur russe (1898-1948) est à l’origine une commande destinée à commémorer le 20e anniversaire de la révolution en relatant un grand nombre d’événements de l’année 1905. S’il s’agit donc d’une œuvre didactique, le cinéaste a gardé une grande liberté de création artistique. Comme Eisenstein eut quatre mois pour tourner et monter son film, il décida de réduire son scénario de départ, une copieuse « monographie d’une époque », en centrant l’action sur un seul épisode : la mutinerie des matelots d’un navire de guerre en mer Noire, près du port d’Odessa, le 27 juin 1905.
Figurant dans différents classements comme « le meilleur film de tous les temps », Le cuirassé Potemkine, drame historique muet, sorti en 1925 est célèbre pour la séquence (six minutes) du massacre de civils sur les marches de l’escalier monumental d’Odessa. Eisenstein alterne les plans larges de la foule dévalant l’escalier et des soldats en rang tirant sur eux. Il y introduit des gros plans de victimes et notamment celui d’une jeune femme au foulard noir, blessée au ventre, qui, dans sa chute, lâche le landau de son bébé sur les marches. Un travelling avant en plongée, révolutionnaire pour l’époque. Longtemps interdit dans de nombreux pays occidentaux pour cause de « propagande bolchevique », Potemkine est entré dans la légende du 7e art. Le landau dévalant l’escalier appartient à la culture populaire. Brian de Palma lui rendit, par exemple, un bel hommage dans Les incorruptibles (1987).
VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER.- « Je ne m’intéresse pas à la politique. Le film ne parle pas de l’Amérique ou du Viêt Nam. C’est l’histoire d’un groupe d’un amis, d’une famille et de la façon dont ils survivent à une tragédie… » Michael Cimino (1939-2016) parle ainsi de The Deer Hunter, le premier de ses chefs d’œuvre avant La porte du paradis (1980) et L’année du dragon (1985).
Premier film américain traitant de la guerre du Viêt Nam, de son traumatisme et des impacts psychologiques qu’elle a engendrés, Voyage au bout de l’enfer (1977) raconte l’amitié de Mike, Nick et Steven, trois ouvriers américains d’origine lituanienne qui, en 1968, quittent Clairton, petite ville sidérurgique de Pennsylvanie pour aller combattre au Viêt Nam.
Imposant succès critique et commercial, Voyage…, drame-fleuve de plus de trois heures, a également obtenu cinq Oscars dont celui de meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur dans un second rôle pour Christopher Walken. Le film a fait polémique à cause de la scène de roulette russe, critiquée car aucun cas n’aurait été attesté durant cette guerre. Dans une cabane, les geôliers vietcong, en pariant sur eux, forcent leurs prisonniers à s’affronter à la roulette russe, un revolver avec une balle dans le barillet sur la tempe. Dans une succession de champs/contre champs sur Robert de Niro (Mike) et Christopher Walken (Nick), Cimino capte une tension extrême qui se lit notamment dans les yeux des deux acteurs. D’autant que les gifles distribuées par les geôliers n’étaient pas feintes et augmentaient encore le stress sur le tournage…
JEANNE DIELMAN 23, QUAI DU COMMERCE 1080 BRUXELLES.- Installée dans un quotidien à horaire fixe, la Bruxelloise Jeanne Dielman, mère d’un garçon de 16 ans, veuve et encore jeune, se prostitue, sur rendez-vous, chez elle. Jeanne Dielman s’est enfermée dans une vie sans plaisir jusqu’au jour où il s’impose. « Je me retournais dans mon lit, inquiète. Et brusquement, en une seule minute, j’ai tout vu Jeanne Dielman… » En 1989, Chantal Ackerman (1950-2015) évoque ainsi ce film qui fera d’elle une cinéaste reconnue. Cette évocation méticuleuse d’une femme enfermée dans un rituel a été considérée comme le « premier chef-d’œuvre au féminin de l’Histoire du cinéma ». Coup de génie, la cinéaste belge engage Delphine Seyrig, grande dame du 7e art, qu’on n’avait pas l’habitude de voir faire son lit ou sa vaisselle. Si l’on sait que la relation de Chantal Ackerman au judaïsme traverse toute sa filmographie, on mesure mieux la part du rituel dans cette tragédie antique (1975). Un rituel qui apporte une sorte de paix. Car à chaque minute, elle sait ce qu’elle va faire dans la minute d’après. Jusqu’à cette heure « libre » qui va bouleverser son existence.
Audacieux sur le plan formel, Jeanne Dielman travaille, au long de ses 201 minutes, l’illusion du temps réel. La dernière séquence est un long plan fixe, en demi-ensemble, sur Jeanne assise à la table de son salon. Sur les vitres du buffet derrière elle, on voit le mouvement bleuté des girophares de la police. Sans un mot prononcé, les yeux parfois clos, la tête penchée, Jeanne Dielman esquisse un léger sourire. De multiples émotions semblent la traverser. Restent les traces de sang sur sa chemise blanche et sa main. Cut.
INGLOURIOUS BASTERDS.- En 1941, dans une ferme tenue par Perrier Lapadite près de Nancy, le colonel SS Hans Landa débarque avec ses hommes. Surnommé « le chasseur de Juifs », Landa évoque, avec le fermier, la rumeur affirmant qu’une famille de Juifs serait cachée dans la région… Film de guerre uchronique présenté à Cannes 2009, Inglourious Basterds est, pour Quentin Tarantino, « une fable sur le thème du cinéma qui a le pouvoir de modifier le cours de l’Histoire ». Le titre, avec ses deux fautes d’orthographe volontaires, est un hommage tout à la fois à l’italien Inglorious Bastards (1978) et à l’américain Douze salopards (1967).
La scène d’ouverture permet à Tarantino de mêler, avec un art consommé, humour, tension, violence et angoisse. Il offre aussi au comédien autrichien Christoph Waltz l’occasion d’une étonnante performance en SS cultivé, polyglotte et suave. Alternant plans d’ensemble extérieurs et gros plans en intérieur, Tarantino filme Landa s’entretenant à bâtons rompus avec Lapadite, saluant la beauté de ses filles et réclamant un verre de lait qu’il avale d’un trait avant de faire entrer ses hommes qui arrosent le sol de la ferme avec leurs mitraillettes. A travers le plancher troué, on aperçoit une jeune fille (Mélanie Laurent) qui court. Cadrée dans l’embrasure de la porte, elle fuit dans un paysage verdoyant. Contre-champ sur Landa qui sort son arme. Lentement, il vise mais renonce à tirer. Avec un sourire gourmand, il crie : « Au revoir Shochanna ! »
Réfugiée à Paris sous une nouvelle identité, Shochanna Dreyfus finira par lui rendre la monnaie de sa pièce…
DRIVE.- Choisi pour être le chauffeur de Drive, Ryan Gosling se voit confier, par les producteurs, le choix du réalisateur. Il conseille Nicolas Winding Refn dont il est fan. Le cinéaste rencontre Gosling au cours d’un repas pour parler de Drive, mais Refn est grippé et son absence de conversation provoque un réel malaise. Gosling raccompagne NWR chez lui en voiture. Pendant le trajet, l’acteur allume la radio pour pallier le silence ambiant. Celle-ci passe Can’t Fight This Feeling de REO Speedwagon, Refn se met à pleurer et dit : « On va faire un film sur un type qui conduit dans Los Angeles en écoutant de la musique pop parce que c’est sa soupape émotionnelle ! »
Prix de la mise en scène à Cannes 2011, Drive lance la carrière du cinéaste danois qui a structuré son thriller à la manière d’un conte des frères Grimm, avec un début dépouillé et pur qui bascule vers du noir au ton psychotique.
Cascadeur de cinéma le jour, il est chauffeur la nuit pour des truands. On le retrouve au volant d’une Chevrolet Impala, attendant que ses employeurs aient achevé le braquage d’un entrepôt. Il file ensuite à travers à Los Angeles. Mais, à l’inverse des poursuites classiques, le chauffeur (régulièrement filmé en gros plan, une allumette dans la bouche) est d’une prudence de sioux, respectant les feux, se cachant sous un pont pour échapper au phare d’un hélicoptère… Dans une mise en scène stylisée, avec de nombreuses plongées sur la ville la nuit, Refn installe d’emblée une atmosphère hypnotique. Qui sera contredite ensuite par une violente descente aux enfers…
LA SOIF DU MAL.- Lorsqu’il tourne, en 1957, ce sommet du baroque wellesien qu’est Touch of Evil, Orson Welles ne sait pas encore que c’est là son ultime opus hollywoodien. On ignore si le cinéaste a été imposé aux studios Universal (qui craignait que le film soit un gouffre financier) par Charlton Heston qui incarne le policier mexicain Mike Vargas ou par le producteur Albert Zugsmith… Toujours est-il que Welles, lors du premier jour de tournage, met en boîte l’équivalent de quatre jours de tournage et se met Universal dans la poche. Moins surveillé par les financiers du studio, Welles peut déplacer son équipe en extérieurs. C’est à Venice (Californie) qu’il met notamment en scène la formidable séquence qui ouvre ce thriller sur un monde en déconfiture.
Une bombe a explosé dans le secteur américain de Los Robles, ville-frontière imaginaire. En voyage de noces avec sa jeune épouse Susan (Janet Leigh), le policier mexicain Mike Vargas se lance dans l’enquête et découvre les méthodes peu recommandables de son homologue, Hank Quinlan (Welles épatant). Bientôt Vargas et Susan sont pris au piège entre une police locale corrompue et les gangs de la région… D’entrée, Welles décide de régaler le spectateur par une prouesse technique. La soif… démarre par un long plan-séquence (3 mn 20 s.) avec des mouvements de grue aussi complexes que virtuoses. On y suit une double progression dans la nuit de la cité mexicaine. D’une part, avec le trajet d’une voiture piégée vers un poste-frontière, de l’autre, avec la déambulation à pied du couple Vargas. Un plan-séquence culte !
PAS DE PRINTEMPS POUR MARNIE.- En 1960, après Psychose, Alfred Hitchcock s’intéresse à Marnie, un roman de Winston Graham et songe à confier le rôle de cette kleptomane frigide à Grace Kelly, la princesse de Monaco ayant manifesté son désir de revenir sur les plateaux. Mais Grace Kelly devra faire machine arrière. Hitch tourne alors Les oiseaux, y dirige Tippi Hedren et remet Marnie sur l’ouvrage…
A propos de Marnie, François Truffaut évoque un « grand film malade », parlant de « chef d’œuvre avorté, d’entreprise ambitieuse souffrant d’erreurs de parcours ». Il semble surtout que Sir Alfred se soit désintéressé du projet en cours de tournage, dès le moment où les relations ont été rompues avec Tippi Hedren à laquelle le cinéaste avait fait des avances sexuelles inadmissibles.
Marnie (1964) contient pourtant des séquences exemplaires de la notion de suspense selon Hitchcock. Ainsi, la scène (43e) où Marnie cambriole le coffre de la société Rutland. Dans le même plan d’ensemble, Hitch réunit à droite Marnie s’affairant sur le coffre, à gauche, une femme de ménage qui arrive, tirant son seau et son balai. Pour pouvoir filer sans se faire remarquer, Marnie retire ses chaussures et les glisse dans les poches de son manteau. Gros plan sur un escarpin qui glisse doucement et tombe au sol avec un bruit retentissant. On s’attend à une réaction de la femme de ménage mais elle ne bronche pas. Marnie s’enfuit juste avant l’arrivée du veilleur de nuit qui s’approche de la femme de ménage et lui crie dans les oreilles. Elle est sourde et n’a rien entendu…
LES DIABOLIQUES.- En ce temps-là, on ne parlait pas de spoiler… Mais il convient toujours de ne pas en dire trop sur la chute, plutôt inattendue et, quand même légèrement grandguignolesque, du film. En 1955, Henri-Georges Clouzot s’attèle à une adaptation de Celle qui n’était plus, le roman policier de Boileau et Narcejac paru chez Denoël en 1952.
Christina (Vera Clouzot) mène une existence malheureuse auprès de son mari, Michel Delasalle (Paul Meurisse), directeur tyrannique et cruel d’un pensionnat de garçons. Elle sait qu’une des institutrices, Nicole Horner (Simone Signoret) est la maîtresse officielle de Delasalle mais cela n’empêche pas les deux femmes de se rapprocher. Excédée par les humiliations publiques et les coups, Christina voit en effet en Nicole une compagne d’infortune qui partage avec elle sa haine envers Michel. Lorsque Nicole demande à Christina de l’aider à tuer leur compagnon, celle-ci, très pieuse, est réticente. Mais, minée par les abus supportés depuis trop longtemps, elle accepte. Les ennuis commencent tandis que Christina est tourmentée par d’étranges événements semblant provenir d’outre-tombe.
Dans ce thriller teinté de surnaturel qui sera un gros succès (3,7 millions de spectateurs), Clouzot organise un troublant suspense autour des violences conjugales. Juste après les deux retournements finaux, le cinéaste a placé, au début du générique de fin, un carton (voir ci-contre) qui invite les spectateurs à ne pas les divulgâcher. Hitchcock reprendra l’idée de l’avertissement, cinq ans plus tard, pour Psychose.
GOLDFINGER.- Plus le méchant est réussi, meilleur est le film… C’était l’avis d’Alfred Hitchcock qui en connaissait un rayon sur le sujet… Dans la grande famille des méchants de cinéma, un certain Oddjob occupe une place de choix. On le rencontre dans Goldfinger, le troisième épisode des aventures de James Bond au cinéma. C’était en 1964 et Sean Connery en 007, pouvait constater : « Il y a des choses qui ne se font pas, telles que de boire du Dom Pérignon 55 à une température au-dessus de trois degrés et écouter les Beatles sans boules Quiès. »
Oddjob, lui, n’a que faire du champagne. Le rôle de l’homme de main coréen est de veiller au bien-être d’Auric Goldfinger, milliardaire obsédé par l’or, notamment celui de Fort Knox. C’est le comédien japonais Harold Sakata (1920-1982) qui incarne le garde du corps. Les producteurs Saltzman et Broccoli avaient répéré Sakata alors qu’il était catcheur professionnel après une carrière d’haltérophile qui lui avait valu une médaille d’argent aux JO de Londres en 1948.
La plus belle scène que le réalisateur Guy Hamilton consacre à Oddjob se déroule sur le parcours de golf où Bond et Goldfinger (Gert Froebe) s’affrontent. L’atmosphère n’est courtoise qu’en apparence. Car Goldfinger a vite compris que Bond ne lui veut pas de bien. Pour se faire comprendre, Goldfinger demande à son nervi de montrer ses talents. Oddjob enlève alors son chapeau melon cerclé de métal et, tel un boomerang, l’envoie, d’un geste sûr, décapiter une statue antique. Hélas, le couvre-chef métallique sera in fine fatal à Oddjob qui finira électrisé…
LA DOLCE VITA.- Conçue à la demande du pape Clément XII et réalisée entre 1732 et 1762, la fontana di Trevi est la plus grande fontaine de Rome. Le cinéma lui a fait la part belle, de Vacances romaines (1953) de Wyler à Nous nous sommes tant aimés (1974) de Scola où les héros du film assistent… au tournage de la fameuse séquence du film de Fellini… Car c’est bien le maître de Rimini qui a fait entrer en 1960 la fontaine dans l’histoire du 7e art avec la séquence qui voit Anita Ekberg, alias « la bombe suédoise », se baigner dans l’eau de la claire fontaine… La sculpturale Anita n’était pas le premier choix de Fellini mais le cinéaste la choisit cependant, la jugeant « phosphorescente ».
A travers de petits épisodes, La dolce vita suit, au fil d’une semaine de vie mondaine, le journaliste people Marcello Rubini. Sous le charme de la star Sylvia Rank, Marcello cherche vainement un lieu pour être seule avec elle. Ils finissent par errer, de nuit, dans les ruelles de Rome. Ayant recueilli un chaton blanc qu’elle promène sur sa tête, Sylvia envoie Marcello (Marcello Mastroianni) lui chercher du lait. Lorsque celui-ci revient, il voit l’actrice qui s’est avancée, toute habillée, dans la fontaine de Trevi. Elle l’appelle : « Marcello ! Come here ! » Il finit par l’y rejoindre. Devant la cascade, dans la rumeur de l’eau, elle a les yeux clos. Marcello souffle : « Qui es-tu ? », s’apprête à l’embrasser. L’eau de la cascade s’est arrêtée. Le jour se lève. Un livreur à vélo les observe au loin, quittant le bassin. La dolce vita fit scandale à sa sa sortie et remporta la Palme d’or à Cannes 1960.
QUAND HARRY RENCONTRE SALLY.- A quoi tient une bonne publicité ! Posez donc la question aux propriétaires du Katz’s Delicatessen de New York… C’est en effet dans ce (déjà) célèbre restaurant que Rob Reiner tourne en 1989, la scène sans doute la plus fameuse de son film. Et c’est là que des milliers de touristes de Big Apple sont venus contempler la table du Deli de Houston Steet où tournèrent Meg Ryan et Billy Crystal.
A la fin des années 70, Harry et Sally ont fini leurs études à Chicago. Ils partent pour New York afin d’entrer dans la vie active. Mais leur relation est conflictuelle et va le rester longtemps. Pourtant, douze ans et trois mois après leur première rencontre, ils finiront par se marier…
When Harry Met Sally s’est imposé comme un fleuron de la comédie romantique tout en étant considéré comme l’un des films les plus drôles du cinéma américain. En train de déjeuner, les deux discutent de la capacité d’un homme à savoir quand une femme simule l’orgasme. Sally prétend que les hommes ne peuvent pas faire la différence et, pour le prouver, elle simule l’orgasme en plein restaurant. La scène s’achève lorsque Sally retourne calmement à son repas tandis qu’une cliente assez âgée attablée non loin (Estelle Reiner, la propre mère du cinéaste) lance à la serveuse : « Donnez-moi la même chose qu’elle ».
Pour mettre ses comédiens dans l’ambiance et « décoincer » une Meg Ryan mal à l’aise, Rob Reiner mima la scène, poussant des cris, tapant sur la table. Las, cette démonstration en bonne et due forme n’a pas été mise en boîte.
PANIQUE.- De retour en Europe après une période américaine (1941-1944), Julien Duvivier doit mettre en scène Anna Karénine à Londres mais le film est retardé à la demande de Vivien Leigh. Il songe alors à se rabattre sur un projet qu’il pourra mener à bien plus vite. Il choisit d’adapter un roman noir de Georges Simenon, Les Fiançailles de M. Hire. Parce que, dit-il, il avait envie de se détourner des happy-ends hollywoodiens qu’il a connu pendant les années de guerre… De fait, Panique est un condensé des instincts les plus vils de la nature humaine… A Villejuif, aux portes de Paris, une vieille fille est retrouvée morte étranglée sur un terrain vague. La belle Alice dont l’amant, Alfred, est en réalité le coupable, fait dévier les soupçons sur le bizarre et presque inquiétant M. Hire…
Apre et amère, l’aventure tragique de cet homme solitaire reste l’œuvre la plus personnelle et la plus noire de Duvivier. Et l’un de ses échecs cuisants, accusé qu’il fut, en cette année 1946, de jouer « la carte de la défaite » !
Au cœur d’une fête foraine (22e mn), Duvivier développe une métaphore du lynchage qui annonce la mort à venir de Hire. Celui-ci décide de faire un tour d’auto-tamponneuses. Comme pris d’une ivresse collective, tous les clients de l’attraction, sous l’impulsion d’Alice et Alfred, vont fondre sur Hire (l’immense Michel Simon), raide et impeccable dans sa voiturette au milieu de la piste. Par une accumulation de coupes de plus en plus rapides, Duvivier organise un chaos d’images et de sons qui génère une énergie de destruction. Le lynchage de Hire a déjà commencé…
ALIEN.- « Dans les films que j’ai envie de faire, l’univers, le décor et le dépaysement ont une importance capitale. » En 1979, Ridley Scott réussit pleinement son coup avec Alien, le 8e passager, solide blockbuster (pour adultes !) et terrifiante odyssée interstellaire. En 2122, le vaisseau commercial Nostromo fait route vers la Terre lorsqu’un signal inconnu l’amène à se détourner vers une planète inconnue. L’officier Kane y sera victime d’une agression par une sorte d’arachnide qui se colle sur son visage…
Dans le Nostromo, l’humeur est au beau fixe. Kane a été opéré et ne souffre apparemment d’aucune séquelle. L’équipage s’apprête à dîner lorsqu’une horrible créature dentée déchire brutalement le thorax de Kane avant de s’enfuir dans la coursive.
Cette séquence d’anthologie (à la 52e minute) a fait frissonner de peur les spectateurs. Les comédiens, Sigourney Weaver en tête, ne savent pas ce qu’ils s’apprêtent à tourner d’autant que le scénario ne contient que peu d’indications. Mais, sur le plateau, Ridley Scott et les techniciens portent des… imperméables. Il y a des seaux plein d’abats, « une odeur de formol effroyable » (dixit l’actrice Veronica Cartwright) et les cinq caméras sont enveloppées dans des toiles en plastique. Contrairement à la légende, la scène n’a pas été réalisée en une seule prise. De fait, elle est même très découpée et il faudra pas moins de trois bébés aliens différents pour obtenir les meilleurs effets. Enfin Scott jubile lorsque sa caméra capte les mouvements réflexes de ses comédiens abondamment aspergés, sans être prévenus, de sang (de synthèse)…
L’EXERCICE DE L’ETAT.- De Mister Smith au Sénat (1939) à Vice (2018) en passant par Les hommes du président (1976), Hollywood se penche souvent sur la vie politique américaine. En France, c’est beaucoup moins le cas, du moins dans le domaine de la fiction… C’est pourquoi le film de Pierre Schoeller a été largement remarqué à sa sortie en 2011. Sans aucune référence à une actualité politique, le film pose cependant un regard acéré et documenté sur la France contemporaine à travers le quotidien animé de Bertrand Saint-Jean, ministre des Transports (Olivier Gourmet) et de Gilles, son fidèle directeur de cabinet (Michel Blanc)…
Le film a notamment frappé les esprits pour un impressionnant accident. Certes, les cascades automobiles ne manquent pas sur le grand écran mais Schoeller réussit une séquence forte aussi imprévisible que violente. Pour aller plus vite, la voiture du ministre a emprunté une autoroute en construction et fermée à la circulation. Sans que l’on sache pourquoi, la Peugeot qui fonce à travers une campagne paisible va faire une succession de tonneaux. On vit la scène d’abord de l’intérieur du véhicule où le ministre est ballotté dans tous les sens tandis qu’on entend des frottements de tôle, des bris de verre. Après les tonneaux, l’auto est filmée en travelling, glissant longuement sur le toit. Plan sur Gilles, qui était au téléphone, avec le ministre et qui comprend instantanément le drame. Dans la voiture, Saint-Jean semble entre la vie et la mort avant de réussir à s’extirper des tôles. Le silence règne. Plan large. Le corps, le bas de la jambe arrachée, du chauffeur, git au sol. Hagard, le ministre erre sur la route déserte.
THE BIG LEBOWSKI.- Le film noir est le genre de prédilection des frères Coen. Mais le duo américain s’est toujours appliqué à revisiter, sous la forme du pastiche ou de l’hommage, les motifs du « noir ». En 1998, The Big Lebowski s’inscrit aussi dans cette relecture qui prend le chemin du détournement des codes : kidnapping, rançon, truands interlopes…
Bien malin qui pourrait résumer l’intrigue de cette comédie bouffonne. Disons que l’aventure commence lorsque Jeffrey Lebowski, alias Le Dude rentre chez lui après avoir acheté une brique de lait. Il est agressé par deux petites frappes qui lui demandent de rendre une forte somme d’argent. Rapidement, les voyous comprennent leur erreur: ils ont confondu le Dude, glandeur désinvolte, avec un autre Lebowski, millionnaire paraplégique, qui habite lui aussi Los Angelès. Mais le Dude est bien décidé à obtenir réparation d’un vrai préjudice : l’un des malfrats a uriné sur son tapis…
Au cœur de ce film foisonnant, figure une séquence joyeusement récréative. Si cette évocation d’une partie de bowling semble gratuite par rapport à l’intrigue principale, elle permet d’en savoir plus sur l’amitié complexe entre le Dude (Jeff Bridges), Walter Sobchak (John Goodman) et Donny (Steve Buscemi). Car la partie de bowling dérape lorsqu’un adversaire mord la ligne et refuse d’être pénalisé. Préférant résoudre, depuis son retour du Vietnam, chaque situation par le conflit, Walter le braque avec une arme. Dans un découpage rapide, on mesure la brutalité envahissante de Walter, la passivité démissionnaire du Dude et le retrait apeuré de Donny…
APOCALYPSE NOW.- Transposition en pleine guerre du Viêt Nam, du roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, la fresque de Francis Ford Coppola appartient à la catégorie des « grands films malades » tant les conditions de financement, de préparation, de tournage, de distribution ont été éprouvantes, parfois ubuesques… Présenté au Festival de Cannes 1979 (comme Work in Progress), Apocalypse Now décroche la Palme d’or, ex-aequo avec Le tambour de Schlöndorff. En conférence de presse, le cinéaste déclare : « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous ».
La séquence (sept minutes) qui a marqué les esprits est bien celle de l’attaque des hélicoptères aux accents de la Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner. Pour accéder au repaire du sanguinaire colonel Kurtz (Marlon Brando), le capitaine Willard est escorté par une escadre d’hélicoptères dirigé par le colonel Kilgore (Robert Duvall). Celui-ci en profite pour lancer un raid sur un village et, en approche, il fait donner Wagner. Dans une alternance de plans d’ensemble sur les hélicoptères et de gros plans sur les soldats, Coppola dynamise une séquence où l’intensité de la musique va croissante, brutalement stoppée par un plan sur le village où l’on évacue une école… Et puis l’on entend à nouveau, au loin, le mélange des pales et de Wagner…
LA LA LAND.- Avec sa formation de batteur de jazz, Damien Chazelle cultive une prédilection pour les films musicaux. A 25 ans, le Franco-américain écrit le scénario de La La Land à une époque de sa vie –2009- où l’industrie du cinéma lui semble hors de portée. Son ambition est alors de « reprendre les éléments des comédies musicales de l’âge d’or, mais les ancrer dans la vie réelle, où tout ne se passe pas toujours comme prévu ». Mais il peine à trouver des financements, les studios étant réticents à l’idée de produire un musical contemporain. Finalement, le cinéaste décide de renoncer au film et écrit Whiplash, aventure d’un aspirant batteur de jazz aux prises avec un prof d’une terrible exigence. Le film gagnera beaucoup d’argent et obtiendra trois Oscars. Chazelle remet alors La La Land sur le métier. Le film sera un imposant succès en 2016.
Sa scène d’ouverture est un morceau de bravoure ! Coincés dans leur voiture sur une autoroute de Los Angeles, Mia (Emma Stone) et Sebastian (Ryan Gosling) assistent à un grand moment de danse sur la chanson Another Day of Sun. Chazelle obtint de pouvoir bloquer une portion d’échangeur reliant deux autoroutes pendant une journée de répétition et deux jours de tournage avec plus de cent danseurs. La séquence (un faux plan-séquence réalisé en trois plans) devait être tournée à terre mais elle le fut sur l’échangeur même, à 30 mètres de hauteur pour permettre à Chazelle de montrer l’étendue de Los Angeles. Une Cité des anges où Chazelle lui-même est souvent coincé dans des bouchons sur l’autoroute…
RIDICULE.- En mai 1996, Patrice Leconte fait l’ouverture du Festival de Cannes avec l’aventure de Grégoire Ponceludon de Malavoy, jeune aristocrate désargenté, qui se rend à Versailles pour obtenir des moyens d’assécher les marais de la Dombes, sources d’épidémies qui déciment ses paysans. Candide, il découvre la vie de la cour de Louis XVI où triomphent les mots d’esprit, si possible méchants. Au cœur de cette effervescence raffinée et décadente, le baron de Malavoy va vite se mettre à pratiquer l’esprit avec une vivacité sans égale pour se frayer un chemin au sein de la cour. Le marquis de Bellegarde lui prête main-forte en lui donnant le gîte et en soutenant ce Grégoire dont les talents sont désormais redoutés par les courtisans déjà installés… « Dans ce monde, un vice n’est rien mais un ridicule tue. »
Dans cette comédie élégante mais grinçante (couronnée de quatre César), Leconte place une séquence qui orchestre la parade des courtisans voulant, pour gagner leur paradis, s’attirer les faveurs d’un roi, ce qui les conduit en enfer. Malavoy (Charles Berling) et Bellegarde (Jean Rochefort) patientent dans l’antichambre tandis que le roi scrute la salle à travers un judas dans un tableau. Lorsqu’un huissier lance l’appel de ceux qui auront le privilège de voir le roi, Leconte filme un baron endormi. Guéret fait antichambre depuis des mois. L’abbé de Villecourt lui joue un tour pendable. Il lui vole une chaussure et crie son nom. Guéret, chaussette trouée, se précipite. On le refoule. L’antichambre est désormais désertée. Bellegarde ramène Guéret. Dont le destin sera funeste…
L’AVENTURE DE MADAME MUIR.- Au début du 20e siècle à Londres, un an après la mort de son mari, Lucy Muir annonce à sa belle-famille qu’elle part, avec sa fille Anna et sa servante Martha, vivre au bord de la mer, ce dont elle a toujours rêvé. Malgré les mises en garde d’un agent immobilier, Lucy loue Gull Cottage qui a la réputation d’être hanté par son dernier propriétaire, le capitaine Daniel Gregg dont le portrait trône dans la demeure. De fait, le fantôme vient l’observer alors qu’elle dort, puis tente de l’effrayer une nuit de pluie et d’orage. Mais, séduit par son entêtement, Gregg accepte qu’elle reste à l’essai…
La principale difficulté de The Gost and Mrs Muir (1947) consistait, pour Joseph L. Mankiewicz, à traiter d’une pure romance entre une jeune femme (Gene Tierney) et un fantôme (Rex Harrison) dans un contexte romantique mais rendu crédible, voire naturel au spectateur…
La mort est au cœur de chaque film de Mankiewicz et la scène finale est remarquable à cet égard. Après avoir regardé la mer depuis son balcon, Lucy Muir, devenue une vieille dame aux cheveux blancs, s’est assise dans un fauteuil. Elle boit un verre de lait. Lorsqu’elle veut le reposer, il tombe et se brise à terre. La vie l’a quittée. L’ombre de Daniel Gregg s’approche. Il lui tend les mains. Contre-champ : Lucy, jeune, se lève en souriant. Elle jette un coup d’œil à son vieux corps et s’en va avec Daniel. La porte de Gull Cottage s’ouvre d’elle-même pour les laisser s’enfoncer dans le brouillard du jardin puis se referme. The End.
MISSION IMPOSSIBLE.- Lorsqu’en 1995, Brian de Palma s’attaque à l’adaptation cinématographique de la célèbre série télévisée diffusée dans les années 1960-1970, il reste sur deux échecs : L’esprit de Caïn (1992) puis L’impasse (1993) sont des flops. Pour De Palma, Mission… est l’occasion de remonter la pente. Le film sera un gros succès. Cela même si le cinéaste s’ingénie à prendre des libertés avec la série…
Dans ses entretiens avec Samuel Blumenfeld (Carlotta éditions, 2019), Brian de Palma raconte que son meilleur souvenir de tournage de Mission Impossible fut la scène du casse : « C’était très difficile à tourner (…) Tom (Cruise) s’est montré très patient et pourtant il était dans une position inconfortable… »
Pour préparer son travail, De Palma avait visionné des films de casses et avait été impressionné par Topkapi (1964) de Jules Dassin et l’acrobate descendant le long d’’un filin pour voler des bijoux. On retrouve clairement cette situation dans le morceau de bravoure du film. Pour dérober un fichier informatique dans une chambre forte de la CIA, Ethan Hunt (Cruise) y entre dans le plafond, suspendu à un filin tenu par un complice. Il va connaître une série d’alertes comme l’entrée d’un analyste dans la pièce qui ne le voit pas au-dessus de lui et surtout l’instant où, troublé par la présence d’un rat, le complice lâche la corde, Hunt se retrouvant au ras du sol. Les gouttes qui perlent sur son front, menacent de déclencher l’alarme… Une scène filmée dans un silence total et très… rare dans le cinéma d’action US.
L’EXTRAVAGANT MR. RUGGLES.- Lorsqu’en 1908 à Paris, le valet Marmaduke Ruggles réveille son maître, il ignore le pire. Le comte de Burnstead lui apprend que, la veille au soir, il a perdu Ruggles au poker en jouant avec un couple d’Américains. Tout en réussissant à se contrôler mais néanmoins horrifié, le valet comprend qu’il va devoir partir en Amérique, « le pays de l’esclavage »… Lorsqu’en 1935, Leo McCarey comme Charles Laughton tournent Ruggles of Red Gap, ce film représente un virage dans leurs carrières. McCarey va se démarquer des genres comiques où il faisait seulement figure de bon artisan. Pour Laughton, qui n’avait jamais fait de comédie, c’est le moment de gagner une popularité restreinte par sa réputation de grand comédien britannique issu du théâtre… Entre raideur et oscillation, Laughton va composer un Ruggles qui, tout en gardant son corps immobile, réussit par ses roulements d’yeux, à dire le tangage intérieur du personnage. Valet raffiné propulsé dans la petite société plouc de Red Gap, il y trouvrera son équilibre (et l’amour !).
La scène la plus célèbre du film est celle où Ruggles récite au saloon Silver Dollar, le discours du président Lincoln à Gettysburg en 1863. A cet instant, le valet tourne le dos à sa vision cauchemardesque du Far West par une assimilation à l’un des textes politiques fondateurs du pays. Au sortir de la guerre civile, Lincoln y reprend les principes de la Déclaration d’indépendance, affirme que la guerre aura servi à rétablir l’Union américaine. Curieusement, les clients du Silver Dollar ne se souviennent pas des termes du discours. Et ce sera un valet anglais –bouleversé par l’idéal américain- qui comblera un grand trou de mémoire historique…
LE TROU.- Pour les jeunes Turcs de la Nouvelle vague, Jacques Becker est clairement un passeur de modernité lorsqu’à la fin des années 50, il veut s’affranchir des contraintes commerciales du cinéma. Le cinéaste lit alors Le trou et décide de le porter à l’écran. José Giovanni y raconte l’histoire de Claude Gaspard qui, en 1947, à la Santé, est changé de cellule pour cause de travaux. Il y a là quatre prévenus qui voient d’un mauvais œil, arriver le nouveau. Car ils préparent une évasion en creusant un trou dans leur cellule. Pour des raisons d’authenticité (et de sobriété du jeu), Becker recherche des acteurs débutants et embauche notamment Jean Keraudy, l’un des vrais protagonistes de la tentative d’évasion, qui jouera son propre rôle à l’écran. Le tournage, en juillet 1959, se révèle harassant. Becker, déjà malade, est très exigeant mais le film (son dernier car il meurt en 1960, un mois avant la sortie en salles) est considéré comme un classique du film d’évasion.
Le forage du trou donne lieu à l’une des grandes scènes du film avec notamment le plan récurrent sur les mains habiles de Roland, cerveau du groupe et véritable homme au travail. Becker décortique les gestes de l’action et organise la montée de la tension en jouant sur la régularité des coups portés à la dalle de béton, sur l’anxiété des détenus face au bruit produit mais aussi sur la nécessaire vitesse… Vaincre l’enfermement, c’est d’abord l’emporter sur le temps. C’est quasiment en temps réel que l’on assiste à la progression de l’entreprise menée par un groupe organisé, agissant comme un seul homme…
BONNIE & CLYDE.- Au mitan des années 60, Arthur Penn vit en reclus, profondément dégoûté par le système hollywoodien. Le montage du Gaucher lui a été retiré et il connaîtra la même mésaventure avec La poursuite impitoyable… Bien que peu enthousiaste, il accepte le scénario de Bonnie & Clyde proposé par Warren Beatty.
Pour Penn, il ne s’agit pas de tourner un film de gangsters rétro : « On est en pleine guerre du Vietnam, ce film ne peut pas être immaculé, aseptisé. Fini le simple bang bang. Ça va saigner ! » En s’emparant de l’épopée du gang Barrow qui défraya la chronique criminelle dans les années 30, le cinéaste va signer, non point un film de gangsters de plus, mais bien la fin du vieil Hollywood. Considéré comme une œuvre charnière, le film a la réputation d’avoir donner le coup de grâce au fameux code de production dit code Hays, permettant ainsi aux cinéastes des années 70 de retrouver une liberté de ton envolée depuis une trentaine d’années. La manière de représenter la violence à l’écran trouve en effet une expression directe sans précédent dans le cinéma.
La scène ultime de Bonnie & Clyde en constitue une synthèse. Sur une petite route de campagne, Bonnie (Faye Dunaway) et Clyde (Warren Beatty) s’arrêtent pour aider un camionneur en panne. Un vol d’oiseaux trouble le silence. Des buissons bougent. Série de très gros plans sur les deux bandits. La fusillade explose. Avec une brutale volonté de réalisme, Penn filme la mort au au ralenti avec les corps secoués et criblés par les balles qui finissent par s’affaisser comme de pathétiques pantins ensanglantés…
UN CHIEN ANDALOU.- « En arrivant chez Dalí, à Figueras, invité à passer quelques jours, je lui racontais que j’avais rêvé, peu de temps auparavant, d’un nuage effilé coupant la lune et d’une lame de rasoir fendant un œil. De son côté, il me raconta qu’il venait de voir en rêve, la nuit précédente, une main pleine de fourmis. Il ajouta : « et si nous faisions un film, en partant de ça ? » C’est Luis Bunuel qui évoque ainsi la genèse du Chien andalou que les deux artistes vont réaliser en 1929 et qui deviendra le film surréaliste par excellence.
En six jours, Buñuel et Dali, sur le mode du cadavre exquis, écrivent le scénario… Buñuel raconte encore: « Nous travaillions en accueillant les premières images qui nous venaient à l’esprit et nous rejetions systématiquement tout ce qui pouvait venir de la culture ou l’éducation. Il fallait que ce soient des images qui nous surprennent et qui soient acceptées par tous les deux sans discussion. »
Souvent jugée insoutenable par certains spectateurs (on dit qu’elle a été retirée des copies dans certains pays), la scène d’ouverture présente, sur un air de tango, un homme (Luis Bunuel lui-même) aiguisant un rasoir, puis, sur un balcon, avisant pensivement la lune devant laquelle passe un nuage effilé. Gros plan : la main d’un homme écarte les paupières d’une femme (Simonne Mareuil) filmée de face et étrangement calme. Un rasoir s’apprête à passer dans l’œil. Cut dans le mouvement. Un fin nuage passe devant la lune. Cut. Le rasoir tranche l’œil (de bœuf utilisé pour le tournage) et provoqua une foultitude d’interprétations…
LES DENTS DE LA MER.- «Si tu arrives à mettre la moitié de tout ce que je vois là-dessus dans ton film, tu tiendras le plus gros succès de tous les temps. » C’est George Lucas qui, en parcourant le storyboard de Jaws, tient ce discours à son ami Spielberg. Il a raison. Inaugurant l’ère des blockbusters, le film va cartonner (6,2 millions d’entrées en France en 1975) et installer durablement Steven Spielberg au sommet de l’entertainement hollywoodien avec cette histoire de requin tueur semant la panique dans une station balnéaire. Et l’on sait que le cinéaste développe… une phobie du monde sous-marin. Portée par la musique répétitive et obsessionnelle, faite de deux seules notes, de John Williams, la scène d’ouverture (durée: 4’55 mn) instille immédiatement –notamment par l’invisibilité du squale- une pure angoisse.
Sur l’île (imaginaire) d’Amity, des jeunes gens sont autour d’un feu de camp sur la plage. Chrissie Watkins (Susan Blacklinie) s’éloigne du groupe pour un bain de minuit. Son flirt, ivre, renonce à la suivre. Après quelques brasses, elle est « percutée » par une force mystérieuse. Elle tente de résister mais est happée et disparaît dans l’eau en hurlant de terreur. Quelques secondes après, la mer retrouve son calme nocturne. Personne ne sait ce qui vient de se dérouler.
En 1979, Spielberg s’auto-parodie en ouverture de 1941. Une jeune femme (Susan Backlinie, encore elle !) s’approche de l’eau, enlève ses vêtements et se baigne nue. A la place du requin, c’est un sous-marin japonais qui émerge alors que la jeune femme s’agrippe au périscope !
TOUS LES AUTRES S’APPELLENT ALI.- Prolifique figure de proue du nouveau cinéma allemand, Rainer Werner Fassbinder (1945-1982), a réussi une « comédie humaine » qui trace un rude portrait de la société allemande de l’après-guerre.
En 1974, RWF raconte l’histoire tragique d’Emmi Kurowski (Brigitte Mira) qui, un soir de pluie, entre dans un bar pour immigrés à Munich. Elle y croise Ali, un travailleur marocain. Veuve déjà âgée, elle vit seule sans ses enfants. L’improbable arrive : Emmi et Ali (El Hedi Ben Salem) tombent amoureux et se marient. Mais, face au racisme ambiant et au rejet des siens, Emmi s’effondre. Après des vacances pour fuir l’hostilité générale, les deux vont être secoués lorsqu’elle se laisse aller à d’hypocrites propositions de réconciliation des uns et des autres…
A la 57e minute, Fassbinder place une séquence qui condense la solitude du couple. Dans un large plan d’ensemble, Emmi et Ali sont seuls et minuscules au milieu de la composition. Autour d’eux, sous de larges frondaisons, de multiples tables jaunes et vides d’un Biergarten. De loin, ils sont observés par des clients et des serveurs. Ce « désert » jaune et vert, dominé par les seuls chants des oiseaux après la pluie, est impressionnant . Pour le cinéaste, il est une manière à la fois extrêmement littérale et décalée d’exprimer la détresse du couple, la méfiance de tous à leur égard, la froideur nouvelle d’un monde à la limite de l’abstraction. Tandis qu’Ali la console, Emmi pleure : « Je n’arrive plus à supporter tout ça. Cette haine des gens. » Fondu au noir.
BLOW OUT.- Que pouvons-nous savoir d’un événement par l’image ? Par le son ? Lorsqu’en 1981, Brian de Palma met en chantier Blow Out, son film est hanté par un spectre, celui de l’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas. Jack Terry (John Travolta) est preneur de son. Une nuit alors qu’il est en quête de sons naturels, il entend un crissement suivi d’une explosion. Une voiture vient de quitter la route et a plongé dans un lac. Jack plonge à l’eau et réussit à sauver la passagère du véhicule mais le conducteur, un influent homme politique, succombe. En réécoutant attentivement l’enregistrement, Terry comprend que l’explosion n’est pas accidentelle…
Si Blow Out n’est pas un film-enquête sur la mort de JFK (De Palma a plutôt songé à l’accident de Chappaquiddick qui a brisé la carrière de Ted Kennedy), c’est par contre une formidable analyse des manipulations du son et de l’image au cinéma. Ainsi la séquence, presque sans dialogues, où Jack enregistre des sons dans un parc de Philadelphie est remarquable dans la manière dont elle organise des trajectoires sonores. Pointant son long micro canon comme une baguette de chef d’orchestre, Jack, immobile sur un pont, est au cœur du dispositif de mise en scène tandis que des sons (vent, bruits d’animaux, conversations) s’enchaînent les uns aux autres. Et puis, peu à peu, s’installent presque des mystères auditifs. Et bientôt, surgit une menace. Désormais, et jusqu’au bout du film, les repères de Jack sont bouleversés…
TRAINS ETROITEMENT SURVEILLES.- « Tant qu’on est jeune et bête et qu’on n’a pas conscience du danger, on se lance dans des projets dans lesquels on ne se lancerait jamais si on était un peu raisonnable. Parfois, ce genre d’imprudence peut s’avérer payante… » C’est ainsi que Jiri Menzel (1938-2020) évoque la genèse de Trains étroitement surveillés. Ce premier long-métrage, tourné en 1966, va le propulser chef de file de la Nouvelle vague tchécoslovaque.
Durant l’Occupation allemande de la Tchécoslovaquie, Milos commence son apprentissage dans une gare de campagne. Amoureux de la pétillante Macha, il découvre les affres de la timidité et de l’impuissance, songe au suicide avant de se muer en héros de la Résistance.
La scène la plus fameuse de Trains étroitement surveillés (Oscar du meilleur film étranger en 1968) est celle où Hubicka, chef de gare jouisseur, courtise la télégraphiste Zdenka. Menzel filme, en gros plans, un jeu potache où le séducteur va tamponner à trois reprises la cuisse de la belle allongée sur le ventre. Cette dernière qui humecte les tampons de son haleine et paraît y trouver du plaisir, va enfin baisser sa culotte pour offrir ses fesses à un quatrième tampon. Joliment érotique, la scène se développe ensuite, de manière cocasse, lorsque la mère de Zdenka, ayant découvert les tampons, alerte successivement la police et la justice. Les deux institutions botteront prudemment en touche, renvoyant la mère à saisir le conseil de discipline des chemins de fer. Troublée, la production demanda à Menzel de couper la scène. Il n’en fut heureusement rien.
IL ETAIT UNE FOIS DANS L’OUEST.- Maître du western spaghetti, Sergio Leone aimait à étirer au maximum le temps à l’instar des cinéastes japonais qu’il affectionnait. L’Italien voulait que, de la sorte, ses « mouvements de caméra soient comme des caresses ». Emblématique illustration de cette méthode « indolente », l’ouverture (longue de dix minutes et tournée en trois jours en Andalousie) du fameux Il était une fois dans l’Ouest (1968).
Dans une petite gare en piteux état, trois tueurs font peur au vieux chef de gare et l’enferment dans un cagibi. Le premier se pose près d’un abreuvoir à chevaux au bout du quai. Le second s’assoit sur un rocking-chair au milieu. Le dernier se poste sous le château d’eau. Agacé par le tic-tac du télégraphe, le tueur au rocking-chair en arrache les fils, avant d’être importuné par une mouche qui se pose sur son visage. Son collègue du château d’eau coiffe son chapeau pour ne pas se faire mouiller par les gouttes qui s’en échappent. L’homme de l’abreuvoir fait craquer ses doigts.
Retour au rocking-chair. Le tueur (Jack Elam) a dégainé son colt et attrapé la mouche qu’il maintient vivante dans son canon. L’homme du réservoir (Woody Strode) se désaltère en buvant l’eau recueillie sur son chapeau. Le train arrive. Personne n’en sort. D’abord aux aguets, les tueurs tournent les talons. Alors que le train quitte la gare, ils entendent le son d’un harmonica. Ils se retournent. Harmonica (Charles Bronson), l’homme qu’ils attendaient est là, descendu de l’autre côté de la voie.
AU REVOIR LES ENFANTS.- C’est alors qu’il prépare Lacombe Lucien (1974) que Louis Malle acquiert la certitude de réaliser un jour Au revoir les enfants, en l’occurrence mettre en scène l’histoire personnelle qui lui était arrivée en janvier 1944 alors qu’il a onze ans et qu’il est au collège d’Avon, près de Fontainebleau. Un épisode douloureux de sa vie dont il ne parla jamais à personne…
La concrétisation de ce projet –entre exhumation d’une part d’enfance et travail de mémoire- attendra la fin de la période américaine (1975-1985) du cinéaste. En août 1986, Malle s’isole à Paris pour écrire et commence par les scènes de la fin : « C’étaient celles que je ne voulais pas changer ». Il lit son scénario à sa femme et sa fille qui éclatent en sanglots… Il raconte, du point de vue de Julien, collégien de 12 ans, l’histoire (romancée) du père Jean, prêtre résistant qui cache des enfants juifs, dont un nouveau venu nommé Bonnet, dans le collège qu’il dirige…
Reposant sur des échanges de regards, la séquence ultime du film montre, en plan d’ensemble, le père Jean suivi de trois collégiens, qui traverse la cour. Alignés, les collégiens regardent. Une voix puis toutes les voix : « Au revoir, mon père ». Le père Jean : « Au revoir les enfants. A bientôt ! ». Gros plan sur Bonnet puis sur Julien qui agite la main. Plan sur Bonnet qu’un soldat allemand tire par le bras. En voix off, sur un plan de Julien, Louis Malle dit : « Bonnet, Négus et Dupré sont morts à Auschwitz, le père Jean au camp de Mauthausen. (…) Plus de quarante ans ont passé et jusqu’à ma mort, je me rappellerai chaque seconde de ce matin de janvier. »
LA MORT AUX TROUSSES.- Eblouissant road-movie d’espionnage, North by Northwest (1958) est l’une des œuvres les plus réussies de Sir Alfred Hitchcock. Publiciste new-yorkais, Roger Thornhill (Cary Grant) estn pris par erreur pour George Kaplan, un agent des services secrets. Philip Vandamm, un espion, cherche à faire disparaître Thornhill alors que celui-ci est traqué par la police pour le meurtre, aux Nations Unies, d’un homme assassiné par les hommes de Vandamm…
Si on connaît La mort aux trousses, c’est à cause de la fameuse séquence (8 mn) du champ de maïs. Ayant un rendez-vous avec le vrai Kaplan, Thornhill l’attend à un arrêt de bus en rase campagne, à plus d’une heure de Chicago. Mais point de Kaplan et personne aux alentours, sinon un avion qui pulvérise des pesticides. Une voiture dépose un homme au bord de la route. Kaplan ? Non, juste un quidam qui, avant de monter dans le bus qu’il attendait, remarque que, bizarrement, le petit avion arrose un endroit où il n’y a pas de plantation…
Bientôt le biplan va foncer sur Thornhill qui se plaque au sol pour l’éviter. L’avion va réitérer ses attaques en lui tirant dessus. Avisant un champ de maïs, Thornhill court s’y réfugier. Mais, étouffé par le nuage de pesticides, il doit sortir de sa cachette. Revenu sur la route, le fuyard stoppe un camion-citerne qui manque de l’écraser. L’avion qui arrive en rase-mottes ne peut éviter le camion et s’y encastre. Le petit zinc explose, suivi du camion. Roger Thornhill a juste le temps de filer en courant…
LE VOLEUR DE BICYCLETTE.- Né sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, le néoréalisme –dont Le voleur de bicyclette est une œuvre emblématique- a révolutionné le cinéma mondial en filmant la « vraie vie ». Avec le scénariste Cesare Zavattini, Vittorio De Sica veut, en 1948, descendre dans la rue et enregistrer les conditions de vie du peuple italien. Il le fera à travers l’aventure d’Antonio Ricci, père de famille romain au chômage. Recruté comme colleur d’affiches, Ricci a besoin d’un vélo pour se déplacer dans la ville. Catastrophe, dès le premier jour de boulot, on lui dérobe son précieux outil de travail. Epaulé par Bruno, son gamin qui lui voue une admiration sans bornes, Ricci se lance dans une quête de sa bicyclette.
Fable morale aux accents de tragédie portée par le regard d’une infinie tendresse de De Sica, le film s’achève par une séquence bouleversante mais cependant dépourvue d’effets faciles pour provoquer l’émotion du spectateur. Arrivés sur une grande place, Antonio et Bruno se tiennent devant le stade municipal où se déroule le grand match de football dominical. Alors que des centaines de supporters sortent du stade, Antonio est pris d’un coup de folie : il tente de dérober une bicyclette posée devant un immeuble dans une rue attenante. Rattrapé par la foule, à deux doigts du lynchage, il est tiré d’affaire lorsque Bruno le rejoint, apitoyant sans le vouloir le propriétaire du vélo qui décide de ne pas envoyer Antonio au poste. Le père et son fils, en larmes, marchent hagards parmi les supporters et se perdent dans la foule…
SEPT ANS DE REFLEXION.- Si Marilyn Monroe représente l’incarnation absolue de la star, l’actrice n’a pas fait que des chefs d’œuvre au cinéma, loin s’en faut. Cependant, c’est avec le grand Billy Wilder qu’elle a connu ses deux plus belles réussites. En 1959 avec le pétillant Certains l’aiment chaud et, avant cela, en 1955 avec Sept ans de réflexion.
On sait que Wilder n’était pas satisfait du film, déclarant même: « J’aurais aimé ne jamais l’avoir tourné ». Heureusement, pour les admirateurs de Marilyn, il l’a fait. Certes The Seven Year Itch apparaît, aujourd’hui, comme une comédie datée sur les fantasmes et les frustrations de l’Homo americanus. Mais à entendre certains propos sur les femmes du président Trump, on peut se dire que… mais ceci est une autre histoire.
Si le tournage fut compliqué à cause des absences à répétition d’une star angoissée, la fameuse scène de la bouche de métro demeure un moment culte. Dans la chaleur torride de l’été new-yorkais, celle que le film désigne simplement comme The Girl est sortie dans les rues avec son voisin Tom Sherman (Tom Ewell), célibataire éphémère. Sa femme et leur fils ont quitté la ville et Sherman se sent pousser des ailes d’autant que « la fille » lui offre le charmant spectacle de ses jambes et, furtivement, de sa culotte blanche en prenant le frais au passage d’une rame. L’image est devenue totalement iconique… même si elle n’est pas dans le film ! De fait, la scène est construite en deux plans : un plan américain sur Marilyn et un insert sur ses jambes.
BLOW-UP.- Souvent classé « cinéaste de l’incommunicabilité » -une étiquette fortement réductrice-, Michelangelo Antonioni (1912-2007) affirmait, très tôt, que « c’est le mouvement intérieur des personnages qui doit prévaloir ». En 1966, l’Italien part à Londres pour s’imprégner de l’effervescence du Swinging London et pouvoir partir de l’observation de la réalité pour raconter l’aventure de Thomas, un photographe professionnel (David Hemmings) qui, en errant dans un parc, aperçoit un couple et en prend des clichés. La femme (Vanessa Redgrave) tentera de récupérer les pellicules. En agrandissant ses images et en scrutant quasiment la matière des clichés, Thomas s’interroge : a-t-il été le témoin d’un meurtre ?
Plongée vertigineuse et passionnante au cœur des images, Blow-Up, qui obtint la Palme d’or au Festival de Cannes 1967 et fut le plus gros succès d’Antonioni (sans doute aussi à cause du scandale provoqué par quelques scènes dénudées), s’achève sur une superbe séquence. De retour dans le parc où il avait photographié le couple, Thomas croise des clowns qu’il avait vu la veille et observe deux d’entre eux mimant, sur un court, une partie de tennis. Quand la balle invisible sort du terrain, Antonioni réalise un travelling sur la balle roulant dans l’herbe. Malgré son absence, on la suit des yeux. Thomas peut alors la ramasser et la renvoyer aux joueurs… Par la force de sa mise en scène, Antonioni fait la part belle au cinéma. La partie de tennis est bien « réelle » pour peu qu’on fasse le choix d’y croire…
QUAI DES ORFEVRES.- Lorsqu’en 1947, Henri-Georges Clouzot réalise Quai des Orfèvres, il est un rescapé. En 1943, il a tourné le brillant Corbeau, sordide histoire de délation adaptée d’un fait-divers des années 20 qui lui vaudra, dès la Libération, les foudres du Comité d’épuration du cinéma français. Jugeant le Corbeau antifrançais, il interdit à Clouzot de travailler. Fort du soutien de nombreuses personnalités du cinéma, Clouzot verra cette interdiction levée et il pourra faire Quai des Orfèvres, une oeuvre qui connaîtra un immense succès en France comme à l’étranger.
Archétype du « polar à la française », le film mêle enquête policière (qui a tué ce vieux dégueulasse de Brignon ?), univers du music-hall, ménage en crise et portrait de l’inspecteur Antoine, type droit et bourru auquel l’immense Louis Jouvet prête son aura et sa fameuse et atypique diction. Dans Quai des Orfèvres, on croise des personnages superbement dessinés comme Jenny Lamour, chanteuse légère (Suzy Delair) ou son mari jaloux (Bernard Blier). Simone Renant incarne Dora, la photographe amoureuse transie de Jenny. Observatrice discrète, Dora est une sorte de double d’Antoine. La première fois que celui-ci apparaît, un bref fondu enchainé les met en relation, comme s’ils échangeaient un regard complice. À la fin du film, l’inspecteur ayant compris l’amour de Dora pour Jenny, va jusqu’à le formuler : « Et puis je vais vous dire, vous m’êtes particulièrement sympathique, mademoiselle Dora Monnier (…), vous êtes un type dans mon genre. Avec les femmes, vous n’aurez jamais de chance. »
DOCTEUR NO.- A Kingston, Jamaïque, un trio de faux aveugles exécutent deux agents secrets anglais… A Londres, c’est le branle-bas de combat. Gros plan sur la plaque d’un casino huppé, Le Cercle. On vient demander James Bond. Autour d’une table, on joue au chemin de fer.
Travelling arrière : on découvre l’épaule et la nuque d’un homme en smoking. Gros plan sur les cartes qu’il vient de tirer, un valet de trèfle et un 8 de carreau. Plan sur une élégante jeune femme en fourreau rouge qui est en train de perdre. « J’admire votre courage, Mademoiselle… » Et la belle de répondre : « Trench, Sylvia Trench ». On vient d’entendre James Bond avant de le voir. Contre-champ sur un homme séduisant mais au regard dur qui allume une cigarette et se présente à son tour : « Bond, James Bond » Il lance à Sylvia Trench : « Vous êtes décidée à aller jusqu’au bout… » Mais on lui parle à l’oreille. Il se lève : « Le devoir m’appelle ! » A la belle, il propose bien de dîner le lendemain mais M ramènera l’agent 007 à sa mission.
Nous sommes en 1962 et ces images scellent le sort d’un comédien écossais de 32 ans. Sean Connery, disparu hier à l’âge de 90 ans, devenait le plus célèbre agent secret au monde. Entre 62 et 1971, six Bond et un septième film non officiel (Jamais plus jamais en 1983) permettront à Sir Sean d’installer son 007 dans l’éternité du grand écran. Les autres Bond, de Lazenby à Craig en passant par Moore, Dalton et Brosnan, ne sont pas mauvais. Sean Connery reste le plus grand.
LA RUEE VERS L’OR.- La légende raconte que, bien après la sortie de La ruée vers l’or, l’une des petites-filles de Chaplin, qui venait de découvrir le film, n’arrivait pas à croire que son grand-père et Charlot étaient une seule et même personne. Elle fut émue aux larmes lorsqu’il débarrassa un coin de table et exécuta, devant elle, la Danse des petits pains…
A l’origine, The Gold Rush, dont le tournage débute en décembre 1923 (avec la construction de la cabane sur balancier, autre scène fameuse) était un film muet. Quelques mois après la sortie du Dictateur, Chaplin réalise, en 1942, une version sonorisée, synchronisant notamment la danse des petits pains et la musique de façon très précise. Cette séquence fait partie d’un rêve de Charlot où tout ce qu’il désire se réalise: briller devant Georgia, une entraîneuse de saloon dont il est tombé amoureux mais qui se joue de lui. Dans ce rêve, il imagine qu’il va impressionner les danseuses en transformant habilement les petits pains ordinaires du repas en chaussons de danseuse classique.
Beau morceau de bravoure incrusté dans le récit, la scène des petits pains puisqu’elle est une affaire de pieds, de chaussure et de nourriture, constitue une revanche sur le corps de Charlot, redevenu gracieux et aérien en ayant retrouvé le plein usage de ses pieds agiles le temps de cette danse. On avait, auparavant, vu Charlot (privé, par la neige, de sa célèbre démarche sautillante) mettre son pied enrobé de chiffons dans le poêle, afin de le réchauffer…
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41 SCENES MARQUANTES DE L’HISTOIRE DU CINEMA
LE CONFINEMENT S’EST ACHEVE… DESORMAIS, DE NOUVEAUX COMPORTEMENTS SOCIAUX S’IMPOSENT… EN ATTENDANT DE RETROUVER, LE 22 JUIN, LE CHEMIN ET LE PLAISIR DES SALLES OBSCURES, VOICI UNE EVOCATION QUOTIDIENNE DE MOMENTS MARQUANTS DU CINEMA…
SUNSET BOULEVARD.- Après avoir réalisé notamment le remarquable fleuron noir qu’est Assurance sur la mort (1944), Billy Wilder signe Boulevard du crépuscule (1950), vite considéré comme un classique. Il y distille une évocation grave et désespérée d’Hollywood. Scénariste sans emploi, Joe Gillis (William Holden) rencontre par hasard Norma Desmond, une star du muet. Elle lui propose d’écrire une version de Salomé pour marquer son retour à l’écran… Wilder dirige Gloria Swanson qui accepta d’incarner une icône déchue et finalement meurtrière de Gilis, rôle que refusèrent Mary Pickford, Mae West et Bette Davis. Dans le rôle de Max, le majordome, on trouve Erich von Stroheim que Wilder considérait comme son maître.
La séquence finale, où le spectateur devient le témoin de la fin de Norma Desmond, est un beau moment de cinéma… sur le cinéma. Plan d’ensemble. Reporters, cameramen des actualités, policiers venus arrêter la meurtrière se pressent dans le hall de la villa de la star. Max se place entre les caméras de la télévision. Plan moyen sur l’apparition de Norma Desmond. Contre-champ sur Max : « Ready, Norma ? » Lent travelling en plan moyen sur la descente d’escalier de la star. Au bas des marches, plan américain sur Norma qui dit son bonheur d’être de retour sur les plateaux. « Je suis prête pour mon gros plan, M. DeMille ! » Regard halluciné, gagnée par la folie, Norma Desmond s’avance vers nous. Fondu au blanc. The End.
MONTY PYTHON : SACRE GRAAL !.- A la fin des années 60, les Monty Python déboulent dans l’univers de la télévision avec un Flying Circus qui chamboule tout avec un humour loufoque et ravageur… En 1975, les humoristes passent au grand écran. Ecrit et réalisé par Terry Gilliam et Terry Jones, Sacré Graal ! est une comédie loufoque qui délire allègrement sur la légende d’Arthur, la quête du Graal ou les Chevaliers de la Table ronde…
A la manière de leurs émissions télé, Gilliam et Jones (qui rejoignent dans le casting John Cleese, Graham Chapman, Eric Idle et Michael Palin) racontent une histoire en forme d’épisodes isolés… Le tournage est compliqué, les moyens limités et l’ambiance sur le plateau est souvent tendue. N’ayant pas de chevaux, ils inventent le gag des noix de coco…
C’est dans la séquence du chevalier noir que s’exprime sans doute le mieux l’humour absurde des Monty Python. Le roi Arthur et son écuyer Patsy chevauchent (à pied) à travers la forêt lorsqu’ils observent comment un chevalier noir expédie un chevalier vert ad patres. Arthur propose au valeureux vainqueur de le rejoindre à Camelot. Silence. Arthur décide de poursuivre sa route. « On ne passe pas ! » Les deux vont donc s’affronter à grands moulinets d’épées. En plan américain, Arthur frappe, coupe un bras du chevalier noir, puis l’autre… « Une simple égratignure ! » dit le chevalier qui va perdre successivement une jambe puis l’autre… Arthur passe… L’homme-tronc lance alors : « Je vois qu’on se débine ! Sale lâche… »
LE QUAI DES BRUMES.- En 1938, Marcel Carné est contacté par le responsable des films français pour la UFA qui lui demande s’il n’a pas un sujet pour Jean Gabin, alors sous contrat avec la compagnie allemande. Carné qui a aimé Le Quai des brumes, un roman de Pierre McOrlan publié en 1927, propose cette histoire de déserteur de l’armée coloniale qui arrive au Havre d’où il veut quitter la France. Dans un bistrot, Jean fait la connaissance de Nelly, jeune fille mélancolique terrorisée par Zabel, son tuteur. Pour défendre la jeune fille, Jean tuera Zabel (Michel Simon)…
Gabin donne son accord. Carné songe à Michèle Morgan, alors âgée de 18 ans. Elle se souviendra : « Gabin disait « je suis sûr que cette môme ne sait pas embrasser », et ça m’énervait ! » Séduit par l’œuvre de McOrlan, Jacques Prévert accepte d’en faire les dialogues et écrira l’une des plus célèbres répliques du cinéma français.
Plan moyen sur Nelly et Jean qui s’éloignent d’une fête foraine. Dans une ruelle, Nelly se laisse aller contre un mur. Gros plan sur le profil de Nelly : « Vous ne pouvez pas savoir comme je suis bien quand je suis avec vous. Je respire, je suis vivante… » Contre-champ sur le sourire de Jean qui ironise… Très gros plan sur les yeux clairs de Nelly. Contre-champ sur un très gros plan de Jean. Silence. Lui : « T’as de beaux yeux, tu sais ». Elle : « Embrassez-moi ». Plan poitrine sur le baiser. Nelly : « Embrasse-moi encore ». Fondu enchaîné sur la fête foraine…
L’ADMIRABLE CRICHTON.- Dans l’Angleterre du 19e siècle, William Crichton est le majordome zélé d’une famille aristocratique de Londres… Serviteur discret et diplomate, il veille au bien-être de Lord Loam et des siens et gère au mieux les caprices de la caractérielle Lady Mary Lasenby… Lorsqu’à l’occasion d’une croisière dans les mers du Sud, ces aristocrates se retrouvent naufragés sur une île déserte, les rôles vont s’inverser. Dans une nature sauvage, Crichton est désormais le seul maître à bord. Alors que les sens s’éveillent et que les différences se sont atténuées, le majordome, seul type débrouillard, devient la coqueluche des naufragés et notamment de Lady Mary…
En 1919, Cecil B. DeMille tourne Male and Female (en v.o.) précurseur de tous les films de naufragés en détresse… Le réalisateur offre un rôle en or à Gloria Swanson avec cette Lady Mary qui s’amourache de Crichton. Amateur de flamboyances antiques, DeMille tourne une scène qui n’a que peu à voir avec l’intrigue. Crichton et Mary évoquent l’allégorie du roi de Babylone (Crichton) et de son esclave (Mary) jetée aux lions. Essentiellement en plans d’ensemble, hormis un gros plan sur Gloria Swanson belle et apeurée et sur un lion la gueule béante, le cinéaste met en scène cette parenthèse très peplum où l’esclave, tout de blanc vêtue, descend dans l’arène. Un court plan moyen la montre, allongée, contre le lion rugissant. Gloria Swanson avouera plus tard avoir eu très peur en tournant ce plan…
OLD BOY.- Lorsque Old Boy a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2003, les festivaliers ont vécu un choc. On se souvient de la manière dont le héros arrangeait les dents d’un malfrat avec un marteau ou encore comment Oh Dae-su dévore, dans un bar, un poulpe vivant. On a appris par la suite que Choi Min-sik, qui incarne Oh Dae-su, était… végétarien. Second volet d’un triptyque sur la vengeance (le premier, en 2002, Sympathy for Mister Vengeance, avait établi la réputation de Park Chan-wook), ce thriller impressionne par une mise en scène virtuose récompensée, sur la Croisette, du Grand prix du jury.
En se fondant sur un manga, lui-même inspiré du Comte de Monte-Cristo, le cinéaste sud-coréen raconte la tragique aventure d’un homme kidnappé en sortant de chez lui et emprisonné pendant quinze ans sans aucune explication… La scène la plus spectaculaire dans ce film visuellement impeccable, est celle où Oh Dae-su retrouve son lieu de détention et va mettre hors de combat son tortionnaire et tous ses hommes… Dans un couloir verdâtre, Park Chan-wook filme cette chorégraphie violente où les coups, de bâton ou de marteau, pleuvent en un unique et long plan-séquence avec de petits travellings pour accompagner le ballet entre Oh Dae-su (qui a un couteau planté dans le dos) et ses assaillants. Un dernier plan poitrine montre le héros avec un petit sourire aux lèvres tandis qu’un filet de sang coule sur son cou.
NOSFERATU LE VAMPIRE.- Et si Max Schreck avait lui-même été un vampire ? Voilà encore une de ces légendes que le 7e art aime à cultiver. Il est vrai que Schreck, qui était le vrai nom de cet acteur allemand (1879-1936), signifie… effroi ! Idéal, en somme, pour incarner le plus fameux de tous les vampires, celui qui traverse fabuleusement l’un des premiers films d’horreur du grand écran. Friederich Wilhelm Murnau qui tourne, en 1921, en extérieurs, notamment à Wismar et Lübeck, est un pionnier du genre. Il adapte, ici, le Dracula de Bram Stocker sans avoir l’autorisation des ayants droit. C’est ainsi que le comte Dracula deviendra le comte Orlock… Nosferatu, eine Symphonie des Grauens fit aussi les délices des surréalistes pour l’intertitre (présent dans la seule version française) : « Quant il eût passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ».
Dans une cale de bateau, un marin frappe avec une hache sur une caisse. Gros plan sur des rats qui pullulent. Plan moyen. On aperçoit des mains griffues. Le vampire se redresse. Plan poitrine sur le marin effrayé qui s’enfuit. Plan demi-ensemble : le pont du bateau. L’homme à la barre s’attache au gouvernail. En forte contre-plongée, apparition de Nosferatu. Visage blême, crâne chauve, longues oreilles pointues, haute silhouette noire. De sa démarche saccadée, il sort du champ à droite. On ne voit plus que son ombre qui passe. Plan américain sur le marin angoissé. Fondu au noir. Intertitre : « Le bateau de la mort a un nouveau capitaine »…
PSYCHO.- La séquence de la douche (peut-être, la plus célèbre de l’histoire du 7e art) dure, au total, 2 minutes 45 et montre, en 45 secondes, un violent assassinat .Quelques poignées de secondes qui, grâce au talent et à la maîtrise d’Alfred Hitchcock, provoquèrent à la fois le frisson et la stupeur du public. Le frisson parce que la secrétaire Marion Crane est sauvagement tuée par Norman Bates, le gérant du motel isolé dans lequel elle a fait halte pour la nuit. La stupeur parce qu’à la 46e minute d’un film qui en dure 109, la star Janet Leigh disparaît brutalement alors qu’on ne l’avait pas quittée depuis le début…
Sur les trois semaines de tournage du film, le point d’orgue de Psychose (1960) a occupé pas moins de sept jours, l’équipe technique ayant à régler de multiples problèmes comme la mesure du débit d’eau et l’épaisseur du rideau de douche afin de déterminer si l’on pouvait voir l’héroïne nue. Pour cela, on recruta un mannequin, la jeune Marli Renfro, 21 ans, qui se tint, nue, derrière le rideau et qui doubla aussi Jane Leigh pour les plans « physiques ». De la star des Vikings ou de La soif du mal, on ne voit que la tête, les mains et les épaules.
Très découpée, avec un montage hitchcockien haletant, la scène conserve la violence hors-champ même si Bates manie un énorme couteau. Elle s’achève sur un gros plan de l’œil ouvert de Marion Crane morte. Janet Leigh eut du mal à conserver l’œil ouvert sans ciller et il fallut une vingtaine de prises pour mettre le plan en boîte…
CASQUE D’OR.- Lorsqu’en mars 1952, Casque d’or sort sur les écrans français, c’est un impressionnant et inattendu échec critique et commercial, le plus douloureux de toute la carrière de Jacques Becker. Rétrospectivement, on s’est interrogé sur ce revers, estimant que la franchise du cinéaste vis-à-vis de ses personnages et aussi un style quasiment néoréaliste ont peut-être rebuté les spectateurs. Pourtant cette chronique du monde des apaches parisiens du début du siècle est magnifique, notamment dans sa description d’un coup de foudre et d’une histoire d’amour impossible…
Dans une guinguette des bords de Marne, Jo Manda (Serge Reggiani), ancien voyou devenu charpentier, tombe sous le charme de Marie alias Casque d’Or (Simone Signoret) mais le beau Roland, amant du moment de Marie, ne l’entend pas de cette oreille… Dans une superbe économie de moyens qui n’exclut pas de traduire l’atmosphère de la sortie dominicale, la caméra de Becker saisit un bonheur intense. Tandis que Marie danse avec Roland, elle ne cesse de regarder Jo. Et quand, devant un Roland excédé et furieux, Marie propose de danser la valse avec Jo, on voit, dans une série de plans virevoltants, deux êtres qui, déjà, savent qu’ils vont s’aimer follement. Pas un mot n’est échangé mais les regards disent tout. Et Roland finira au tapis d’un crochet appuyé…
On reverra, à la fin du film, leur danse endiablée quand la tragédie aura frappé…
BASIC INSTINCT.- Comment, en une nuit cannoise, devenir une star internationale ! On ne ne fera pas, ici, le bilan de la carrière de Sharon Stone et d’ailleurs, en 1995, trois années après Basic Instinct, elle revint sur la Croisette en clôture de la compétition officielle sans que son Mort ou vif n’émeuve qui que ce soit. Cependant, en 1992, Sharon Stone va affoler les gazettes et faire couler des hectolitres d’encre et de salive.
En compétition au Festival, Paul Verhoeven signe un polar volontiers sulfureux où Sharon Stone incarne Catherine Tramell, romancière, bisexuelle, perverse et sociopathe, accusée du meurtre de Johnny Boz, une rock-star assassinée avec un pic à glace. Le flic Nick Curran (Michael Douglas) est chargé de l’enquête et tombe vite sous le charme de cette redoutable mante religieuse…
Conduite au commissariat, Mlle Tramell répond, avec décontraction et sensualité, aux questions de cinq enquêteurs. La lumière zèbre une ambiance bleutée. « Je n’ai rien à cacher », dit-elle. Verhoeven alterne les gros plans sur les policiers et Catherine. Après avoir tombé sa veste blanche, elle croise et décroise ses longues jambes, révélant une absence de culotte… Un bref plan américain entré dans la légende.
Pour parfaire la légende, Verhoeven et sa star se sont affrontés bien plus tard sur le fait de savoir si Sharon Stone avait été d’accord pour tourner la séquence sans porter de sous-vêtement. Cinéma et marketing, où allez-vous vous nicher !
LES VACANCES DE M. HULOT.- Près de Saint-Nazaire, un certain Monsieur Hulot décide de prendre quelques jours de vacances. Maladroit à souhait, ce grand échalas, boute-en-train malgré lui, va semer le désordre dans la petite station balnéaire de Saint-Marc-sur-Mer. C’est dans ces Vacances, emblématique d’un certain esprit de la France de l’après-guerre (le film est sorti en 1953), qu’apparaît pour la première fois cet Hulot lunaire, double de Jacques Tati (qui a toujours pris soin de l’interpréter lui-même) et qui deviendra un personnage récurrent dans l’œuvre tatiesque.
Sportif accompli à la ville, Jacques Tati a toujours fait une place de choix au sport dans son cinéma. Du côté de Saint-Marc, c’est le tennis qui retient l’attention. Certes la séquence est relativement courte mais elle est joyeuse et résume parfaitement la manière de Tati, notamment dans l’art du mime et du travail du son… Plan d’ensemble sur un court en bord de mer. Entrée en amorce de la voiture d’Hulot dont le moteur à explosion stoppe brièvement la partie. Contre-plongée sur la juge de chaise. Plan d’ensemble. Hulot, de dos, fait face à deux joueuses. « Ready ? » En veste, pantalon clair et chapeau en papier, Hulot sert deux aces. Plan moyen sur le service d’Hulot. La raquette en bout de bras va d’avant en arrière à plat avant un lancer court qui amène de véritables plombs. Sous l’œil ravi d’une beauté blonde, Hulot va ainsi écoeurer quelques joueurs pour la plus grande joie d’une arbitre conquise…
SHINING.- Avec Stanley Kubrick, la salle de bain devient le territoire de toutes les terreurs… A deux reprises en effet, dans le film (1980), le cinéaste l’investit. Jack Torrance va ainsi se retrouver, dans la fameuse chambre 237, devant une belle jeune femme nue qui, sortant de la baignoire, l’attire dans ses bras avant de s’y transformer en vieille dame cadavérique…
Cependant, le paroxysme est atteint dans une autre salle de bains, attenante au logement que la famille Torrance occupe dans l’immense hôtel Overlook. Tandis que Jack attaque la porte de l’appartement à la hache, sa femme Wendy et le jeune Danny, terrorisés, se réfugient dans la salle de bain.
Dans un montage alterné, Kubrick filme Torrance, de dos, en travelling avant, marchant vers la salle d’eau. « Je suis de retour à la maison ! » Danny réussit à fuir en se glissant par une petite fenêtre. Le regard fou, Torrance (Jack Nicholson, au sommet de ses capacités de « monstre ») frappe à la porte : « Petits cochons, allez, ouvrez-moi donc ». Plan américain. Un grand couteau à la main, Wendy se recroqueville au fond de la pièce, en hurlant de peur. Au premier plan, la lame de la hache entame le bois de la porte. Plan poitrine, on aperçoit Jack à travers la porte défoncée. Il frappe à nouveau. Gros plan : Jack, regard dément, avance sa tête à travers la porte et lance un « Heeeeere’s Johnny » improvisé par Nicholson en référence à un célèbre talk-show américain des années 70. Gros plan sur la main de Torrance qui tente d’ouvrir le loquet. Wendy frappe avec la lame…
LES 400 COUPS.- Le 4 mai 1959, alors que l’ultime image du film se fige sur l’écran cannois, le public manifeste bruyamment et longuement son enthousiasme. Avec Les 400 coups, François Truffaut joue son va-tout : il sera cinéaste ou rien. On connaît la suite. Le film remporte le prix de la mise en scène sur la Croisette et ce premier long-métrage, qui révèle Truffaut au grand public, sera emblématique de l’essor de la Nouvelle vague.
Antoine Doinel, 12 ans, bête noire de son instituteur, vit coincé entre une mère qui ne l’aime pas et un beau-père gentil mais faible. Il décide alors de fuguer. Ce conte noir s’appuie sur certains éléments autobiographiques de son réalisateur. Mais le film repose aussi sur une véritable écriture…
La séquence finale est, ainsi, inoubliable. Placé dans un centre de redressement, Doinel (Jean-Pierre Léaud) s’enfuit pour voir la mer qu’il n’a jamais vue. Un long travelling latéral, en plan américain, accompagne la course du jeune adolescent. La caméra abandonne alors Doinel et accomplit un lent panoramique à 180° qui découvre la mer. Reprise sur l’enfant qui débouche sur la plage. Un ultime travelling latéral, en plan moyen, le suit, courant sur le sable, vers la mer. Lorsqu’il atteint l’eau, Doinel se retourne. Regard caméra en cinémascope. L’image se fige rapidement. Le voyage au bout de la nuit de Doinel est fini. L’angoisse de l’après demeure. Le mot fin apparaît en lettres blanches.
L’AURORE.- Premier film tourné à Hollywood par le cinéaste allemand Friedrich Wilhelm Murnau, Sunrise, sorti en 1927, évolue entre le réalisme et le fantastique, entre le muet et le sonore, entre le jour et la nuit, le tragique et le burlesque, la campagne et la ville, l’amour et le sexe. Une nuit, la maîtresse d’Ansass, une Femme de la ville, le pousse à noyer son épouse. Mais, à deux doigts de passer à l’acte, Ansass se rétracte et entraîne sa femme à la ville où ils goûteront les plaisirs citadins. Au retour, une tempête éclate sur le lac qu’ils traversent et renverse la barque… Au matin, Ansass est seul sur la berge. Furieux, il tente d’étrangler son amante. Mais des cris de joie résonnent…
Tournée en studio, le plan-séquence de la marche nocturne et sinueuse d’Ansass au bord d’un marais est un tour de force cinématographique. L’homme franchit différents seuils, aimanté qu’il est par le désir de la Femme tandis que la caméra semble soudain l’espionner, voire désirer sa perte. Quand, enfin, à la lueur de la lune, Ansass a rejoint son amante, Murnau va filmer le couple quasiment dans un cadre de pietà. Fardée de blanc et vêtue de noir, la Femme (qui ne sera jamais désignée qu’ainsi dans tout le film) a tout d’un vampire. Tel un Christ descendu de la croix, Ansass, les yeux tournés vers le ciel, est enlacé par la Femme qui resserre son étreinte. Tandis qu’un montage alterné montre les ébats du couple et l’épouse pleurant, La Femme finit par poser ses lèvres, dans un grand sourire, sur le cou offert…
LA GRANDE VADROUILLE.- Alors qu’ils n’avaient qu’une vraie scène ensemble dans Le corniaud (1965), André Bourvil et Louis de Funès ne se quittent plus, l’année suivante, en incarnant le peintre bonhomme Augustin Bouvet et le maestro hargneux Stanislas Lefort devant la caméra de Gérard Oury. Les aventures du tandem mal assorti feront la joie du publlic. La grande vadrouille, avec 17 millions d’entrées, reste le troisième meilleur résultat pour un film français après Bienvenue chez les Chtis et Intouchables.
Dans une comédie sous l’Occupation qui ne manque pas de scènes cultes, celle de la déambulation des deux personnages déguisés en soldats allemands de la Feldgendarmerie est d’autant plus savoureuse qu’elle fut largement improvisée.
Dans le décor sauvage du Chaos de Montpellier le Vieux, dans l’Aveyron, Augustin et Stanislas, traînés par les bergers allemands chargés de leur montrer le chemin, sillonnent le paysage, filmé en plan d’ensemble. Les voilà soudain face à un mur de pierres. Un lapin passe par un trou. Les chiens suivent. Gros plan sur les visages de Bourvil et De Funès dans l’orifice. Le premier escalade le mur. Le second va suivre. « Aidez-moi à descendre ! » Et voilà, Stanislas sur les épaules d’Augustin. Et il s’y trouve bien. Il domine la situation. Pourquoi descendre… Alors, dépité, le tendre benêt lâche : « Ca fait trois fois que vous me faites le coup. Mes souliers, mon vélôôô… »
DEADLINE USA.- Ex-journaliste, Richard Brooks s’est pleinement investi dans Bas les masques (en v.f.) car le thème de la liberté de la presse lui a toujours tenu à cœur. En contant les derniers instants du Day, journal libéral de New York, Brooks critique l’Amérique tout en exaltant, sans préchi-prêcha, les valeurs les plus nobles du pays d’Abraham Lincoln. Alors que le journal va être vendu à un concurrent sans scrupules, Ed Hutcheson (Humphrey Bogart dans l’un de ses rôles les plus mythiques), le rédacteur en chef du Day, va livrer, avec ses reporters, un ultime combat : faire tomber Thomas Rienzi, un caïd de la pègre…
Grand film classique et cependant lyrique, idéaliste tout en étant ancré dans le réel, Deadline USA (1952) s’achève par une séquence admirable et tragique. Rienzi, aux abois, téléphone à Hutcheson pour le menacer de mort s’il publie un article sur son compte. Sans doute, pour la dernière fois, Hutcheson se trouve alors dans la salle des rotatives du Day. Il va être 22h30. Rienzi réclame : « Yes or no ? » Un bref instant et Hutcheson, cadré en plan cravate (même si Bogart porte superbement le nœud papillon), fait un signe de tête. La sonnerie retentit. Les rotos commencent à tourner. Hutcheson tend son téléphone. Rienzi est surpris par le vacarme. « That’s the Press, baby, the Press… and there’s nothing you can do about it. Nothing. » C’est la presse et vous n’y pouvez rien. Ultime action d’éclat pour The Day et le quatrième pouvoir.
MELANCHOLIA.- En mai 2011, Lars von Trier est en compétition officielle à Cannes avec son onzième long-métrage. En conférence de presse, le cinéaste danois, interrogé sur ses origines allemandes, dérape sur Hitler et avoue son goût pour l’esthétique nazie d’Albert Speer. Malgré ses excuses, Von Trier est déclaré persona non grata sur la Croisette. Mais Melancholia est maintenu en compétition et Kirsten Dunst obtiendra même le prix d’interprétation. Sans doute le film aurait-il pu prétendre à la Palme mais…
Car Melancholia est un somptueux film de science-fiction qui ne s’en va pas du côté de la voie lactée mais préfère passer par la dimension de l’intime pour évoquer la destruction de la Terre… La séquence d’ouverture, aux accents du Tristan et Yseult de Wagner, est un pur moment de beauté avec ses ralentis et ses images inspirées de tableaux anciens.
Autour de la peur de la mort, la séquence finale est émouvante par sa poésie tragique. Sur une petite butte, Justine (Kirsten Dunst), Claire (Charlotte Gainsbourg) et son fils, Leo, 6 ans, s’installent sous une tente sans toile dont les mâts de bois apparaissent d’une dérisoire fragilité. Avec une caméra portée très mobile, le cinéaste multiplie les gros plans des trois personnages, de leurs mains qui s’étreignent. Aux accents de Tristan et Yseult, la lumière devient de plus en plus bleue. Enfin un plan général révèle la planète Melancholia s’approchant lentement de la Terre, emplissant tout l’écran avant l’apocalypse finale. Fondu au noir.
LA COMTESSE AUX PIEDS NUS.- Extérieur jour. Un cimetière de la Riviera italienne, non loin de Rapallo. En moins de deux minutes et en trois plans, Joseph Mankiewicz ouvre son film, installe le drame et interroge d’emblée l’absence. Au long du film, Il reviendra à huit reprises en flash-back dans ce cimetière…
Plan d’ensemble sur une allée où un enfant se tient au milieu des tombes blanches. Grand travelling arrière qui, par un mouvement de grue, passe au-dessus d’un homme, tête nu, en imper sous une pluie battante puis au-dessus d’une série de parapluies sombres pour s’arrêter sur une statue blanche filmée de dos. Travelling avant à travers les parapluies pour arriver, en plan poitrine, sur Harry Dawes, réalisateur américain, qui évoque, en voix off, la comtesse qu’on porte en terre. D’un grand mausolée, panoramique à droite rapide vers la statue de face et travelling avant pour finir en légère contre-plongée. Fondu enchaîné avec un bruyant club espagnol… Harry Dawes qui assiste aux funérailles de la comtesse Torlato-Favrini dans une terre qu’elle ne connaissait pas six mois auparavant, constate, amer, » La vie se conduit parfois comme si elle avait vu trop de mauvais films… » Mais qui porte-t-on, ici, à sa dernière demeure ? Une comtesse, Maria Damata, une vedette de cinéma à la brève carrière hollywoodienne ou encore une certaine Maria Vargas ?
En 1954, Mankiewicz réunit un duo mythique Humphrey Bogart (Dawes) et Ava Gardner (Maria Vargas) pour quêter le mystère d’une femme…
LA TRAVERSEE DE PARIS.- Plan d’ensemble d’une cave voutée. Contre-plongée sur la porte qui laisse le passage à Jambier suivi de Martin, enfin de Grandgil. Méfiant, Jambier interroge : « Vous êtes sûr de lui ? » Plan d’ensemble sur Jambier et Martin emballant des quartiers de cochon dans des torchons. Grandgil, admiratif : « Voilà un cochon qui n’a pas eu à se plaindre ! » Tandis que Jambier précise la destination du cochon et que Martin négocie le tarif, Grandgil évoque la rue Poliveau et se renseigne : « C’est bien le n°45, ici ? »
Dans la cave, la tension monte. Champ-contre champ sur Grandgil : « M. Jambier, 45, rue Poliveau. Pour moi ce sera 1000 francs » puis sur Jambier et Martin, ahuris. Désormais, c’est Grandgil qui mène l’affaire. Il renverse une boîte de sucre, plante son doigt dans un camembert, éventre un sac de haricots, se coupe une large tranche dans un jambon suspendu… Alors que Jambier veut les pousser dehors, Grandgil, ayant empoigné deux valises, constate : « C’est plus lourd que je ne pensais ! » Et de faire monter les prix… Dans l’escalier, les bras largement ouverts, Grandgil hurle, à tue-tête et à cinq reprises, « Jambier ! »
Western urbain sous l’Occupation, La traversée de Paris (1956) est sans doute le meilleur film de Claude Autant-Lara et une grande interprétation de Bourvil (Martin) et de Jean Gabin (Grandgil) avec De Funès en inoubliable second rôle. Au-delà de la comédie, la très fameuse séquence de la cave dit beaucoup aussi d’une certaine veulerie de l’époque…
NINOTCHKA.- Avec Billy Wilder au scénario, Ernst Lubitsch réalise, en 1939, un fleuron de comédie qui porte clairement sa « touch » et qui recevra un accueil enthousiaste à sa sortie… A Paris, trois agents du ministère soviétique du commerce sont chargés de vendre un lot de bijoux pris à des aristocrates pour acheter des machines agricoles. Le sympathique comte Léon d’Algout, qui a une idée derrière la tête, leur fait découvrir les « charmes décadents » du capitalisme. Débarque alors l’incorruptible commissaire politique soviétique Ninotchka Yakouchova chargée de remettre le trio dans le droit chemin…
Lancé par le slogan « Garbo laughs ! », Ninotchka est la première comédie de la Divine. Dans la séquence à laquelle le slogan fait référence, l’avantageux comte d’Algout (Melvyn Douglas) a invité l’inflexible communiste à dîner dans un bistrot parisien. Pleine d’aversion pour cet oisif corrompu, Greta Garbo a le masque et dîne du bout des lèvres. En plan fixe, Algout raconte des blagues qui ne la dérident pas. Alors qu’il se balance sur sa chaise, il s’effondre au sol. Contre champ sur Garbo qui explose de rire. Tout comme les clients alentour. Algout, mécontent, se relève, s’assied à ses côtés. Ensemble, de bon cœur, ils ne tardent pas à éclater de rire. L’idylle n’est plus très loin.
Star du mélodrame au visage parfait, Greta Garbo avait-elle, à cet instant, perdu le caractère inaccessible qui faisait son mystère ? Qu’importe, Ninotchka est déjà son avant-dernier film.
LA CITE DE LA PEUR.- Quelques journées cauchemardesques au Festival de Cannes pour la (petite) équipe du film Red is Dead, un nanardesque film d’horreur… En 1994, sur un scénario des Nuls (Alain Chabat, Chantal Lauby, Dominique Farrugia), Alain Berbérian met en scène une comédie absurde, loufoque et parfois pipi-caca qui connaîtra surtout son succès au gré des diffusions télévisées. Ce film potache deviendra aussi culte pour certaines de ses répliques dont le fameux « Vous ne préférez pas un whisky d’abord ? »
Pendant la conférence de presse du film, Serge Karamazov, chargé de la protection du projectionniste menacé par le tueur à la faucille et au marteau, s’absente aux WC pour cause d’indigestion. Pendant ce temps, le tueur élimine le projectionniste et s’enfuit… Sur la Croisette, au milieu de la foule, s’engage une course-poursuite… La séquence alterne les travellings sur la fuite du tueur et la poursuite de Karamazov (Alain Chabat). Une clocharde poussant un chariot croise leur route. Le tueur l’évite. Karamazov freine à mort et la femme peut traverser le boulevard où elle est instantanément fauchée par un camion. C’est par le son que la séquence devient une parodie des courses-poursuites automobiles chères au cinéma d’action américain. Crissements de pneus, moteurs poussés à fond ou « autoroute » remontée à contre-sens au milieu de… joggeurs. Karamavov décolle aussi, au ralenti, avant d’éclater une chaussure, façon « pneu »… Fin de la poursuite mais pas de l’indigestion…
INDIANA JONES ET LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE.- La légende d’Hollywood veut que la fameuse saga soit née en 1977 sur une plage d’Hawaï où George Lucas parle à Steven Spielberg d’Indiana Smith, un archéologue américain qu’il imagine dans de fantaisistes aventures…
La dynamique séquence d’ouverture du film (1981) donne d’emblée le ton. Filmé en plan cravate, un homme en blouson de cuir et Fedora se tient à l’entrée d’une grotte. En contre-champ, une idole inca en or massif. Plan d’Indiana Jones au sourire ravi. Avec un pieu, il enfonce un orifice au sol. Aussi sec, une fléchette vient se planter dans le bois. Gros plans sur les pas prudents de Jones. Plan d’ensemble de la grotte. Travelling avant sur l’idole Chachapoyan. Indiana sort de son blouson un sac contenant du sable. Rapidement, il saisit la statue et bouche son socle avec le sac… Gagné ? Non, des pierres pleuvent autour de Jones en fuite. Un peu naïf, Jones lance l’idole au dernier porteur resté avec lui… et qui s’en va… Il lui faudra sauter par-dessus une fosse, saisir une liane qui se dérobe. Face à lui, une lourde dalle grise descend pour boucher le passage mais Jones réussit à se glisser dessous… Parmi les pièges, il devra échapper à une immense boule de pierre et à une troupe d’Indiens armés de lances et d’arcs… Pire, Jones sera dépouillé de l’idole et ne devra son salut qu’à un hydravion… L’épique thème musical de John Williams s’élève. L’aventure ne fait que commencer !
L’ARRIVEE D’UN TRAIN EN GARE DE LA CIOTAT.- S’il est un plan célèbre dans l’histoire du 7e art, c’est bien celui-là ! D’autant plus qu’il a alimenté la légende. Non, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat ne figurait pas dans le programme de la fameuse séance du Salon indien du 28 décembre 1895, considérée comme l’acte de naissance du cinéma.
On ne sait pas, avec plus de précision, si la scène donna lieu à des mouvements de panique chez les spectateurs qui la découvraient. On raconte, en effet, que l’illusion du cinéma était si parfaite que le public effrayé pensa que le convoi allait carrément sortir de l’écran pour l’écraser…
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, réalisé en 1895, dure 50 secondes et est composé d’un unique plan (on disait « vue » à l’époque) fixe. Louis Lumière, qui tient la caméra, met en œuvre son expérience de photographe en choisissant d’utiliser notamment la profondeur de champ qu’il est le premier à mettre en œuvre.
Le dispositif fait face aux rails avec, comme point de fuite, le fond droit du champ. Sur le quai, des voyageurs attendent. La locomotive apparaît, avance vers nous et sort du champ à gauche, laissant place aux wagons. Tandis que le train ralentit, le quai s’anime. A l’arrêt du train, les portes s’ouvrent. La foule emplit alors le quai (produisant une belle variété de cadrages), les voyageurs se mélangeant entre ceux qui descendent et ceux qui montent. Certains regardent même avec curiosité l’opérateur activant sa manivelle. Louis Lumière était, il est vrai, connu à La Ciotat…
M LE MAUDIT.- En 1931, Fritz Lang signe son premier film parlant et donne un chef d’œuvre du cinéma allemand qui, en pleine montée du nazisme, propose une interrogation dérangeante sur l’aspect criminel de la société…
Grand moment de cinéma, l’ouverture de M le maudit distille l’angoisse en ne montrant rien du crime. En plongée, une ronde d’enfants chantant une comptine où il est question d’un meurtrier… A l’étage, une mère crie de cesser avec cette maudite chanson. Midi, heure de la sortie de l’école. Le déjeuner est prêt. Le montage alterné de Lang montre successivement l’angoisse grandissante de Mme Beckmann et l’insouciance d’Elsie. Un travelling suit la fillette, jouant avec une balle. Gros plan sur une colonne Morris contre laquelle elle lance sa balle. On y lit « Wer ist der Mörder ? »
Une ombre entre à droite dans le champ, sur l’affiche. « Quel joli ballon ! » dit une voix, puis interroge : « Comment t’appelles-tu ? » L’ombre s’est penchée sur l’enfant. Mme Beckmann est de plus en plus inquiète. Plongée sur un marchand de ballons. L’homme est aveugle. Il fait face à un homme portant chapeau vu de dos et à Elsie de profil. On entend un air de Peer Gynt de Grieg sifflé par l’homme au chapeau. Elsie prend le ballon qu’on vient de lui offrir et sort du champ avec l’homme. Sur son palier, la mère crie le nom de la fillette. Plan moyen sur la balle d’Elsie roulant dans un terrain vague. Contre-plongée sur le ballon de la fillette qui s’est envolé… Le meurtre a été commis. La traque de M peut commencer…
IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN.- Elue « meilleure scène de bataille de tous les temps » par le magazine anglais Empire, le débarquement sur la plage d’Omaha Beach, le 6 juin 1944, est évidemment le temps fort de Saving Private Ryan que Steven Spielberg tourne, à partir de juin 1997 et pour quatre semaines, sur des plages… d’Irlande avec plus d’un millier de figurants et Tom Hanks dans le rôle principal du capitaine Miller. Ce capitaine d’une compagnie de Rangers se lance à l’assaut des blockhaus allemands en haut d’Omaha Beach dans un chaos de feu et de sang.
Pour le cinéaste américain, il n’est plus possible, à la fin des années 90, de ne pas montrer la guerre telle qu’elle était réellement sur les plages du D-day. En s’inspirant des fameuses photos réalisée par Robert Capa sur ces mêmes plages, Spielberg met en scène le débarquement en se tenant au plus près des soldats. La séquence s’ouvre et s’achève sur un gros plan de la main tremblante de Miller puis sur sa gourde qu’il porte à ses lèvres. Longue de plus de 20 minutes, la séquence de la plage est tournée à 90% en steadycam (caméra portée) et privilégie une succession de travellings ainsi que des gros plans sur des soldats tétanisés dans le bruit et la mitraille. Si le réalisme de la séquence est impressionnant, Spielberg n’oublie pas d’en faire du.. cinéma captivant tant par la qualité des interprètes, le rythme du montage, l’élaboration du son ou encore le traitement de l’image par une suppression importante de la couleur…
LA GRANDE ILLUSION.- Au-delà de son intrigue principale (l’évasion de soldats français prisonniers dans une forteresse allemande), le film de Jean Renoir (1937) traite de la lutte des classes. Si sa préférence va assurément à Maréchal (Jean Gabin), l’homme du peuple, le cinéaste réussit pourtant une remarquable séquence en filmant la rencontre entre Boëldieu (Pierre Fresnay) et Rauffenstein (Erich von Stroheim pour lequel Renoir avait une admiration sans bornes). Les deux officiers se sont retrouvés dans la chapelle de la forteresse puis s’installent devant une fenêtre à carreaux.
En anglais, langue commune d’aristocrates, ils devisent, avec élégance, de Blue Minnie que Rauffenstein monta au prix du prince de Galles…
Renoir a construit toute la scène en champ / contre champ pour saisir le dégoût de l’Allemand (il était officier de cavalerie, il est devenu… policier), ses malheurs (sa colonne vertébrale brisée le contraint à porter corset et minerve) et l’attention souriante et complice de Boëldieu. Ce dernier interroge d’ailleurs : « Pourquoi m’avez-vous reçu chez vous ? » Et l’Allemand de résumer : « Parce que vous appelez Boëldieu, officier de carrière dans l’armée française et moi, Rauffenstein, officier de carrière dans l’armée impériale d’Allemagne ». Ensemble, ils peuvent convenir : « La fin, quel qu’elle soit, sera la fin des Boëldieu et des Rauffenstein… » Le Français : « On n’a peut-être plus besoin de nous… » et l’Allemand : « Et vous ne trouvez pas que c’est dommage ? » Renoir peut alors réunir les deux officiers dans le même plan avant un rapide fondu au noir. Tout a été dit.
CITIZEN KANE.- Dans son antre de Xanadu, Charles Foster Kane s’éteint en prononçant l’énigmatique « Rosebud » et en lâchant une boule de neige… En 1941, Orson Welles n’a que 26 ans et il signe, pour le compte de la RKO, la plus petite des grands majors, un Citizen Kane qui va être considéré, avec le temps, comme le meilleur film de l’histoire du 7eart. Bien sûr, on peut douter de la validité des classements mais, assurément, cette chronique d’un homme tout-puissant, de ses excès et de ses angoisses, est une œuvre somptueuse. Elle l’est notamment parce qu’Orson Welles, pour sa première réalisation, a su, non pas inventer (ils existaient depuis les origines) mais assimiler et magnifier sans doute des procédés comme la photographie en clair-obscur, les décors plafonnés, les travellings démesurés, les recherches sonores et l’emploi quasi systématique de la profondeur de champ.
Plus bel exemple de la profondeur de champ, la séquence où Tchatcher, futur tuteur de Kane, se pose entre ses deux parents pour décider de son destin. Tandis que la mère signe, le jeune Kane reste à l’extérieur, jouant dans la neige avec sa luge. Cadré dans la fenêtre constamment présente au fond du plan, l’enfant demeure toujours présent, véritable enjeu (innocent) de la rude tractation qui se joue. Mécontent du sort réservé à l’enfant, le père va fermer la fenêtre comme pour isoler Kane. Aussitôt, la mère rouvre la fenêtre, ramenant l’enfant à sa destinée…
LE SECRET DE VERONIKA VOSS.- Lorsqu’il entreprend Le secret …, Rainer-Werner Fassbinder est arrivé au bout de son parcours… Le plus prolifique cinéaste allemand de l’après-guerre donne alors une Trilogie allemande avec trois personnages de femmes (Le mariage de Maria Braun et Lola, une femme allemande encadrent Veronika Voss) qui portent sur leurs épaules la reconstruction d’une Allemagne promise au miracle économique…
Star de cinéma déchue, Veronika Voss est réduite en esclavage par des médecins qui la gavent de morphine contre l’abandon de sa fortune.
Pour RWF, Veronika Voss (inspirée de Sybille Schmitz, véritable actrice du temps de Goebbels) n’existe que par l’image que le cinéma a produit d’elle. Alors, dans une lumière très blanche, Veronika Voss (la remarquable Rosel Zech) apparaît d’emblée comme un fantôme… Die Shensucht der Veronika Voss est probablement le plus beau film de Fassbinder. Et le plus brillant dans sa mise en scène. La scène où la star, poings sur les hanches, chante le standard américain Memories are Made of This, repose sur un grand travelling circulaire qui enferme Veronika Voss dans un intérieur surchargé, éclairé aux bougies. De plus, les spectateurs qui l’écoutent, sont, souvent, filmés dans des cadres de fenêtres. D’une atmosphère étouffante et d’une caméra qui vampirise Veronika, émane une douloureuse nostalgie…
VACANCES ROMAINES.- Lorsqu’il tourne Roman Holiday, William Wyler n’a plus fait de comédies depuis 20 ans… Mais son casting lui indique qu’il tient le bon bout. Car voici une ravissante et fine inconnue de 23 ans venue de la danse et de la scène. Elle se nomme Audrey Hepburn et raflera d’entrée l’Oscar de la meilleure actrice pour cette parfaite comédie romantique dont les extérieurs sont tournés à Rome…
Echappant au protocole, Ann, une princesse en visite à Rome, part à l’aventure dans la Ville éternelle et trouve, en Joe Bradley (Gregory Peck), un guide d’autant plus attentionné et bientôt amoureux qu’il est journaliste et qu’il sait tenir un gros scoop. Vacances romaines s’achève par une séquence de pure émotion. La folle journée d’Ann est finie. Redevenue l’héritière coincée dans les fastes princiers, son Altesse royale va répondre aux questions de la presse internationale. Au premier rang, Joe Bradley. Le sourire de circonstance d’Ann glisse sur la foule. Ses traits se figent furtivement en le voyant. Désormais elle répond automatiquement aux questions et Wyler filme l’échange de regards muets entre la princesse et le reporter. Faisant fi du protocole, Ann se fait présenter les journalistes. « So happy, Mr Bradley ! » La poignée de main est un peu plus longue qu’avec les autres… Ann retourne sur son trône. Gros plan sur son visage aux yeux mouillés. Tout le monde se retire. Joe s’éloigne, ému et songeur. Il se retourne une dernière fois. Travelling arrière en contre-plongée. The End.
CAT PEOPLE.- Dans l’une des rares interviews qui existent de Jacques Tourneur, celui-ci se souvient que son Cat People était sorti, en 1942, dans les salles américaines la semaine suivant la sortie de… Citizen Kane. Le « petit » film de la RKO resta à l’affiche treize semaines contre douze au plus grand film de l’histoire du 7e art, lui aussi un produit RKO… Tourneur en jubile encore. Avec La féline (en v.f.), le Français d’Hollywood (1904-1977) raconte l’aventure d’Irena Dubrovna, jeune dessinatrice de mode qui pense être la descendante d’une race de monstres slaves. En visite au zoo, elle rencontre Oliver Reed qui s’éprend d’elle et l’épouse. Mais Irena (Simone Simon, la tentatrice de Gabin dans La bête humaine) est effrayée à l’idée de consommer le mariage. Selon une légende de Serbie, son pays natal, un baiser la transformerait en fauve…
Lorsqu’il entame l’aventure de Cat People, le cinéaste n’a encore jamais fait peur à son public. Il va y parvenir magnifiquement en intégrant le fantastique dans un réalisme du quotidien et en oeuvrant constamment dans une (efficace) suggestion. Dans la plus belle scène du film, Alice (Jane Randolph) nage, un soir, seule dans la piscine d’un hôtel. Lorsqu’elle entend des feulements, elle prend peur… Tourneur fait grimper l’angoisse uniquement par les ombres qui passent sur les murs de la piscine… Enfin, apparaît Irena, qui considère Alice comme sa rivale. Irena n’a rien d’une panthère. Mais lorsqu’Alice revient au vestiaire, l’état de son peignoir la fait à nouveau frissonner d’angoisse…
CINEMA PARADISO.- Giuseppe Tornatore est un prometteur trentenaire quand il signe, en 1988, Cinema Paradiso qui est considéré comme son chef d’œuvre et qui obtiendra tour à tour le Grand prix du jury au Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Au cœur d’un touchant portrait de l’Italie des années 50 à 80, le cinéaste sicilien raconte la rencontre du petit Toto et d’Alfredo, le projectionniste du cinéma Paradiso…
Cet hymne à l’amour du cinéma s’achève par une séquence magnifique. Devenu cinéaste de renom, Salvatore Di Vita revient à Giancaldo pour assister aux funérailles d’Alfredo. Son ami lui a laissé un merveilleux cadeau. Toto rentre en effet à Rome avec une boîte métallique de film remise à son intention par la veuve d’Alfredo… Salvatore s’installe, seul, dans une salle aux fauteuils rouges. Le projectionniste envoie la lumière. Petit travelling avant sur Jacques Perrin, l’interprète de Salvatore. D’abord surpris, puis ébahi et ému, il voit défiler sur l’écran un montage de toutes les séquences coupées autrefois par la censure de Don Adelfio, le curé du village… Et c’est alors un florilège de baisers de cinéma qui envahit l’écran devant les yeux mouillés de larmes de Salvatore… Jane Russell, Greta Garbo, Martine Carol, Errol Flynn, Marcello Mastroianni, Gary Grant, Clara Bow, Rudolph Valentino, Toto et Charlot sont au rendez-vous du souvenir. L’ultime clin d’Alfredo à Toto est la plus belle image de l’immortalité du 7e art.
LE DICTATEUR.- En 1940, après avoir beaucoup résisté, Charlie Chaplin passe au parlant. Il va le faire avec un film qui sera son plus grand succès commercial. Alors que les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre contre l’Allemagne nazie, Chaplin fait du Dictateur une œuvre qui présente le nazisme comme un danger mortel pour les communautés juives d’Europe, pour l’humanité entière et pour la démocratie. Le cinéaste développe sa satire dans un pays imaginaire, la Tomanie, un régime dictatorial et fasciste dirigé par Adenoïd Hynkel dont un petit barbier juif est le sosie parfait. A la suite d’une méprise, le barbier se retrouve contraint d’improviser un discours devant une foule immense…
L’avant-dernière séquence du Dictateur est entrée au panthéon de l’espoir, de la liberté et de la paix. « Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider, les êtres humains sont ainsi. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas le malheur… » En moins de quatre minutes, les trois plans sont d’une simplicité biblique. Un plan-cravate fixe, un regard caméra de Charlie Chaplin, un court insert sur Hannah pleurant, puis un plan légèrement plus large et un travelling avant sur le barbier emporté par sa fougue humaniste. Ce beau et puissant discours est, aujourd’hui encore, d’actualité.
LE PIGEON.- En 1958, Mario Monicelli ouvre brillamment la voie de la comédie dite « à l’italienne » avec Le pigeon, une comédie mêlant film noir et néoréalisme et qui réunit une distribution de luxe avec Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Toto, Renato Salvatore et une débutante de 20 ans, Claudia Cardinale. D’après une histoire du duo Age et Scarpelli, le réalisateur romain raconte l’aventure d’une bande de bras cassés qui projettent de voler le coffre-fort du mont-de-pieté…
Ayant réussi à pénétrer dans l’appartement mitoyen, les cambrioleurs utilisent des meubles et des objets avec lesquels ils forment une colonne entre deux parois, puis ils placent un cric au milieu et le déploient jusqu’à ce que la pression fasse éclater le mur.
Par un plan d’ensemble puis des détails, Monicelli prend soin de décrire le caractère absurde et burlesque de l’installation qui a aussi une forme de révolte sociale puisqu’elle utilise des éléments représentatifs du goût bourgeois. Il pointe enfin le catastrophique amateurisme des voleurs par un plan qui indique qu’il aurait suffi au personnage de Capannelle de passer par la porte de droite pour arriver de l’autre côté du mur.
Quand le mur tombe, les cambrioleurs se retrouvent dans une cuisine où, en guise de seul butin, ils trouvent un plat de pâtes qu’ils dégusteront… Avant de se disperser au petit matin et de retrouver la foule anonyme des travailleurs…
LAST CHANCE FOR LOVE.- Mauvaise journée pour Harvey Shine ! Cet Américain divorcé, créateur de jingles pour la pub, est venu à Londres pour le mariage de sa fille. Mais celle-ci a préféré demander à son beau-père de la conduire à l’autel. Harvey vient aussi d’apprendre qu’il était licencié et enfin il a raté l’avion qui devait le ramener à New York. Dans un bar sans joie de l’aéroport d’Heathrow, Harvey rumine et avale trois scotchs. Et il casse les pieds à Kate Walker assise là et qui tente péniblement de lire son bouquin. « J’ai eu une journée de merde ! » Kate : « Bienvenue au club ». L’Américain déroule alors sa journée et l’Anglaise constate : « D’accord, vous avez gagné ! » Il ne reste plus à Harvey à inviter Kate à déjeuner. Elle refuse lorsque son téléphone sonne. Harvey lance : « Si c’est pour moi, je suis sous la douche ! ». Kate sourit et Harvey pousse son avantage : « Dois-je y voir un signe d’espoir ? » lorsqu’un employé passe un bruyant aspirateur… Une savoureuse scène de séduction qui s’achève sur un petit cours so british de lèvres pincées…
Tourné en 2008 à Londres, Last Chance for Love n’est pas le film du siècle. Mais cette comédie romantique distille un petit charme bien agréable. Joel Hopkins filme deux personnages bien dessinés, en l’occurrence deux adultes matures et solitaires qui se demandent s’il est encore temps de prévoir un avenir à deux. Pour incarner Harvey et Kate, Dustin Hoffman et Emma Thompson sont simplement parfaits d’émotion discrète.
PAPY FAIT DE LA RESISTANCE.- Lorsque le film de Jean-Marie Poiré sort sur les écrans en octobre 1983, le public vient rire de bon cœur aux gags imaginés, d’abord au théâtre puis au cinéma par le tandem Martin Lamotte / Christian Clavier. Plus de 4 millions de spectateurs seront au rendez-vous.
Alors que le récit s’achève, un travelling arrière révèle un moniteur. L’histoire était un film qui fait place à un débat télévisé contemporain. Une incrustation défile sur l’écran (Pour obtenir SVP, composer pour Paris 787 11 11…) tandis qu’on entend le générique resté célèbre des Dossiers de l’écran. C’est d’ailleurs Alain Jérôme, le vrai présentateur de l’émission, qui est en plateau, entourés de certains protagonistes de l’aventure, maintenant âgés. Bernadette Bourdelle (Dominique Lavanant), le général Spontz (Roland Giraud), Michel Taupin (Christian Clavier) devenu ministre des Anciens combattants, Guy-Hubert Bourdelle (Martin Lamotte) et le fils d’Adolfo Ramirez, venu spécialement de Bolivie… Tous les invités conviennent que le film est un pur navet… Le fils Ramirez affirme que son père n’a fait qu’infiltrer la Gestapo… Le ton monte, Bernadette Bourdelle donne du « Sale Bougnoule ! » à Ramirez et quitte le plateau avec un « Ah, vous faites un beau métier ! » à Jérôme. Sur le plateau, Taupin, Guy-Hubert et Ramirez en viennent aux mains. Les noms d’oiseaux fusent. « C’est le mot de la fin » pour Alain Jérôme qui a du mal à garder son sérieux en rendant l’antenne…
MARIAGE ROYAL.- En janvier 1933, un jeune acteur de Broadway tourne un bout d’essai pour la RKO. Commentaire d’un responsable du studio : « Ne sait pas jouer. Légèrement chauve. Danse à l’occasion ». Habillé pour l’hiver, le bon Fred Astaire (1899-1987)! Mais, au début des années cinquante, le comédien-danseur est au sommet de sa carrière dans la comédie musicale.
On dit que le partenaire de Ginger Rogers ou d’Eleanor Powell pourrait danser avec n’importe qui, même avec un porte-manteau ! Pari tenu. Dans Royal Wedding, en 1951, le personnage de Tom Bowen entre dans un gymnase, jette un coup d’œil dans une pièce voisine, pose la main presque par inadvertance sur un porte-manteau. Et soudain, il l’embarque dans des pas virevoltants. Il le suit, le poursuit, le précède, l’enlace et le soulève, le prend sur ses épaules et le balance du bout de la chaussure. Stanley Donen filme le tout en plan moyen, le plan classique du musical… L’élégant Astaire joue avec des barres parallèles, un cheval d’arçon, un punching-ball, jongle avec des masses et revient au porte-manteau qui finira, renversé dans ses bras, comme toutes ses partenaires !
Sunday Jumps, ce solo éblouissant sur une musique de Burton Lane et Albert Sendrey, figure dans toutes les anthologies de la comédie musicale. Dans ses mémoires, Fred Astaire en attribue la paternité au chorégraphe Hermes Pan: « Ce numéro était on ne peut plus difficile à exécuter. Le tout était d’apprendre à manipuler l’objet, son poids n’était pas évident… »
DEUX HOMMES DANS LA VILLE.- Intérieur, nuit. A pas feutrés, un groupe en costume sombre avance dans une prison. On allume brusquement la lumière dans la cellule de Gino Strabliggi. Réveillé en sursaut, il a compris. En silence, le rituel macabre se déploie. Dans une suite de travellings arrière, entrecoupée de quelques gros plans (le col de chemise découpé, les pieds et les poings liés, le verre d’alcool, la cigarette), le condamné à mort marche vers la guillotine. A Germain Cazeneuve, son éducateur, Gino murmure : « J’ai peur ». Très gros plans sur le regard embué de l’un, terrifié de l’autre. Ultime travelling arrière : le meurtrier d’un policier bascule sur la planche. Le couperet tombe. Noir. Résonne enfin la voix off de Jean Gabin : « Et puis derrière tout ça, y’a une chose que j’ai vue : une machine qui tue… »
En 1973, José Giovanni tourne Deux hommes dans la ville. L’histoire d’un ancien braqueur (Alain Delon) qui a purgé dix ans de prison et qui, grâce à l’aide d’un éducateur, réussit à se réintégrer. Mais c’est sans compter sur la traque menée par un flic obsédé par l’idée « truand un jour, truand toujours »… Le cinéaste sait de quoi il parle, lui-même, au sortir de la guerre, a été condamné à la peine capitale pour des faits graves de droit commun avant d’être gracié en 1956 après onze années de travaux forcés. Reconverti avec succès dans le cinéma, Giovanni a, ici, huit ans d’avance dans son plaidoyer cinématographique sur Robert Badinter qui fera abolir la peine de mort en septembre 1981.
CASABLANCA.- Dans le brouillard de l’aérodrome de Casablanca, champ/contre champ mythique entre Rick Blaine et Ilsa Lund aux yeux mouillés. Une belle histoire d’amour impossible s’achève dans le bruit des hélices. Rick coupe court : « Vous allez rater votre avion ! » Tandis que le chef de la résistance tchèque et Ilsa s’éloignent, le capitaine Louis Renault lance à l’Américain : « J’avais raison. Vous êtes un sentimental !» Le policier de Vichy n’arrêtera pas Blaine. Le major nazi Strasser arrive sur le tarmac. Laszlo lui a échappé. Furieux, il n’aura pas le temps de téléphoner pour demander de l’aide. Rick l’abat. Alors que les hommes de Renault déboulent, Rick et le policier échangent, en champ contre-champ, des regards quasiment complices.
Renault : « Arrêtez les suspects habituels ». On emporte le corps de Strasser. Renault (Claude Rains) et Blaine sont désormais réunis dans le même cadre. Renault : « Vous n’êtes pas seulement un sentimental, vous êtes un patriote ! » Et de suggérer à Blaine de ne pas rester plus longtemps à Casablanca. Les Forces françaises libres les attendent à Brazzaville. A leur tour, les deux hommes s’éloignent dans la nuit. Tandis que les accents de la Marseillaise s’élèvent, Rick lâche : « Louis, je pense que c’est le début d’une belle amitié ». The End pour Casablanca (1942), immense film-culte de Michael Curtiz. Humphrey Bogart, en trench/feutre ou smoking blanc et Ingrid Bergman radieuse y sont totalement et définitivement romantiques…
LES AVENTURES DE RABBI JACOB.- « Rabbi Jacob, elle va danser ! » C’est ainsi que s’ouvre la séquence la plus célèbre des Aventures de Rabbi Jacob. Dans la rue des Rosiers, au cœur du vieux quartier juif de Paris (la rue sera reconstituée à Saint-Denis), Rabbi Jacob prend un grand bain de foule au milieu d’une population en liesse venue accueillir le vénérable tzaddik… Las, à la suite d’une rocambolesque méprise, c’est Victor Pivert, un industriel français, bourgeois, raciste et chauvin, qui s’est glissé dans le caftan du vrai rabbin venu de New York pour célébrer la Bar mitzva de David, un jeune parent… Cependant Pivert n’a nulle échappatoire… Coiffé d’un chapeau noir, portant caftan et des papillotes, il se lance, d’abord maladroitement puis allègrement, dans une danse hassidique endiablée…
Grand succès de l’année 1973 avec plus de 7,2 millions de spectateurs, Les aventures de Rabbi Jacob est souvent réduit à cette fameuse danse endiablée imaginée par le chorégraphe franco-israélien Ilan Zaoui sur une musique de Vladimir Cosma inspirée du genre klezmer. Fondateur de la compagnie Kol Aviv, Zaoui (qui a plusieurs fois retravaillé avec Gérard Oury par la suite) s’est appuyé, en les modifiant largement, sur des danses d’inspiration hassidique qui étaient au répertoire de sa troupe. Au départ, la scène de danse ne figurait pas dans le scénario. Oury voulait simplement qu’il y ait un moment traditionnel et, dans une première idée, voyait Pivert/Rabbi Jacob jouer du violon comme un virtuose…
SOMETHING’S GOT TO GIVE.- Ce n’est pas un film… Juste quelques scènes. Rares, donc chères. Surtout au cœur de tous les fans de Marilyn Monroe. Dont je suis…
A la suite de la disparition de son épouse, Nick s’est remarié. Mais Ellen réapparaît. Elle revient au domicile conjugal, rencontre ses enfants qui ne la reconnaissent pas. Pour pouvoir demeurer dans la maison, Ellen se fait passer pour la nounou suédoise des gamins. Un soir, elle prend un bain de minuit dans la piscine. Plan moyen: elle sort de l’onde, (brièvement) nue et superbe… Ultime et précieuse image de Marilyn Monroe, magnifique et éternelle.
C’était en 1962 et George Cukor mettait en scène Marilyn Monroe dans Something’s Got to Give, deux ans après l’avoir dirigée dans Le Milliardaire. L’expérience s’était alors mal passée et le cinéaste n’avait accepté qu’à contre-cœur cette nouvelle mission. Qui se révéla catastrophique. La star est absente ou constamment en retard, prétextant divers malaises. Dans le même temps, la Fox se débat avec le budget du Cléopâtre de Liz Taylor dont les coûts explosent. Le studio ne peut mener de front les deux productions. Le 8 juin, Marilyn est virée et le tournage arrêté. La comédienne va mener une campagne médiatique pour prouver qu’elle est en pleine forme et capable d’achever le film. Dean Martin, son partenaire, déclare qu’il ne tournera avec personne d’autre que Marilyn. La Fox lui propose un nouveau contrat et lui offre le plus gros salaire qu’elle n’ait jamais touché. Quatre jours plus tard, elle meurt dans la nuit du 4 au 5 août 1962.
TAXI POUR TOBROUK.- Les années cinquante- soixante sont une période florissante pour Michel Audiard… Il est au sommet de son art et cisèle des dialogues pour des réalisateurs comme Grangier, Delannoy, Decoin ou Verneuil. Le dialoguiste qui avait de la tendresse pour les chauffeurs de taxi, a l’occasion de développer sa verve en 1961 pour Denys de la Patellière qui tourne un film sur l’absurdité de la guerre dans la Lybie occupée par les nazis en 1942. Le taxi de Taxi pour Tobrouk est en fait une véhicule militaire allemand pris à l’ennemi par un commando perdu. Ils sont quatre soldats français qui vont hériter, en prime, d’un capitaine allemand.
C’est l’affrontement verbal entre ces militaires qui va faire le sel et le succès du film. A l’évocation par Von Stegel, l’officier allemand (Hardy Kruger) de son séjour rue Monsieur-le-Prince et du côté du parc Montsouris, le brigadier Dumas (Lino Ventura) constate : « La rive gauche en dehors du Vel’Hiv, c’est que dalle ! » Et comme l’évocation de la capitale se prolonge, le brigadier balance : « Le couplet sur Paris, ça fait deux ans qu’on en croque. Ca revient comme du chou… (…) Dans cinq minutes, y’en a un qui va sortir un ticket de métro ou des photos de la Foire du Trône… » Alors Goldman (Charles Aznavour) rétorque : « Seriez-vous insensible à la nostalgie, brigadier Dudu ? » Et Jonsac (Maurice Biraud) de renchérir : « Grattez un boxeur, un philosophe apparaît. Y’a chez Dudu, un Platon qui sommeille ! » De l’Audiard pur jus !
LES LUMIERES DE LA VILLE.- Lorsque Charlie Chaplin entreprend, au début de 1929, le tournage des Lumières de la ville, il est pris d’une angoisse inhabituelle. Le cinéaste s’inquiète du fait qu’un film muet peut alors paraître anachronique… Du coup, il accepte quelques concessions, en l’occurrence de la musique et des effets sonores. Et il va réussir une comédie lyrique d’un humour et d’une beauté intemporels.
Comme il voulait aussi offrir à Charlot une dimension plus romantique, il va inscrire le vagabond dans une œuvre d’une limpide simplicité : Charlot s’amourache d’une fleuriste aveugle qui le prend pour un homme riche… Pour incarner la fleuriste, le cinéaste a jeté son dévolu sur Virginia Cherrill, une débutante choisie pour sa… myopie. Elle était la seule, selon lui, à pouvoir « paraître aveugle sans être choquante ou repoussante ». Le tournage de la scène de la première rencontre entre Charlot et la fleuriste demanda des semaines de travail.
Créateur d’une absolue exigence, Chaplin estimait que Virginia n’était pas jamais assez concentrée. De plus, c’était la première fois qu’il travaillait avec une comédienne pour laquelle il n’avait aucune attirance. La scène figure toujours au Guinness des records pour avoir fait l’objet du plus grand nombre de prises, 342 en l’occurrence !
Mais, trois ans après l’apparition du parlant, Chaplin avait réussi l’impossible : donner un film muet (qui devait clore ce soir la saison du Ciné-Cycles au Palace de Mulhouse) qui rencontrera un immense succès dans le monde entier.
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JOURNAL DU CONFINEMENT – SUITE
LES CHRONIQUES QUOTIDIENNES DATEES DU 12 AVRIL AU 10 MAI 2020
CONFINEMENT J56.- Dimanche 10 mai : Alors, ça y est ! Nous y sommes… On se souviendra du 11 mai comme d’autres dates qui ont frappé nos mémoires, que ce soit le 11 septembre 2001 ou le 7 janvier 2015. Parce qu’évidemment, il y a un vrai soulagement après plus de 50 jours de confinement. Mais est-ce bien certain, après tout ? Nous avons appuyé sur le bouton Pause et le confinement nous a mis d’abord dans un état de sidération doublé immédiatement d’une montée de l’angoisse. La situation était inédite, les informations parcellaires et le virus probablement partout. Ensuite, parce que l’homme est une machine à habitudes, nous nous sommes installés dans le confinement. Et, peu à peu, il a pu paraître –pas à tous, évidemment- presque confortable. Aujourd’hui, à l’heure d’en sortir, c’est comme s’il s’agissait d’un syndrome de Stockholm. Avec la peur de sortir, de recouvrir la « liberté ». Une liberté sous restrictions. En vert et rouge.
Que sera le « nouveau monde » ? Comme celui d’avant ? En pire ? La société est boîteuse. Peut-on voir, dans la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, un zeste de jouissance répressive des autorités ? Et l’hôpital public et ses héros, applaudis tous les soirs, vont-ils illico retourner à une médecine gestionnaire ? Mondialisation contre relocalisation ? Un cybermonde anxyolitique ? Est-ce le moment de penser à une vraie économie de partage ? Pour cause de confinement, la pollution a singulièrement chuté mais, à la faveur de la crise sanitaire, le plastique à usage unique a fait un retour en force.
Même en rouge, nous sommes déconfinés. Mais c’est la fin des bisous à tout-va. Comment faire d’ailleurs avec ces masques qui ne doivent plus nous lâcher de sitôt ? Que de questions.
Un autre 11 mai, cette fois en 1987, s’ouvrait à Lyon, le procès de Klaus Barbie. L’avocat général Pierre Truche, un homme de bien récemment disparu, avait déclaré : « Pour Barbie, l’autre est un danger même si c’est un enfant ». Ah, l’autre. Désormais, il va falloir faire à nouveau avec lui.
CONFINEMENT J55.- Samedi 9 mai : On racontait l’autre jour à la radio que des habitants de grands immeubles tenaient beaucoup à sortir les poubelles et qu’ils râlaient quand d’autres voisins le faisaient à leur place. Une sorte de mystique de l’ordinaire ?
Cet état de fait nous a imposé des comportements nouveaux. Oh, ce n’est même pas tant le rituel de 20h où, à nos fenêtres, nous applaudissons ceux qui veillent à notre santé. Car voilà un geste convivial presque naturel. On n’a jamais autant pris de nouvelles de la famille et des amis. Et puis le confinement a changé nos habitudes vestimentaires même si le jogging et le sweat-capuche auraient fait hurler Karl Lagerfeld. Sans parler de ces messieurs qui ont décidé de laisser pousser leurs barbes au grand dam de leurs épouses ou compagnes. Qui, elles, regardaient blanchir les racines de leurs cheveux… Dans cette période, on a aussi constaté une recrudescence sensible de vente de tests de grossesse… Les agents immobiliers, eux, signalent une demande croissante sur des maisons de campagne. J’ai entendu dire que les poules pondeuses étaient très recherchées aussi.
Là où le confinement est moins « sympathique », c’est lorsqu’il nous fait songer à un remarquable film de Clouzot. Je parle bien sûr du Corbeau (1943) et de ceux qui donnent allègrement dans la délation : « Allo, la police ! Le type d’en face est déjà sorti deux fois dans la journée pour faire du jogging ! » ou « Allo, la gendarmerie ? Ils font un barbecue et sont au moins quinze sans masques… »
Jamais je n’ai eu les mains aussi propres. Ce qui est plutôt bien quand on les met dans la farine. Qu’on s’est arraché dans les magasins d’alimentation. Il paraît qu’à la boutique des moines trappistes de l’Oelenberg, on trouvait toujours de la T45 et de la T55… Parce qu’on en a échangé des recettes tous ces temps ! Et qu’on en a passé du temps aux fourneaux. Quant aux innombrables parties de Spider solitaire, je n’en parle même pas…
CONFINEMENT J54.- Vendredi 8 mai : Ah, on pourra dire qu’on s’en sera dévoré du film pendant ces journées, ces soirées et ces nuits de confinement ! C’est drôle d’ailleurs comme la télévision est revenue à de bons vieux reflexes « à l’ancienne » en programmant du cinéma. L’incontournable Louis de Funès est même apparu comme le chevalier blanc des séances anti-morosité. Comme j’ai une collection de dvd qui tient la rampe, je n’ai pas vu si les chaînes avaient programmé les Sissi et les Angélique généralement convoquées quand il s’agit de remplir des créneaux horaires…
De fait, les épidémies et autres catastrophes sanitaires ont aussi donné aux scénaristes, souvent d’Hollywood, la matière de films-catastrophe.
Avec Alerte ! (1995), Wolfgang Petersen racontait une histoire de virus mortel introduit en Californie par un singe importé du Zaïre. Le virus Motaba se propage dans la ville de Cedar Creek et menace tout le continent américain. Premier à pressentir le danger, le colonel Daniels (Dustin Hoffman) va se démener pour empêcher que le virus anéantisse la totalité de la population tandis que l’armée se prépare à raser la petite ville…
Mais on peut aussi remonter dans le temps… On constate alors que ce sont la peste et le choléra qui sèment la peur, la désolation et la mort. Les exemples ne manquent pas, du Nosferatu de Murnau au Hussard sur le toit de Rappeneau en passant par Mort à Venise de Visconti. Mais la palme du film le plus réaliste sur le sujet revient à Steven Soderbergh pour Contagion. Réalisé en 2011 et inspiré par la crise du Sras en 2002, ce thriller, presque documentaire, suggère, notamment, les modes de transmission du virus par des gros plans sur des poignées de portes, des verres échangés, des boutons d’ascenseurs ou des cartes de crédit… Mais surtout, on y voit la panique qui se répand encore plus vite que le virus et les gens qui se battent pour survivre dans une société qui se désagrège… Il paraît qu’on s’arrache le film sur les plates-formes VOD…
CONFINEMENT J53.- Jeudi 7 mai : A l’école, je n’étais pas mauvais en géographie. Je me souviens des grandes cartes cartonnées que les élèves méritants avaient le privilège d’aller récupérer dans je ne sais quelle salle. Aujourd’hui, elles sont très prisées dans les brocantes. A l’époque, on les accrochait au tableau et j’étais capable de distinguer les régions productrices de blé, de citer les fleuves français, de dire dans quelles mers ils se jetaient ou encore de situer les grandes villes françaises… Mais je n’imaginais pas que l’âge venant, je serai à nouveau de retour sur les bancs de l’école.
Mais désormais, ce n’est plus mon vieux maître qui me donne la leçon. C’est carrément un membre de l’exécutif qui a endossé (symboliquement, s’entend) la blouse grise. Cet instituteur-là me renvoie au tableau noir. Révision de géographie mais le cours est limité aux départements. Oh, il ne s’agit pas de savoir où se trouve le Loir-et-Cher, la Vendée, les Côtes d’Armor ou la Drôme mais seulement de faire le tri entre les rouges et les verts. Pas trop difficile en somme mais singulièrement anxiogène quand même.
Sur les cartes –elles ne sont pas faites pour ça- on ne pourra pas repérer le fameux « patient zéro », celui qui est à l’origine de toute la contamination. Je me souviens qu’aux temps anciens du sida, on avait montré du doigt un stewart québécois… J’en vois déjà qui, sur la carte bicolore, pointe un coin plutôt à l’est de la France, ni très loin de la Suisse, ni très loin de l’Allemagne, un quartier au nord d’une ville où se serait tenu naguère un grand rassemblement de fidèles. Mais ne nous emballons pas. Pour le « patient zéro », il faudra sans doute attendre encore un peu.
Alors, je préfère encore filer dans les grands espaces d’Into the Wild (2007). Un étudiant brillant y renonce au rêve américain pour une vie aventurière. Aux confins enneigées de l’Alaska, il trouvera une paix spirituelle dans un paradis pur et sain. Ca fait envie, non ?
CONFINEMENT J52.- Mercredi 6 mai : Quel est le point commun entre Sigmund Freud, Achille Zavatta, Stewart Granger, Gaston Leroux, Eugène Labiche, Maximilien de Robespierre, Christian Clavier, Orson Welles, Max Ophuls, Aristide Bruant, George Clooney et Rudolph Valentino ? Alors, l’incorruptible de la Révolution française, le père de la psychanalyse, l’immortel interprète de Jacquouille, le plus grand clown français, le cinéaste de Citizen Kane et celui de La ronde et du Plaisir, l’auteur du Mystère de la chambre jaune et celui d’Embrassons nous, Folleville, le Jeremy Fox des Contrebandiers du Moonfleet, le poète de l’argot et de la chanson réaliste ou le plus célèbre latin lover de l’histoire du 7eart…
J’ai gardé pour la bonne bouche le sémillant George Clooney que j’ai réussi, voilà un petit bout de temps, celui où il triomphait dans Urgences, à faire éclater de rire dans un palace parisien en lui demandant de me dédicacer l’emballage flambant neuf d’un authentique stéthoscope. Il s’est exécuté de bon grâce d‘un « To S. with love ». L’objet est, je le sais, précieusement conservé.
Donc… Toutes ces personnalités sont nées un 6 mai. Dans l’absolu, on pourrait s’en moquer comme d’une guigne. Ce qui n’est pas, personnellement, le cas. Puisque je partage cette date avec eux. Je n’y suis pour rien. Tout est de la faute de ma mère. Comme toujours…
Voilà bien les effets prolongés du confinement. On se met à songer à de ces choses. Proprement futiles, n’est-il pas ? Je pense alors à mon cher Brassens qui, dans La Ballade des gens qui sont nés quelque part, chantait tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités… « Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est être habités / Et c’est être habités par des gens qui regardent / Le reste avec mépris du haut de leurs remparts / La race des chauvins, des porteurs de cocardes / Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part… » Ca vous passe un peu l’envie de souffler des bougies…
CONFINEMENT J51.- Mardi 5 mai : Nous sommes tous des Jeffries ! C’est mon ami P.V. qui, astucieusement, fait le lien entre nos vies de confinés et le photographe de presse cloué dans un fauteuil roulant, la jambe dans le plâtre, dans son appartement new-yorkais durant un été chaud… C’est bien sûr dans l’excellent Fenêtre sur cour (1953) du maître Alfred Hitchcock. Sans doute a-t-il plus de chances que nous, le bon Jeff si bien incarné par James Stewart ! Il reçoit régulièrement la visite de sa petite amie, l’adorable et papillonnante Lisa Carol Fremont qui a le charme éclatant de Grace Kelly. Et il peut même se faire masser à domicile par la râleuse Stella (Thelma Ritter). Mais l’analogie entre Jeff et nous s’arrête là. Car ce Jeffries, armé de son téléobjectif, aura, lui, à en découdre avec un certain Lars Thorwald… Je n’en dis pas plus pour ceux qui n’auraient pas encore vu Rear Window. Mais y en a-t-il encore?
Quand les salles de spectacle rouvriont, comment sera gérée la fameuse distanciation physique ? Des fauteuils en quinconce pour préserver les nécessaires espaces de sécurité ? Mais qu’en sera-t-il du spectateur juste derrière moi et qui éternue ? En Allemagne notamment, ce sont les drive-in qui reprennent vie. Chacun dans sa voiture sur un parking, les images en grand sur l’écran et le son dans l’autoradio. Comme dans American Graffiti (1973) du George Lucas d’avant Star Wars. Mais sans le Coca et les hamburgers…
France Inter consacre, ce mardi, toute une journée à la Culture. C’est capital, la Culture. Comme l’ont rappelé, dans une tribune du Monde, de multiples artistes. Dans son discours à l’Assemblée, Edouard Philippe a oublié le secteur culturel. Quant au ministre de la Culture, son silence est tonitruant. Or le secteur de la Culture, ce sont 1,3 million de personnes qui travaillent pour que nous puissions profiter de théâtre, de cinéma, de musique, d’arts plastiques, d’œuvres numériques. Et qui se demandent de quoi seront fait les lendemains…
CONFINEMENT J50.- Lundi 4 mai : Dans une semaine, le déconfinement ! Le compte à rebours est lancé. Mais, l’autre mardi, Edouard Philippe nous a quand même bien refroidi. Du côté de l’Alsace, il voit… rouge, très rouge même.
Pour lutter contre l’empoisonnement tant physique que moral qui semble gagner au fur et à mesure qu’on se rapproche du 11 mai, il faut pourtant cultiver simultanément un brin d’optimisme et une forme de rêve adapté aux circonstances.
Lundi, exit l’attestation de déplacement dérogatoire. Mais aura-t-on pour autant envie de se précipiter dehors ? Car fin du confinement ne signifie pas fin du covid. J’ai entendu des oiseaux de bien mauvais augure prophétiser une sortie pour les vieux en… septembre.
En attendant, presque malgré moi, j’ai quand même commencé à faire une liste. Boire un café au soleil de la place de la Réunion. Déambuler dans les allées du marché du Canal couvert. Prendre mon petit-déjeuner du samedi chez Tilvist. Retrouver mes copains du lundi soir pour notre cours de gym avec Gisèle. Manger une pizza chez Panettone, rue de l’Arsenal ou du poisson au Bistrot à huîtres, le tout arrosé d’un Rully 1er cru Monopole du Domaine de la Folie. J’hésite. Monter au Tannerhubel et m’asseoir sur la terrasse de la ferme-auberge pour contempler le panorama. Retourner à Unterlinden voir le Retable de Grünewald. Prendre le petit-déjeuner du mercredi avec mes cousins. Pousser jusqu’à Bad Krozingen me plonger dans les eaux chaudes de Vita Classica. Aller voir si Sesi et Vicks, les ours polaires du zoo, filent le parfait amour. Emprunter le parcours sportif du Tannewald. Passer chez Geox m’acheter des baskets pour l’été. Prolonger chez Napapjiri pour trouver une chemisette et un bermuda. Déposer mes capsules de Nespresso à la déchetterie. Embrasser mes petits-enfants autrement qu’en FaceTime. Aller au cinéma. Oui, aller au cinéma.
Ah, quand le plaisir simple de boire un café en ville promet d’être une expérience fabuleuse !
CONFINEMENT J49.- Dimanche 3 mai : En cherchant dans ma bibliothèque un bouquin sur les héros de cinéma et spécialement ceux portant un masque, je suis tombé sur des bouquins consacrés à Marilyn Monroe qui, elle, n’en portait pas. De masque.
Constat rapide: on a beaucoup écrit sur Marilyn Monroe. Enormément même, des « poche » à quasiment des livres d’art. Des essais, des chroniques, des romans (Blonde de Joyce Carol Oates) qui balayent un parcours qui va de la fille nue sur le calendrier rouge à la star suprême en passant par les éternelles supputations sur sa fin tragique. En 2012, sortait chez Stock Monroerama, un étonnant puzzle à base d’entretiens avec ceux qui l’ont côtoyée, comprenant la liste des maisons où elle a vécu, les différentes robes qu’elle a enfilées, des informations sur ses amants, mentors ou amis, des textes d’écrivains offrant leur vision du personnage de Marilyn, des essais sur sa voix grave et sexy…
Pour les amateurs absolus, je signale MM – Personal(La Martinière, 2011) où Lois Banner, historienne et féministe, plonge dans les archives privées de la star, en l’occurrence la Monroe Collection que l’on crut longtemps perdue. Dans deux armoires métalliques, étaient réunis quelque 5000 documents, photos, lettres, télégrammes, cartes de visite, reçus, 400 chèques… On en trouve d’abondantes reproductions pleine page dans ce beau livre (352 pages) qui fait écho à un autre ouvrage, également publié à La Martinière (2008), celui-là sous la plume de Jenna Glatzer. Le plus des Trésors de Marilyn Monroe, ce sont de nombreux fac-similés présentés dans des pochettes en papier cristal. On y trouve des planches-contact de Philip Halsman, une couverture de Foto Parade avec Marilyn jeunette en bikini, le certificat de mariage daté du 19 juin 1942 de Norma Jean et de James Dougherty, la carte de membre de Miss Monroe à la Screen Actors Guild ou encore l’aquarelle d’une rose rouge peinte par Marilyn et dédiée à JFK pour son anniversaire en mai 1962.
CONFINEMENT J48.- Samedi 2 mai : En mai, fais ce qu’il te plaît ! Ben non. Désormais, en mai, c’est : Enfile ton masque et fais ce qu’on te dit de faire. Mardi, Edouard Philippe a prévenu. A partir du 11 mai, nous vivrons dans un régime de liberté… avec des exceptions. Sinon, gare ! Pas envie quand même d’un retour du confinement dès le 15 mai.
Il en est un qui ne verra pas le déconfinement, c’est Robert Herbin, alias le Sphinx. Il est parti l’autre jour, à 81 ans, rejoindre le vert paradis. Et comme le temps est au covid, on a cru bon de nous préciser que l’homme à la tignasse rousse n’est pas mort de cela… Herbin, c’était la belle époque de l’AS Saint-Etienne… Celle de la finale de la Coupe des clubs champions 1976.
A Glasgow, les Verts surclassent, dans le jeu, le Bayern de Beckenbauer. Mais ce sont les Bavarois qui l’emportent 1-0. Et la France du foot râle contre les poteaux carrés d’Hampden Park qui ont repoussé deux fois la patate de Bathenay et la tête de Santini… Des poteaux carrés que l’ASSE a, un jour lointain, racheté à Glasgow pour les mettre dans son musée.
A la différence de la boxe, sport qui passe le mieux au grand écran (ah, Raging Bull ou Nous avons gagné ce soir !), le football, malgré de nombreuses tentatives, est réduit –artistiquement- à la portion congrue. Pour trouver, au cinéma, du foot à se mettre sous la dent, il faut se lever matin. Surtout pas Escape to Victory (1980) malgré Huston derrière la caméra et Pelé devant ou encore Les rois du sport (1937) avec Fernandel en gardien de but… C’est à un vrai amateur de foot anglais que l’on doit sans doute le film plus original sur la passion du ballon rond. Supporter du petit club de Bath City, Ken Loach a raconté, en 2009 dans Looking for Eric, l’aventure d’Eric Bishop, un postier de Manchester plutôt déprimé par sa vie privée. Dans ses moments de détresse, il a des pensées suicidaires. Ses hallucinations lui valent alors la visite de son héros, le footballeur Éric Cantona. « Canto » en fantôme… philosophe, un petit bonheur cinéphilique !
CONFINEMENT J47.- Vendredi 1er mai : C’est vrai, je n’ai pas raté une miette de la déclaration télé de mardi d’Edouard Philippe. J’ai préféré la Chaîne parlementaire LCP plutôt que BFM-TV. Allez savoir pourquoi… De toutes manières, j’écoute de moins en moins les infos. Parce que je connais désormais par cœur les annonces officielles sur les gestes-barrière et parce que les débats, les comptes de malades et de victimes, les atermoiements sur les moyens à mettre en oeuvre commencent à me courir sur le haricot. Tout juste, serais-je tenté d’écouter les interventions du « docteur » Trump dont les délires seraient à se tordre de rire s’ils n’étaient pas gravement pathétiques et terriblement consternants.
J’avoue que j’ai quand même entendu, l’autre matin, Marie-Pierre Planchon, la madame météo de France Inter, me gratifier du charmant proverbe : « D’avril, les ondées font les fleurs de mai ». Côté bilan météo d’avril en Alsace, on a compté les ondées sur les doigts d’un tiers de main. Ce n’était qu’un demi-mal puisque cela a permis qu’on descende quotidiennement au jardin pour arroser les plantes…
Dans le monde d’avant, à cette période de l’année, on se disait : « Tu fais quoi, cet été ? » Là, on se demande si on ira à la mer, si on pourra se baigner, si l’hôtel des Bains sera ouvert et comment on fera pour garder les bonnes distances dans la salle du restaurant. Et, tiens, faudra-t-il toujours porter des masques ? Le masque, même alternatif, aujourd’hui, est un outil de santé. Dans notre jeunesse, c’étaient les personnages de cinéma qui portaient des masques. Je me souviens d’Alain Delon dans La tulipe noire (1964) et évidemment de Batman dont le masque noir avait le don d’inspirer la peur chez ses ennemis. Mais le héros masqué de ma jeunesse, c’est Zorro ! Oui, celui de Disney avec le gentil sergent Garcia, Bernardo, le serviteur muet, le méchant Monastorio et Tornado, le beau cheval noir. Et Zorro, lui, réglait tous les problèmes à la pointe de l’épée…
CONFINEMENT J46.- Jeudi 30 avril : Les effets de la crise que nous vivons sont parfois surprenants. Ainsi, l’édition papier de Voici aurait été suspendue en avril. N’étant pas un lecteur assidu de ce magazine people, je dois dire que ça ne me fait ni chaud, ni froid. Les paparazzis sont au chômage. Forcément ! On peut bien faire une photo de vedette confinée et venant sur le balcon de son domicile mais ça ne va pas bien loin. Et surtout, ça ne fait pas vraiment vendre…
Les stars, on les attend plutôt sur l’écran noire de nos nuits blanches. Mais là aussi, elles se font rares. Pour cette année, c’est quasiment certain maintenant, il faudrait se passer du tapis rouge cannois. Le Festival avait prévu de se tenir fin juin-début juillet mais ses organisateurs ont fait comprendre que ce n’était plus une option jouable… Cependant ce pilier majeur de l’industrie du cinéma n’entend pas baisser les bras et veut montrer l’importance que le cinéma a dans nos vies. François Aymé, le président de l’AFCAE, association des cinémas d’art et d’essai, lui, s’inquiète des habitudes –plateformes et petits écrans- amplifiées pendant le confinement. Et il interroge : « Le modèle industriel anglo-saxon d’une consommation compulsive de flux d’images va-t-il encore laisser une vraie place à une alternative artistique, internationale, diverse et attrayante ? » L’exploitation française va avoir une sacrée mission : amener les spectateurs à se « déconnecter » et à sortir de chez eux pour aller voir un film…
A propos de chasseurs d’images, voyez L’œil public(1993), un film peu connu d’Howard Franklin. Au-delà de son agréable côté série B, ce thriller évoque la personnalité d’Arthur Felig (1899-1968) célèbre, sous le nom de Weegee, pour ses photos nocturnes de New York. En 1938, Weegee était le premier et seul photographe branché sur la radio de la police. Ce qui lui permettait d’arriver très vite sur les lieux des crimes et des drames pour réaliser des instantanés saisissants. Un maître du reportage !
CONFINEMENT J45.- Mercredi 29 avril : C’est la saison… On peut manger des fraises qui sont gôuteuses et qui ne viennent pas du Chili ou du Kenya. Sur l’emballage de celles qu’on a trouvé chez un maraîcher de la banlieue mulhousienne, figurait, comme provenance, Saint Sorlin en Valloire. J’ai cherché. C’est dans la Drôme des collines, pas très loin d’Epinouze, de Châteauneuf de Galaure et de Hauterives où le facteur Cheval a construit son Palais idéal… Bel endroit –visité l’été dernier- qui atteste de la foisonnante « folie » créatrice d’un étonnant maître de l’art brut. Et qui doit, aujourd’hui, être fermé comme tous les lieux de culture.
Les fraises de Saint Sorlin étaient des Magnum, une variété de belle taille qui se savourait allègrement. Tandis que la radio m’apprenait que les fruits et légumes ont augmenté de 9% depuis le début de la crise, je songeais à ces routiers qui assurent toujours leurs livraisons. Voilà quinze jours, on pouvait entendre des oiseaux de mauvaise augure annoncer que ces routiers allaient s’arrêter de nous livrer. Aujourd’hui, il n’en est rien. Et ce, malgré des conditions de travail dégradées. Peuvent-ils utiliser les aires d’autoroute ? Pour simplement y faire un brin de toilette, prendre une douche ? Peuvent-ils trouver à se sustenter, autrement qu’avec des sandwiches, sans doute sans grand goût ? Ah, ils ont du mérite de nous amener des fraises dans nos assiettes confinées…
Qu’en est-il des autoroutes aussi ? Quasiment désertes, on imagine. Survolées sûrement par des hélicoptères de la gendarmerie à la recherche de déconfinés sans autorisation filant vers d’amènes campagnes… On ne doit plus y voir tous ces camions immatriculés SK, PL ou LT contre lesquels on pestait quand ils nous empêchaient de dépasser en se doublant… C’était dans le monde d’avant. Dans son Dictionnaire amoureux de l’Inde, Jean-Claude Carrière écrivait : « On peut aussi prendre son temps, choisir les saisons et les heures creuses. Préférer les sentiers aux autoroutes. C’est comme l’amour en fin de compte. Les grands circuits sont les mêmes pour tous. Mais chacun peut y préférer, ici ou là, sa petite chapelle. »
CONFINEMENT J44.- Mardi 28 avril : « Le virus va continuer à circuler parmi nous. Ce n’est pas réjouissant mais c’est un fait ». Edouard Philippe ne l’a pas exprimé de cette manière à la tribune de l’Assemblée nationale mais la prudence était bien présente dans ses propos. Et le constat est simple. Le déconfinement ne sera pas l’occasion de tout basculer par-dessus bord pour reprendre les choses comme dans le monde d’avant…
Alors, devant la représentation nationale, le Premier ministre en a appelé au civisme et à la discipline des Français. Car le succès du déconfinement passera bien par cette nécessité de protéger la France : « Un peu trop d’insouciance, dit Edouard Philippe, et l’épidémie reprendra. Trop de prudence et c’est le pays qui s’enfonce… »
Fallait pas rêver ! Mais en avions-nous vraiment l’intention ? On se doute bien que la poursuite du confinement peut avoir des effets délétères mais le déconfinement doit, lui, se faire progressivement et… géographiquement. Et là, si les indicateurs sanitaires ne sont pas bons, on ne déconfinera pas le 11 mai. On attendra donc le point quotidien du Directeur général de la santé sur les départements « verts » et les départements « rouges » pour savoir à quelle sauce, nous goûterons ou pas ce déconfinement.
En une bonne heure, le Premier ministre a présenté une stratégie qui repose sur le triptyque Protéger-Tester-Isoler. Les gestes-barrière comme la distanciation physique (plutôt que sociale) restent de mise et le masque sera quasiment incontournable. A partir du 11 mai, on va aussi tester et isoler. Et Edouard Philippe d’appuyer sur le fait qu’il s’agit d’une mise à l’abri et non d’une sanction… Bref, cette séance télé dans l’après-midi confiné était assez incontournable. Qu’il s’agisse de l’école, des entreprises, des commerces, des transports et la vie sociale, on n’est pas sorti de l’auberge… Une chose est claire, je ne suis pas encore sur le point de me tremper les doigts de pied dans la Grande bleue…
CONFINEMENT J43.- Lundi 27 avril : Le lundi matin, évidemment à la première heure, j’arrache le petit onglet en papier en bas à droite de mon agenda (oui, j’ai un agenda à l’ancienne donc en papier et j’aime ça) et cela m’amène sur la nouvelle semaine… Las, les colonnes sont désespérement vides. Rien ! Si, des rendez-vous barrés d’un trait de crayon. Une invitation à dîner chez amis, une nouvelle expo à voir, des spectacles à la Filature, une Vie parisienne à l’Eden de Sausheim… Cela dit, j’ai entendu, dans C’est dans l’airsur France 5, que 67% des Français déclaraient vivre bien le confinement. Evidemment, on se demande ce que pensent les 33% restants de ce sondage IFOP. D’autant que les commentateurs notaient que le pourcentage des « satisfaits » était quand même en baisse par rapport aux semaines précédentes. Les sondages sont là pour cela : nous faire parler…
Pour parler, parlons plutôt d’un film qui fait du bien. Je pense à cette comédie colorée et lumineuse qu’est Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. En 2001 (on se souvient que le film rassembla 8,6 millions de spectateurs en France) Jean-Pierre Jeunet raconte l’histoire d’Amélie qui, tournant le dos à la solitude, va se mêler de la vie des autres afin de dispenser le bien autour d’elle. Petit Zorro des temps modernes, Amélie incarnée par Audrey Tautou, gâte les gens simples et gentils au détriment des riches et des méchants. C’est tellement romantique mais tellement bon…
Enfin, vous avez remarqué comme moi que les formules de politesse des messages dans nos boîtes mail avaient évolué depuis le début du confinement. Aux amicaux « Bien à toi » ou aux plus convenus « Bien cordialement », a succédé un « Prenez soin de vous ». Evidemment, les « Bises », « Gros bisous » et autres « Schmutz » ne sont plus de saison. Donc, en ce début de semaine, j’y vais aussi de mon « Prenez soin de vous ». Et je n’oublie pas, en plus, de me laver régulièrement les mains.
CONFINEMENTJ42.- Dimanche 26 avril : Autrefois, en Alsace, le repas dominical, c’était lapin et nouilles. Je me souviens encore des grands disques de fine pâte reposant sur un bout de drap blanc posé à cheval sur le dossier d’une chaise. Ces disques séchaient là en attendant d’être finement tranchés et cuits à l’eau bouillante. En cette période, c’est plutôt les asperges qui sont sur la table. Elles viennent d’Alsace et, si, dans la région, on les mange quasiment brûlantes, j’ai appris –comme on le fait, par exemple à Lyon- à les déguster froides, accompagnées d’une légère mayonnaise maison… Elles restent délicieuses et participent d’une délicat plaisir gastronomique…
Le cinéaste singapourien Eric Khoo ne dit pas autre chose quand il constate : « J’ai toujours été fasciné par la nourriture et par le rôle qu’elle joue dans nos vies. Je crois sincèrement que la cuisine définit qui nous sommes et permet de rassembler les gens en toutes circonstances ». Pour se rassembler, il faudra attendre encore un peu mais on peut aisément goûter La saveur des ramen, son dernier film réalisé en 2018, histoire de Masato, jeune chef de ramen au Japon qui a toujours rêvé de partir à Singapour pour retrouver le gout des plats que lui cuisinait sa mère quand il était enfant… En entreprenant le voyage culinaire de sa vie, il va mettre à jour des secrets familiaux profondément enfouis… On peut aussi en profiter pour découvrir la grande histoire des ramen, cette soupe apportée au Japon à la fin du 19e siècle par des commerçants chinois. Il n’y a pas une recette de ramen mais beaucoup. La base, ce sont les nouilles dont le client choisit la cuisson (fondantes, normales ou al dente) et ensuite le bouillon dont on connaît quatre catégories : shoyu (au soja), tonkotsu (à l’os de porc), shio (au sel) et miso (à la pâte miso). On peut ajouter des tranches de porc, des feuilles d’algues, des oignons verts, des œufs mollets, des pousses de bambou, des champignons noirs, du gingembre. J’en salive déjà!
CONFINEMENT J41.- Samedi 25 avril : Vous connaissez sûrement cette pratique certes ludique mais bien addictive qui consiste à se promener sur Youtube. Une activité que le confinement encourage. De fait, on a tout le temps pour le faire et du temps, il en faut. On commence quelque part, par exemple, revoir les buts de la finale de la Coupe du monde 2018 (ah, la frappe de Pogba !) et puis on se retrouve à écouter La Paloma entonnée par Hans Albers. De là à sauter à Marlène Dietrich et Lili Marleen, il n’y a qu’un air. Puis je tombe sur Zarah Leander chantant « Der Wind hat mir ein Lied erzählt… » Et ce vent qui lui raconte une histoire, elle l’interprète dans La Habanera, un film de 1937 dû à un certain Detlef Sierck qui deviendra célèbre, quelques années plus tard à Hollywood, sous le nom de Douglas Sirk, comme maître incontesté du mélodrame flamboyant…
Dans ce drame exotique en noir et blanc censé se passer à Porto Rico et tourné aux Canaries, Zarah Leander apparaît derrière une plante de studio et on accroche à sa voix grave, presque rauque et à sa manière de rouler les r… Au-delà du fait que La Habanera parle d’une… redoutable épidémie de fièvre portoricaine, cette aventure sentimentale qui mêle, pour une Suédoise amoureuse d’un bellâtre local et macho, le charme du Sud et le mal du pays, est sans doute le sommet de la carrière de Zarah Leander. Cette comédienne et chanteuse suédoise (1907-1981), aujourd’hui passablement oubliée, a été une star très populaire. En 1936, elle obtint un contrat aux mythiques studios de la UFA à Berlin et va devenir l’égérie du cinéma du 3e Reich. Dans l’Allemagne nazie, elle incarne le rôle refusé par Marlène Dietrich, celui d’un modèle de femme sensuelle et fatale, contrepartie artistique de la « femme aryenne ». En 1942, l’année où Die grosse Liebe fit le record d’entrées de tout le 3e Reich, Leander commença à prendre ses distances avec le régime nazi. Elle n’avait jamais adhéré au parti, ni pris la nationalité allemande et avait obtenu de se faire payer 53% de ses cachets en couronnes suédoises…
CONFINEMENT J40.- Vendredi 24 avril : Perdre les pédales par temps de confinement… On est en droit de le penser quand on songe aux récurrentes attaques menées contre Bill Gates sur les réseaux sociaux. Car, à en croire ceux qui s’en prennent, avec une constance qui effare, au fondateur de Microsoft, le malheureux Gates est responsable de la pandémie qui frappe la planète. Pourquoi ? Tout simplement parce que le milliardaire américain entend bien en prendre le contrôle et réduire la population mondiale. Et quoi de mieux pour la mettre sous sa coupe que d’organiser, mieux d’inventer ce virus qui frappe le globe ? Bill Gates et son épouse Mélissa financent, grâce à leur considérable fortune, de nombreux programmes de recherche médicale, notamment dans le développement et l’accès aux vaccins dans le monde. Il n’en faut pas plus aux tenants du grand complot pour voir, derrière cet investissement humain, la main du gouvernement fantôme des mégariches de la planète. Rumeur, évidemment Mais le drame de la rumeur, c’est son caractère lancinant et répétitif. Faire taire une rumeur est quasiment mission impossible. Le seul fait de démonter une rumeur l’alimente encore… Qui a dit, déjà, que seule la connerie humaine donnait une idée de l’infini ?
La rumeur, c’est justement le titre (français) d’un film de William Wyler. En 1961, le Mulhousien d ‘Hollywood réunissait Audrey Hepburn et Shirley MacLaine dans un drame aux allures de thriller (The Children’s Hour en v.o.) qui dénonce l’hypocrisie d’une frange de la société américaine adepte de la chasse aux sorcières. Amies depuis les bancs de l’université, Karen et Martha ont réalisé leur rêve en ouvrant, dans une région huppée des Etats-Unis, un pensionnat privé de jeunes filles. Leur belle entreprise va être mise à mal par le machiavélisme d’une écolière tourmentée dont les mensonges seront le début d’un engrenage funeste…
CONFINEMENT J39.- Jeudi 23 avril : C’est quand même étrange comme cette crise sanitaire perturbe les repères de la vie quotidienne… Voilà cinq bonnes semaines que je n’ai pas sorti la voiture du garage. L’autre jour, je suis allé faire tourner le moteur, histoire de voir. J’ai vu que l’ordinateur de bord m’imposait de faire une révision sous dix jours. Je veux bien mais mon garagiste est-il seulement ouvert ? Pour le reste, j’ai entendu que le prix du baril n’avait jamais été aussi bas. Sans être une lumière en économie, on se doute bien que les automobilistes n’ont pas de raison de faire la queue aux pompes. Manque de clients = prix en baisse ? Les économistes me feront la leçon, je compte sur eux. En attendant, je me dis que ça vaudrait peut-être le coup d’aller jusqu’à la station-service pour faire un plein à bon prix… Parce qu’après le déconfinement, je prends les paris : le prix à la pompe va joyeusement décoller…
Comme je le disais l’autre jour à propos de l’horreur cinématographique pour brûler des calories, j’ai revu Shining. Le Kubrick tient toujours bien la rampe. Mieux, il paraît même d’une singulière actualité. Reçu par la direction de l’hôtel Overlook quelques heures avant la fermeture de l’établissement pour cause d’hiver approchant, Jack Torrance, le nouveau gardien, est briéfé (la séquence démarre à 7’30) sur ce qu’il aura à faire. Au passage, on tient quand même à l’informer que, durant l’hiver 1970, un certain Charles Grady avait travaillé de la hache pour massacrer, sur place, sa femme et ses deux filles. Les enquêteurs et les médecins de l’époque avaient mis ce terrible dérapage sur le compte du… mal d’enfermement ! Une forme de claustrophobie qui se manifeste quand les gens sont enfermés trop longtemps ensemble… Avec un large sourire, Torrance, un Jack Nicholson au sourcil majuscule, avait trouvé que c’était « une drôle d’histoire » et prévenu qu’« une pareille chose ne lui arrivera pas ». On connaît la suite… J’en frissonne encore !
CONFINEMENT J38.- Mercredi 22 avril : Le mercredi, c’est cinéma. Enfin, c’était… Et le président l’a bien dit dans sa dernière allocution télévisée. On reparlera de déconfinement dès le 11 mai mais une chose semble sûre : les restaurants, les bars, les salles de spectacle et les cinémas ne rouvriront pas leurs portes ce jour-là… Selon une étude réalisée fin mars par Vertigo Research (via Box Office), « aller au cinéma » manque déjà à 52,2% des Français.
Pour les salles, c’est évidemment réconfortant de le savoir et… rageant car la fréquentation des salles avait été record en 2019 avec 213 millions de spectateurs, soit l’une des meilleures années depuis 50 ans. Et l’année 2020 semblait se présenter sous de bons auspices aussi.
Dans l’étude Vertigo Research (réalisée en ligne sur « un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française âgé de 15 ans et plus »), on demandait quel film était le plus attendu… post-confinement ?
A ce petit questionnaire, le fantastique et l’aventure sous toutes ses formes se taillent la part du lion… Les amateurs de cinéma attendent en effet Black Widow avec Scarlett Johansson en espionne quasiment invincible mais aussi Wonder Womanou encore la combattante (dissimulée en homme) de Mulan sans oublier le retour de Donnie Yen dans Ip Man 4, le dernier opus de la mythique saga d’arts martiaux… On peut y ajouter une touche de zombies coréens avec Peninsula et une errance onirique avec Pour l’éternité de Roy Andersson…
Mais incontestablement, en tête des attentes, vient Mourir peut attendre. James Bond a quitté les services secrets et coule des jours heureux en Jamaïque. Mais sa tranquille retraite sera de courte durée. Son vieil ami Felix Leiter de la CIA l’appelle à l’aide… Bientôt 007 se retrouvera aux trousses d’un mystérieux ennemi détenant de redoutables armes technologiques… Prévu pour le 8 avril, l’ultime tour de piste de Daniel Craig aura lieu le 11 novembre prochain. Il pourra s’en passer des choses d’ici là…
CONFINEMENT J37.- Mardi 21 avril : C’est un truisme de dire qu’on se rapproche chaque jour un peu plus de ce 11 mai tant attendu. Même si on ne sait toujours pas très clairement à quelle sauce ce déconfinement progressif et sélectif va nous être servi. En attendant, je suis sorti en fin de semaine pour faire quelques courses. Oh, juste un petit saut jusqu’au drive de Leclerc où j’ai retrouvé, avec plaisir, les mêmes employées souriantes. Toujours là et fidèles au poste. On ne louera jamais assez les petites mains qui tiennent la baraque en ces temps détestables.
En attendant, j’ai eu l’impression que le déconfinement avait comme du plomb dans l’aile. Dans l’avenue d’Altkirch, tandis que les voitures circulent à nouveau (presque) comme avant, j’observe que la boucherie David, longtemps close, a rouvert la boutique. Le garagiste du parking Stoessel, qui avait tiré son rideau depuis un long moment, l’a remonté… Comme si la reprise de la circulation en était la cause, j’ai été contrôlé par la maréchaussée. Le véhicule banalisé –mais avec deux girophares bleus qui ne laissaient aucun doute- était arrêté au milieu du boulevard et contrôlait les autos remontant en sens inverse. Une vitre entrouverte, un coup d’œil précis sur l’attestation de déplacement dérogatoire, cherchant précisément l’heure de sortie, un autre à la carte d’identité tendue. Et, hop, circulez ! Au suivant. Merci, Messieurs…
Une étude établie par l’Université de Westminster a démontré que regarder des films d’horreur permet de brûler des calories. Cela en raison d’une forte montée d’adrénaline. Le travail du docteur Mackenzie a permis de mesurer que la peur et la poussée d’adrénaline permettent de brûler jusqu’à 184 calories en 90 minutes (soit la longueur moyenne d’un film) soit autant qu’en marchant une demi-heure ! Pour le coup, j’ai bien envie de revoir Shining…
CONFINEMENT J36.- Lundi 20 avril : La révolte gronde, mes amis ! Les vieux montent au créneau… Ah tiens donc, nous maintenir confinés jusqu’en décembre 2020, comme l’a suggéré Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Et pourquoi pas ! Faudrait pas qu’elle me tombe sous la main, celle-là… Le sang soixante-huitard des baby-boomers n’a plus qu’à faire un tour ! Sous les pavés, la plage. Bon d’accord, ça va être compliqué de dépaver la moquette de nos appartements confinés. Dans les médias, on ne parle plus que de nous, les anciens, les seniors, les tempes blanches, les vieux donc. Dans son discours de lundi dernier, le président Macron l’avait dit à demi-mot. Les vieux attendront de sortir. Depuis, il semble bien qu’il ait mis de l’eau dans sa tisane et en appelle désormais à la « responsabilité individuelle » de chacun. Tu parles, il fallait illico éteindre l’incendie. Le vieux est aussi un électeur en puissance. Ah, c’est sûr, l’excellent professeur Delfraissy n’est pas « politique » quand il affirme, sur un ton quand même péremptoire, que 18 millions de personnes au-dessus de 65 ou 70 ans resteront bouclés en attendant qu’on trouve peut-être un médicament préventif. Dans 18 mois, au mieux ? Et Alain Minc, proche, dit-on, du président, d’interroger : « Les vieux sont-ils plus contagieux ? Non. Les vieux sont-ils plus fragiles face au Covid-19 ? Oui, mais c’est leur liberté d’assumer ce risque. » Chérie, fais les bagages, on part à la campagne !
Pour adoucir notre confinement, je vous suggère de regarder Quartet, le seul film à ce jour réalisé par Dustin Hoffman, la star de Marathon man, du Lauréat ou de Rain Man. L’action se se situe à Beecham House, une maison de retraite pour musiciens au cœur de la campagne anglaise. Chaque année, trois pensionnaires, anciens chanteurs d’opéra, organisent un concert pour célébrer l’anniversaire de Verdi mais l’arrivée d’une nouvelle pensionnaire, ex-diva grincheuse, va tout chambouler… Une comédie qui incite à l’optimisme. C’est bien ce qu’il nous faut.
CONFINEMENT J35.- Dimanche 19 avril : Tous les jours, vers 13h quand il fait beau -et il fait beau, par bonheur- je remarque une jeune femme, dans un immeuble situé plus loin mais assez à portée de vue néanmoins, qui s’installe sur le rebord de sa mansarde, le dos contre le chambranle. La fenêtre est ouverte. Elle porte un haut sans manches et un short. Elle ne craint pas le vide. Pas de souci de vertige. Sur ses genoux ramenés vers elle, elle a posé un livre dont elle tourne doucement les pages. Pour profiter du soleil, elle change, de temps en temps, de côté… Et puis, au bout d’un moment, elle disparaît de sa fenêtre. J’aimerai bien savoir ce qu’elle lit et qui retient si bien son attention.
Je me souviens d’un film qui s’intitulait Une femme à sa fenêtre. C’était avec Romy Schneider, une réalisation de Pierre Granier-Deferre qu’il avait tiré, en 1976, d’une œuvre de Pierre Drieu la Rochelle. Même si le duo Romy Schneider-Philippe Noiret ne manquait pas d’allure, ce n’était pas une date majeure dans la carrière de l’ex-Sissi. Un autre film, lui très oubliable, de Romy Schneider, en l’espèce Un amour de pluie, demeure pourtant une lumineuse expérience. C’était en 1973 et nous étions partis, de très bonne heure, avec mon ami Daniel Schmitt, photographe émérite, pour le Club Med de Vittel. C’est là que Jean-Claude Brialy mettait en scène les aventures d’une mère et de sa fille de 15 ans en cure dans une ville d’eau, sur fond d’amours de l’une et de l’autre. On ne fera pas offense à Brialy en disant qu’il n’était ni Visconti, ni Bergman. Mais nous n’avions d’yeux que pour Romy Schneider. Lorsqu’elle sortit rapidement de l’hôtel, nous ne l’avons pratiquement pas reconnue. Elle entra vite dans une caravane, servant de loge… Et lorsqu’elle en émergea, le moteur de l’appareil photo du reporter photo de L’Alsace crépita à gogo. Pantalon blanc, chemisier blanc noué sur le ventre et casquette blanche, elle rayonnait de beauté. Les stars ont quelque chose. Elle l’avait. Et nous l’avons regardée à l’œuvre toute une journée…
CONFINEMENT J34.- Samedi 18 avril : Je préviens d’entrée : cette chronique est tirée par les cheveux. Mais on peut couper les cheveux en quatre, rien n’y fait. Le confinement, c’est l’horreur pour toutes celles qui, chaque semaine, s’en allaient chez leur coiffeur pour un coup de peigne et, tous les mois, pour une couleur. Car les salons sont clos, les cheveux en bataille et les racines de plus en plus blanches. Ah, ça va être une bataille dès le 11 mai ! Il faudra se lever matin pour avoir son rendez-vous successivement chez la technicienne pour la couleur et chez la coiffeuse pour la coupe. C’est sûr, ces dames ne seront pas trois pelées et une tondue et ça risque de se crêper le chignon. Ou alors, on est de mèche avec son figaro et on coiffe toutes les clientes au poteau.
Il est vrai qu’avec ma coupe (travaillée à la tondeuse), j’arrive comme un cheveu sur la soupe. Mais j’espère que toutes les mal coiffées, qu’elles aient les cheveux plats, dociles, en bataille ou raides comme des baguettes, ne pensent pas, à cet instant, que je leur cherche des poux !
Puisque tout cela ne tient qu’à un cheveu, je suggère un rendez-vous avec un coiffeur beau comme un Dieu. De cinéma puisque je songe à Warren Beatty, entouré, en prime, de Goldie Hawn et Julie Christie. Dans le bien nommé Shampoo, Hal Ashby, par ailleurs réalisateur de Harold et Maude (1971) ou Bienvenue, Mister Chance (1979), mettait en scène, en 1975, un coiffeur doublé d’un don Juan mondain. S’il séduit allègrement ses clientes, George Roundy se désespère de sa vie de simple employé d’un salon pour femmes. Il rêve d’ouvrir le sien propre et compte sur le mari… de l’une de ses maîtresses pour l’aider… L’action se déroule, en 1968, la nuit précédant la première élection de Nixon à la Maison Blanche. Une satire acide et politiquement incorrecte d’une société encore sexuellement et socialement coincée.
CONFINEMENT J34.- Vendredi 17 avril : Mais non, le confinement n’est pas une malédiction ! Même pas une catastrophe ! Vous soulevez un sourcil. En vous inquiétant dans votre for intérieur à l’idée d’un gros pétage de plomb. Oulà ! Tiendra-t-il jusqu’au 11 mai ? Et encore… Comme on peut me ranger parmi les vieux, la date du 11 mai tient du vœu pieux.
Mais non, j’évoque le bonheur des contemplatifs. Ceux pour qui le confinement, à défaut d’être une nouveauté, était déjà une manière d’être, un modèle de vie. Il ne s’agit pas alors de se complaire à regarder pousser les feuilles de son ficus. Mais plus sûrement de choisir une existence qui laisse le superflu ou l’accessoire hors de vue. Dans Rien ne s’oppose à la nuit, Delphine de Vigan écrivait : « Aucun prince, aucune réussite ne peuplaient ses rêves, simplement le temps étalé devant elle dont elle pouvait disposer selon sa volonté propre, un temps contemplatif qui la tiendrait à l’abri. » La contemplation est un art de vivre. Lui manque-t-il peut-être le goût de l’ivresse ? Ce petit bonheur de la bise amicale échangée, la réconfortante sensation de pouvoir serrer dans ses bras (et d’être étreint en retour) celui ou celle avec qui on partage un lien aussi fort qu’invisible… Ah, les gestes-barrière, pour être certes indispensables, m’ont bien privé de cela… Vivement l’après-11 mai. Pourvu que ce ne soit pas en septembre !
S’il en est un qui s’interdit toute forme d’extériorisation des sentiments, c’est bien Jean-Louis Joubert, l’agent de change du film de Philippe Le Guay, Les femmes du 6e étage. Dans son appartement cossu du 16e arrondissement parisien, Joubert (l’inénarrable Fabrice Luchini) n’a pas la moindre idée de la vie des « bonnes à tout faire » espagnoles qui logent là-haut dans les mansardes de son immeuble. Sinon que l’une d’elles fait le ménage chez lui. Une crise conjugale va précipiter Monsieur Jean-Louis parmi Carmen, Maria, Dolorès, Concepcion, Teresa, Pilar et les autres. Et il en sera définitivement changé… Savoureux !
CONFINEMENT J33.- Jeudi 16 avril : En rangeant mes DVD –un travail de Romain, au demeurant- je suis tombé sur une galette sobrement intitulée Adhémar. Vous, je ne sais pas mais moi, ça ne ne disait rien du tout. Vérification faite, cet Adhémar dont le titre complet est Adhémar ou Le jouet de la fatalité date de 1951 raconte les aventures comiques d’un homme qui déclenche l’hilarité générale à cause de son faciès chevalin. Un rôle en or pour… Fernandel qui en assura aussi la réalisation. Mais surtout un scénario de Sacha Guitry qui ne pu mettre le film en scène à cause d’une grave intervention chirurgicale. Cet éblouissant amoureux de la langue française qu’était Guitry est aujourd’hui un peu oublié. Et c’est bien dommage. Car celui qui aimait tourner les aphorismes ( « Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d’eux, ils en diraient bien davantage ») était un grand homme de théâtre et de cinéma. Qui avait la prétention de ne pas plaire à tout le monde !
Turbulent, touche-à-tout, cet homme-orchestre qui travaillait quinze heures par jour avec une facilité légendaire (124 pièces et 36 films en attestent) était aussi un prince de l’épate doublé d’un moraliste amoureux de la langue française. Belle porte d’entrée dans l’œuvre : Le roman d’un tricheur. Tourné en 1936, voici, selon la formule de François Truffaut, l’« unique film de fiction de l’histoire du cinéma qui soit commenté en voix off à 90% ». A la terrasse d’un café, un homme rédige ses mémoires. Il raconte comment son destin se scelle lorsqu’à l’âge de 12 ans, il est privé de dîner pour avoir dérobé des sous dans la caisse de l’épicerie familiale pour s’acheter des billes. Le soir même, toute la famille meurt empoisonnée en mangeant un plat de champignons. Seul dans la vie et ayant ainsi constaté l’inutilité d’être honnête, il n’aura qu’une ambition : devenir riche. Et il choisit d’être tricheur et voleur professionnel pour parvenir à ses fins. C’est brillant, enlevé, inventif, amoral. Un régal. Orson Welles adorait Le roman… Il n’est pas le seul.
CONFINEMENT J32.- Mercredi 15 avril : Il y a un an, Notre-Dame de Paris partait en fumée. Je me souviens encore bien des images passant en boucle sur les télés puis des formidables élans de solidarité émanant du monde entier. C’était à qui allait donner des millions d’euros ou de dollars pour permettre de reconstruire au plus vite et au mieux ce fleuron gothique… Depuis, évidemment, on en parle moins. Comme de la famine qui frappe ou des guerres qui continuent à ravager le globe, des dictateurs de toutes catégories qui mettent leur pays à leur botte et les peuples à la torture… De quoi ne parle-t-on plus ? Tiens, des criquets pèlerins.
Au demeurant, de petites bestioles assez malfaisantes puisque, selon les autorités compétentes, ces insectes représentent « une menace sans précédent pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance dans la Corne de l’Afrique ». Un essaim de ces criquets a envahi l’Afrique de l’Est l’été dernier. Depuis le début de l’année, l’invasion touche l’Éthiopie, le Kenya, l’Érythrée, Djibouti et la Somalie. La Tanzanie, le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo ont suivi… Sur place, on essaye bien de lutter avec des pesticides… Las, depuis mars, la pandémie de coronavirus perturbe la lutte, bloquant les livraisons de pesticides et les financements. Vers juin, on attend l’arrivée des insectes en Afrique de l’Ouest et vers octobre au Maghreb.
Blague dans le coin, j’ai vu sur mon téléphone, une adresse aux Chinois qui ont monté des hôpitaux en dix jours à Wuhan. Pourraient-ils venir finir Notre-Dame vendredi prochain entre midi et deux ? En attendant de savoir, j’ai glissé La rose pourpre du Caire dans mon lecteur. Oui, Woody Allen n’est plus en odeur de sainteté mais que c’est bon d’accompagner Cecilia (Mia Farrow), serveuse dans une brasserie, au Jewel Palace. Pour la cinquième fois, elle est revenue voir le même film. Mais, cette fois, la magie se produit. Tom Baxter, le héros du film, sort de l’écran et va l’entraîner dans une aventure aux multiples rebondissements. On rêve un peu, quoi…
CONFINEMENT J31.- Mardi 14 avril : L’ennui guette, l’ennui menace, l’ennui s’installe… Le temps s’épaissit et ce qui semblait inconcevable la veille, c’est-à-dire avant le 17 mars, date officielle du confinement, paraît aujourd’hui normal. Mais c’est quoi, la normalité désormais ? C’est qu’on a déjà un mois de confinement derrière nous et on n’a pas encore viré maboul. Enfin, pour certains, c’est très certainement plus difficile que d’autres. On l’a déjà dit : il vaut mieux ne pas être une femme battue par ces temps difficiles et il vaut mieux ne pas vivre à six dans deux pièces… On pense aussi aux étudiants surpris loin de chez eux, coincés dans leur chambrette, sans le (petit) boulot qui permet de mettre un peu de beurre dans les épinards. On songe aussi aux SDF pour qui le confinement ne veut rire dire du tout et qui n’ont ni beurre, ni épinards.
Pour se remonter le moral, pourquoi ne pas regarder Gran Torino. Dans ce film qu’il produit et réalise en 2007, Clint Eastwood incarne Walt Kowalski, un vétéran du Vietnam, raciste, irascible, veuf de fraîche date et fier de sa Ford 1972 modèle Gran Torino. Par contre, il n’a que mépris pour ses voisins, des immigrés récents de la communauté hmong. Jusqu’au jour où il vole au secours de Sue, la fille des voisins, en butte à une bande de voyous. Invité dans la famille de Sue, Kowalski découvre la culture hmong, apprécie la cuisine et concède : « Je crois que j’ai plus de choses en commun avec ces Chinetoques qu’avec tous les membres pourris gâtés de ma famille ». Dès lors, Kowalski va accepter ses voisins et même les intégrer parmi ses amis. Mieux, il va accepter de prendre sous son aile le jeune Thao, celui-là même qu’il avait surpris en train de tenter de voler sa chère voiture… Et Eastwood peut alors suivre un homme mal embouché qui va s’ouvrir aux autres. Et s’il ne comprend pas bien les traditions hmongs, il est pourtant en route pour la sagesse… Un film à se passer entre voisins. Prochainement, évidemment.
CONFINEMENT J30.- Lundi 13 avril : Pour dire le vrai, je ne suis pas fan des grands rendez-vous télévisuels. Les déclarations sur fond de drapeaux tricolore et européen ne sont pas franchement ma tasse de thé. J’avoue qu’il m’est arrivé d’aller jeter un œil dans les trésors de l’INA et de goûter les conférences de presse du général de Gaulle. Le président avait, il est vrai, un génie du verbe et le goût des mots rares comme volapük, quarteron et chienlit…
Après avoir annoncé, naguère, que nous étions en guerre, Emmanuel Macron a renoncé, lundi soir à la télévision, à sa tenue de généralissime… C’est avec le ton de celui qui veut croire « qu’il y aura des jours meilleurs, des jours heureux » que le président a brossé un large tour d’horizon de la situation, employant un glossaire façon crise sanitaire où l’on a entendu des mots comme confiance, volonté, ébranlement intime et collectif, résilience, solidarité, fraternité, calme, courage, espoir, efforts, action… Mais évidemment, au-delà des mots et des constats, on attendait surtout un chiffre, en l’occurrence une date. Ce sera donc le lundi 11 mai prochain. Jusque là, ce sera le confinement le plus strict qui s’appliquera. « Car, dit Emmanuel Macron, c’est le seul moyen d’agir efficacement ». Pour les quatre prochaines semaines, on s’en tiendra donc à des règles qui, à en croire le président, ont été pleinement appliquées. « L’espoir renaît mais rien n’est acquis » et le chef de l’Etat a évoqué la fin définitive de l’épidémie, le retour à la vie d’avant en affirmant « en toute franchise, en toute humilité », n’avoir pas les réponses. Mais il a salué une nation debout dans un moment de vérité, un peuple développant, au cœur de l’épreuve, une certaine idée de la France.
L’accent avait quelque chose de fort quand il a souligné que cette crise était une chance d’éprouver notre humanité… A 22h10, la chaîne Action programmait Dien Bien Phu. Je n’ai pas eu le cœur de regarder…
CONFINEMENT J29.- Dimanche 12 avril : Pâques, c’est le dimanche à la campagne, la messe de 10h30, le plus souvent à Juliénas, le gigot d’agneau et les petits qu’on tente de garder loin du jardin tandis que les parents dissimulent les œufs en chocolat sous les feuilles naissantes des haies vives… Et puis, rien. Le confinement est là. La police veille aux sorties des villes, prête à sanctionner ceux que la bougeotte printanière pousserait à prendre la route pour satisfaire au rituel du week-end pascal. On a bien essayé, pour maintenir coûte que coûte la tradition, de cacher quelques œufs en papier doré dans la maison. Evidemment, ça n’a rien à voir d’autant qu’on sait bien où sont les œufs puisqu’on les a mis nous-mêmes. Et puis, le chocolat, hein quand il s’agit d’éviter de prendre du poids.
Le gigot, je n’en fais pas une histoire. Certes, la maison Sanzot en proposait d’excellent. Mais pour les uns, la viande était trop rose, pour les autres trop cuite. Sans parler de la bagarre pour avoir la souris. Confinement oblige, on pourrait tenter le gigot de sept heures. Puisqu’on a le temps.
Voilà longtemps, en 1987 en fait, j’avais rencontré Gabriel Axel à Strasbourg pour le Festin de Babettequi n’avait pas encore, alors, décroché l’Oscar du meilleur film étranger. Homme au demeurant affable, le cinéaste n’avait pourtant pas la tête du joyeux bambocheur. Plutôt l’habitus d’un pasteur scandinave (il était d’ailleurs natif d’Arhus au Danemark) mais il avait pourtant réussi l’un des films les plus captivants sur la célébration de la table… Tiré d’un roman de Karen Blixen, Le festin…raconte l’histoire d’une servante française (Stéphane Audran) au service de deux sœurs au cœur du Jutland. Grâce à un gain de loterie, la cuisinière va concocter un somptueux repas… Le film est superbe et on se souvient longtemps des cailles en sarcophage au foie gras et sauce aux truffés arrosées de Clos Vougeot 1845. De quoi se lécher les babines.
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JOURNAL DU CONFINEMENT
LES CHRONIQUES QUOTIDIENNES DATEES DU 14 MARS AU 11 AVRIL 2020
CONFINEMENT J-1.- Samedi 14 mars : Comme un réflexe depuis quelques jours déjà, j’ai mis le journal de 20h… Déjà l’impression que Delahousse la joue solennelle. Edouard Philippe annonce des mesures strictes de confinement. Les Français, jusque là, faisaient comme si de rien… Ah, on la retient, cette restauratrice de Boulogne-Billancourt, forte en gueule, à laquelle on tend un micro complaisant. Pour la voir vociférer sur le thème « Ce n’est rien de plus qu’une grippe… » et embrasser ses clients.
Donc, si l’on en croit le Premier ministre, les grilles tombent sur les cinémas. Mon dernier film en salle de l’avant-confinement aura été La bonne épouse. Une petite bouffée sympa de comédie d’éveil féministe. J’ai une pensée pour mes amis du Palace à Mulhouse Fatima, Gilda, Jean-Luc et Amaca, désormais au chômage technique. Pour Xavier Orsel aussi, le nouveau boss du complexe, qui doit se dire que les débuts sont bien durs.
Depuis quelques jours déjà aussi, en songeant l’Italie arrêtée, je me disais que j’allais faire une consommation massive d’images en boîte. Mes piles de dvd sont prêtes…
Mais là, je reste scotché devant la lucarne et devant La fugue. Pour Arthur Penn, Gene Hackman joue un privé, ex-star de football américain, chargé de ramener une jouvencelle à sa mère. La gamine, c’est Mélanie Griffith, 18 ans en cette année 1975. Un temps où une (jeune) comédienne pouvait encore plonger nue dans la baille, histoire de chauffer un presque papy. Le détective mal embouché va comme un gant au bon Gene mais il y a une particularité qui, chaque fois, me fait tiquer. C’est la coupe du gaillard, surtout sur l’arrière où les cheveux ont toujours l’air de se relever… Mais qu’importe, la carrière de Gene Hackman, 90 ans aujourd’hui, c’est du bon boulot. On peut ainsi le voir et le revoir avec le même plaisir en Harry Caul, spécialiste introverti de la filature, dans Conversation secrète qui valut à Francis Ford Coppola la Palme d’or à Cannes 1974. Bon, je vais aller me laver les mains…
CONFINEMENT J1.- Dimanche 15 mars : je me suis assoupi dans mon canapé. Quand j’ouvre un œil, j’aperçois une belle entièrement nue, sinon ses tatouages, allongée sur le flanc en train de se faire allègrement besogner sous le signe d’Eros. Wouah, j’avais oublié le X de la nuit… C’est marrant, sur letribunaldunet.fr (mais pourquoi, on regarde des trucs comme ça !) j’ai lu que pornhub offrait l’accès premium à tous les Italiens. Veinards…
Un temps de printemps ! Le temps d’aller voter et retour at home. Depuis que j’ai vu le Judy avec Renée Zellweger, il me tardait de revoir A Star is Born… Ah, c’est bon de retrouver l’original plutôt que la copie, même honorable. George Cukor fait du sur-mesure en 1954 pour une Judy Garland tour à tour rayonnante, voire juvénile et puis fragile et marquée alors qu’elle n’a alors que 32 ans. Mais l’alcool, les médicaments pour se doper, s’endormir, se réveiller, la dépression sont déjà passés par là. Avec son mètre 51, Miss Garland fait toute menue face à la grande taille de James Mason.
Pygmalion toxique, l’acteur so british est odieux et pathétique en comédien alcoolique perdant tout crédit à Hollywood. Judy, en femme aimante, essaye de le sortir de l’ornière en faisant ce qu’elle sait faire de mieux : chanter ! Un sacré mélo dans un technicolor qui tape et qui célèbre l’usine à rêves pourvoyeuse de stars, ces êtres qui « ont quelque chose »…
J’ai trouvé dans ma bibliothèque un Chaplin et les femmes paru en 2007 aux éditions Philippe Rey sous la plume de Nadia Meflah. Elle écrit qu’avec City Lights, Chaplin, pour la première fois, va travailler avec une femme –la comédienne novice Virginia Cherrill- envers laquelle il n’éprouve rien et qui, en plus, a le don de l’agacer par son manque d’investissement dans le film. Les lumières de la ville ou l’ultime étape de mon Ciné-Cycles 2019/2020. Ce sera le 12 mai. Mais avant cela, le cycle programme, le 7 mars, l’émouvant Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Qui peut dire si la séance aura lieu… Bon, je continue à me laver les mains…
CONFINEMENT J2.- Lundi 16 mars : C’est rageant, ce temps de printemps ! On a l’impression de voir les bourgeons éclore en direct live et on est là, confinés… Le plus inquiétant surtout, c’est d’imaginer qu’il en est encore à se dire que tout cela n’est pas si grave. Tandis que les autres flippent comme des fous.
Alors, on comprend mieux que le président Macron, dans sa seconde allocution télévisée en quatre jours, ait martelé un « Nous sommes en guerre ! » qui fait quand même un drôle d’effet à ceux qui n’en ont jamais connu de guerre, du moins sur le territoire national. Pas d’ennemi en chair et en os certes mais un ennemi plus redoutable parce qu’invisible. Alors, les mots prennent du poids. Guerre, mobilisation, union nationale, solidarité. Bien sûr, le président souligne qu’il ne faut céder ni à la panique, ni au désordre mais qu’il convient désormais de se hisser « à la hauteur du moment ». Du coup, l’annonce du report des élections municipales, on s’en fiche un peu. Dimanche, nous serions pratiquement sortis pour rien. Un petit (premier) tour et puis bye ! On se revoit dans longtemps. Dans l’affaire, j’ai perdu un bic, certes usagé…
Lundi soir, mon magazine télé annonçait Le président (1961) de Verneuil sur Arte. Tiens, l’occasion de revoir le père Gabin, se faisant la tête de Clemenceau, pour incarner Emile Beaufort, un président du Conseil, qui s’emporte : « Durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de penser à l’Europe ! Monsieur Chalamont, lui, a passé une partie de sa vie dans une banque, à y penser aussi… ». Ca sonne bien. Forcément, c’est de l’Audiard dans le texte.
Mais mon mag TV s’est planté. D’ailleurs, pour mardi, il annonçait encore Juventus-Lyon en Ligue des Champions… En lieu et place de Gabin, il y avait un joli quatuor : Nathalie Baye, Bulle Ogier, Mathilde Seigner et Audrey Tautou. Réunies, en 1999, dans Vénus Beauté (Institut). Emportée par le crabe à 68 ans, Tonie Marshall avait obtenu le César de la meilleure réalisation pour ce film. Elle est la seule femme à ce jour à avoir obtenu cette récompense. Bravo encore et salut, Tonie !
CONFINEMENT J3.- Mardi 17 mars : Je ne tourne pas encore comme un lion en cage mais je me demande, sans doute à tort pour n’avoir –par bonheur- pas eu à l’expérimenter ce que doit être le sort d’un détenu. L’atmosphère dans les prisons doit être plus que tendue. D’ici, qu’on entende parler, un de ces jours, d’émeutes.
La guerre décrétée par Macron n’a pas fini de me trotter dans la tête. Dans l’après-midi ensoleillé, le ciel de Mulhouse a été traversé à plusieurs reprises d’hélicoptères. Transferts de malades du Mönchsberg vers d’autres hôpitaux…
Au téléphone, un cousin, venu prendre des nouvelles, m’apprend que les facteurs mulhousiens ont fait jouer leur droit de retrait. Exit le courrier.
Hasard ? Macron parle de guerre et je jette mon dévolu dans mes dvd sur La valse dans l’ombre dans la collection Les introuvables de Wild Side. Une pépite de mélodrame hollywoodien ! C’est Mervyn LeRoy qui le réalise en 1940 pour le compte de la Metro-Goldwyn-Mayer, la « major » qui s’est fait une spécialité du mélo flamboyant. Le film commence le 3 septembre 1939 lorsque le locataire du 10, Downing Street annonce la guerre avec l’Allemagne nazie.
Sur Waterloo Bridge (titre original du film), Roy Cronin, officier britannique sur le point de rejoindre le front en France, se souvient de sa rencontre, à ce même endroit lors d’une alerte pendant la Première Guerre mondiale, avec Myra, une jeune ballerine… Histoire somptueuse d’un coup de foudre servi par le beau Robert Taylor, grand complice de LeRoy et la sublime Vivien Leigh –icône d’elle-même-, qui vient d’être, l’année précédente, la mythique Scarlett dans Autant en emporte le vent. Le noir et blanc est parfaitement moelleux pour magnifier la tragédie d’une jeune femme déchue, raconter un amour impossible, le sacrifice de soi et les intermittences du cœur. Tellement beau !
Tiens ! En zappant sur ma télé, je constate que Canal+ est en clair tout le temps. Petit cadeau de temps de crise… Pour suivre la Ligue 1 de foot, c’est rapé quand même. Reste les films.
CONFINEMENT J4.- Mercredi 18 mars : Quoi de plus beau qu’un décalage ! Surtout quand il se double d’un joli cadrage… Je parle évidemment de ballon ovale… A ce propos, j’aurai bien aimé voir le XV français, made by Galthié, affronter l’Irlande en cerise sur le gâteau du Tournoi des six nations. Surtout après le match au goût rance livré contre les Ecossais…
Mais, dans le cas précis, le décalage concerne les sorties cinéma. Les sorties du mercredi étaient une habitude à laquelle on ne prêtait pas plus d’attention que ça. Voici donc le premier mercredi modèle confinement. Les salles sont closes et le spectateur n’a plus le loisir/plaisir de voir un film dans son lieu d’élection, cette salle obscure où opère vraiment la magie des images… Bien sûr, la télé, ces temps-ci, est un dérivatif bienvenu mais je ne me souviens plus qui disait : « Au cinéma, l’écran est plus grand que le spectateur. Avec la télévision, c’est le spectateur qui est plus grand que l’écran ». Peut-être Jean-Luc Godard ? On ne prête qu’aux riches…
Ce mercredi, on attendait par exemple Petit pays d’Eric Barbier d’après le roman de Gaël Faye paru en 2016 chez Grasset et Goncourt des lycéens cette année-là. L’histoire d’un petit garçon qui, dans les années 1990, vit au Burundi avec son père, un entrepreneur français, sa mère rwandaise et sa petite soeur. Il passe son temps à faire les quatre cents coups avec ses copains de classe jusqu’à ce que la guerre civile éclate mettant une fin à l’innocence de son enfance.
D’après le journal Les Echos, le CNC –Centre national du cinéma- envisagerait de sortir certains films directement en VOD afin que ces derniers puissent trouver un public… Il est vrai qu’un film comme La bonne épouse n’a eu qu’une poignée de jours et de soirs pour vivre dans la salle. Mais, pour en arriver, il faudrait chambouler la loi sur la chronologie des médias qui, en France, prévoit actuellement un délai de quatre mois avant qu’un film sorti en salle ne soit disponible en VOD. Une vraie urgence ?
CONFINEMENT J5.- Jeudi 19 mars : Il fait toujours printanier et les cris des enfants dans le jardin des voisins répondent aux pales des hélicoptères qui croisent dans le ciel. Où, par contre, on ne voit quasiment plus d’avions orange et blanc d’EasyJet tournant au-dessus de la tour de l’Europe pour se mettre dans l’axe de l’EuroAirport…
Le Monde (qui est toujours servi matinalement dans notre boîte aux lettres. Merci, le porteur de L’ALSACE !) m’apprend que Suzy Delair est morte dimanche dernier à l’âge de 102 ans. Est-ce le virus qui l’a envoyé au paradis des stars ? Ou seulement le grand grand âge… Ah, Suzy ! Je l’entends chanter, avec son accent canaille, Avec mon tra-la-la… C’était dans l’excellent Quai des Orfèvres où, en Jenny Lamour, jeune chanteuse qui veut se faire une place au music-hall, elle donnait la réplique à Louis Jouvet, magnifique en inspecteur de police désabusé. De Clouzot qui revenait au cinéma après avoir été tricard à la Libération (à cause du Corbeau), Suzy disait qu’il l’avait faite et que Quai des Orfèvres (1947) était son Ange bleu à elle…
Aujourd’hui, je suis sorti de l’enceinte de la maison pour la première fois. Hier, j’ai passé une heure au jardin à arracher des pissenlits et des mauvaises herbes. L’impression que ça ne sert absolument à rien, sinon à quitter des murs. Donc, direction le Drive d’un supermarché. Dans mes affaires de peinture/plâtrerie (si, si), j’ai trouvé un emballage avec trois masques FFP1. Pas sûr que ce soit les bons. Mais je vais en mettre un quand même… Avec le bon de commande et son code-barre, j’emporte l’attestation de déplacement dérogatoire dument signée. Dans les rues, on se dirait un 15 août. Ni bus, ni tram à l’horizon. Au Drive, pas grand’monde. Tant mieux. La commande est complète sauf un morceau de Comté.
Sur une piste cyclable déserte, un jeune type sur une planche de surf. S’il tombe et se blesse, il va être bien reçu aux urgences… Bon, je retourne me laver les mains.
CONFINEMENT J6.- Vendredi 20 mars : Il fallait s’y attendre… Voilà quelques jours déjà que l’on disait que le Festival de Cannes aurait bien du mal à se tenir au milieu du mois de mai. C’est donc chose faite. La Croisette, si tout va bien, devrait recevoir la plus grande fête du cinéma entre fin juin et début juillet. Alors que la France est en état de confinement, on voit mal Cannes accueillir une foule grouillante de plusieurs dizaines de milliers de festivaliers. Parce qu’au Festival, il est une chose certaine : on se bouscule partout, notamment à l’entrée des salles. Et je ne parle pas des soirées. J’ai connu cela pendant une bonne trentaine d’éditions et ça ne s’est jamais démenti. En même temps, ce n’est pas la première fois que le Festival décroche. Le premier Festival devait avoir lieu en septembre 1939. La déclaration de guerre en décida autrement. On se souvient aussi de mai 68. Pour l’heure, il ne s’agit qu’un report.
Quant à la primesautière Suzy, il faut convenir quand même qu’elle n’a pas, tout le temps, été exceptionnelle. Sous contrat avec la Continental, société de production allemande, installée en France et dirigée par l’énigmatique Alfred Greven, elle fait partie, en 1942, du groupe de comédiens français invités par les Allemands à visiter les studios cinématographiques de la UFA, notamment à Berlin. Elle prend le train en compagnie de collègues comme René Dary, Junie Astor, Danielle Darrieux, Albert Préjean ou Viviane Romance… A son retour, elle choque en embrassant chaleureusement Alfred Greven tout en se plaignant de ne pas avoir serré la main du docteur Goebbels. A la Libération, un Comité d’épuration lui infligea une suspension professionnelle de trois mois… A l’orée des années 2000, la piquante Suzy a quand même été décorée de l’Ordre national du Mérite. A cette époque-là, Catherine Trautmann était ministre de la Culture. Ceci n’ayant rien à voir avec cela. Bon, je retourne me laver les mains.
CONFINEMENT J7.- Samedi 21 mars : C’est curieux quand même les effets (bénins) du confinement. Depuis le début de cet enfermement volontaire, je n’ai plus mis ma montre au poignet. Pour quoi faire ? J’ai tout mon temps et pas le besoin manifeste de le mesurer. Presque au contraire. Organiser son temps, ne pas céder à l’indolence, cultiver la patience. Choisir de faire durer plus longtemps la lecture du journal régional, désormais en édition unique… Mais est-ce que je vais continuer à écouter les infos… D’un côté, une utilité certaine. Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire. De l’autre, des doses variables de stress à chaque bulletin. Dire que nous sommes un demi-milliard sur la terre à être confinés et qu’il y a maintenant plus de morts en Italie qu’en Chine. Bigre. Dans la presse, on dit communément que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. En ce temps de crise, on guette pourtant la « bonne nouvelle ».
Je suis allé prendre L’ALSACE dans la boîte aux lettres. Gros titre qui barre toute la une. Wouah ! Je fais quoi ? Je lis le canard ou je me jette sur l’ordi pour commander en urgence sur le drive ? Je me ravise. Inutile ! Tous les lecteurs vont faire de même. Idéal pour planter le truc. Alors je cherche les infos. Et quoi ? « Le pic est derrière nous » affirme le président (alsacien) du groupe Système U. En dernière page, six colonnes en tête : « L’approvisionnement sera assuré ». Bon, le drive peut attendre lundi.
Après avoir sacrifié au rituel de l’applaudissement –dans le quartier, de plus en plus de gens sont aux fenêtres- j’ai mis Le mystère Von Bülow dans mon lecteur. Le dvd doit sortir le 21 avril. Mais bon, qu’en sera-t-il ? C’est en 1990 que Barbet Schroeder adaptait au cinéma Reversal of Fortune, le livre de l’avocat Alan Dershowitz qui a défendu l’arrogant et charismatique Claus von Bülow, accusé d’avoir assassiné sa richissime épouse… Oscar du meilleur acteur, Jeremy Irons est inquiétant à souhait dans ce bon film de procès.
CONFINEMENT J8.- Dimanche 22 mars : Je fais comme tout le monde, j’imagine… Le matin, je nettoie ma boîte mail de tous les spams qui s’accumulent. La masse, finalement, n’est pas une mauvaise chose puisqu’elle évite de s’attarder sur les messages. Enfin, j’ai jeté un œil quand même sur une info-pub : Vive le soleil qui proposait des tenues légères et fluides. Ce qui est rassurant, c’est que j’ai déjà oublié le nom de la marque.
Le 25 mars, c’est la Journée mondiale de la procrastination. La célébra-t-on ? Pas si sûr mais le mot est charmant. Et tellement de circonstance. La procrastination (du latin pro « en avant » et crastinus « du lendemain ») est la tendance à remettre systématiquement au lendemain des actions qu’on pourrait faire le jour même. Le « retardataire chronique », donc le procrastinateur, n’arrive pas à se « mettre au travail », surtout lorsque cela ne lui procure pas de satisfaction immédiate. En période de confinement, la procrastination a-t-elle encore un sens ? Quand il s’agit de faire durer…
A 102 ans, le 5 février dernier, Kirk Douglas est parti visiter le paradis… Dans Quinze jours ailleurs, il incarne Jack Andrus, une star déchue enfermée dans une institution pour soigner alcoolisme et dépression lorsqu’il reçoit une invitation à venir sur un tournage (américain) à Rome. Avec son vieil ami/ennemi Kruger (Edward J. Robinson), il pourrait ainsi revenir dans la lumière… En 1962, Vincente Minnelli met en scène, avec un grand soin des décors, ce Two Weeks in Another Town qui vaut par sa description précise des coulisses d’un tournage. Mais surtout le film est un témoignage sur ces années soixante où le cinéma hollywoodien est confronté à la montée en puissance de la télévision…
Bon sang, une semaine déjà que tout cela dure. Je me lave les mains régulièrement. Mais désormais j’y étale une petite couche de crème réparatrice. Idéale contre les sécheresses sévères et les rugosités. Enfin, c’est écrit dessus.
CONFINEMENT J9.- Lundi 23 mars : Par ma fenêtre, comme le temps est beau, j’aperçois les molles vagues des Vosges. C’est beau, c’est loin. Et ça donne envie d’enfiler des chaussures de montagne pour partir sur le sentier qui monte, à travers la forêt puis les chaumes, vers la ferme-auberge du Thannerhubel. La première fois –il y a longtemps- que nous y sommes montés, nous cherchions notre chemin. Sur la route, nous nous sommes arrêtés à hauteur d’un vieux monsieur auquel nous avons demandé la direction de la route Joffre. La quoi ? Ah, la route Choffrrr… C’est devenu une blague récurrente entre nous. En attendant, je contemple les beaux Ballons vosgiens, une gouache datant des années soixante due à la peintre helvetico-mulhousienne Véronique Filozof. Et j’écoute le concerto pour clarinette K 622 de Mozart. C’est beau comme l’antique et ça fait du bien à l’âme.
D’Hal Ashby qui réalisa le film en 1971, on connaît surtout Harold et Maude sur l’étrange relation entre un jeune homme fasciné par le suicide et une dame âgée passionnée, quant à elle, par les enterrements. Deux ans plus tard, ce cinéaste rebelle et atypique au look de baba-cool chargé à la marihuana, signait La dernière corvée. L’histoire de Buddusky et Mulhall, deux quartiers-maîtres, chargés d’escorter jusqu’en prison un certain Meadows, condamné à huit ans de prison pour vol… Mais les deux matafs se prennent d’affection pour le grand gaillard bien paumé. Et ils décident de lui offrir un peu de bon temps avant la prison. Une production typique du Nouvel Hollywood avec son souci, notamment, de tourner en décors naturels.
La Columbia, trouvant le film trop grossier, ne voulut pas le distribuer. Mais, au Festival de Cannes, Jack Nicholson (qui n’a pas encore le sourcil trop circonflexe) est couronné meilleur acteur pour le rôle de Buddusky. Le film sortit donc et on a pu découvrir une belle œuvre, émouvante, antimilitariste et fortement mélancolique.
CONFINEMENT J10.- Mardi 24 mars : Tous les lundis soirs, je reçois la newsletter du Palace à Mulhouse avec la programmation et les nouvelles sorties du mercredi. Comme l’envoi mail doit être automatisé, la newsletter arrive toujours. Désespérément vide. Pour lutter, il y a le recours à la table. Pour l’instant, on ne tremble pas encore pour l’approvisionnement mais les drives des supermarchés ont des délais de remise de plus en plus longs.
Donc, dimanche, on a ouvert une petite bouteille de champagne et on a trinqué en grignotant des noix de cajou. Trinqué à quoi d’ailleurs ? Déjeuner dominical : noix de saint-jacques, poêlée de champignons et polenta… Pour compenser, on essaye de suivre les exercices que Bob Tahri, ancien recordman d’Europe du 3000 mètres steeple, propose sur le site de L’Equipe. Dans la modeste version Débutants. Même là, le gainage, ça tire durement.
Au départ, Mortelle randonnée que Claude Miller tourne en 1982, était un scénario que l’écrivain Marc Behm préparait pour un studio américain qui l’enterra, le trouvant trop déconcertant. Les Audiard père et fils reprirent le scénario devenu un roman et en tirèrent un drame énigmatique et surprenant par son mélange de réalisme noir et de digressions « fantastiques », le tout autour de la perte d’un enfant et d’un deuil impossible. Au cœur de cette aventure qui se promène de Bruxelles à Rome en passant par Baden Baden et Biarritz, un détective privé efficace surnommé L’œil et une jeune femme fatale… Le privé, c’est Michel Serrault. Isabelle Adjani, 27 ans alors, est très belle et dangereusement mortelle…
De tous les acteurs français, Michel Serrault était certainement l’un des plus foutraques. Je me souviens d’un jour, chez Ladurée à Paris, où, venu parler d’un de ses films qui allaient sortir, il se retrouva debout sur une table en train de brailler, rejouant une scène du film !
CONFINEMENT J11.- Mercredi 25 mars : Dans le ciel bleu de Mulhouse, une cigogne tourne… Le vol est beau, ample et tranquille. Une illustration parfaite de la pleine liberté. Celle que, pour la bonne cause évidemment, on nous sucre. Dernière mesure en date : la fermeture des marchés. Il paraît que le concept de distanciation sociale rebute les Français. Ah, les cons. Les marchands de fruits et légumes n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.
Albert Uderzo, fils d’immigrés italiens, est un grand gaillard qui faisait penser à la réflexion de Lino Ventura dans 100.000 dollars au soleil : « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent. » C’était un jour de fin juin à Paris et les critiques de la presse régionale avaient été conviés à une présentation d’une variation cinématographique d’Astérix suivie d’une rencontre avec Albert Uderzo. Pour donner à l’interview une atmosphère arverne, le déjeuner avait lieu dans une Maison de l’Auvergne. Au menu : un magnifique aligot et sa saucisse. Manque de pot, il faisait une chaleur de fou sur la capitale. Je me souviens qu’Uderzo était très agréable mais qu’il suait à grosses gouttes… A 92 ans, Albert est donc parti retrouver son copain René. Ensemble, ils vont pouvoir se raconter à l’envi les aventures du petit moustachu et du gros gourmand…
C’est le virus qui a emporté à 89 ans, dans sa résidence espagnole, la belle Lucia Bosè, miss Italie 1947 et vedette du cinéma italien de l’après-guerre. C’est en entrant dans la pâtisserie Galli à Milan que Luchino Visconti avait remarqué une petite caissière de seize ans à la taille élancée, aux grands yeux mélancoliques et au maintien racé. Le maestro lui avait dit : « Vous, vous ferez un jour du cinéma, j’en suis sûr. » Galli, dans la via Victor Hugo, est célèbre pour ses panettones. De même que tous les mercredis, les salles de cinéma sortent leurs nouveautés, tous les mercredis matins, je prends mon petit-déjeuner en ville avec mes cousins. Caramba, encore raté !
CONFINEMENT J12.- Jeudi 26 mars : Alors que la situation nous pèse, il y a des propos qui secouent les neurones. Comme cet auditeur qui, à France Inter, évoque soudain Anne Frank… Le confinement, la jeune adolescente allemande a connu. Elle est restée deux années, de 1942 à 44, cachées dans un appartement d’Amsterdam. Avant de mourir du typhus à Bergen-Belsen.
Pour un second mercredi, les grilles des salles obscures ne se sont pas levées. Pourtant, j’avais bien envie de découvrir Les parfums qui raconte l’histoire d’Anne Walberg (Emmanuelle Devos), une célébrité dans le monde du parfum, qui crée des fragrances et vend son impressionnant talent à diverses sociétés. Mme Walberg vit en diva, égoïste au tempérament bien trempé. Son nouveau chauffeur est le seul qui n’a pas peur de lui tenir tête. C’est probablement pour cela qu’elle ne le vire pas…
Je serai très certainement allé voir La daronne à cause de l’incroyable talent d’Isabelle Huppert à investir les personnages que les cinéastes, ici Jean-Paul Salomé, lui propose. Elle est Patience Portefeux, interprète judiciaire franco-arabe, spécialisée dans les écoutes téléphoniques pour la brigade des Stups. Lors d’une enquête, elle découvre que l’un des trafiquants n’est autre que le fils de l’infirmière dévouée qui s’occupe de sa mère. Elle décide alors de le couvrir et se retrouve à la tête d’un immense trafic…
Dans la douzaine de sorties prévues, il y avait aussi Mulan, en l’occurrence la version en prises de vues réelles du film d’animation Disney de 1998. On s’en souvient, c’est la légende d’une héroïne chinoise partie à la guerre à la place de son père sans que personne ne sache – avant son retour – qu’elle est une femme. On pouvait voir aussi Divorce Club, le nouveau film de Michaël Youn, une comédie sur un mec cocu qui peine à remonter la pente… Si ces films n’ont plus de date de sortie, La daronne est (re)annoncé pour le 15 juillet. On sera sorti du tunnel ?
CONFINEMENT J13.- Vendredi 27 mars : Voilà qu’un héron tourne dans le ciel… Les volatiles se sont donnés le mot dans leur splendide indifférence. Là-haut, à quelques centaines de mètres du Mönchsberg et de l’hôpital militaire visité, mercredi, par le président, le jardin zoologique est fermé. Plus que centenaire, le zoo mulhousien, ouvert 365 jours par an, n’avait jamais connu cela de toute son existence. Les gibbons poussent leurs cris sans que des gamins tapent sur les vitres de leur enclos… Non loin de l’entrée du parc, avec Robert Cahen et Thierry Maury, nous avons créé, il y a deux ans, une installation visuelle et sonore pérenne, désormais éteinte et silencieuse. Dans le cadre de la Filature et d’un spectacle musical de Thierry Balasse, nous devions emmener des enfants en promenade au zoo sur la trace des sons d’animaux. On le reprogrammera peut-être…
Il faut, quand les temps sont durs, revenir aux bons auteurs. Assurément, Frank Capra est de ceux-là. Fréquenter les films du cinéaste américain (1897-1991), c’est prendre une sublime bouffée d’humanisme. Car celui qui débuta comme gagman chez Mack Sennett a su, comme personne, vanter l’entraide mutuelle, l’innocence profonde de l’être humain, son patriotisme bon enfant et son idéalisme contre le culte de l’argent ou l’exploitation du sensationnel.
De toutes les œuvres du maître, c’est L’extravagant Mr. Deeds (1936) qui fédère le mieux ses grands thèmes. Passer une 1h55 avec Longfellow Deeds (l’immense Gary Cooper) est un ravissement. Car voilà un homme simple (et heureux !) aux prises avec un gros héritage dont il n’a cure, lui qui se contente de sa petite usine de chandelles et de concevoir des vers de mirliton pour des cartes de Noël… Mieux même qu’un ravissement, Capra offre une forme de béatitude.
Pour la première fois depuis des lustres, j’ai joué au Scrabble. C’est mal parti de suite. D’emblée, ma femme sort un FEZ (compte triple) et j’ai couru après le score jusqu’à la fin, conservant jusqu’au bout un K (10) et un Q (8)… Peut mieux faire.
CONFINEMENT J14.- Samedi 28 mars : Vous, je ne sais pas mais moi, je n’ai pas Canal+. Pas plus d’ailleurs que Netflix. Il est vrai que ma collection de dvd me permet de tenir un bout de temps, côté films… En tout cas, pour la gratuité covidienne de la chaîne cryptée, il faut désormais se presser d’’en profiter. Parce que le 1er avril –et ce n’est pas une blague- ce sera (déjà) fini. Saisi notamment par TF1 et M6, le CSA a en effet sommé la chaîne de cesser dès la fin du mois sa diffusion intégrale en clair. L’initiative de Canal+ est en effet considéré comme une « atteinte à la concurrence et à la réglementation », dont celle de la chronologie des médias, les chaînes plaignantes n’étant habilitées à diffuser leurs coproductions que quatorze mois après la chaîne payante cryptée française… Business is business.
En attendant, j’ai revu avec plaisir Mississippi Burning d’Alan Parker. Le cinéaste anglais, aujourd’hui âgé de 76 ans, était alors au sommet de sa forme. Il venait de faire Angel Heart, l’un des meilleurs rôles de l’ingérable Mickey Rourke et enchaînait, en 1988, avec ce solide drame fondé sur l’histoire vraie de trois membres d’un comité de défense des droits civiques qui, en 1964 dans le Mississippi, avaient disparu sans laisser de traces. Dans le comté (fictif) de Jessup County, débarquent donc deux agents du FBI chargés d’élucider une affaire dans laquelle il apparaît vite que le Ku Klux Klan est impliqué. L’un est un jeune flic, façon intello d’Harvard (le tout jeune Willem Dafoe), l’autre (l’excellent Gene Hackman), un ancien shérif né dans le sud profond et adepte de méthodes moins conventionnelles mais plus efficaces. Les deux se prendront sérieusement la tête avant de conjuguer leurs efforts.
Un excellent thriller sur la manipulation des foules par le KKK, l’intolérance et le racisme… Alan Parker se souvient qu’à l’époque, Mississippi Burning avait été mal accueilli par les responsables noirs du mouvement des droits civiques, mécontents de voir des policiers blancs résoudre cette affaire…
CONFINEMENT J15.- Dimanche 29 mars : Par la fenêtre ouverte de mon bureau –il faut aérer régulièrement, nous dit-on- j’écoute les bruits du voisinage. En fait, on n’entend quasiment plus rien. Ah si, le voisin d’en face vient de lancer la tondeuse dans son jardin. Si n’était le son des hélicoptères.
Pour le plus grand nombre, Georges Lautner reste l’homme des Tontons flingueurs. D’ailleurs, si, lors d’un dîner en ville, on sent que les convives s’endorment, il suffit d’appeler Fernand Naudin à la rescousse. Et ça repartira illico. « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases » succèdera allègrement à « Y’a de la pomme mais pas que… » Sans être un chef d’œuvre, loin s’en faut, les Tontons (1963) est une légende…
Volontiers associé aux comédies policières et populaires, Lautner a pourtant tourné, en 1969, le plus atypique des films de sa carrière. Sur l’île de Lanzarote aux Canaries, il met en effet en scène La route de Salina (sorti récemment en dvd dans la collection Make my Day chez Studiocanal) qui est certainement son thriller plus psychédélique. Il est vrai que les années 70 seront le temps du Flower Power et de Peace and Love. D’ailleurs, la bande musicale du film, signée Christophe, est… pop-planante à souhait.
Quelque part, dans une station-service au milieu de nulle part, Jonas, un routard, pose son sac. Mara, la propriétaire, le reconnaît instantanément comme son fils Rocky disparu quatre ans plus tôt. Billie, la fille de Mara, débarque et reconnaît, elle aussi, son frère… Séduit par la belle Billie, Jonas entre dans un jeu dangereux…
Pour cette production italo-française, Lautner constitua un casting anglophone, l’action étant censée se dérouler entre le Mexique et la Californie… On y remarque Mimsy Farmer, l’icône de More, tourné quelques mois auparavant et surtout Rita Hayworth, l’inoubliable star de La dame de Shanghaïd’Orson Welles, dans l’un de ses derniers rôles. Emouvant.
CONFINEMENT J16.- Lundi 30 mars : Si on en croit une psy interviewée l’autre soir dans C’est dans l’air, la troisième semaine de confinement est celle où l’on commence à observer des cas de dépression. Aïe. Il est vrai qu’on arrête plus de parler que de cela. Mais comment faire autrement ? S’arrêter d’écouter les infos ? C’est sûr que si on ne décolle pas de BFM-TV de la journée, on peut légitimement se mettre à pleurer. Comme disait le cabarettiste allemand Karl Valentin : « L’avenir aussi, c’était mieux autrefois ». Avant, on parlait d’autre chose. Comme de Roman P. ou de Harvey W. sans oublier Adèle H., pas celle de Truffaut, l’autre… On pouvait même se crêper le chignon à propos des César…
En même temps, le confinement nous vaut quand même de grands moments d’ahurissement. Ainsi, la chère Roxana Maracineanu, sous sa casquette de ministre des Sports, a émis l’hypothèse d’un Tour de France à huis clos. Si, si. Celle qui a fait ses gammes dans les lignes d’eau du MON à Mulhouse, estime en effet que c’est « imaginable » de faire pédaler, cet été, les forçats de la pédale entre Cazères et Loudenvielle ou entre Lure et La Planche des belles-filles sans le moindre afficionado au bord de la chaussée… Cela dit, on pourrait alors employer les gendarmes qui canalisent la foule à l’approche du peloton à empêcher les badauds de sortir de chez eux… Un patron d’équipe cycliste a eu cette belle formule : « C’est un peu comme si on invitait des gens à un bal populaire et qu’on leur demandait de rester assis toute la soirée. »
Comme les très bons films de fiction sur le Tour sont rares, je me suis régalé d’une étonnante vieillerie de 1930 : The Divorcee de Robert Z. Leonard. Avant que la censure et le Code Hays ne lui tombent dessus, Hollywood pouvait présenter le divorce comme l’unique solution pour réussir son mariage… Pour son rôle, Norma Shearer fut l’une des premières actrices de l’histoire à obtenir l’Oscar.
CONFINEMENT J17.- Mardi 31 mars : Ce jour, devaient s’ouvrir les 24e Rencontres du cinéma de Gérardmer. Et le temps promettait d’être beau. Ce qui est quand même très appréciable. Parce qu’une promenade autour du lac géromois, rien de tel pour faire une (courte) pause dans un programme de plus de vingt films en quatre jours. Mais ça passe comme une lettre à la Poste (si on peut dire aujourd’hui…) parce que Gérardmer se distingue, depuis ses débuts, par une organisation sans faille et surtout par une convivialité de tous les instants. Dévorer du film est alors un pur petit bonheur… Mais pour cela, il faudra attendre l’édition 2021…
Pourtant Denis Blum et ses acolytes avaient imaginé une cuvée gouleyante. On aurait pu goûter, bien sûr, à du cinéma français avec Les apparences, une comédie dramatique de Marc Fitoussi avec Karin Viard et Benjamin Biolay ; Enorme, encore une comédie, cette fois, avec Jonathan Cohen et Marina Foïs en compagne très enceinte ; Le temps des Marguerite avec Alice Pol et Clovis Cornillac, Mon cousin de Jan Kounen avec le duo Lindon/Damiens ou encore Madame Claude, un retour sur la fameuse reine de la prostitution bourgeoise des années 60…
Le cinéma international était, lui aussi, bien servi avec deux films iraniens : Yalda, la nuit du pardonet Just 6,5. L’Espagne avec Une vie secrète sur un drame au temps du franquisme ou l’Algérie avec le documentaire 143, rue du désert. Du côté du Danemark, avait été retenu A Perfectly Normal Family et d’Angleterre Saint-Maud, un thriller fantastique. On attendait aussi deux polars. L’un du Kazakhstan (A Dark, Dark Man) et l’autre d’Allemagne avec Lands of Murders… Enfin le cinéma US indépendant était représenté par Casey Affleck avec Light of my Life. Une histoire de… pandémie !
On ignore les dates de sortie en salles de certains de ces titres. D’autres ont des dates un peu lointaines. On les guettera…
CONFINEMENT J18.- Mercredi 1er avril : En ce troisième mercredi de salles obscures closes et à propos toujours de la dérogation à la chronologie des médias, on s’est penché, dans la profession, sur le sort des films qui étaient à l’affiche (La bonne épouse, De Gaulle, Le cas Richard Jewell, L’appel de la forêt etc.) au moment de la fermeture des salles de cinéma. Quand on sait que la carrière d’un film est tellement aléatoire en salles et qu’on connaît le coût d’une production même moyenne, on peut en effet considérer qu’il y a là de vraies catastrophes industrielles qui se profilent. La Fédération nationale des cinémas français a pris acte. Elle va maintenant entamer des échanges avec l’ensemble des distributeurs-éditeurs de films. Elle lance aussi un appel aux salles à soutenir les films qui étaient à l’affiche à la mi-mars. Quand les salles auront rouvert leurs portes… Mais, à ce moment, de nouveaux films arriveront qui voudront sortir, eux aussi. Pour rattraper le temps perdu.
J’évoquais, l’autre jour, l’atypique Route de Salina. Restant dans l’œuvre de Georges Lautner, j’ai retrouvé dans ma vidéothèque Galia qu’il avait tourné en 1966 avec Mireille Darc. Le cinéaste lui avait déjà confié un petit rôle dans Les barbouzes (1964) mais Galia allait imposer la ravissante comédienne, alors âgée de 27 ans, en femme libre et joyeuse, consommant les hommes à sa guise. Jusqu’au moment où elle sauve de la noyade une femme désespérée par un époux qui la néglige. Galia va alors s’intéresser, de plus en plus près, à ce mari…
Galia, à l’époque, n’a pas plu à tout le monde. Dans les très sérieuses Lettres françaises, Marcel Martin écrivait : « Je dois même dire, et je le regrette, que je trouve son film entièrement raté. […] Or Galia n’est qu’un très mauvais film commercial qui exploite avec une complaisance elle aussi fort suspecte les charmes, indiscutables d’ailleurs, de Mireille Darc, aimable comédienne pleine d’abattage mais qui devra approfondir son métier avant de réussir à faire croire que des tempêtes se déroulent sous son joli crâne… »
CONFINEMENT J19.- Jeudi 2 avril : Par ma fenêtre, j’aperçois au loin les quatre mâts et leurs phares penchés qui surplombent le stade de l’Ill. Ces éclairages ne sont pas prêts de se rallumer. Sur le site de L’Equipe que je fréquentais de temps en temps avant que le tuto avec les exercices de gym de Bob Tahri en fasse carrément un incontournable rendez-vous du matin, la rubrique « Directs » affiche un zéro parfait. Nada. Plus rien à se mettre sous la dent. Ah, le cavalier seul de Liverpool en Premier League anglaise était un bonheur pour les amateurs de foot. La triplette d’attaque Mané-Salah-Firmino, ça vous avait de l’allure tout comme les transversales au millimètre d’Oxlade-Chamberlain. Les sauts de cabri de Jürgen Klopp sur le bord de la touche étaient, eux, marrants à souhait.
Les J.O. reportés, Roland-Garros repoussé, Wimbledon à la trappe, le Tour de France menacé, l’Euro de foot, je ne sais même plus… Il reste quoi ? Ben si, quand même les élucubrations de Karim Benzema. L’attaquant du Real Madrid fait des live Instagram. Où il crayonne Olivier Giroud et balance : « On ne confond pas la F1 et le karting, et je suis gentil. […] Moi je sais que je suis la F1. » Benzema n’a toujours pas digéré de ne plus être en équipe de France.
Mon petit-fils, lui, se débat avec un ready-made de Picasso pour un exercice d’arts plastiques en ligne. Comment, demande la prof, le grand Pablo a-t-il construit, en 1942, sa Tête de taureau ? A son ami Brassaï, Picasso a confié qu’il avait trouvé « une vieille selle de vélo juste à côté d’un guidon rouillé de bicyclette… En un éclair ils se sont associés dans mon esprit. » Merci Papy. De rien, mon grand. Et n’oublie pas de te laver les mains.
Allez, pour conclure, un petit quizz cinéma! Quel film américain de 1950 s’ouvre par une séquence où un scénariste, auteur de quelques films de série B, flotte dans une piscine d’Hollywood ? Un indice ? Un grand cinéaste y joue un domestique très stylé…
CONFINEMENT J20.- Vendredi 3 avril : Voilà une semaine que je voyageais autour de ma chambre… Hier, j’ai rempli mon attestation de déplacement dérogatoire et je suis parti récupérer mes courses au drive de Leclerc. Chance, ma commande est complète. En prime, le charmant sourire de Priscilla qui se charge de poser les sacs dans le coffre de la voiture. Comme c’est juste à côté, j’ai pris du pain aux céréales chez Marie Blachère. Les rares clients se tiennent à bonne distance les uns des autres. Quand rentre un type qui se met à tourner autour de tout le monde, cherchant un sandwich thon-mayonnaise. Les clients semblent d’emblée se crisper. Trop proche, le type, beaucoup trop proche… Ca promet pour plus tard.
Au retour, je roule paisiblement. Presque histoire de profiter un peu du paysage. En fait, je me prends à penser : Va pas avoir un accrochage ! Pour trouver un garagiste, ce sera coton.
Du côté du rond-point Maurice et Katia Krafft, c’est le grand calme. Mac Donald’s a clôturé son parking. Plus loin, une barrière coupe le chemin qui borde l’Ill. Pas de promeneurs, pas de joggeurs. Les ragondins ont une paix royale… Sur la camionnette de plombier qui me précède, le conducteur a scotché une affichette : « Merci à nos sauveurs de Mulhouse ». Bien d’accord !
Avenue d’Altkirch, un tableau noir, posé à même le trottoir, complimente, en lettres colorées : « Vive les soignants ! »
Pour le quizz, c’était (évidemment ?) Boulevard du crépuscule de Billy Wilder où le rôle de l’ancien réalisateur devenu le domestique de la star déchue Norma Desmond était tenu par l’immense Erich von Stroheim. Considéré comme un classique, Sunset Blvd (en v.o), est un chef d’oeuvre du cinéma américain, un must du film noir et une réflexion mélancolique sur les fantômes du cinéma muet… William Holden est Joe Gillis, un scénariste malchanceux qu’une ancienne vedette du muet (Gloria Swanson) parvient à enfermer dans sa vie dominée par le fantasme d’un retour triomphant à l’écran…
CONFINEMENT J21.- Samedi 4 avril : Ca devait bien finir par arriver… Si l’on en croit Marine Le Pen, il est « de bon sens de se demander si le virus n’a pas échappé d’un laboratoire » (sic). Après quoi, la présidente du Rassemblement national peut embrayer sur le grand mensonge étatique, estimant qu’on nous ment « sur absolument tout, sans aucune exception ». Et de préciser naguère: « le doute n’est pas un délit et il permet de réfléchir et de trouver la vérité ».
Sans doute faudra-t-il, à terme, se poser des questions, entre autres, sur la capacité du gouvernement à anticiper la crise et, plus encore à nous appliquer à changer notre regard sur le monde mais de là à imaginer que le virus s’est fait la malle d’un labo, c’est carrément de l’ordre du (mauvais ?) scénario de cinéma.
Justement, je me souviens qu’en 1976, j’avais assisté, à la gare de Bâle, au tournage des premières scènes du Pont de Cassandra, un film-catastrophe où, à la suite d’un vol dans un laboratoire, les passagers du train Genève-Stockholm se trouvent exposés accidentellement à une maladie mortelle, très contagieuse… Un colonel décide de mettre le train en quarantaine et de le diriger vers un centre décontamination. Sur le trajet, se trouve un vieux pont désaffecté. Et les autorités ignorent s’il sera capable de supporter le poids du train. A moins que la manœuvre soit délibérée ?
Comme la gare de Genève-Cornavin était trop exiguë, la production décida de transformer la gare de Bâle en gare genevoise. Comme la production était à la charge de Carlo Ponti, le réalisateur grec George Pan Cosmatos bénéficia de jolis moyens et notamment d’une confortable distribution avec Burt Lancaster, Richard Harris, Ingrid Thulin, Alida Valli et même O.J. Simpson. Mais surtout, à Bâle, j’ai eu le plaisir de voir à l’œuvre Sophia Loren et Ava Gardner, elles aussi à l’affiche de ce film… oubliable. Mais il me reste un joli souvenir !
CONFINEMENT J22.- Dimanche 5 avril : En ces temps d’enfermement, l’abus d’infos est clairement nuisible à la santé mentale. Cependant, j’écoute quand même la radio le matin entre le café et les tartines. Et ça fait même du bien quand Augustin Trapenard, en panne forcée de son Boomerang, confie ses Lettres d’intérieur. Ancien journaliste à Libération (pour lequel il couvrit le procès Barbie) passé aujourd’hui au Canard enchaîné (où il tient La boîte aux images), Sorj Chalandon a dédié une lettre aux femmes battues… A la manière d’une variation sur Les passantes de Georges Brassens. J’ai dressé l’oreille car le poète sétois figure au sommet de mon panthéon musical… Brassens trotte dans la tête de Chalandon : « À celles qui sont déjà prises / Et qui, vivant des heures grises / Près d’un être trop différent / Vous ont, inutile folie / Laissé voir la mélancolie/ D’un avenir désespérant. » Et le journaliste-écrivain s’adresse, je cite, « À vous, qui cachez aux autres vos yeux meurtris derrière des sourires tristes. À vous, qui prétendez une fois encore vous être cognées contre un meuble. À vous, qui redoutez que sa main se transforme en poing… » Oui, les femmes battues sont doublement victimes du confinement…
Dans le poste, on entend aussi une soignante, interviewée dans un hôpital d’Ile-de-France, dire : « Bientôt, ici, ce sera Mulhouse ! » On voit évidemment ce qu’elle veut dire mais, comme promo de la ville, ça fait bizarre, quand même…
A propos de médias, voyez donc Violences à Park Row que Samuel Fuller tourna, en 1952 et qui raconte l’aventure de Phinéas Mitchell, un journaliste qui rêve de créer son propre journal… A 12 ans, Sam Fuller vendait des journaux dans la rue. A 17 ans, il était reporter chargé des affaires criminelles au New York Evening Graphic. A la fin de sa vie, il confiera que son rêve était de diriger un journal. Le cher Sam savait de quoi il parlait en filmant ce poème épique à la gloire de la linotype, du journalisme et de la démocratie…
CONFINEMENT J23.- Lundi 6 avril : Tant pis pour la tradition… Et d’ailleurs le dimanche des Rameaux méritait bien une (petite) célébration… gourmande. C’est ainsi qu’un lamala a été sacrifié au petit-déjeuner dominical. Il faut bien dire que cette délicate génoise en forme de petit agneau, est délicieuse avec un bol de café.
Quand j’étais gamin, le lamala était déjà incontournable et il n’aurait pas été concevable, dans ma famille, de rater ce rituel pascal réalisé dans des moules en terre cuite traditionnelle alsacienne. Il paraît que l’origine de cette pâtisserie remonte au XIXe siècle et sans doute répondait-elle à la nécessité d’écouler le stock d’oeufs prohibés et donc accumulés par les ménagères et les pâtissiers tout au long du Carême. La tradition du jeûne s’est perdue au fil des années mais le lamala, dodu, moelleux et parfois planté d’une petite bannière dorée sur son dos, est fort heureusement, resté ! Gageons que les pâtissiers-confiseurs-chocolatiers, mis à mal par le confinement et dont les entreprises tournent au ralenti, rebondiront, un peu, avec les lamalas. Car, pour la chasse pascale aux œufs en chocolat, ça paraît singulièrement compromis.
Ce week-end, les Parisiens devaient entamer leurs vacances scolaires de Pâques. Et quand les Parisiens sont en vacances, on le sait. Car la radio ne se prive pas, depuis les PC circulation, de nous donner de l’info trafic en continu. Mais là, Castaner avait prévenu : pas question de migration pascale. On reste chez soi. Combien, au mépris des consignes élémentaires de confinement, auront tenté de prendre quand même la route ?
Si vous avez envie de vous évader dans la pure fantaisie, dans le rêve à l’état pur, regardez donc Le mari de la coiffeuse (1990). Patrice Leconte, avec la complicité d’un Jean Rochefort jamais aussi foutraque et d’une Anna Galiéna voluptueuse à souhait, a réussi une comédie à la fois drôle et triste, poétique et barrée sur un magnifique amour fou !
CONFINEMENT J24.- Mardi 7 avril : Ce mardi soir, je devais retrouver la salle 6 du Palace pour l’avant-dernière séance de mon Ciné-Cycles… Même s’il s’agit déjà de ma sixième saison, il y a toujours un petit trac quand il s’agit de prendre la parole… Et j’ai l’impression qu’il y a une éternité que le fidèle cercle des cinéphiles s’était retrouvé pour l’admirable Louloude Pabst. Nous étions moins nombreux que d’habitude. Le virus faisait déjà des ravages et les salles de cinéma n’allaient pas tarder à fermer leurs portes… A 19h30 comme de coutume, j’aurai présenté Sans toit ni loi, l’un des plus attachants films d’Agnès Varda, disparue en mars 2019.
C’est de mars à mai 1985 que Varda tourne Sans toit ni loi à Nîmes et dans les environs. Une jeune femme est retrouvée morte de froid près d’une vigne. C’est une vagabonde, Mona. La cinéaste explique, off, avoir interrogé des gens qui l’ont rencontrée, pour reconstituer « les dernières semaines de son dernier hiver ».
Une alternance de flashbacks et de témoignages dessine alors par fragments le parcours sans but de Mona sur les routes de l’Hérault et du Gard, et son quotidien de débrouille, entre campements en rase campagne et petites mendicités pour obtenir de l’eau, du pain ou, parfois, un toit provisoire.
Couronné du Lion d’or à Venise, Sans toit ni loi est certainement l’une des meilleures portes d’entrée dans l’œuvre de Varda, le film où son style apparaît le plus clairement, dans une forme à la fois systématique et surprenante. Sa « cinécriture » est faite de grands et de petits gestes, de lignes générales et d’effets de détail. Pour incarner Mona, Varda hésita entre une véritable vagabonde ou… Sandrine Bonnaire. L’actrice a 17 ans et la cinéaste lui explique : « C’est une fille qui pue, qui dit merde à tout le monde et jamais merci. » Ensemble, elles feront un touchant bijou de cinéma.
CONFINEMENT J25.- Mercredi 8 avril : Lorsque Pussy Galore décline, les yeux dans les yeux, son identité à James Bond, 007 lâche un « I must be dreaming ! ». C’est à la minute 52 de Goldfinger et le réalisateur Guy Hamilton restait ainsi fidèle au goût de Ian Fleming, le père littéraire de l’espion, pour les sous-entendus sexuels et les allusions à double sens réservées à un lectorat averti… Car Pussy Galore, dans sa traduction littérale, veut simplement dire : « Chatte à gogo ». On comprend que Bond se mette instantanément à rêver…
Pussy Galore est partie, l’autre jour, au paradis des James Bond Girls et, avec elle, son interprète Honor Blackman, disparue de mort naturelle à l’âge de 94 ans dans la verdoyante campagne du Sussex.
Parce que la saga s’est toujours voulue « grand public », Broccoli et Saltzman, les légendaires producteurs, redoutent alors les classements « interdit aux moins de 13 ans ». Pas question de s’aliéner le pudibond marché américain ! United Artists suggère de transformer Pussy Galore en Kitty Galore. Quand même plus décent…
Tandis que Ian Fleming tient absolument à conserver le nom de son héroïne, Tom Carlile, un publicitaire astucieux, a l’idée de génie. Il s’arrange pour faire prendre en photo Honor Blackman avec le prince Philip lors de la première du film en Angleterre, le 17 septembre 1964. Puis il inonde les journaux du pays de la photo avec la légende : « Pussy et le prince ». Les censeurs étaient court-circuités. Si « Pussy » n’avait pas choqué la royauté, alors…
La belle Honor sera Miss Galore pour l’éternité bondienne même si le pesronnage de Cathy Gale dans la série Chapeau melon et bottes de cuir lui valut une belle renommée aussi…
Troisième long-métrage de la saga officielle, Goldfinger est, de l’avis général, considéré comme le meilleur des Bond. Et ce fut aussi une sacrée machine à cash, rapportant, inflation comprise, 927 millions de dollars. Par ailleurs, disait Malraux, le cinéma est aussi une industrie
CONFINEMENT J26.- Jeudi 9 avril : Et vous, comment ça va ? C’est sans doute la question la plus régulièrement posée au téléphone, ces temps-ci. Pour garder ou se remonter le moral, on se raconte des histoires qui font du bien… Tiens, une amie de la voisine connaît une soignante de Moenchsberg qui lui a dit qu’un lit, libéré par un patient rentré chez lui, était resté vide toute une journée…
Je ne sais pas si ça fait du bien mais, l’autre jour, dans L’Alsace, il y avait un encarté publicitaire au centre du journal. En temps normal, on ne prête guère d’attention à ce genre de détail. Mais là, on se dit que -allez savoir- c’est peut-être un signe de reprise économique si la société Walter Stores & Volets (pub gratuite) propose ses pergolas à stores intégrés, fabrication 100% française…
Ceux qui ne se plaignent pas trop, ces temps-ci, ce sont les marchands de tabac. Selon la Confédération nationale des buralistes, les ventes de tabac ont augmenté de 30% en France. On se dit que c’est bien normal avec le stress lié au confinement. En fait, le phénomène vient de la fermeture des frontières qui empêche les fumeurs d’aller faire leurs courses ailleurs… N’ayant pas d’autre choix, ils sont de retour dans les tabacs bien de chez nous…
Côté fumette, on lit aussi les propos d’un surveillant de la maison centrale d’Ensisheim qui laisse entendre que la consommation de shit est de nature à apaiser les tensions dans un milieu carcéral qui, on le devine, ressemble à un cocotte-minute. Habituellement, on glisse pudiquement sur ce genre de constat. Là encore, le confinement est passé par là.
En feuilletant des bouquins de cinéma, j’ai mis la main sur un ouvrage consacré à Andreï Tarkovski. Le cinéaste russe (1932-1986) auteur de Stalker et du Sacrifice disait : « Plus il y a de mal dans le monde, plus il y a de raisons de faire du beau. C’est plus difficile sans doute mais c’est aussi plus nécessaire ».
CONFINEMENT J27.- Vendredi 10 avril : Quand le printemps est là et que le confinement s’impose, de quoi est-on (entre autres) privé ? Du plaisir, dans la rue, de regardez voler les jupes des filles. Propos de vil macho, évidemment. Il paraît que, dans le commerce (en ligne, je suppose), ce sont plutôt les petits hauts qui ont le vent en poupe. Pourquoi donc ? A cause du télétravail. On peut en effet faire une visioconférence avec un ravissant petit top soigneusement bien cadré et être en pyjama hors cadre. Ou en slip kangourou. Ou en petite culotte de dentelles… Ce que personne ne verra. Ah, le confinement réserve parfois de ces surprises. D’ailleurs, ceux qui bricolent, souvent avec beaucoup d’humour et d’inventivité, ces petits films rigolos qu’on se passe sur les réseaux sociaux, ont déjà largement brodé là-dessus. Il y a aussi les champions des faux dialogues qui réussissent à faire disserter les Tontons flingueurs sur le virus… Un chantre de la chloroquine, devenu le docteur Rajoult, bien perruqué de longs cheveux blancs, y est allé, lui, de quelques conseils. A ne suivre sous aucun prix ! Gare aux mauvais conseils des faux experts qui mêlent le thé chaud idéal contre le virus avec trois gouttes essentielles de perlin-pimpin sur le poignet.
La bonne nouvelle, c’est que ce bon vieux pangolin (dont la majorité de l’humanité a découvert l’existence avec la crise sanitaire) serait complètement innocent. On sait que ce petit extraterrestre en armure, mammifère le plus ciblé au monde par les braconniers, finissait volontiers dans la gamelle des Chinois ou dans les onguents de la médecine traditionnelle. Ce ne serait donc pas lui qui, le premier, aurait transmis le virus à l’homme. Mais alors qui si ce n’est cette surprenante bestiole originaire d’Afrique et d’Asie du sud-est au look préhistorique avec ses griffes recourbées et son armure d’écailles ? Alors qui a fait le coup ? On a bien une petite idée… Quand il se sent en danger, le pangolin, lui, se roule en boule. On a parfois envie de faire comme lui…
CONFINEMENT J28.- Samedi 11 avril : Pour demeurer dans la tonalité naturaliste d’hier, le confinement est parvenu à me transformer en ornithologue (très) amateur. J’avoue que le vol des piafs ne me passionnait pas plus que les arcanes de la boule lyonnaise. Je dis ça parce qu’en ce temps de disette sportive, des chaînes sportives passent cette variante de la pétanque. Mais je vais peut-être me faire arracher les oreilles par les thuriféraires de la « longue ». Qu’importe, ce n’est pas le sujet. Revenons à nos moutons, pour l’occasion les volatiles qui s’égayent sous mes fenêtres. De loin en loin, voici l’élégant vol circulaire d’une cigogne ou le passage planant d’un héron. Les corbeaux vont en groupe et ces oiseaux souvent considérés comme de malheur, peut-être à cause de leur cri lugubre, ont cependant une belle tenue quand, immobile, le bec puissant bien dressé, ils contemplent on ne sait quel horizon… Une ravissante mésange au dessus du crâne d’un joli bleu vient parfois, d’une branche voisine, me regarder écrire. Si l’on ne tient pas compte des hélicoptères, autres objets volants, le plus étonnant, c’est quand même le pigeon ramier. Massif, presqu’épais, columba palumbus (oui, j’ai cherché dans le dico) est tout bonnement la plus grande des espèces de pigeons européens. A côté, la tourterelle ne fait pas le poids et je songe au poète Henri Michaux qui disait : « Le relâchement des vieilles bretelles soulage moins que l’envol des jeunes tourterelles ». Voilà qui est, ma foi, bien dit.
Un lecteur attentif de ce Journal du confinement me fait observer que si Honor Blackman a pleinement sa place dans le panthéon bondien, il convient de ne pas oublier Jason et les argonautes. Ce film de Don Chaffey (1963) qui, me dit mon interlocuteur, berça sa jeunesse cinéphile, nous vaut une bien belle prestation de Miss Blackman en déesse Hera. Sans oublier les effets spéciaux savoureusement vintage de Ray Harryhausen. Je file, de ce pas, mettre le dvd dans le lecteur…
Photos PLC – DR
Gérardmer ou le 7e art comme une fleur
Même si elles se déroulent plutôt dans l’obscurité complice de la salle de cinéma –qui demeure, jusqu’à nouvel ordre, le meilleur endroit pour voir un film- les Rencontres du cinéma sont devenues à Gérardmer aussi incontournables que la fameuse fête des Jonquilles. Pour info, ce grand classique biennal et géromois aura lieu les samedi 6 et dimanche 7 avril 2019. Juste au lendemain du baisser de rideau des 23eRencontres. Qui, elles, nul ne l’ignore, sont annuelles…
Ce rendez-vous où les professionnels et le public se côtoient en permanence, sont, durant quatre jours, l’occasion de découvrir une vingtaine de films projetés en avant-première nationale. Des films qui marqueront l’actualité cinématographique des prochains mois, qu’il s’agisse de films grand public attendus, de films art & essai ou de films à destination du jeune public.
Ces Rencontres réunissent chaque année une centaine d’exploitants de salles de cinéma de tout l’Est de la France et d’autres régions, qui découvrent ainsi les prochaines sorties, échangent leurs expériences, rencontrent les équipes venues présenter leurs films ainsi que leurs partenaires : distributeurs, institutions et prestataires dans le domaine du cinéma. Gérardmer a aussi la particularité de réunir des journalistes et des critiques de cinéma.
Après 22 éditions, les Rencontres ont évidemment pris un solide rythme de croisière… Mais point ici de paisible ron-ron car l’actualité du 7eart donne le tempo d’une manifestation qui s’ingénie à composer un plateau de qualité mais aussi à cultiver une convivialité bienvenue. Pour cela, on peut faire confiance à un attelage qui associe la ville de Gérardmer, l’Office de tourisme, les Syndicats d’exploitants de salles du Grand Est, les multiples bénévoles et la wunderteam autour de Denis Blum, Thierry Tabaraud et Jean-Marc Carpels rejoints naguère par l’ami Jean Walker entouré, cette année, d’Elie Lévy et Arnaud Toussaint…
Après 22 années de Rencontres, les chiffres sont éloquents. 2860 professionnels du cinéma sont passés par Gérardmer où 42 000 spectateurs ont vu 376 films projetés au cours de 389 séances de cinéma.
Et tout cela non-stop ! On attaque dès 9h et on enchaîne les séances de 11h, de 14h, de 17h et de 19h30. Pour un peu, on se dirait à Cannes. Sinon que les eaux du lac de Gérardmer en avril sont plus froides que la Grande bleue en mai. Bien sûr, il manque, dans la Perle des Vosges, la Croisette mais on y goûte, au-delà des films, une sympathique quiétude que le Festival méditerranéen ne connaît pas…
CŒURS ENNEMIS
USA (1h48) de James Kent
A Hambourg, en 1946, Rachel rejoint son mari Lewis, officier anglais en charge de la reconstruction de la ville dévastée. En emménageant dans leur nouvelle demeure, elle découvre qu’ils devront cohabiter avec les anciens propriétaires, un architecte allemand et sa fille. Alors que cette promiscuité forcée avec l’ennemi révolte Rachel, la haine larvée et la méfiance laissent bientôt place chez la jeune femme à un sentiment plus troublant encore.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Un film de « guerre » qui se penche sur une période de l’histoire passée sous silence. On risque donc d’apprendre quelque chose ! Tiré d’un best-seller international, ce drame repose aussi sur un triangle amoureux porté par Keira Knightley (Imitation Game, Colette), Jason Clarke (First Man) et Alexander Skarsgard (Melancholia, Tarzan).
Projection le mardi 2 avril à 13h30. Distributeur : Condor. Sortie en salles : 1ermai.
JOEL
Argentine (1h40) de Carlos Sorin
Ne pouvant pas avoir d’enfant, Cecilia et Diego, qui viennent d’emménager dans une petite ville de la Terre de Feu, attendent depuis longtemps de pouvoir adopter. L’arrivée soudaine de Joel, un garçon de 9 ans, va bouleverser leur vie et l’équilibre de la petite communauté provinciale.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Carlos Sorin n’est pas un inconnu dans le monde du cinéma. L’Argentin de 75 ans a notamment signé, en 2004, Bombon el perro sur un pays où les pauvres essayent de gagner quelques pesos. Le film avait un ton picaresque et une esthétique proche du néo-réalisme italien. Des arguments qui plaident assurément en sa faveur…
Projection le mardi 2 avril à 15h25. Distributeur : Paname. Sortie en salles : 10 juillet.
DIEU EXISTE, SON NOM EST PETRUNYA
République de Macédoine du Nord (1h40) de Teona Strugar Mitevska
A Stip, petite ville de Macédoine, tous les ans en janvier, le prêtre de la paroisse lance une croix de bois dans la rivière et des centaines d’hommes plongent pour l’attraper. Bonheur et prospérité sont assurés à celui qui y parvient. Ce jour-là, Petrunya se jette à l’eau sur un coup de tête et s’empare de la croix avant tout le monde. Ses concurrents sont furieux qu’une femme ait osé participer à ce rituel…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Quand la guerre est déclarée entre les hommes et Petrunya qui a gagné sa croix et n’envisage pas de la rendre ! Un portrait féministe autour d’une fille (Zorica Nusheva dans son premier rôle au cinéma) qui semble faible et qui va se révéler de plus en plus forte au fur et à mesure que les autres se liguent contre elle. Le prix du jury œcuménique au festival de Berlin où le film était en compétition est aussi un bon indicateur…
Projection le mardi mardi 2 avril à 17h15. Distributeur : Pyramide. Sortie en salles : 1ermai.
VENISE N’EST PAS EN ITALIE
France (1h35) d’Ivan Calbérac
La famille Chamodot est fantasque et inclassable. Bernard, le père, un peu doux-dingue, fait vivre tout le monde dans une caravane, et la mère, Annie teint les cheveux de son fils Émile en blond, parce que, paraît-il, il est plus beau comme ça !!! Quand Pauline, la fille du lycée dont Émile est amoureux, l’invite à Venise pour les vacances, l’adolescent est fou de joie. Seul problème, et de taille, les parents décident de l’accompagner avec leur caravane…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Chez les Chamodot, on demande le père ! Dame, c’est l’incontournable Benoît Poelvoorde auquel un grain de folie va très bien. Et, dans le genre allumé, Valérie Bonneton s’y entend aussi. Et tous les deux au service d’un voyage aussi rocambolesque qu’initiatique, on devrait rire. D’Ivan Calbérac (qui sera à Gérardmer en compagnie de Valérie Bonneton), on avait beaucoup aimé Irène (2001) avec une pétulante Cécile de France.
Projection le mardi 2 avril à 19h30. Distributeur : Studiocanal. Sortie en salles : 29 mai.
YULI
Espagne (1h50) d’Iciar Bollain
Né le 2 juin 1973 à La Havane, Carlos Acosta est un hyperactif dissipé que son père, modeste chauffeur de camion, inscrit, contre son gré, à l’Ecole nationale du Ballet cubain. Avec son physique athlétique, Acosta sera comparé à Baryshnikov et Noureev. En 1994, il sera nommé danseur étoile du prestigieux Ballet nacional de Cuba…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : C’est la réalisatrice, actrice et scénariste espagnole Iciar Bollain qui met en scène ce biopic sur la carrière du danseur étoile qui passa des rues de Cuba à la scène du Royal Ballet de Londres. Carlos Acosta joue son propre rôle. Le scénario est signé de Paul Laverty, l’habituel complice scénariste de Ken Loach.
Projection le mercredi 3 avril à 9h. Distributeur : ARP. Sortie en salles : 17 juillet.
CEUX QUI TRAVAILLENT
Suisse (1h42) d’Antoine Russbach
Cadre supérieur dans une grande compagnie de fret maritime, Frank consacre sa vie au travail. Alors qu’il doit faire face à une situation de crise à bord d’un cargo, Frank, prend – seul et dans l’urgence – une décision qui lui coûte son poste. Profondément ébranlé, trahi par un système auquel il a tout donné, le voilà contraint de remettre toute sa vie en question.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : L’excellent Olivier Gourmet, vu récemment en Cyrano dans Edmond, se glisse, ici, dans un personnage plus « quotidien » avec un homme ébranlé et trahi par un système auquel il a tout donné. Un drame sur les dessous noirs du monde du travail. Si l’on se souvient du remarquable Dans les allées, l’an dernier, alors ce drame sur l’univers du travail est prometteur. Antoine Russbach sera présent à Gérardmer.
Projection le mercredi 3 avril à 11h. Distributeur : Condor. Sortie en salles : 1erseptembre.
NOUREEV – LE CORBEAU BLANC
Grande-Bretagne (2h02) de Ralph Fiennes
Pendant une tournée du Mariinsky à Paris, Rudolf Noureev ulcère les autorités soviétiques en écumant les nuits parisiennes après les représentations. Sommé de rentrer à Moscou, alors que le ballet part pour Londres, Noureev, le 16 juin 1961, réussit à fausser compagnie à ses gardes du KGB à l’aéroport de Paris-Le Bourget…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Voici un focus sur un moment clé de la vie de celui qu’on surnommait le « seigneur de la danse ». En 1961, il demande en effet l’asile politique en France où il dirigera plus tard l’Opéra de Paris. Oleg Ivenko incarne Noureev (1938-1993) entouré de comédiens français comme Adèle Exarchopoulos, Raphael Personnaz ou Olivier Rabourdin. Le prolifique comédien anglais Ralph Fiennes signe ici sa troisième réalisation.
Projection le mercredi 3 avril à 14h30. Distributeur : Rezo. Sortie en salles : 19 juin.
UNE PART D’OMBRE
Belgique (1h30) de Samuel Tilman
Jeune père de famille, David est un homme comblé : une femme qu’il aime, deux jeunes enfants adorables, une bande de potes soudée avec laquelle ils partent en vacances en tribu. Mais au retour de leur dernier séjour dans les Vosges, David est interrogé par la police dans le cadre d’un meurtre. Rapidement, l’enquête établit que David, sous des dehors irréprochables, n’avait pas une vie aussi lisse que ce qu’il prétendait. Même si Noël, son meilleur ami et Marco, son avocat, le soutiennent sans conditions, le doute se propage et des clans se forment.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Un thriller, c’est déjà pas mal. Mais un film noir qui se penche sur la conviction de la culpabilité d’un proche, on ne peut s’empêcher de songer au grand Hitch et à Soupçons (1941). On imagine que Cary Grant n’est pas dans le film et qu’on n’y trouve pas non plus de verre de lait (éclairé de l’intérieur) mais, en tête d’affiche, on verra Fabrizio Rongione, découvert chez les frères Dardenne dans Rosetta (1999) et fidèle du tandem belge. Un acteur au jeu très intense accompagné, ici, par Natacha Régnier. Et puis ça se passe quand même dans les Vosges ! Samuel Tilman sera présent à Gérardmer.
Projection le mercredi 3 avril à 17h. Distributeur : Destiny. Sortie en salles : 22 mai.
VICTOR ET CELIA
France (1h31) de Pierre Jolivet
Victor et Ben, la trentaine, ont pour projet d’ouvrir leur propre salon de coiffure. Mais, rapidement leur rêve tourne dramatiquement court. Déterminé à poursuivre sa quête de liberté et d’indépendance, Victor parvient à convaincre Célia, qu’il a connue lorsqu’ils étaient encore à l’école de coiffure, de le suivre dans l’aventure. Entre leur travail respectif, les paperasses, la réglementation, les dettes, la famille… et les troubles amoureux qui resurgissent du passé, les deux jeunes associés doivent faire front commun pour surmonter tous les obstacles et tenter de mener à bien leur projet de vie.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Pierre Jolivet sortait de mois de tournage passés dans une caserne de sapeurs-pompiers où il avait mis en scène Les hommes du feu et avait envie de changer de registre. Une rencontre au coin de sa rue avec les deux propriétaires trentenaires d’un salon de coiffure a fait le reste… On connaît bien Jolivet (qui viendra à Gérardmer) pour des films comme Fred (1996) ou Ma petite entreprise (1999). Arthur Dupont et Alice Belaïdi disposent, eux, d’un vrai capital de sympathie sans oublier le sourire craquant de Bérengère Krief…
Projection le mercredi 3 avril à 19h30. Distributeur : Apollo. Sortie en salles : 24 avril.
NOUS FINIRONS ENSEMBLE
France (1h50) de Guillaume Canet
Quand Max, Marie, Vincent, Eric, Véronique, Isabelle, Antoine et les autres se retrouvent pour de nouvelles aventures, de nouvelles embrouilles, de nouvelles accolades, de nouveaux coups de gueule, de nouveaux accidents…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Pas besoin de faire un dessin. Voilà un bout de temps qu’on savait que Guillaume Canet allait donner une suite à ses Petits mouchoirs. Le réalisateur fait vivre de nouvelles vacances sur le bassin d’Arcachon à un casting « deluxe » : François Cluzet, Marion Cotillard, Gilles Lellouche, Laurent Lafitte, Benoît Magimel, Pascale Arbillot, Clémentine Baert, Valérie Bonneton et José Garcia. En 2010, Les petits mouchoirs avait drainé les spectateurs (5,4 millions d’entrées) et largement partagé la critique. Alors, forcément, on attend de voir… le film (peut-être) le plus attendu des 23eRencontres.
Projection le jeudi 4 avril à 9h. Distributeur : Pathé. Sortie en salles : 1remai.
L’AUTRE CONTINENT
France (1h 30) de Romain Cogitore
Maria a 30 ans, elle est impatiente, frondeuse, et experte en néerlandais. Olivier a le même âge, il est lent, timide et parle quatorze langues. Ils se rencontrent à Taïwan. Et puis soudain, la nouvelle foudroyante. C’est leur histoire. Celle de la force incroyable d’un amour. Et celle de ses confins, où tout se met à lâcher. Sauf Maria.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Enfants de Lapoutroie, les frères Cogitore sont tous les deux de beaux artistes. Clément est plasticien et cinéaste tout comme son cadet Romain. Après un premier long, Nos résistances en 2011, Romain signe, ici sa seconde fiction et embarque Paul Hamy (découvert dans Suzanne de Katell Quillévéré) et Deborah François (révélée par L’enfant des Dardenne) dans une folle histoire de passion. Un film où la beauté des paysages le dispute à la coexistence de l’amour et de la menace de l’oubli. Deborah François et Romain Cogitoire seront à Gérardmer.
Projection le jeudi 4 avril à 11h30. Distributeur : Sophie Dulac. Sortie en salles : 5 juin.
TREMBLEMENTS
Guatemala (1h40) de Jayro Bustamante
Pablo, 40 ans, est un « homme comme il faut », religieux pratiquant, marié, père de deux enfants merveilleux. Quand Il tombe amoureux de Francisco, sa famille et son Église décident de l’aider à se « soigner ». Dieu aime peut-être les pécheurs, mais il déteste le péché.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Le cinéma guatémaltèque n’est sans doute pas le plus connu sur la planète cinéma. Excellente raison donc d’aller à sa découverte. D’autant que son sujet résonne, lui, d’accents passablement actuels. On songe évidemment à un autre film, américain lui, qui aborde la même thématique : Boy Erased. Temblores (en v.o.) est le second long-métrage de Jayro Bustamante qui a notamment étudié le cinéma au Conservatoire libre du cinéma français à Paris.
Projection le jeudi 4 avril à 17h. Distributeur : Memento. Sortie en salles : 1ermai.
ROXANE
France (1h25) de Mélanie Auffret
Que vient faire Cyrano de Bergerac chez un éleveur de poules bios en Bretagne ? C’est bien le problème de Raymond, qui a toujours tenu cachée sa passion pour le théâtre. Mais lorsque, dos au mur, il est menacé de faillite, il décide de tenter le tout pour le tout. Son idée aussi folle que désespérée : mettre en scène ses poules, dont son « actrice » fétiche Roxane, pour créer le buzz sur les réseaux sociaux et sauver avec panache sa ferme, sa famille et son couple.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : C’est dans le centre-Bretagne et ses fermes que la cinéaste, originaire de Vannes où ses grands-parents étaient agriculteurs, a eu l’idée de cette comédie qui apparaît gentiment délirante. Mais de fait, c’est avant tout une aventure humaine, celle d’un homme qui est sur le point de tout perdre et qui ne veut pas se résigner, que raconte ce premier film. De plus, dans le rôle de Raymond, entre tendresse et bienveillance, Guillaume de Tonquédec révèle une nouvelle facette de son talent. Mélanie Auffret et Guillaume de Tonquédec seront à Gérardmer.
Projection le jeudi 4 avril à 19h30. Distributeur : Mars. Sortie en salles : 12 juin.
GRETA
Irlande (1h40) de Neil Jordan
Quand Frances trouve un sac à main égaré dans le métro de New York, elle trouve naturel de le rapporter à sa propriétaire. C’est ainsi qu’elle rencontre l’excentrique Greta, aussi solitaire que mystérieuse. L’une ne demandant qu’à se faire une amie et l’autre fragilisée par la mort récente de sa mère, les deux femmes vont vite se lier d’amitié comblant ainsi les manques de leurs existences… Mais les intentions de Greta sont-elles bien honorables ?
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : A 69 ans, l’Irlandais Neil Jordan a déjà une belle carrière derrière lui avec des films comme Mona Lisa (1986), Entretien avec un vampire (1994), Michael Collins (1996). Pour ce thriller, il réunit deux belles actrices : l’Américaine Chloé Grace Moretz, vue, l’an dernier, dans Suspiria et notre Isabelle Huppert nationale toujours prête à relever des challenges à l’international. Elle est, ici, une prof de piano veuve et solitaire qui se révèle inquiétante. Comme l’hameçon sur l’affiche l’indique, on risque fort de se faire accrocher.
Projection le vendredi 5 avril à 9h45. Distributeur : Metropolitan. Sortie en salles : 12 juin.
MAIS VOUS ETES FOUS
France (1h35) d’Audrey Diwan
Roman aime Camille, autant qu’il aime ses deux filles. Mais il cache à tous un grave problème d’addiction, qui pourrait mettre en péril ce qu’il a de plus cher. L’amour a-t-il une chance quand la confiance est rompue?
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Ecrivaine d’origine libanaise, Audrey Diwan a été éditrice chez Denoël, journaliste et scénariste, notamment pour son compagnon Cédric Jimenez (Aux yeux de tous en 2010, La French en 2012 ou HHhH en 2015). Avec ce drame de la drogue qui possède l’intensité d’un thriller, la cinéaste propose aussi une réflexion sur le couple, sur le doute, sur l’amour pollué par un fait extérieur, voire même le désamour. On retrouve, ici, deux beaux acteurs, Pio Marmaï dans un personnage complètement abandonné pour qui tout s’effondre et Céline Sallette pour laquelle le personnage de Camille a été écrit… Audrey Diwan sera présente à Gérardmer.
Projection le vendredi 5 avril à 11h45.Distributeur : Wild Bunch. Sortie en salles : 24 avril.
LES CREVETTES PAILLETTEES
France (1h43) de Cédric Le Gallo et Maxime Govare
Après avoir tenu des propos homophobes, Matthias Le Goff, vice-champion du monde de natation, est condamné à entraîner Les Crevettes Pailletées, une équipe de water-polo gay, davantage motivée par la fête que par la compétition. Cet explosif attelage va alors se rendre en Croatie pour participer aux Gay Games, le plus grand rassemblement sportif homosexuel du monde. Le chemin parcouru sera l’occasion pour Matthias de découvrir un univers décalé qui va bousculer tous ses repères et lui permettre de revoir ses priorités dans la vie.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Au premier coup d’œil, on se demande s’il s’agit d’un remake du Grand bain de Lellouche. Mais non. Le film est inspiré de la véritable équipe de water-polo gay avec laquelle Cédric Le Gallo parcourt le monde depuis sept ans, de tournois en tournois, dont les derniers Gay Games. Conscient de vivre une aventure unique qui a changé sa vie, le co-réalisateur a eu envie de défendre des valeurs qui l’animent avec ses coéquipiers: la liberté, le droit à la différence et à l’outrance et surtout le triomphe de la légèreté sur la gravité de la vie. Et si on tenait là le film le plus joyeusement barré des Rencontres ? « Les Gay Games, dit le dossier de presse, c’est comme les JO, en moins chiant et avec que des beaux mecs. » Une grande partie de l’équipe du film sera présente à Gérardmer.
Projection le vendredi 5 avril à 14h45. Distributeur : Universal. Sortie en salles : 8 mai.
JE VEUX MANGER TON PANCREAS
Japon (1h49) de Sho Tsukikawa
Sakura est une lycéenne populaire et pleine de vie. Tout l’opposé d’un de ses camarades solitaires qui, tombant par mégarde sur son journal intime, découvre qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre à cause d’une maladie du pancréas… Unis par ce secret, ils se rapprochent et s’apprivoisent. Sakura lui fait alors une proposition : vivre ensemble toute une vie en accéléré, le temps d’un printemps. Peu de temps après avoir passer du temps avec elle, elle décède. 12 ans plus tard, le narrateur est devenu professeur dans son ancien lycée sur les conseils de cette dernière. Kyoko, qui était une amie proche de Sakura, va bientôt se marier. L’occasion pour les deux adultes de se remémorer le temps où Sakura était en vie et a impacté leur vie.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Au moins, on retiendra le titre ! Mais attention, rien à voir avec une nouvelle variation de Cannibal Holocaust. Voici en effet une romance dramatique qui, à travers le temps, célèbre des amours de jeunesse trop vite brisées par la mort. « La valeur de chaque jour pour moi qui suis en phase terminale et celle pour toi sont exactement pareilles » dit le personnage de Sakura. Il est probable qu’on entende des reniflements dans le noir de la salle…
Projection le vendredi 5 avril à 17h45. Distributeur : Art House. Sortie en salles : 21 août.
LUNE DE MIEL
France (1h28) d’Elise Otzenberger
Jeune couple de Parisiens aux origines juives polonaises, Anna et Adam partent pour la première fois de leur vie en Pologne. Ils ont été invités à la commémoration du soixante- quinzième anniversaire de la destruction de la communauté du village de naissance du grand-père d’Adam. Si Adam n’est pas très emballé par ce voyage, Anna est surexcitée à l’idée de découvrir la terre qui est aussi celle de sa grand-mère. Enfin… d’après le peu qu’elle en connaît.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : A travers l’aventure de deux personnages (incarnés par Judith Chemla et Arthur Igual) à la recherche de leurs origines dans un voyage plein de surprises, durant lequel ils ne trouveront pas exactement ce qu’ils sont venus chercher, la cinéaste (qui a, elle-même, accompli ce voyage vers un shtetl de Pologne) s’interroge sur les racines et ce qu’on en fait. « Bien sûr, dans toutes les familles, dit la cinéaste, il y a des secrets, des histoires non transmises. Mais dans les familles juives, quand on comprend pourquoi les parents se sont tus, cela ramène très fort des fantômes. Et peut alors surgir le sentiment que ça aurait pu aussi tomber sur nous, la conscience d’être une rescapée. » Elise Otzenberger, dont c’est le premier film, sera présente à Gérardmer.
Projection le vendredi 5 avril à 19h30. Distributeur : Le Pacte. Sortie en salles : 12 juin.
MODE D’EMPLOI
Tarifs :
6 euros la séance
15 euros : Pass Journée (valable mardi, mercredi, jeudi ou vendredi)
38 euros : Pass Rencontres (valable du mardi au vendredi inclus)
Pour réserver
Actuellement : Office de Tourisme Intercommunal des Hautes Vosges – 4, place des Déportés – 88400 Gérardmer. Tel. 03 29 27 27 27 – info@gerardmer.net
A partir du 3 avril, de 11h à 12h et à partir de 13h30 : Cinéma du Casino – 3, avenue de la ville de Vichy Gérardmer.
Toutes les projections (sauf exceptions indiquées dans le programme des Rencontres) ouvertes au public ont lieu au Cinéma du Casino.
Les détenteurs de Pass ou d’invitation doivent obligatoirement retirer au préalable leur place à la caisse du cinéma du Casino.
L’entrée à une séance publique se fait dans la limite des places disponibles. Selon les séances, pensez à prendre vos dispositions et réserver vos places en amont.
Les Pass et les invitations à une séance ne sont en aucun cas prioritaires.
Site des Rencontres : www.rencontres-du-cinema.com
Gérardmer: des films comme des jonquilles
Comme les jonquilles (même si la traditionnelle, réputée, biennale et prochaine fête géromoise n’aura lieu qu’en 2019), les films vont, eux, fleurir dans cette autre fête printanière que sont les Rencontres du cinéma de Gérardmer…
Cette manifestation professionnelle destinée, au départ, aux distributeurs, aux exploitants et aux fournisseurs venus du Grand Est, voire d’au-delà, s’est très rapidement ouverte au grand public. Pour lequel, c’est évidemment une aubaine de déguster, en quatre jours, une vingtaine de films, tous présentés en avant-premières. Dès le (petit) matin et jusqu’au soir, on se bouscule (aimablement !) dans la salle du Casino Joa…
Dans le domaine, Gérardmer a joué les pionniers et la réussite des rencontres du bord du lac a essaimé aux quatre vents, suscitant des manifestations similaires en Bretagne, dans le nord (Arras) ou dans le sud (Avignon).
Pour la 22e édition –quasiment celle de la maturité- la dream team composé de Denis Blum, Jean-Marc Carpels et Thierry Tabaraud, maintenant rejointe par Jean Walker dans un rôle de co-organisateur, a concocté un programme alléchant où le thème de la famille sera largement décliné… Qu’on en juge !
LES ANGES PORTENT DU BLANC
Chine (1h47) de Vivian Qu
Dans une modeste station balnéaire, deux collégiennes sont agressées dans un motel par un homme d’âge mûr. Mia, l’adolescente qui travaillait à la réception, est la seule témoin. Elle ne dit rien par crainte de perdre son emploi. Par ailleurs, Wen, l’une des victimes, 12 ans, comprend que ses problèmes ne font que commencer…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Dans une production chinoise abondante, Vivian Qu est loin d’être une inconnue. Elle a d’abord produit des films souvent primés dans des festivals (Black Coal, présenté par le passé à Gérardmer, a décroché l’Ours d’or à Berlin en 2014) avant de passer, en 2013 à la réalisation. Les anges… est sa seconde réalisation qui fut, l’an dernier, en compétition à la Mostra de Venise. Elle signe ici un drame social très réaliste sur la marchandisation des corps féminins.
Projection le mardi 3 avril à 14h45. Distributeur : Rezo. Sortie en salles : 2 mai.
BIENVENUE EN SICILE
Italie (1h39) de Pif
New York, 1943. Arturo rêve d’épouser la belle Flora, déjà promise à un chef de la mafia new-yorkaise. La seule façon d’obtenir sa main est de la demander directement à son père, resté en Sicile. Arturo s’engage alors dans l’armée américaine. Il est loin d’imaginer que l’armée a scellé un pacte avec la mafia pour assurer le débarquement en Italie…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Remarqué pour La mafia tue seulement en été (2013), Pierfrancesco Diliberto alias Pif revient encore à cette Sicile qui lui est chère et où il est né avec une œuvre ancrée dans le passé mais qui s’intéresse à un sujet toujours d’actualité : le pouvoir mafieux en Sicile. Comédie sur fond historique, In Guerra per amore (en v.o.) raconte comment les Américains venus délivrer l’île du joug de Mussolini, finiront par donner des postes importants… à la mafia locale.
Projection le mardi 3 avril à 17h. Distributeur : Saje. Sorties en salles : 23 Mai.
JE VAIS MIEUX
France (1h26) de Jean-Pierre Ameris
Laurent, un quinquagénaire, est victime d’un mal de dos fulgurant. Tous les médecins, les radiologues et les ostéopathes du monde ne peuvent rien pour lui : la racine de son mal est psychologique. Mais de son travail, de sa femme ou de sa famille, que doit-il changer pour aller mieux ?
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Après deux comédies (Les émotifs anonymes et Une famille à louer) reposant sur des scénarios originaux, Jean-Pierre Améris adapte, ici, le roman éponyme de David Foenkinos. Mais Jean-Pierre Ameris (qui viendra à Gérardmer) reste fidèle à ses personnages d’inhibés en proie à des blocages. Le psychologue du film le dit : « Le corps, ce trésor qu’on oublie trop souvent, nous parle et il faut l’écouter car c’est comme une sonnette d’alarme ». Eric Elmosnino, Ary Abittan, Judith El Zein ou Alice Pol la tirent pour nous…
Projection le mardi 3 avril à 19h30. Distributeur : EuropaCorp. Sortie en salles : 30 mai.
GUERNESEY
Grande-Bretagne (2h03) de Mike Newell
Londres, 1946. Juliet Ashton, jeune écrivaine en manque d’inspiration, reçoit une lettre d’un mystérieux membre du Club de littérature de Guernesey créé durant l’Occupation. Curieuse d’en savoir plus, Juliet décide de se rendre sur l’île et rencontre alors les excentriques membres du « Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » dont Dawsey, le charmant et intriguant fermier à l’origine de la lettre. Leurs confidences, son attachement à l’île et à ses habitants ou encore son affection pour Dawsey changeront à jamais le cours de sa vie.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Réalisateur d’un Harry Potter (Harry Potter et la coupe de feu en 2005), l’Anglais Mike Newell est connu du grand public pour avoir mis en scène, en 1994, Quatre mariages et un enterrement. Il adapte, ici, le roman épistolaire de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows qui fut un best-seller international. Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de papates aborde des thèmes comme la magie de la lecture, la découverte de soi, la rencontre de l’autre, la loyauté et le courage… Lily James incarne avec charme Juliet Ashton.
Projection le mercredi 4 avril à 9h (séance réservée aux professionnels). Distributeur : Studiocanal. Sortie en salles : 13 juin.
GUY
France (1h41) d’Alex Lutz
A la mort de sa mère, Gauthier, un jeune journaliste, retrouve une lettre suggérant qu’il serait le fils illégitime de Guy Jamet, un artiste de variété française de 72 ans ayant eu son heure de gloire dans les années 70 avec un tube intitulé Caresse. Celui-ci est justement en train de sortir un album de reprises et de faire une tournée. Gauthier décide de le suivre, caméra au poing, dans sa vie quotidienne et ses concerts de province, pour en faire un portrait documentaire.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : On connaît bien le Strasbourgeois Alex Lutz pour sa savoureuse incarnation de Catherine dans la shortcom Catherine et Liliane sur Canal+. Mais Alex Lutz a d’abord fait ses armes au théâtre, passant aussi par le cinéma (on le remarque comme fils de nazi dans OSS 117 : Rio ne répond plus) et le on man show avant de venir, en 2015, à la réalisation avec Le talent de mes amis dont il interprète aussi le premier rôle. Il est aussi en tête d’affiche de sa seconde réalisation où son personnage de Guy est entouré notamment de Tom Dingler, Pascale Arbillot ou Brigitte Roüan. Alex Lutz viendra à Gérardmer et animera, notamment, le mercredi 4 de 14h40 à 16h, salle de l’Horloge à l’Espace L.A.C. une master class avec une trentaine de lycéens géromois.
Projection le mercredi 4 avril à 11h15 (séance réservée aux exploitants et programmateurs). Distributeur : Apollo Films. Sortie en salles : 29 aout.
IN DEN GANGEN
Allemagne (2h05) de Thomas Stuber
Suite à une imprudence sur un site de construction, Christian perd son emploi. Il retrouve un job comme technicien de surface dans un supermarché. Il découvre un nouveau monde : les longues allées, la manutention et l’agitation grouillante autour des caisses. Il rencontre aussi Marion qui a une dizaine d’années de plus que lui…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Avec son troisième film, Thomas Stuber était en compétition officielle à la dernière Berlinale. Il y présentait cette vraie-fausse romance qui va, peu à peu, emprunter des chemins plus amers. Le film doit beaucoup à ses interpètres. On a vu tout récemment Franz Rogowski dans Happy End de Michael Haneke. Sandra Hüller a été Inès, le personnage principal féminin de l’excellent Toni Erdmann (2016) de Maren Ade.
Projection le mercredi 4 avril à 15h. Sortie en salles : prochainement.
BENZINHO
Brésil (1h35) de Gustavo Pizzi
Irene est une mère de famille, qui traverse ce moment – compliqué pour tout parent – où son aîné devenu adulte s’apprête à quitter le foyer pour aller jouer au handball en Allemagne. Ce départ est un grand huit émotionnel, surtout qu’elle a décidé en parallèle de reprendre des études, doit gérer quatre enfants et un mari fantasque, et héberge sa sœur en pleine crise conjugale.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Les aventures de familles chaotiques font souvent de bons sujets pour les comédies cinématographiques. Ici, les tribulations d’une tribu brésilienne à Petropolis, une petite ville des environs de Rio, donnent naissance à une chronique familiale sensible et touchante de la middle-class brésilienne. En tête d’une attachante galerie de personnages, on trouve Karine Teles, véritable star au pays des cariocas.
Projection le mercredi 4 avril à 17h15. Sortie en salles : prochainement.
COMME DES GARCONS
France (1h30) de Julien Hallard
Reims, 1969. Paul Coutard, séducteur invétéré et journaliste sportif au quotidien Le Champenois, décide d’organiser un match de football féminin pour défier son directeur lors de la kermesse annuelle du journal. Sa meilleure ennemie, Emmanuelle Bruno, secrétaire de direction, se retrouve obligée de l’assister. Sans le savoir, ils vont se lancer ensemble dans la création de la première équipe féminine de football de France.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : En s’appuyant sur l’histoire vraie d’un journaliste de L’Union de Reims qui, en 1968, eut l’idée de faire jouer des filles au foot, Julien Hallard (présent à Gérardmer en compagnie de Vanessa Guide et Mona Walravens) a imaginé, non point un simple film de sport, mais une comédie romantique mâtinée de burlesque où une secrétaire effacée (Vanessa Guide) avance vers l’émancipation et où un dragueur tête à claques (Max Boublil) s’avise qu’il ne sait pas tout sur les femmes
Projection le mercredi 4 avril à 19h30. Distributeur : Mars Films. Sortie en salles : 25 avril.
TAD ET LE SECRET DU ROI MIDAS
Espagne (1h26) d’Enrique Gato et David Alonso
Tad l’explorateur part à Las Vegas pour voir la dernière découverte de son amie Sara, intrépide et charmante archéologue. Celle-ci a trouvé l’un des trois anneaux d’or appartenant au collier du Roi Midas ! Selon la légende, le détenteur du collier a le pouvoir de transformer tout ce qu’il touche en or. Lors de la présentation au public, tout bascule : l’infâme Jack Rackham et sa bande volent le joyau et kidnappent Sara. Pour retrouver son amie, Tad se lance dans une folle aventure autour du globe…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Cinq ans après Tad l’explorateur : à la recherche de la cité perdue, les réalisateurs espagnols retrouvent leur maladroit aventurier. Une parodie de films d’aventure en animation, avec une bonne dose d’humour et des références souvent drôles, ainsi, celle à Apocalypse Now. Le rythme est bon, l’animation aussi et l’univers graphique tient la route.
Projection le jeudi 5 avril à 9h15 (salle de la M.C.L.). Distributeur : Paramount. Sortie en salles : 16 mai.
OTAGES A ENTEBBE
Grande-Bretagne (1h47) de José Padilha
Le 27 juin 1976, le vol Air France 139, venant de Tel Aviv et transportant 246 passagers et douze membres d’équipage, décolle d’Athènes pour rejoindre Paris. Peu après le décollage, le vol est détourné par quatre terroristes. Les preneurs d’otages, deux membres du Front populaire de Libération de la Palestine et deux Allemands membres des Revolutionäre Zellen prennent le commandement de l’avion et le détournent vers Benghazi en Libye. Après sept heures d’attente, l’avion redécolle pour se poser sur l’aéroport d’Entebbe en Ouganda. Dans la nuit du 3 au 4 juillet, les forces israéliennes donnent l’assaut…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Le raid d’Entebbe a déjà donné lieu à diverses adaptations au cinéma et à la télévision. Dans cette nouvelle version, le cinéaste brésilien met en scène deux histoires parallèles autour du raid, suivant, d’un, les terroristes et la manière dont les otages ont pu les faire douter et, de deux, s’attachant aux implications politiques de la négociation et à l’avenir de figures comme Yitzhak Rabin ou Shimon Peres.
Projection le jeudi 5 avril à 9h15. Distributeur : Orange Studio. Sortie en salles : 25 avril.
BIG BANG
France (1h38) de Cecilia Rouaud
Gabrielle est « statue » pour touristes, au grand dam de son fils ado. Elsa est en colère contre la terre entière et désespère de tomber enceinte. Mao est un game designer de génie chroniquement dépressif qui noie sa mélancolie dans l’alcool et la psychanalyse. Ils sont frère et sœurs mais ne se côtoient pas. Surtout pas. Il faut dire que leurs parents, Pierre et Claudine, séparés de longue date, n’ont vraiment rien fait pour resserrer les liens de la famille… Pourtant, au moment de l’enterrement du grand-père, ils vont devoir se réunir, et répondre, ensemble, à la question qui fâche : « Que faire de Mamie ? »
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Cinq ans après la sortie de son premier long métrage Je me suis fait tout petit, la réalisatrice retrouve Vanessa Paradis en compagnie de Camille Cottin, Pierre Deladonchamps, Jean-Pierre Bacri et Chantal Lauby. Cécilia Rouaud (qui sera à Gérardmer avec Pierre Deladonchamps) donne une histoire où la famille est évidemment fondatrice et nécessaire mais aussi, pour beaucoup de gens, une croix lourde à porter.
Projection le jeudi 5 avril à 11h15 (séance réservée aux exploitants et programmateurs). Distributeur : SND. Sortie en salles : 5 septembre.
AMOUREUX DE MA FEMME
France (1h24) de Daniel Auteuil
Daniel est très amoureux de sa femme, mais il a beaucoup d’imagination et un meilleur ami parfois encombrant. Lorsque celui-ci insiste pour un diner « entre couples » afin de lui présenter sa toute nouvelle et très belle amie, Daniel se retrouve coincé entre son épouse qui le connaît par coeur et des rêves qui le surprennent lui-même.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Acteur au long cours, Daniel Auteuil (qui sera présent à Gérardmer) est aussi passé derrière la caméra pour réaliser La fille du puisatier (2011), Marius (2013) et Fanny (2013). Pour sa quatrième mise en scène, Auteuil a réuni un beau casting avec Gérard Depardieu, Sandrine Kiberlain et Adriana Ugarte. Avec le personnage de Daniel, Auteuil s’offre un homme à l’imagination débordante et qui a bien du mal à dissimuler ses pensées…
Projection le jeudi 5 avril à 14h30. Distributeur : Sony Pictures. Sortie en salles : 25 avril.
THE CAKEMAKER
Allemagne (1h25) d’Ofir Raul Graizer
Jeune pâtissier allemand, Thomas a une liaison avec Oren, un homme marié israélien qui se rend régulièrement à Berlin en voyage d’affaires. Quand Oren meurt dans un accident de voiture, Thomas se rend à Jérusalem à la recherche de réponses concernant sa mort. Sans révéler qui il est, Thomas se glisse dans la vie d’Anat, la veuve de son amant, qui tient un petit café. Bientôt, il commence à travailler pour elle.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Pour son premier long-métrage, le cinéaste israélien Ofir Raul Gaizer distille un solide récit qui, de Berlin à Jérusalem, se penche sur des thèmes aussi forts que la religion, l’identité juive, l’homosexualité ou la situation d’un Allemand en Israël. Gaizer se refuse aussi à se conformer à toute norme sexuelle, tous les personnages cherchant avant tout à être aimés…
Projection le jeudi 5 avril à 17h. Distributeur : Damned Films. Sortie en salles : 6 juin.
UNE ANNEE POLAIRE
France (1h34) de Samuel Collardey
Pour son premier poste d’instituteur, Anders choisit l’aventure et les grands espaces: il part enseigner au Groenland, à Tiniteqilaaq, un hameau inuit de 80 habitants. Dans ce village isolé du reste du monde, la vie est rude, plus rude que ce qu’Anders imaginait. Pour s’intégrer, loin des repères de son Danemark natal, il va devoir apprendre à connaître cette communauté et ses coutumes.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Révélé en 2008 par L’apprenti, Samuel Collardey (qui sera présent à Gérardmer) a accompli plusieurs voyages au Groenland pour préparer le récit d’un instituteur qui arrive dans un village et doit y trouver sa place. Le cinéaste filme aussi une communauté, ancrée dans la ruralité, prise entre tradition et modernité. « Ce qui nous rassemble, dit Samuel Collardey, m’intéresse plus que ce qui nous différencie. Film après film, je traite toujours de la même chose : la famille, la transmission, la paternité. »
Projection le jeudi 5 avril à 19h30. Distributeur : Ad Vitam. Sortie en salles : 30 mai.
PLACE PUBLIQUE
France (1h38) d’Agnès Jaoui
Autrefois star du petit écran, Castro est à présent un animateur sur le déclin. Aujourd’hui, son chauffeur, Manu, le conduit à la pendaison de crémaillère de sa productrice et amie de longue date, Nathalie, qui a emménagé dans une belle maison près de Paris. Hélène, sœur de Nathalie et ex-femme de Castro, est elle aussi invitée. Quand ils étaient jeunes, ils partageaient les mêmes idéaux mais le succès a converti Castro au pragmatisme (ou plutôt au cynisme) tandis qu’Hélène est restée fidèle à ses convictions. Leur fille, Nina, qui a écrit un livre librement inspiré de la vie de ses parents, se joint à eux. Alors que Castro assiste, impuissant, à la chute inexorable de son audimat, Hélène tente désespérément d’imposer dans son émission une réfugiée afghane. Pendant ce temps, la fête bat son plein…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : La cinquième réalisation d’Agnès Jaoui bénéficie d’une belle distribution dans laquelle on trouve l’incontournable Jean-Pierre Bacri mais aussi Lea Drucker, Kevin Azaïs, Nina Meurisse… Place publique se passe dans un jardin… privé et permet aux auteurs de se pencher sur cette nouvelle frénésie de vouloir se faire reconnaître, même de son groupe d’amis, par un like sur Facebook, qui valide le petit-déjeuner que l’on vient de filmer et de poster… Andy Warhol a eu à la fois raison et tort : ce n’est pas un quart d’heure mais une minute de célébrité auquel tout le monde prétend aujourd’hui.
Projection le vendredi 6 avril à 9h30. Distributeur : Le Pacte. Sortie en salles : 18 avril.
FOXTROT
Israël (1h53) de Samuel Maoz
Michael et Dafna, mariés depuis 30 ans, mènent une vie heureuse à Tel Aviv. Leur fils aîné Jonathan effectue son service militaire sur un poste frontière, en plein désert. Un matin, des soldats sonnent à la porte du foyer familial. Le choc de l’annonce va réveiller chez Michael une blessure profonde, enfouie depuis toujours. Le couple est bouleversé. Les masques tombent.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Lion d’or à Venise pour Lebanon (2009), Samuel Maoz a remporté le Lion d’argent, cette fois, pour ce drame sur le sacrifice, la culpabilité et le deuil qui a provoqué une grosse polémique en Israël parce que la ministre de la Culture a estimé que Foxtrot donnait une mauvaise image de Tsahal. Avec la structure d’une tragédie grecque classique, le film se focalise successivement sur le père, le fils, enfin la femme, le spectateur faisant, au fil du triptyque, l’expérience d’une transformation émotionnelle. Dans le rôle de Michael, on trouve Lior Ashkenazi, l’une des stars du cinéma israélien.
Projection le vendredi 6 avril à 11h30. Distributeur : Sophie Dulac. Sortie en salles : 25 avril.
RETOUR A BOLLENE
France (1h07) de Saïd Hamich
Nassim, 30 ans, vit à Abu Dhabi avec sa fiancée américaine. Après plusieurs années d’absence, il revient avec elle à Bollène, dans le Sud-Est de la France, où il a grandi. Nassim doit alors faire face à son passé, à sa ville sinistrée, désormais gouvernée par la Ligue du Sud, à sa famille avec laquelle il entretient des relations complexes et à ce père à qui il n’adresse plus la parole…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : D’abord producteur, notamment de Much Loved, Saïd Hamich (qui sera présent à Gérardmer) passe, pour la première fois, à la réalisation pour raconter une histoire, non point autobiographique, mais personnelle. « Ce que je partage avec Nassim, dit le cinéaste, c’est le rejet de cet endroit, Bollène. Je retournais peu voir ma famille. J’avais une certaine honte sociale à leur égard dont je n’avais pas conscience. (…) J’ai voulu que Nassim soit né en France et il l’a quittée en symétrie à ses parents qui sont venus y chercher une vie meilleure… »
Projection le vendredi 6 avril à 14h45. Distributeur : Pyramide. Sortie en salles : 30 mai.
TROIS JOURS A QUIBERON
Allemagne (1h56) d’Emily Atef
En 1981, pour une interview exceptionnelle et inédite sur l’ensemble de sa carrière, Romy Schneider accepte de passer quelques jours avec le photographe Robert Lebeck et le journaliste Michael Jürgs, du magazine allemand Stern pendant sa cure à Quiberon. Cette rencontre va se révéler éprouvante pour la comédienne qui se livre sur ses souffrances de mère et d’actrice, mais trouve aussi dans sa relation affectueuse avec Lebeck une forme d’espoir et d’apaisement.
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Connue pour L’étranger en moi (2008) et Tue-moi (2011), la cinéaste franco-iranienne née à Berlin change de registre avec une reconstitution en noir et blanc d’un épisode de la vie de Romy Schneider. En 1981, elle joue dans La passante du Sans-souci de Jacques Rouffio dont le tournage est interrompu à plusieurs reprises. Sous l’emprise de l’alcool et de calmants, la star est contrainte d’aller en cure thérapeutique à Quiberon. Dans une tonalité crépusculaire (Romy Schneider disparaîtra quelques mois plus tard), le film repose sur Marie Baümer dont la ressemblance avec Romy Schneider est frappante. Le producteur Michel Zana sera présent à Gérardmer.
Projection le vendredi 6 avril à 16h45. Distributeur : Sophie Dulac. Sortie en salles : 13 juin.
LE DOUDOU
France (1h22) de Philippe Mechelen et Julien Hervé
Michel a perdu le doudou de sa fille à l’aéroport de Roissy. Il dépose un avis de recherche avec une récompense. Sofiane, employé à l’aéroport, y voit l’occasion de se faire un peu d’argent et prétend avoir retrouvé la peluche. Le mensonge révélé, Michel et Sofiane se lancent malgré tout sur les traces du doudou. Une mission plus compliquée que prévu…
CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE : Prix spécial du jury au festival du film d’humour de L’Alpe d’Huez, Le doudou est mis en scène par deux des scénaristes de la saga des Tuche. Ils poursuivent sur leur lancée avec une comédie au casting conséquent : Kad Merad (Michel), Malik Bentalha (Sofiane), Romain Lancry, David Salles, Isabelle Sadoyan, Lou Chauvain etc. Élie Semoun et Guy Marchand sont aussi de la partie pour des participations attendues. Le tout donne, sur fond de décalage entre les générations, une aventure trépidante où les scènes cocasses se succèdent à vitesse folle. Les deux réalisateurs ainsi que les comédiens David Salles et Romain Lancry seront présents à Gérardmer.
Projection le vendredi 6 avril à 19h30. Distributeur : Pathé. Sortie en salles : 20 juin.
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MODE D’EMPLOI
Tarifs :
6 euros : la séance
15 euros : Pass journée (valable mardi, mercredi, jeudi ou vendredi)
38 euros : Pass Rencontres (valable du mardi au vendredi inclus)
Pour réserver
Actuellement : Office de Tourisme Intercommunal des Hautes-Vosges – 4, place des Déportés – 88400 Gérardmer. Tél. 03 29 27 27 27 – Fax. 03 29 27 23 25 – info@gerardmer.net
A partir du 3 avril, de 11h à 12h et à partir de 13h30 : cinéma du Casino JOA – 3 av. de la Ville de Vichy Gérardmer. Dans le hall d’accueil de la salle de cinéma
Toutes les projections (sauf exceptions indiquées dans le programme des Rencontres) ouvertes au public ont lieu au Cinéma du Casino JOA.
Les détenteurs de Pass ou d’invitation doivent obligatoirement retirer au préalable leur place à la caisse au cinéma du Casino JOA. L’entrée à une séance publique se fait dans la limite des places disponibles. Les Pass et les invitations à une séance ne sont en aucun cas prioritaires.
Site des Rencontres : www.rencontres-du-cinema.com