LE ROAD MOVIE DE WENDERS ET ROGER THORNHILL SUR UNE ROUTE DESERTIQUE
PARIS TEXAS
Comme poussé par une idée fixe, Travis Henderson marche, seul et hagard, dans le désert du Texas. Il cherche sans succès de l’eau, arrive finalement dans un bar isolé et y perd connaissance. Il est recueilli par un médecin qui trouve sur lui une carte avec le numéro de téléphone de son frère, Walt Henderson. Celui-ci fait le trajet depuis Los Angeles pour le retrouver. Travis n’avait plus donné signe de vie depuis quatre ans, laissant derrière lui sa femme et son petit garçon… Malgré leurs retrouvailles, Travis ne dit rien, ne mange pas et ne dort pas. Il refuse de prendre l’avion pour retourner à Los Angeles, ce qui oblige son frère et lui à faire tout le trajet en voiture. Ce n’est que progressivement qu’il retrouve l’usage de la parole. Lorsque son frère lui demande où il espérait aller en errant dans le désert, Travis répond enfin qu’il comptait se rendre à Paris, au Texas, où ses parents s’étaient connus et l’auraient conçu. Son père aimait d’ailleurs plaisanter en disant « J’ai connu ma femme à Paris ». Dans la magnifique collection de ses coffrets Ultra collector, Carlotta a fait la part belle récemment à L’empire des sens d’Oshima, Les ailes du désir de Wenders, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ou La comtesse aux pieds nus de Mankiewicz. Wim Wenders est de retour, pour le numéro #28 marqué par un visuel exclusif de la plasticienne américaine Sister Hyde, dans cette collection avec son Paris, Texas, Palme d’or à l’unanimité au Festival de Cannes 1984. Il signe un road movie anticonformiste, étourdissant de beauté et d’émotion. Le jeu exceptionnel de Harry Dean Stanton et de Nastassja Kinski dans ce qui est probablement son plus beau rôle, le scénario magistral de Sam Shepard, la sublime photographie de Robby Müller et la bande originale ensorcelante de Ry Cooder, tout concourt à donner à Paris Texas son statut de film culte à l’aura indépassable. Pour son 40e anniversaire, le film est disponible pour la première fois en Blu-ray dans une nouvelle restauration 4K de la Wim Wenders Stiftung, supervisée par Donata et Wim Wenders. Outre les abondants suppléments, traditionnels dans l’ultra collector (introduction de Wim Wenders, deux entretiens avec le cinéaste, l’un sur l’aventure du film, l’autre, à Cannes 2024, sur la restauration de Paris, Texas ; scènes coupées (24 mn) ; l’émission Cinéma, Cinémas de 1984 où Wenders parle de sa passion pour le rock et de sa joie d’avoir collaboré avec Ry Cooder et Sam Shepard ; enfin un film (7 mn) : Souvenirs de la famille Henderson immortalisés en Super 8), le coffret contient Quitter l’autoroute sous-titré Paris Texas de Wim Wenders, un livre (200 pages, incluant deux cahiers de photographies exclusives) qui donne la parole au cinéaste et à son équipe à travers une série d’entretiens menés en 1984 et en 2024, avant de proposer le scénario de la version finale du film, incluant les dialogues originaux de Sam Shepard. Un ouvrage inédit qui rend hommage à tous ceux qui ont œuvré à la réalisation du film, de sa production à sa récente restauration. De la belle ouvrage! (Carlotta)
LA MORT AUX TROUSSES
Patron d’une société de publicité new-yorkaise, Roger Thornhill a un rendez-vous d’affaires au Plaza Hotel. Mais, victime d’un malentendu, il est enlevé par des hommes qui le prennent pour un certain George Kaplan. Thornhill est conduit à Glen Cove dans la belle demeure de M. Townsend. Persuadé d’avoir enlevé George Kaplan, Townsend cherche à obtenir de lui des renseignements. Refusant de coopérer, Thornhill, saoûlé par les sbires de Townsend, se retrouve dans une voiture sur une route de bord de mer surplombant une falaise… En 1959, dans la foulée de Sueurs froides (1958) et avant Psychose (1960), c’est un Alfred Hitchcock au meilleur de sa forme qui réalise l’un de ses films les plus fameux et qui ressort, ici, dans une version Blu-ray 4K Ultra HD. On se replonge, avec un bonheur toujours égal, dans ce thriller brillant et enlevé autour d’un pur leurre. Car Georges Kaplan n’existe pas. Ce supposé espion est un fantôme inventé de toutes pièces pour piéger d’autres espions. Et c’est le malheureux Thornhill qui lui donne une sorte de réalité dans une course folle qui, entre kidnapping et meurtres à répétition, ne cesse jamais. Tout, ici, fonctionne à merveille : le scénario, les acteurs, les décors et évidemment la mise en scène. North by Northwest (en v.o.), ce sont des moments d’anthologie comme la fuite sur les falaises du mont Rushmore sous les visages des présidents Jefferson, Roosevelt ou Lincoln ou encore le mythique chassé-croisé en rase campagne entre Thornhill et un avion très menaçant. Il y a aussi la musique de Bernard Herrmann et le beau duo composé de Cary Grant et Eva Maria Saint. Avec un Hitch croquignolet qui, dans la dernière séquence, montre les deux « désormais fiancés » rentrant à New York en wagon-lit, s’apprêtant à s’allonger sur leur couchette avec un dernier plan du train qui entre dans un tunnel… (Warner)
LE COMTE DE MONTE-CRISTO
Marin en Méditerranée, Edmond Dantès, n’écoutant que son courage et contre les ordres de son capitaine, sauve une naufragée nommée Angèle, porteuse d’une lettre de Napoléon… Le capitaine Danglars la lui dérobe. Viré par son armateur pour avoir manqué à son devoir, Danglars doit laisser la place à Dantès. Edmond revoit la belle Mercédès de Morcerf qu’il espère épouser. Las, le jour des noces, Dantès est arrêté et accusé de bonapartisme… Il a beau clamer son innocence, il se retrouve bientôt dans un cul-de-basse-fosse au château d’If. Avec Le comte de Monte-Cristo, les producteurs Dimitri Rassam et Ardavan Safaee poursuivaient leur quête de Dumas en trouvant l’occasion de porter au grand écran, un vengeur masqué aux allures de héros contemporain. Déjà dans le coup du diptyque des Trois mousquetaires comme scénaristes, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte endossent, cette fois, la casquette de réalisateurs pour mêler aventure et thriller sur fond de grande histoire d’amour. Après de nombreux autres cinéastes, le tandem De la Patellière/Delaporte puise dans un riche matériau littéraire, de quoi alimenter une épopée de trois heures sans épuiser toutes les péripéties d’un énorme roman. Alors on retrouve bien sûr les geôles du château d’If, la rencontre avec l’abbé Faria, la découverte du trésor des Templiers sur l’île de Montecristo, la transformation d’Edmond Dantès en mystérieux et inquiétant personnage dont l’immense fortune lui permet de peaufiner une terrible vengeance. Travaillant une image volontiers en clair-obscur, les cinéastes développent donc essentiellement le thème de l’implacable vengeance d’un homme blessé qui va punir méthodiquement un sacré trio de traîtres doublés de crapules. Dantès (incarné par un Pierre Niney crédible) pense que sa rédemption est impossible mais il lance quand même à une Mercédès (Anaïs Demoustier) toujours amoureuse, ces derniers mots : « Attendre et espérer ». (Pathé)
LE TROISIEME HOMME
Très modeste écrivain américain, Holly Martins débarque dans la Vienne dévastée de l’après-guerre. Il recherche son vieil ami Harry Lime mais celui-ci vient d’être écrasé par une voiture dans les rues de la capitale autrichienne découpée en quatre zones occupées par les Alliés. Martins choisit alors de mener sa propre enquête pour démasquer les assassins de son ami. Mais, rapidement, dans une ville qui semble être devenue capitale du marché noir, l’Américain comprend que Lime était mêlé à des activités peu recommandables. La police anglaise le recherche spécifiquement pour trafic de péniciline. Autour de Martins, tout le monde semble à la limite de la légalité s’il s’agit de survivre. La fin justifie donc les moyens… Ecrit par Graham Greene, Le troisième homme (1949) est certainement le film le plus connu du Britannique Carol Reed qui signa aussi, et entre autres, une bonne adaptation de Greene avec Notre agent à La Havane (1959). Sa célébrité est notamment due à son thème musical composé et interprété à la cithare par Anton Karas que le cinéaste avait repéré par hasard dans une taverne proche de la Grande roue du Prater. D’ailleurs Le troisième homme vaut aussi pour l’utilisation qui est faite par Reed des endroits célèbres de Vienne comme le Prater, l’hôtel Sacher, le café Mozart, le palais Pallavicini ou encore le cimetière central. Une bonne partie des séquences tournées dans les égouts l’ont été en studio. Pour repérer celles réalisées dans les vrais égouts, il faut observer la buée qui sort de la bouche des comédiens. L’Office du tourisme de Vienne organise toujours des visites guidées « spécial Troisième homme » ! Film d’espionnage, film noir, thriller, Le troisième homme est tout cela. Si Joseph Cotten campe un Holly Martins qui ne comprend rien à rien, toujours balloté par les événements et manipulé par les uns et les autres, on se souvient bien de l’apparition, dans un rayon de lumière, du grand Orson Welles, le mystérieux et cynique Harry Lime qui dira : « En Italie, pendant trente ans, sous les Borgia, ils ont eu la guerre, la terreur, le meurtre, les effusions de sang, et ils ont produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu l’amour fraternel, cinq cents ans de démocratie et de paix, et qu’est-ce que cela a donné…? La pendule à coucou ». Un classique (en Blu-ray 4K Ultra HD) remarquablement écrit qui obtint à Cannes 1949 le Grand prix, ancêtre de la Palme d’or. (Studiocanal)
TERMINATOR
En 2029, une guerre oppose ce qui reste de l’humanité, anéantie par un holocauste nucléaire, aux machines dirigées par Skynet, un système informatique contrôlé par une intelligence artificielle et qui a pour objectif d’imposer la suprématie des machines sur les hommes. La résistance humaine, menée par John Connor, étant sur le point de triompher en 2029, Skynet envoie dans le passé, en 1984, un Terminator T-800, assassin cybernétique à l’apparence humaine, afin de tuer la mère de John, Sarah Connor (Linda Hamilton), et ainsi d’empêcher la naissance de John, « effaçant » de manière rétroactive son existence et ses actes futurs. En réaction, John envoie à la même époque Kyle Reese (Michael Biehn), un résistant humain, afin de protéger sa mère. Le Terminator de James Cameron, sorti dans les salles en 1984, est tout simplement devenu un classique de la science-fiction made in Hollywood en traitant du voyage dans le temps et de la menace que pourraient faire naitre des robots créés par une superintelligence issue de la singularité technologique. Si son succès n’était pas « garanti » avant sa sortie en salles, le film qui lança définitivement la carrière de James Cameron rencontra cependant un large public. Et les héritages se mirent à fleurir avec un n°2, toujours signé Cameron puis quatre suites moins passionnantes mais aussi une série télé ou des gammes de jeux vidéo. Le vrai bonheur dans cet univers en voie de robotisation, c’est de voir Arnold Schwarzenegger à l’oeuvre, fonçant à travers Los Angeles sur sa moto et arrosant alentour, le masque imperturbable, des pruneaux, façon machine à tuer parfaitement incassable. Arnie sortait de Conan le barbare (1982) et n’était pas plus enthousiaste que cela à l’idée de jouer dans le film. Pour sa part, le cinéaste n’était pas convaincu non plus par l’ex-culturiste autrichien. Mais la magie du cinéma a opéré ! Et Arnold Schwarzenegger sera Terminator for ever tout en y gagnant un statut de mégastar. En steelbook 4K Ultra HD. (Warner)
CHOCOLAT
Une belle jeune femme marche sur une plage… Entre mer et palmiers, le paysage est idyllique. Mais France n’est pas en vacances au Cameroun. Embarquée dans une voiture par un Américain noir (qui dit ne pas se sentir chez lui dans le pays) et son jeune fils, elle tarde un peu avant de se décider à revenir dans les pas de son enfance africaine. Née à Paris parce que sa mère voulait accoucher en France, Claire Denis retourne à l’âge de deux mois en Afrique. Elle y grandit et fait sa scolarité primaire dans les écoles mixtes, notamment au Cameroun, en Somalie, en Haute-Volta et à Djibouti. Son père, administrateur civil travaillant dans les colonies françaises d’Afrique, présentait à ses enfants l’indépendance comme une chose positive pour les pays africains. Claire Denis sera assistante réalisatrice de Robert Enrico, Jacques Rivette, Jim Jarmush ou Wim Wenders pour Paris Texas et Les ailes du désir. Poussée par le cinéaste allemand, elle passe à la réalisation en 1988 avec l’histoire d’un couple de Blancs parmi les Noirs peu de temps avant l’indépendance du Cameroun. Une vie perturbée par les passagers d’un avion en perdition qui se pose en pleine brousse, à Mindif, où le commandant Marc Dalens est responsable militaire… Dans une approche assez contemplative, Claire Denis invite à une plongée (très bien écrite et montée) dans le passé à travers son personnage de petite fille observant son père (François Cluzet), sa mère (l’Italienne Giulia Boschi) et Protée, le boy de la famille (Isaach de Bankolé) qui souffre en silence de la situation de son peuple et avec lequel France a lié un pacte quasi-magique. Autour d’eux gravitent différents personnages haut en couleurs comme un planteur de café qui se croit tout permis, un étrange prêtre, un cuisinier qui ne parle qu’anglais ou Luc qui veut briser les tabous en se rapprochant des Noirs… Présenté en compétition au Festival de Cannes 1988, Chocolat annonce l’arrivée d’une sensibilité singulière sur la scène cinématographique française. Ce premier film remarquable préfigure toute l’oeuvre de Claire Denis : son style cérébral et sensuel (Trouble Every Day), sa remarquable direction d’acteurs (Beau travail) et son goût pour les cultures métissées (White Material). Dans les suppléments, un entretien avec la cinéaste sur la genèse de son film. (Carlotta)
LE MOINE ET LE FUSIL
En 2006, le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision… et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Cependant, dans une province montagneuse reculée, un moine décide d’organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l’un de ses disciples de trouver un fusil… Au même moment, un Américain considéré par les autorités internationales comme un trafiquant d’armes, est sur place à la recherche d’un fusil de collection : une arme datant de la guerre de Sécession. Au grand étonnement de ses concitoyens, le roi du Bhoutan annonce qu’il va se retirer du pouvoir pour permettre à son pays d’accéder à la démocratie. Le peuple doit donc se préparer à de prochaines élections. Un système tellement méconnu des citoyens que le gouvernement envoie des délégués sillonner le pays pour apprendre aux uns et aux autres à voter. Le ton est donné, car il apparait que l’immense majorité des habitants ne voit pas l’intérêt de ces élections, puisque semble-t-il, tout va bien pour eux avec un système qu’ils connaissent et qui leur convient. En incitant les uns et les autres à afficher et défendre des convictions, on risque de faire émerger des divergences. Cinéaste et photographe bhoutanais, Pawo Choyning Dorji a été remarqué en 2022 lors de la sortie en France de son premier long-métrage, L’école du bout du monde (2019). Ici, il filme à nouveau son pays et ses habitants pour mettre en valeur, sans esbroufe, de magnifiques paysages et faire surtout sentir les conditions de vie ainsi que la mentalité des gens du Bhoutan dont la manière simple d’aborder la vie est impressionnante. Avec la télévision et Internet, ces hommes, ces femmes et ces enfants peuvent devenir des cibles peu méfiantes face à la consommation à l’oeuvre dans la société moderne. Ces gens découvrent le Coca et observent, fascinés, à la télévision, Daniel Craig incarnant 007 dans Quantum of Solace. Pawo Choyning Dorji s’interroge, tout en finesse, sur la démocratie et ses effets pervers. Comment accéder au bonheur ? Faut-il pour cela que les individus s’opposent entre eux ? Une belle fable sur la perte d’une certaine innocence. (Pyramide)
LES MISERABLES
« Ma conviction est que ce livre sera un des principaux sommets, sinon le principal, de mon œuvre » écrivait Victor Hugo à son éditeur parisien en 1862. L’écrivain ne s’était pas trompé. Les misérables est une histoire universelle de référence traversant le temps et les frontières et évidemment une inépuisable source d’inspiration pour le cinéma. On recense aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’adaptations du best-seller du 18e siècle sur grand et petit écran. Dixième adaptation cinématographique du chef-d’œuvre d’Hugo, Les misérables de Jean-Paul Le Chanois (qui ressort dans deux beaux coffrets dvd et Blu-ray en édition restaurée) est aussi l’une des plus célèbres. Très fidèle à l’œuvre littéraire, le film doit son adaptation au travail de l’écrivain, dialoguiste et scénariste, René Barjavel. Sorti en 1958 sur les écrans, le film est divisé en deux époques et réunit les plus grandes stars du cinéma français de l’époque : Jean Gabin, Bernard Blier, Bourvil, Danièle Delorme, Serge Reggiani, Fernand Ledoux dans l’histoire fameuse de Jean Valjean qui, en 1818, parvient à s’évader du bagne de Toulon après vingt ans de travaux forcés. Injustement condamné, Valjean est de retour et il n’aspire qu’à la tranquillité et au bonheur. Son destin bascule avec la rencontre de l’évêque de Digne, Mgr Myriel. Tendre et humaniste, Jean Gabin est un Jean Valjean bouleversant. Le méchant bistrotier, Thénardier, est incarné par Bourvil qui fait preuve d’une veulerie incomparable. Bernard Blier est un Javert inflexible et complexe, il prouve qu’il est un immense comédien capable de jouer tous les registres. Le Chanois (qui a signé, en 1954, son plus grand succès, Papa, maman, la bonne et moi, une comédie de mœurs sur la famille française type) donne un régal visuel pour cette fresque cinématographique. Comme l’a dit le cinéaste, son adaptation de Victor Hugo « n’est pas un film historique mais on y voit de l’histoire. Ce n’est pas non plus un film de reconstitution mais on y voit le Paris d’autrefois. Enfin, ce n’est pas un film colorié, comme la mode s’en était répandue, mais bien un film où la couleur apporte ses éléments indispensables ainsi que le Technirama, ce procédé d’écran large qui permet d’assurer une netteté exemplaire sur tous les plans. » Véritable prouesse technique pour l’époque. Les misérables, champion du box-office en France en 1958, connut un immense succès populaire avec presque 8 millions d’entrées. (Pathé)
JEUX INTERDITS
Au cours de l’exode de juin 1940 en France, un convoi de civils est bombardé et mitraillé par des avions allemands. Paulette, cinq ans, perd ses parents et se met à errer dans la campagne. Dans les bois, elle rencontre Michel Dollé, un garçon de dix ans, qui l’emmène vivre dans la ferme de ses parents. Réticent au début, le père de Michel accepte l’arrivée de Paulette, plus par peur que les Gouard, ses voisins et ennemis jurés, le fassent et en tirent une quelconque gloire, que par charité. Paulette enterre discrètement le petit chien, mais Michel devine rapidement son geste, et à deux ils se mettent à créer des sépultures pour tous les animaux morts qu’ils découvrent : rats, crapauds, poussins. Michel en vient à tuer des animaux pour rassurer Paulette. On a tous entendu des débutants travailler leur guitare en grattant le thème de Jeux interdits écrit par Narciso Yepes. Mais c’est évidemment très court de ramener le film écrit en 1952 par René Clément à ce (très) célèbre morceau de musique. De fait, trois ans avant Charles Laughton et sa fameuse Nuit du chasseur (1955), le cinéaste français plonge dans l’imaginaire de l’enfance en distillant d’impressionnantes images oniriques. Dès son ouverture, Jeux interdits entraîne, avec une brutalité voulue, le spectateur dans l’horreur de la guerre avec une population jetée sur les routes et affolée par la puissance militaire ennemie. Des malheureux errant jusqu’à la mort. Parmi eux, une fillette rescapée et serrant dans ses bras le cadavre de son chien. De l’atrocité inaugurale de cette vision guerrière, le film va glisser vers un monde plus apaisé lorsque Paulette rencontre la famille d’accueil et surtout découvre Michel et son monde. Ecrit par Jean Aurenche et Pierre Bost, grands scénaristes français des années 30-40, le film de René Clément, d’abord conçu comme un sketch destiné à un film sur les enfants et la guerre, va s’imposer comme un immense succès qui vaudra au réalisateur le Lion d’or à la Mostra de Venise 1952 et un Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1953. Si on peut reprocher au film (qui ressort dans une version restaurée 4K) une vision passablement caricaturale de la France profonde et paysanne, Jeux interdits séduit et émeut par le jeux des enfants. Si Georges Poujouly semble parfois réciter ses répliques, Brigitte Fossey, petite fille blonde de 5 ans, est parfaite de simplicité naïve et de grâce tragique. (Studiocanal)
A HISTORY OF VIOLENCE
Citoyen paisible de la petite ville de Millbrook dans l’Indiana, bon père et bon mari, Tom Stall est patron d’un petit coffee shop. Un soir, deux tueurs complètement barrés font irruption dans son établissement, s’apprêtant à commettre un massacre. En quelques fractions de secondes, Stall les abat avec une dextérité surprenante. Le fait divers fait la une des médias, la fierté de sa famille et propulse Stall, à son corps défendant, au rang de célébrité locale et nationale. Alors qu’il tente de retrouver une vie normale, un mafieux partiellement défiguré, répondant au nom de Fogarty, débarque dans son petit restaurant et l’appelle par un autre nom : Joey. Fogarty et ses complices prennent en effet Tom, qu’ils ont vu récemment à la télévision, pour un de leurs anciens adversaires. Peu à peu l’épouse et le fils de Tom se rendent à l’évidence : Tom a été Joey dans une autre vie, à Philadelphie, auprès de son frère, à la tête d’un gang. Trois principaux thèmes imprègnent le cinéma de David Cronenberg: l’étude du corps humain sous un aspect angoissant à l’instar de La mouche (1986) ou Faux semblants (1988); l’observation visionnaire du rapport de l’humain à la technologie (Crash, 1996) et le délitement de la société. A History of Violence, réalisé en 2005, fable sur la violence refoulée, s’inscrit pleinement dans ce dernier thème. On découvre un couple marié avec deux enfants essayant de mener une vie droite, honnête, épanouie. « Derrière ce thème principal, note le cinéaste, se profilent pourtant des choses beaucoup plus troublantes, dérangeantes. C’est un thriller intéressant parce qu’atypique. On peut le prendre à plusieurs niveaux, les enjeux ne sont pas aussi basiques que l’intrigue principale peut le laisser supposer. » Avec un petit côté Hitchcock pour l’innocent pris pour un autre par des gens effrayants, le film de Cronenberg distille à merveille le trouble (Tom et sa femme se conduisent comme des collégiens énamourés) et fait affleurer la figure de ces monstres glaçants qui traversent son cinéma. Maria Bello (l’épouse de Tom) a quelques scènes bien hot. Le toujours excellent Viggo Mortensen (que Cronenberg retrouvera en 2077 pour Les promesses de l’ombre) incarne parfaitement le type bien sous tous rapports… jusqu’à ce que le vernis craque. Avec Cronenberg, il ne faut jamais se fier aux apparences. (Warner)
LE SHERIF EST EN PRISON
A cause de sables mouvants, la réalisation d’une ligne de chemin de fer dans les Etats-Unis de 1874 est remise en cause. Le changement d’itinéraire fait que la ligne pourrait passer par Rock Ridge, une ville frontière où tous les habitants portent le même nom, Johnson. Le procureur général Hedley Lamarr veut racheter à bas prix les terrains prévus pour la construction. Pour y parvenir, il tente de chasser les habitants de leur ville. Ainsi, pour leur faire peur, il envoie une bande d’affreux dirigée par le crétin Taggar. La population de Rock Ridge demande au gouverneur de leur affecter un nouveau shérif. Le gouverneur se laisse persuader par Lamarr de choisir, pour cette fonction, Bart, un Afro-Américain et ouvrier à la construction des chemins de fer. En 1974, avec Blazing Saddles (en v.o.), Mel Brooks atteint certainement le meilleur de son cinéma. Après Les producteurs (1968) et Frankenstein Junior (1974), le New-yorkais, âgé aujourd’hui de 98 ans, réussit, sur une thématique westernienne, un festival de loufoquerie centré autour de l’humour juif. Si le film tourne autour de Bart (Cleavon Little), shérif d’une ville en état de siège, on se régale de la prestation de Gene Wilder, vieux complice de Brooks, qui incarne Waco Kid, un as de la gâchette devenu alcoolique qui assure : « A moi tout seul j’ai tué plus d’hommes que Cecil B. DeMille » ! Pour le reste, on trouve, ici, des belligérants qui décident de quitter leur plateau de tournage pour aller semer le trouble sur le tournage d’une comédie musicale avant que le tout dégénère en bataille de tartes à la crème. Pour faire bonne mesure et volontiers à la limite du bon goût, Brooks (qui joue à la fois le gouverneur et le chef des Indiens) saupoudre son film de casques à pointe, de petites vieilles racistes, de chanteuses teutonnes et de canards de bain. A ce jeu, Madeline Kahn, autre copine du cinéaste, se régale avec la Teutonic Titwillow, la bien nommée Lili von Schtupp. A sa sortie, cette folle et burlesque parodie connut un succès impressionnant. Elle ressort dans une belle version restaurée. Et on se gondole toujours autant. (Warner)
LES CAVALIERS
En pleine guerre de Sécession, un détachement de cavalerie nordiste, sous les ordres du colonel Marlowe, est envoyé derrière les lignes ennemies, pour détruire les voies de chemin de fer. À ses côtés, le major Kendall, le médecin militaire auquel Marlowe s’oppose régulièrement. Les deux hommes sont aussi contraints d’emmener avec eux Hannah Hunter, une aristocrate sudiste, qui pourrait menacer le succès du raid de sabotage. Après maintes péripéties, ils arrivent à saboter la principale voie ferrée, à brûler train et coton. Poursuivis par les Sudistes, il font tout pour leur échapper… « Je n’ai jamais de ma vie rencontré un homme qui en savait autant sur la guerre de Sécession que Ford » affirme William H. Clothier, le directeur de photographie de The Horse Soldiers. Si Ford a déjà abordé la thème de la guerre de Sécession dans son cinéma, il faut attendre la fin de sa carrière pour que le réalisateur de La prisonnière du désert, consacre, ici, en 1959, tout un film à ce terrible conflit fratricide. Adapté du roman éponyme d’Harold Sinclair, lui-même basé sur un fait réel, Les cavaliers, charge vigoureuse contre la guerre, est une œuvre à l’atmosphère sombre et oppressante et, pour tout dire, assez mélancolique. Souvent considéré comme un film mineur de Ford, Les cavaliers, marqué par des problèmes de production et la mort accidentelle d’un cascadeur, est pourtant un grand film sur les horreurs de la guerre. Dans sa mise en scène, dans le travail sur les paysages, les couleurs, le traitement du cinémascope, le film atteint le niveau des grands westerns mythiques de Ford. Enfin, entouré notamment de William Holden et de Constance Towers, John Wayne retrouve à nouveau son réalisateur-fétiche pour un personnage de militaire désabusé et tourmenté. Ensemble, ils tourneront encore deux films, et non des moindres : L’homme qui tua Liberty Valance (1962) et La taverne de l’Irlandais (1963). Remastérisé HD, Les cavaliers sort dans une belle édition médiabook collector Blu-Ray et dvd avec un livre (184 p.) retraçant les 50 ans de carrière de Ford, le tout accompagné de plus de trois heures de bonus. (Rimini éditions)
HORIZON : UNE SAGA AMERICAINE, CHAPITRE 1
En 1859, dans la vallée de San Pedro en Arizona, des arpenteurs marquent avec des piquets les frontières d’une prochaine ville, Horizon. Peu de temps après, Desmarais, un missionnaire qui cherche Horizon découvre l’équipe d’arpentage tuée par une bande d’Apaches. Il enterre leurs corps et fonde la ville d’Horizon. En 1863, des pionniers installés dans un Horizon florissant est attaqué par un raid indien mené par Pionsenay. La majorité des habitants est tuée. Le jeune Russell Ganz s’enfuit à cheval pendant le carnage et rejoint le Camp Gallant pour prévenir l’armée. Un détachement mené par le lieutenant Trent Gephardt vient porter secours aux survivants, dont font partie Frances Kittredge et sa fille Elizabeth qui partent avec l’armée pour chercher refuge au Camp Gallant. Au même moment, Russell rejoint un groupe dirigé par son compatriote survivant Elias Janney et le chasseur de scalps Tracker pour s’en prendre aux Apaches… Pour son retour à la réalisation, bien des années après le western Open Range (2003), Kevin Costner avait un projet plutôt colossal, raconter en quatre films pour une durée de près de dix heures, les grandes heures de l’Ouest américain avant et après la guerre de Sécession, une époque pleine de bruit et de fureur, de périls et d’aventures, de lutte avec la nature sauvage et de combats colonisateurs contre les peuples autochtones. Une entreprise d’autant plus ambitieuse qu’on dit et qu’on répète, dans le monde du cinéma, que le western a définitivement vécu. Ce qui reste encore à prouver. Pour l’heure, on ignore si la saga dans son ensemble verra le jour mais le chapitre 1 au eu les honneurs, hors compétition, du dernier Festival de Cannes. Et Kevin Costner, boosté par le succès de la série Yellowstone, s’est lancé dans une sacrée entreprise. Son film hors-normes multiplie les histoires, joue sur les points de vue, détaille des trajectoires et des destinées en s’appuyant sur une imposante brochette d’acteurs : Sienna Miller, Sam Worthington, Danny Huston, Will Patton, Jena Malone, Luke Wilson et Kevin Costner lui-même dans le rôle du marchand de chevaux Hayes Ellison. Cette chronique chorale de l’Ouest américain est rattrapée malheureusement par une certaine démesure. Mais l’homme de Danse avec les loups bataille toujours pour ce genre mythique qu’est le western. Pour cela, on l’apprécie. (Metropolitan)
LES PISTOLETS EN PLASTIQUE
Léa et Christine sont obsédées par l’affaire Paul Bernardin, un homme soupçonné d’avoir tué toute sa famille et disparu mystérieusement. Alors qu’elles partent enquêter dans la maison où a eu lieu la tuerie, les médias annoncent que Paul Bernardin vient d’être arrêté dans le Nord de l’Europe… Metteur en scène de théâtre avec la compagnie Les chiens de Navarre, Jean-Christophe Meurisse réalise, avec Les pistolets en plastique, son troisième long-métrage de cinéma après Apnée (2016) et Oranges sanguines (2021). Une œuvre marquée par la fantaisie et l’humour. « C’est ce que j’aime : le mélange, dit le cinéaste. Ce que je n’aime pas : rester dans un registre unique. Je veux que tout soit tendu, aussi bien dans la narration que dans la forme. On ne sait pas sur quel pied danser. On va de l’absurde à l’horreur, on est dans le rire du pire, entre tragédie et comédie de manière permanente. » Les pistolets en plastique s’inspire, sans s’en cacher, de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès en évoquant au passage, l’affreuse mésaventure du malheureux pris à l’aéroport de Glasgow pour le type recherché par toutes les polices. Cependant, il n’est pas question, ici, de biopic mais bien de monstres. « J’aime montrer les monstres, dit le réalisateur. Ma naïve utopie, c’est que plus on montre le mal au cinéma, moins il y en a dehors. » Des monstres, le film en montre une belle brochette et s’ouvre sur deux médecins légistes devisant tranquillement, lors d’une autopsie, sur le goût des gens pour les faits divers atroces… Avec une belle brochette de comédiens, Meurisse, avec un côté jubilatoire autant qu’effrayant, décrit la mécanique folle et absurde du monde. Le portrait satirique de notre société est drôlement cruel. Mais quand on entend de méprisables personnages proférer de parfaites horreurs, on se dit que la fiction est en-dessous de la réalité. (M6)
ELYAS
Ancien soldat des forces spéciales, Elyas est revenu très traumatisé des combats en Afhghanistan. Luttant contre son stress post-traumatique, il est de retour dans la vie civile et accepte d’assurer la sécurité d’Amina et de sa fille Nour qui ont fui les Émirats arabes unis et trouvé refuge dans un château français. Bientôt, un commando retrouve Amina et Nour, Elyas redevient le soldat qu’il fut afin de les protéger. Ils ne sont pas si nombreux que cela dans le cinéma français, les bons réalisateurs de films d’action. Le Mosellan Florent-Emilio Siri est de ceux-là. On remonte volontiers à 2002 et à Nid de guêpes dont l’action se situait à Strasbourg autour d’un casse dans un entrepôt abritant du matériel informatique en parallèle avec le transfèrement d’un mafieux albanais qui tourne au vinaigre. Le film attire d’ailleurs l’attention de Bruce Willis qui demande au Français de venir le mettre en scène dans Otage (2005). Après un passage par le biopic de Claude François (Cloclo en 2012 avec Jérémie Rénier), Siri est de retour à l’action. L’amateur n’est pas déçu car le cinéaste n’a pas perdu la main. Son thriller va au rythme de fusillades et d’explosion de violence qui montent vers un dénouement brutal qui n’aurait pas déparé dans une production américaine. Le vétéran de l’armée est désormais contraint à un job civil qui le laisse amer mais Elyas s’acquitte, avec efficacité, de sa tâche, allant jusqu’à se prendre d’affection pour la fillette qu’il est chargé de protéger contre de sévères affreux. Des talibans ? L’excellent Roschdy Zem s’empare avec aisance de ce vieux briscard aussi déterminé que mutique mais bien incapable de s’intégrer dans une vie normale. Une bonne série B. (Studiocanal)
LES FEMMES DE TRUFFAUT, MARIA SCHNEIDER ET LE CHARME DE KWAN
CINQ HEROINES
DE TRUFFAUT
En 1977, François Truffaut invente le personnage de Bertrand Morane dans L’homme qui aimait les femmes et le confie au magnifique Charles Denner. Mais on ne peut s’empêcher de voir derrière ce séducteur, le réalisateur lui-même… De fait, les femmes sont très présentes dans le cinéma de François Truffaut. Les héroïnes abondent, tout comme les égéries pour leur prêter leurs traits. On songe évidemment à Françoise Dorléac dans La peau douce, à Fanny Ardant dans La femme d’à côté et Vivement dimanche ! en passant par Kika Markham et Stacey Tendeter dans Les deux Anglaises et le continent. Les films du réalisateur phare de la Nouvelle Vague font clairement la part belle aux personnages féminins iconoclastes, à la fois puissants, sensibles, mystérieux et toujours romanesques. La peau douce (1964) où Jean Dessailly incarne un bourgeois parisien qui s’éprend d’une jeune hôtesse de l’air, Les deux Anglaises et le continent (1971) où un dandy parisien va s’inscrire, à l’aube du 20e siècle, au Pays de Galles, dans un audacieux trio, La femme d’à côté (1981) qui emporte Bernard et Mathilde dans un intense tourbillon amoureux et Vivement dimanche ! (1983), ultime film de Truffaut et savoureuse variation sur les codes du film noir sont à retrouver, pour la première fois, dans un beau coffret 4 Blu-ray (restauration 4K) et en coffret 4K Ultra HD (présentés en Dolby Vision). Cette bouleversante ode à la féminité est complétée par un documentaire inédit de David Teboul, François Truffaut, le scénario de ma vie (101 mn). Quelques mois avant sa disparition, le cinéaste se confie à son ami de jeunesse Claude de Givray et replonge dans son histoire familiale. Mais le temps va lui manquer pour achever son projet autobiographique. Il avait pour titre : Le scénario de ma vie. Enfin le coffret contient de nombreux suppléments (scènes commentées, images de tournage, entretiens et analyses). Toujours de Truffaut, voici un bel hommage au film noir avec Tirez sur le pianiste (1960) qu’il adapte d’un polar de David Goodis pour offrir à Charles Aznavour un rôle de pianiste de bar. Avec, en prime, une apparition de Boby Lapointe chantant Avanie et framboise. Le film est restauré 4K et est, là encore, accompagné de multiples suppléments dont un extrait de Étoiles et toiles (15mn) sur l’adaptation de Goodis par Truffaut. Enfin, dans cette belle séquence Truffaut, on déguste une sucrerie en forme de drôle de vaudeville ! Co-scénariste de Baisers volés et Domicile conjugal, Claude de Givray signe, avec Tire-au-flanc 62 sa première mise en scène, s’associant derrière la caméra avec son ami François. Combinant dialogues vifs et montage enlevé, le duo livre une subtile critique de l’absurdité des institutions, tout en illustrant l’esprit rebelle et ingénieux des jeunes conscrits. Une satire grinçante et percutante où l’on croise Cabu, Bernadette Lafont ou Pierre Étaix… Et là encore, de bons suppléments ! (Carlotta)
MARIA
C’est l’histoire d’une belle adolescente brune de 16 ans qui vit chez sa mère dans le Paris des années 68. Et qui a retrouvé son père. Qui n’est autre que le comédien Daniel Gélin. Qui ouvrira les portes des plateaux de cinéma à celle qui allait devenir, à son corps défendant, une actrice très sulfureuse à cause du Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci. Avec Maria, la cinéaste française Jessica Palud s’empare d’une aventure tragique, celle de Maria Schneider, belle actrice dont la trajectoire fut complètement saccagée, un jour de 1972, lors du tournage du Dernier tango à Paris. En s’appuyant librement sur Tu t’appelais Maria Schneider (2018 chez Grasset et Fasquelle), le roman de Vanessa Schneider, journaliste au Monde et cousine de l’actrice, Jessica Palud se concentre sur son personnage central : « Être dans son regard et ne jamais l’abandonner » Porté par une Anamaria Vartolomei vibrante, farouche et fragile (et un épatant Matt Dillon en Marlon Brando) le film prend évidemment une résonance particulière alors que le cinéma français traverse de sérieuses turbulences liées à la fois à la question du consentement sur un tournage ou au cours d’un casting ou, plus globalement, aux affaires de violences sexuelles. Tout commence pourtant sous les meilleurs auspices. Bertolucci dit à celle qui sera sa Jeanne dans une relation torride et impossible: « Je vois en vous une page blanche, quelqu’un de blessé qui me plaît beaucoup ! » Si l’on se souvient du Dernier tango comme d’un grand poème plus funèbre que sexuel porté par la musique de Gato Barbieri, il apparaît clairement que ce film a fini par se résumer à cette fameuse scène dite du beurre. D’ailleurs, à l’époque, certains spectateurs demandaient, à la caisse des cinémas, « le film du beurre » ! La cinéaste va filmer le ressenti d’une actrice dominée par deux regards masculins, le basculement de la scène, la violence envers Maria Schneider et surtout le terrible silence du plateau. Jessica Palud souligne enfin que la trahison et la manipulation ne sont pas des outils nécessaires à la mise en scène de cinéma. Dans une ultime scène, alors que Maria Schneider enchaîne les interviews dans un press-junket, on lui glisse à l’oreille que Bertolucci est dans un salon voisin. Veut-elle qu’on organise une rencontre, une séance photo ? Elle lâche : « Je ne sais pas qui est cet homme. » (Studiocanal)
STANLEY KWAN – LE ROMANTISME MADE IN HONG KONG
« Pour moi, dit Stanley Kwan, raconter une histoire, c’est capturer l’expérience humaine, explorer les émotions et mettre en lumière des aspects de la vie autrement négligés. » Avec un beau coffret qui réunit quatre chefs-d’œuvre en version restaurées 4K et 2K, voici une plongée dans l’univers intimiste et romanesque d’un cinéaste né en 1957 et formé auprès de grands noms du cinéma hongkongais comme Ann Hui et Patrick Tam. Aux côtés de Wong Kar-wai et de Fruit Chan, Stanley Kwan fait partie de la troisième « Nouvelle Vague » apparue dans les années 1980. Alors en marge d’un cinéma commercial et populaire, le réalisateur fait appel, à ses débuts, à des acteurs célèbres, à l’instar de Chow Yun-fat dans Women (1985), pour se faire connaître et ainsi développer son propre ton et point de vue. Si son deuxième long-métrage, le mélancolique Amours déchus, obtient les faveurs de la critique, c’est avec son troisième film, le très romanesque Rouge (produit par Jackie Chan, alors roi incontesté du cinéma en Asie), que Kwan rencontre son public et devient la coqueluche des plus grands comédiens hongkongais. Avec son ambitieux « méta-biopic » Center Stage, le cinéaste franchira les portes de l’international avant d’opérer, dix ans plus tard, un virage plus intimiste avec Lan Yu. Virtuose du mélodrame, dont il maîtrise les codes avec une délicatesse et une sincérité rares, cet admirateur de Truffaut ou Ozu n’aura de cesse, à travers son œuvre, d’explorer la notion d’identité. Le coffret propose quatre films emblématiques du travail de Kwan qui mêle une mélancolie majestueuse à des réflexions complexes sur l’histoire, la société et la politique chinoise et hongkongaise. Amours déchus (1986) réunit trois amies qui essayent de devenir respectivement mannequin, actrice et chanteuse. Lors d’une soirée, elles rencontrent Tony Cheung, fils nonchalant d’un gros vendeur de riz. Mais l’une des femmes est assassinée… Rouge (1987) est une romance fantastique qui joue superbement d’atmosphères colorées pour suivre sur deux époques (1934 et 1987) les amours contrariées de la courtisane Fleur et de Chan Chen-pang, fils de bonne famille. Dans Center Stage (1991), Stanley Kwan met en scène entre documentaires, interviews et images d’archives ce qu’était la vie de Ruan Lingyu, grande actrice du cinéma muet du Shanghaï des années 1920, que l’on aimait comparer à Greta Garbo. Cinéaste à l’homosexualité revendiquée, sensible aux désirs et aux luttes des femmes, Stanley Kwan offre à travers ses films des vitrines de choix aux grands noms du cinéma hongkongais de l’époque, comme Maggie Cheung, Leslie Cheung ou Tony Leung Chiu-wai. Avec Histoire d’hommes à Pékin (Lan Yu en v.o.), libre adaptation d’un roman publié anonymement sur Internet, Stanley Kwan (qui a révélé son homosexualité en tournant le documentaire Yang ± Yin: Gender in Chinese Cinema, 1996), poursuit sa réflexion sur l’identité et le poids des conventions à travers la liaison entre le fils d’une famille aisée et Lan Yu, étudiant en architecture, que lui a présenté son employé, seule personne de son entourage à être courant de son homosexualité… (Carlotta)
PEPE LE MOKO
Attention, chef d’oeuvre ! Depuis des jours et des semaines, la police cherche à coincer le caïd du milieu parisien, Pépé le Moko, réfugié avec sa bande dans la Casbah d’Alger. Il y est intouchable, mais ne peut en sortir sans se faire arrêter. Sa vie bascule le jour où il tombe amoureux de Gaby, une jeune demi-mondaine, entretenue par un homme riche, passée là en touriste et représentant tout ce que la Casbah n’est pas : parisienne et sophistiquée. Cette relation est jalousée par Inès, maîtresse de Pépé. L’inspecteur Slimane, lui, suit tout cela très attentivement. Il compte sur les développements de ce triangle amoureux pour faire sortir le caïd de sa planque. Il pourra ainsi lui mettre la main au collet. « Pépé le Moko, écrivait Jacques Siclier, c’est l’installation officielle, dans le cinéma français d’avant-guerre, du romantisme des êtres en marge, de la mythologie de l’échec. C’est de la poésie populiste à fleur de peau : mauvais garçons, filles de joie, alcool, cafard et fleur bleue ». De fait, Julien Duvivier qui vient de donner successivement La Bandera (1935) et La belle équipe (1936), réalise, en 1937, avec Pépé le Moko (qui sort dans une belle version restaurée) l’une des œuvres les plus emblématiques du réalisme poétique français. Dans le décor merveilleusement exotique d’une Casbah reconstituée dans les studios de Joinville, il sublime le mélodrame tragique sur fond de romantisme désespéré et de vertige de l’échec. Cette adaptation du roman d’Henri La Barthe permet au cinéaste de filmer une inexorable fuite en avant forcément promise au drame. Le réalisateur de Panique (1946), autre chef d’oeuvre, joue sur du velours avec les dialogues d’Henri Jeanson, la musique de Vincent Scotto et evidemment ces fameux seconds rôles qui ont fait la gloire du cinéma français des années 30,40 et 50. On pense à Saturnin Fabre, Dalio, Charpin, Line Noro, Gaston Modot ou encore la chanteuse Fréhel. Quant à Jean Gabin, déjà présent dans La Bandera et La belle équipe, il accède, ici, au rang de vedette internationale. Et pour faire bonne mesure, il connaîtra une (brève) idylle avec Mireille Balin, sa partenaire, interprète d’une sulfureuse demi-mondaine. Gaby qui partira en brisant le coeur de Pépé. A jamais prisonnier de son territoire devenu piège. (Studiocanal)
AU P’TIT ZOUAVE
Dans un quartier populaire de Paris, Au P’tit Zouave est un sympathique boui-boui qui offre réconfort et sécurité aux habitants modestes du coin. Pourtant l’ambiance n’est pas au beau fixe. La police est sur les dents car un assassin de vieilles filles sévit dans les alentours. De plus, l’arrivée du mystérieux et fortuné M. Denis vient perturber l’équilibre déjà précaire de l’établissement. Aux yeux des jeunes loups de la Nouvelle vague, Gilles Grangier a été l’incarnation du cinéma académique des studios, bref du « cinéma à papa ». Pourtant diverses restaurations (Le sang à la tête, 1956, Echec au porteur, 1957, Trois jours à vivre, 1958 ou 125, rue Montmartre, 1959) par Pathé, ont permis de (re)découvrir les qualités d’un Grangier bien plus moderne qu’il n’y paraissait. Au P’tit Zouave fut, en 1950, le premier Grangier salué avec enthousiasme, tant par la critique que par le public. Le film rassembla plus d’un million de spectateurs. Entre comédie et film noir, utilisant une unité de lieu, le cinéaste organise son intrigue dans un décor unique, celui d’un bistrot parisien typique. On croise ici une belle brochette d’habitués du comptoir, joliment croqués. Débutant sur un mode comique, l’histoire tourne peu à peu au thriller, révélant les faux-semblants et la vérité des personnages. Grangier cultive une atmosphère populaire et jongle avec brio entre la comédie humaine du café et l’intrigue policière qui suit l’enquête du commissaire Bonnet lancé à la recherche de l’assassin. Dans cette perle du cinéma français des années cinquante, Grangier, qui mit souvent son ami Gabin à l’honneur, a constitué un excellent casting avec une galerie de personnages colorés. Dany Robin, surnommée à l’époque « la petite fiancée de la France », incarne la sensible et délicate Hélène, femme à la fois fragile et résolue, naviguant à travers les complexités émotionnelles avec une grâce naturelle. Fameux majordome (« Yes Sir ! ») des Tontons flingueurs, Robert Dalban est impeccable en patron receleur et le cinéaste a eu la bonne idée de confier à François Périer un contre-emploi qui lui permet de jouer sur son physique sympathique de jeune premier avant de révéler une noirceur inattendue. Autour d’eux, Paul Frankeur, Renaud Mary, Marie Daëms, Henri Crémieux, Jacques Morel, Annette Poivre campent de savoureuses figures. (Pathé)
BUFFALO BILL ET LES INDIENS
Dans les Etats-Unis de 1886, l’aventurier et tueur de bisons William Cody, dit Buffalo Bill, a quitté les vastes prairies. Il caracole sur la piste d’un cirque géant dans le Wild West Show (Le plus grand show de l’Ouest sauvage) tel un héros de la conquête de l’Ouest, devant des spectateurs ébahis. Hors de la scène, le personnage se révèle n’être qu’un cabotin vain et un alcoolique capricieux, mauvais tireur et piètre cavalier. Pour pimenter le spectacle, Buffalo Bill imagine d’engager le légendaire chef indien Sitting Bull, détenu par l’armée. Lors d’un spectacle auquel le président des États-Unis Grover Cleveland vient assister, Sitting Bull veut lui présenter des doléances pour son peuple mais il est éconduit. Tandis que le spectacle continue, Sitting Bull se montre bien meilleur que Buffalo Bill dans tous les domaines et ne tarde pas à ridiculiser son employeur… Juste après Nashville (1975), film choral sur la ville du disque et de la country, Robert Altman enchaîne avec cette chronique du show-business qui prend à rebrousse-poil la légende de l’Ouest américain telle que John Ford a pu la magnifier dans ses westerns. Malgré ses airs bravaches, Buffalo Bill n’est un pauvre type tristement alcoolique. Face à lui, Sitting Bull a, lui, tout d’une légende. Comme il le fit dans M.AS.H. (1970), Altman s’ingénie, avec une verve grinçante, à démonter les mythes… Le film n’eut pas un grand succès dans les salles. Et ce, malgré un superbe casting. Yeux plus bleus que jamais et bacchantes avantageuses, Paul Newman est Buffalo Bill. Autour de lui, on trouve Geraldine Chaplin dans le rôle d’Annie Oakley, célèbre pour sa redoutable précision au tir, Burt Lancaster en fabricant de légende ou encore Harvey Keitel et Joel Grey. Une description très sarcastique de l’Amérique ! Dans la collection Make my Day. (Studiocanal)
CINQ TULIPES ROUGES
Pendant le Tour de France, cinq coureurs sont retrouvés assassinés avec une tulipe rouge près de leur corps. Une journaliste et un inspecteur de police mènent l’enquête pour démasquer le meurtrier. Nés quasiment en même temps, le Tour de France et le cinéma ne pouvaient que se rencontrer. Tout commence en 1925 avec un film muet de Maurice Champreux, Le Roi de la pédale, qui renouvela l’expérience en 1931 avec Hardi les gars. En 1932, Serge de Poligny signe Rivaux de la piste puis, l’année suivante, Robert Vernay tourne Prince de Six Jours. Au plan international, il faut attendre 1980 pour que l’on parle du Tour dans La bande des quatre de Peter Yates, qui raconte la fascination des cyclistes américains pour la Grande Boucle. Après Pour le maillot jaune (1940), charmante comédie sur les amours d’un coureur et d’une journaliste, le méconnu Jean Stelli va plus loin, huit ans plus tard, avec Cinq tulipes rouges, tourné en même temps que le Tour 1948, qui propose un hommage sportif et moderne de la compétition. Ici, la course est frappée par la malchance : certains favoris succombent dans des circonstances douteuses. L’inspecteur Ricoul (Jean Brochard) est alors mandaté pour retrouver le criminel, bientôt accompagné de Colonelle, une journaliste spécialiste du Tour (Suzanne Dehelly). Sur une trame « à la Agatha Christie », Stelli réunit aussi, dans ce thriller sur deux roues, quelques fins seconds rôles du cinéma français comme Raymond Bussières parfait en mécano ou René Dary (le Riton de Touchez pas au grisbi) en directeur sportif bouleversé… (Pathé)
CATCH US IF YOU CAN
Mannequin pour une publicité télévisée pour de la viande, Dinah doit tourner sur le marché de Smithfield à Londres. Mais elle est de moins en moins motivée… Steve et ses quatre amis Lenny, Mike, Rick et Dennis n’ont guère de peine à la persuader de fuir les fausses valeurs du monde commercial. Steve et elle s’enfuient à bord d’une Jaguar Type E appartenant à la production. Lorsque Leon Zissell, le responsable de la publicité, réalise que sa Butcha Girl a disparu, il va transformer sa fuite à travers l’Angleterre en coup publicitaire. Après avoir débuté comme critique de cinéma dans des revues et à la radio, John Boorman va se voir proposer en 1965 la commande d’un film pour mettre en avant le groupe de rock britannique The Dave Clark Five qui faisait partie, comme les Beatles, de la British Invasion. A l’instar du Quatre garçons dans le vent de Richard Lester pour les Beatles, Boorman entre donc dans le monde du cinéma avec cette aventure qui mêle le road movie et le musical, les chansons du Dave Clark Five servant évidemment, ici, de b.o.. Dans son excellent collection Make my Day, Jean-Baptiste Thoret « exhume » ce Sauve qui peut (en v.f.). Même si Boorman n’est pas encore le cinéaste d’Excalibur (1981) et de Delivrance (1972), il se sort plutôt pas mal de cette commande. On trouve, ici, des séquences étonnantes comme celle de la communauté hippie gravement shootée ou encore celle du couple âgé, semble-t-il conservateur et « tradi » mais porté sur l’échangisme. Enfin le ton est souvent amer, jusque dans un dénouement où le périple de Dinah s’achève dans un endroit bien tristounet. L’année suivante, Boorman frappera fort avec Point Blank et un fameux Lee Marvin… (Studiocanal)
LE ROYAUME DE KENSUKE
L’aventure de Michael, 11 ans, commence comme un beau rêve. Il est en effet parti faire le tour du monde à la voile avec ses parents. L’océan est vaste, survolé par de grands oiseaux tandis que les dauphins dansent autour du voilier. Mais la tempête menace et une gigantesque vague emporte Michael et sa chienne Stella. Quand Michael reprend ses esprits, il a échoué sur le sable d’une île déserte. Désormais la question cruciale pour le gamin désespéré, c’est comment survivre. Un mystérieux inconnu vient alors à leur secours en leur offrant à boire et à manger. C’est Kensuké, un ancien soldat japonais vivant seul, depuis la fin de la guerre, sur cette île avec ses amis les orangs-outans. Cet homme méfiant va cependant ouvrir à Michael les portes de son royaume. Lorsque des trafiquants de singes tentent d’envahir l’île, c’est ensemble qu’ils uniront leurs forces pour sauver leur paradis… Au départ de ce beau film d’animation, il y a le roman éponyme du Britannique Michael Morpurgo paru en 1999, destiné à un lectorat préadolescent et adolescent et inspiré du légendaire Robinson Crusoé. Neil Boyle et Kirk Hendry se sont emparés de cette histoire pour mettre en images l’aventure d’un jeune adolescent apeuré, isolé et coupé des siens et de ses repères. Mais voilà que l’étrange Kensuké montre le bout de sa mince barbichette. Entre l’enfant et le vieil homme, on va passer par des moments d »incompréhension et d’apprivoisement. Et puis il y aura la rencontre magique avec des orang outangs dont Kensuké semble être le gardien. L’image est belle, jouant sur des couleurs pastels qui viennent en contrepoint d’une fable écologique qui pointe l’intrusion violente des pilleurs d’animaux sauvages. Avec Kensuké et Michael, on arpente avec bonheur les espaces luxuriants d’un paradis très fragile. (Le Pacte)
MA VIE AVEC DALI
A New York, en 1973, James, jeune propriétaire d’une galerie, est invité à l’une des fêtes organisées par le célèbre peintre Salvador Dalí. Après avoir pénétré dans un univers exquis, le galeriste est censé assister l’artiste espagnol dans les préparatifs d’une grande exposition, une opportunité unique pour lui. Mais plus il passe de temps avec l’artiste extravagant, plus il plonge dans les difficultés financières, mais aussi relationnelles du peintre. En effet, James comprend que la relation apparemment solide entre Dalí et sa femme, Gala, tout aussi excentrique, est sur le point de voler en éclats. Révélée par I Shot Andy Warhol (1996) et réalisatrice en 2000 d’American Psycho dans lequel Christian Bale incarnait un golden boy doublé d’un assassin psychopathe, la cinéaste canadienne Mary Harron propose (avant le Daaaaaali de Quentin Dupieux sorti en 2023) un biopic de l’excentrique maître de Cadaquès. Daliland (en v.o.), centré sur la relation entre le galeriste et le peintre, met bien en valeur l’univers coloré de Dali tout en représentant, dans un style assez rock’n roll, la frénétique vie mondaine dans laquelle baigne l’artiste le plus rentable de sa génération… La cinéaste a confié le Dali de l’âge mûr au Britannique Ben Kingsley devenu célèbre en 1982 en se glissant dans la peau d’une autre grande figure réelle, Gandhi. Pour sa part, Ezra Miller joue un Dali jeune dans quelques séquence en flash-back. Enfin c’est Barbara Sukowa, l’inoubliable égérie de Fassbinder dans Lola, une femme allemande, qui s’empare du personnage de Gala… (Condor)
SEXOTRUCS
Dans une époque où le sexe est omniprésent sur tous les supports de communication et où l’on est en droit de s’interroger sur la manière dont les plus jeunes se retrouvent face à ce problème, voici une série réalisée par Pauline Brunner, Maxime Gridelet et Marion Verlé qui proposent quelques clés pour préparer les enfants à décrypter les écrans et les idées reçues auxquels ils vont être confrontés… Experte en éducation à la sexualité et en sentiments, Lili a les réponses à toutes les questions que peuvent se poser les enfants : c’est comment le sexe féminin à l’intérieur ? En vrai, deux garçons, ça peut s’aimer d’amour ? Comment on fait les bébés ? C’est quoi la puberté ? Et le consentement ? Au fil de ses explications, elle embarque le jeune spectateur dans son univers poétique et décalé fait de papier découpé et d’objets animés… Cette série qui développe ses thématiques de façon ludique et adapté aux enfants, propose vingt épisodes : La puberté masculine – Le sexe féminin – Les sentiments amoureux – L’orientation sexuelle – Le consentement – La puberté féminine – L’érection – L’égalité filles / garçons – Le sexe masculin – Le sperme – Les violences sexuelles – Comment on fait les bébés ? – L’inceste – L’intimité – Faire l’amour – La pornographie – Les règles – Les différentes familles – L’hygiène intime – L’identité de genre. (Arte éditions)
LA PETITE VADROUILLE
Voici, d’un côté, Franck, un gros investisseur assez content de lui qui peut mettre 14.000 euros dans un week-end insolite en « amoureux » et, de l’autre, une troupe de solides pieds-nickelés qui se disent, enthousiastes, qu’il y a sûrement une bonne marge à se faire pour remettre à flot leurs comptes bien défaillants. Le dit week-end doit se dérouler à bord d’une péniche et lors d’un périple au cours duquel Franck (Daniel Auteuil) entend bien séduire sa collaboratrice Justine (Sandrine Kiberlain)… Une Justine qui, évidemment, a partie liée avec les branquignols. Le cinéma de Bruno Podalydès est un cinéma qui aime à musarder. Verbe intransitif qui se définit de la sorte : Passer son temps à rêvasser, flâner en s’attardant à des riens. Et c’est bien ce qui caractérise cette petite vadrouille. L’idée de son film est venue à l’aîné des Podalydès lors de petites croisières fluviales en famille à bord d’une péniche. Le cinéaste a donc bâti une comédie complètement fantaisiste dans laquelle il invite à embarquer en compagnie de personnages évidemment loufoques dont le capitaine Jocelyn, uniforme immaculé qu’il incarne lui-même. Sur fond de friction générationnelle un brin nostalgique, voici une comédie qui revendique de ronronner et qui ose un paisible éloge de la lenteur dans un monde qui va toujours plus vite. (UGC)
LES ACTEURS, LES TRAVAILLEURS ET UNE PARENTHESE ENCHANTÉE
LE DEUXIEME ACTE
Dans un petit matin brumeux et triste, un gros type barbu arrête sa voiture dans un coin de campagne. L’homme, manifestement extrêmement stressé, va ouvrir les portes du Deuxième acte, un restaurant au look de Dinner américain, installé au milieu de nulle part. Non loin de là, David et son copain Willy marchent dans cette campagne. David a un gros problème. Il s’estime harcelé par Florence, une fille follement amoureuse de lui. Mais David n’éprouve rien pour elle. Surtout il n’arrive pas à se débarrasser de l’importune. Son idée, c’est de jeter Florence dans les bras de Willy, dragueur, semble-t-il, émérite… Mais Willy flaire un piège. Et si Florence était moche ? Et si Florence était en fait un homme ? Ca, Willy ne le conçoit pas. Pas question pour lui de batifoler avec un mec. Pire, il balance à la figure de David sa bisexualité. David le somme de cesser de suite : « Tu veux qu’on se fasse cancel ! » C’est alors que David s’adresse, hors champ, à l’équipe du film. On a compris que les deux compères sont comédiens et qu’ils tournent un plan dans un film. Tout Le deuxième acte va alors se développer autour de cette dualité entre la vraie vie et l’illusion d’une vie filmée, donc constamment réinventée. Même si, en ces temps délicats dans l’univers du cinéma, ses dialogues paraîtront clivants à d’aucuns, Dupieux peut cependant s’amuser à distiller sa satire sur ce mensonge éminemment séduisant qu’est la fiction. On assiste alors à un jeu souvent savoureux où, par exemple, Guillaume, le père de Florence, s’indigne de la futilité du cinéma alors que le monde n’est plus qu’un grand chaos. Mais le même oublie très vite toutes ces questions lorsqu’il apprend que le brillant cinéaste hollywoodien Paul Thomas Anderson veut l’engager pour sa prochaine production. Ce 13e opus de Dupieux n’est peut-être pas le plus enlevé. Mais le cinéaste peut toujours compter sur des comédiens en verve (Raphaël Quenard, Louis Garrel, Léa Seydoux et Vincent Lindon) qui viennent faire un tour dans son univers déjanté… Enfin, le réalisateur, qui semble toujours travailler avec la décontraction (apparente) d’un joyeux artisan, porte, à notre connaissance, le premier coup cinématographique à une inquiétante évolution qui touche notre société. On parle évidemment de l’IA. Car on apprend que le film qui se fabrique sous nos yeux est produit et réalisé par la fameuse Intelligence artificielle. Le dernier (très long) plan – un travelling porté par une musique jazzy sur des rails de cinéma-, atteste de la permanence de la magie du 7e art. D’ailleurs, répondant à son collègue qui affirme que les gens « s’en foutent de nous. Ils sont passés à autre chose », David préfère croire au cinéma : « Il y a plein de merveilleux cinéphiles qui nous regardent ». (Diaphana)
DISSIDENTE
Dans la Vallée du Richelieu, région agricole du Québec, Ariane, une femme célibataire de la quarantaine, elle-même d’origine sud-américaine, est embauchée en tant que traductrice dans une usine de produits alimentaires. Très rapidement, elle se rend compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. D’abord tiraillée puis faisant face à sa responsabilité, elle va entreprendre à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes… Il a fallu pas moins de dix années d’enquête à Pier-Philippe Chevigny pour écrire et réaliser ce premier film coup de poing inspiré de faits réels. Véritable immersion dans la réalité d’ouvriers guatémaltèques immigrés au Québec, Dissidente plonge le spectateur au cœur d’une déshumanisation implacable. Les travailleurs sont exploités sans cesse au détriment de leur santé et où tout refus, toute rébellion est synonyme d’expulsion. Apres avoir songé à réaliser un documentaire mais n’ayant pas pas réussi à convaincre les victimes de témoigner, le cinéaste québécois a opté pour une fiction politique et sociale engagée où il dénonce une forme d’esclavage moderne et pointe la perversité d’un système capitaliste où chacun se retrouve à la fois victime et complice, ainsi le patron de l’usine qui agit sous la pression des nouveaux actionnaires et est acculé aux diktats de rentabilité tout comme les ouvriers qui acceptent la situation par peur d’être licenciés. Dissidente doit beaucoup à ses interprètes principaux. Marc-André Grondin incarne Stéphane, un directeur brutal et antipathique tandis qu’Ariane Castellanos, d’origine guatémaltèque, est bouleversante en traductrice chargée d’un lien de parole entre les ouvriers et la direction. Une femme courageuse qui va pousser les travailleurs immigrés à ne plus baisser la tête, à ne plus accepter, par exemple, de vivre dans des dortoirs surveillés par des caméras. Une œuvre poignante qui interroge intelligemment notre capacité à réagir face à l’absurdité du système sans verser dans le manichéisme. (Blaq Out)
MEMORY
La vie simple de Sylvia est réglée comme du papier à musique. Elle s’occupe avec attention de sa fille adolescente, travaille dans un centre d’aide pour handicapés adultes et suit avec régularité les réunions des Alcooliques anonymes. Elle, que rien ne semble devoir faire sortir de ses rails, accepte un soir, à l’instigation de sa sœur aînée, d’assister à une fête organisée par les anciens de son lycée. Sylvia s’y ennuie ferme mais lorsqu’un homme vient s’asseoir à ses côtés. Elle se lève et rentre chez elle. L’homme la suit dans la rue, le métro et jusqu’à sa porte. Au matin, l’homme est toujours là, endormi sous des sacs de plastique. Sylvia décide d’aller voir qui est ce mystérieux individu. Après avoir songé à un polar sur le thème de la vengeance, Michel Franco a changé d’idée et, avec en référence le Minnie and Moskowitz (1971) de John Cassavetes, a filmé une love story entre deux solitudes bouleversées, l’une par un terrible secret, l’autre par une démence qui gagne, même si Saul Shapiro est encore lucide et sa mémoire émotionnelle intacte. Le cinéaste mexicain organise une « parenthèse enchantée » où Sylvia et Saul vont doucement aller l’un vers l’autre. Sylvia va d’abord intervenir comme aide à la personne. Mais le fragile et tendre Saul va parvenir à « attendrir » Sylvia au point d’entrer ensemble, aux accents de A Whiter Stade of Pale de Procol Harum, dans une relation amoureuse. Couronné meilleur acteur à la Mostra de Venise 2023 pour sa sensible interprétation de Saul, Peter Sarsgaard donne la réplique à une remarquable Jessica Chastain. Visage dur et émacié, sa Sylvia est une bonne personne que la vie (et sa famille) a rudement maltraité. (Metropolitan)
JULIETTE AU PRINTEMPS
Jeune illustratrice de livres pour enfants, Juliette débarque au coeur des Dombes. Elle revient vers sa famille et s’installe chez Léonard son père auquel elle confie : « J’ai fait un genre de dépression. Mais ça va mieux maintenant. » Pudique, le père constate : « C’est vrai que c’est pas facile, la vie ». Au fil de quelques jours, Juliette va retrouver Marylou, sa sœur aînée, une mère de famille débordée par un quotidien qui la dévore. Alors cette belle femme ronde se risque à des parenthèses charnelles. Et puis il y a Nathalie, la mère de Juliette et Marylou, une artiste-peintre qui croque la vie à pleines dents, sans oublier Simone, dite Nona, la grand-mère chérie qui perd un peu pied… Comme Nona est maintenant installée dans une maison de retraite, on s’apprête à vendre sa maison. C’est alors que Juliette va découvrir un secret qui traumatise depuis toujours la famille… Avec Juliette au printemps, Blandine Lenoir réalise son quatrième long-métrage après Zouzou (2014), Aurore (2017) et Annie Colère (2022), trois films qui faisaient déjà la part belle à des personnages féminins. Ici, en adaptant Juliette, les fantômes reviennent au printemps, le roman graphique de Camille Jourdy, paru chez Actes Sud, la cinéaste s’inscrit dans une chronique familiale qui joue tout à la fois la carte de la tendresse, de la mélancolie et de la comédie pour aborder une série de sujets comme la dépression, la place qu’on occupe dans une famille sans parvenir à la déplacer malgré les années, la pudeur, l’amour, la sexualité, le deuil, la maternité… Le récit choral s’ordonne alors d’un père (Jean-Pierre Darroussin) si pudique qu’il ne peut s’exprimer qu’en blagues et d’une grande fille (Izïa Higelin) qui est comme arrêtée dans sa vie. On croise aussi, dans ce joyeux bazar, une drôle de grand-mère (Liliane Rovère), une aînée hyperactive (magnifique Sophie Guillemin), Pollux (Salif Cissé), un jeune homme poétique et attachant et même un sautillant petit canard. Agréablement touchant. (Diaphana)
COFFRET LAMBERTO BAVA
Descendant d’une famille qui a toujours travaillé dans le cinéma et la télévision (son grand-père Eugenio fut chef opérateur et son père Mario fut l’un des maîtres italiens du cinéma d’épouvante), Lamberto Bava, né à Rome en 1944, a été acteur, scénariste, assistant-réalisateur de son père et réalisateur pour le cinéma et surtout pour la télévision… Dans un coffret, on retrouve deux raretés (inédites en Blu-ray et présentées dans des versions restaurées HD) qui réunissent suspense, érotisme et polar, trois ingrédients indispensables au giallo, ce genre cinématographique éminemment italien qui a connu son âge d’or des années soixante aux années 80. Deux films qui lorgnent aussi vers le slasher et des classiques de l’angoisse comme Le voyeur de Michael Powell ou Body double de Brian de Palma et dans lesquels le metteur en scène de La maison de la terreur (1983) fait preuve d’une maîtrise des codes du genre, à travers des scènes de meurtres à la perversité ludique et souvent virtuose, glissant parfois vers le surréalisme.. Dans Delirium (Le foto di Gioia en version originale), réalisé en 1987, Lamberto Bava met en scène Gloria (Serena Grandi, vedette du cinéma érotique italien des années 80) un ancien mannequin qui a hérité de la fortune de son défunt mari et notamment d’un célèbre magazine de charme qui suscite bien des convoitises. Aussi Gloria se sent-elle naturellement visée lorsque ses collaborateurs commencent à tomber comme des mouches sous les coups d’un tueur en série à l’humour grinçant, qui ne tarde pas à lui envoyer des photos des cadavres de ses victimes, associées à ses propres clichés dénudés de jeunesse… Avec Body Puzzle (1992), le cinéaste raconte comment un meurtrier psychopathe tue et mutile ses victimes en les découpant en morceaux. Les différentes parties du corps sont retrouvées au domicile de Tracy, une jeune et belle veuve (Joanna Pacula), incapable d’expliquer ce qui la lie à ces meurtres. Pour élucider cette série de meurtres sans lien apparent, le chef de la police et la jeune femme vont devoir reconstituer le puzzle de ces organes secrètement livrés à domicile… Le coffret comprend deux suppléments : Chic et violent (22 mn) et Façon puzzle (21 mn), deux conversations inédites entre Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele, auteurs de Lamberto Bava, conteur-né : le frisson et l’émerveillement (Éd. Carlotta). Dans le premier, ils évoquent comment Bava envisage Delirium sous l’angle du film érotique télévisuel des années 1980 tout en conservant la brutalité et l’aspect surréaliste du cinéma des années 1970. Dans le second, ils observent comment Body Puzzle est rattrapé par tout un pan du cinéma angoissant et ambigu des années 1980 avec un sentiment de mal-être généralisé et l’impression que le film est tiré vers le fond. (Carlotta)
LA BELLE DE GAZA
Alors qu’elle tourne, en 2018, M, un documentaire qui lève le voile sur la pédophilie dans les milieux orthodoxes juifs en Israël, Yolande Zauberman a l’occasion de se confronter, dans la rue Hatnufa à Tel Aviv, à l’univers des femmes transexuelles. Elle voit notamment des femmes qui prennent la fuite. « Elles étaient une vision fugace dans la nuit, observe la cinéaste. On m’a dit que l’une d’entre elles était venue à pied de Gaza à Tel-Aviv. Dans ma tête je l’ai appelée La Belle de Gaza. » Et Yolande Zauberman ajoute : « Tout ce que veulent ces femmes, c’est devenir elles-mêmes. C’est ce qu’on désire tous. Elles ont une hallucinante intelligence de la vie. » Voici une impressionnante et captivante plongée dans un monde méconnu dont le décor nocturne est celui des rues de Tel Aviv à travers le regard d’une cinéaste complètement habitée par son sujet. Filmé avant le début de la guerre entre Israël et le Hamas, La belle de Gaza entremêle les vies très diverses et souvent tragiques de plusieurs femmes trans, dont certaines sont prostituées. Ainsi Israela, venue d’un milieu juif orthodoxe, explique ses trois ans de mariage avec un rabbin qui ne savait pas qu’elle était transgenre. Quand elle décide de le quitter, elle lui permet de voir ses papiers, il lui accorde immédiatement l’acte de divorce. Venue des territoires palestiniens, Danielle a été kidnappée par des hommes de son ancien village pour la punir. Elle a survécu mais sa mère lui a dit : « Je regrette qu’ils ne t’aient pas tuée ». À l’inverse, l’Israélienne Talleen Abu Hanna, élue Miss Trans Israel en 2016, se sent acceptée et exprime sa gratitude à l’égard de son pays. Dans un documentaire sur la transidentité conçu comme une œuvre d’art, voici de beaux portraits sensibles et touchants. (Pyramide)
TRILOGIE DE LA VENGEANCE
Scénariste, critique de cinéma, homme politique, producteur de cinéma et metteur en scène, le Sud-coréen Park Chan-wook connaît la réussite en 2000 avec Joint Security Area qui deviendra, avec cinq millions de spectateurs, le deuxième plus gros succès de l’histoire du cinéma coréen. Ce succès lui permet de revenir à un projet ancien, celui d’une trilogie de la vengeance. Il l’entame, en 2002 avec Sympathy for Mister Vengeance, un drame violent et noir très controversé mais soutenu par de nombreux festivals internationaux. Ryu est un sourd-muet qui travaille dur pour aider sa sœur, gravement malade. Il a bien tenté de donner un rein pour effectuer la greffe qui pourrait la sauver mais il n’est pas donneur compatible. Pire, leurs moyens, déjà maigres, se réduisent encore quand il est soudainement licencié. Ryu contacte alors des criminels spécialisés dans le trafic d’organes. Las, il va se faire flouer… En 2003, le cinéaste enchaîne avec Old Boy (Grand prix du jury en 2004 à Cannes) qui raconte l’aventure d’Oh Dae-su enlevé et séquestré dans une pièce, sans savoir par qui ni pourquoi, avec pour seul lien avec l’extérieur une télévision, par laquelle il apprend que sa femme a été assassinée, qu’il est le principal suspect du meurtre et que sa fille a été confiée à des parents adoptifs. Relâché quinze ans plus tard, toujours sans explication, Oh Dae-su va se lancer dans une enquête hallucinée et sauvage pour comprendre… Park Chan-wook achève sa trilogie en 2005 avec Lady Vengeance. Injustement accusée du kidnapping et du meurtre d’un enfant, la jeune Lee Geum-ja se retrouve incarcérée dans une prison pour femmes et y prépare une vengeance envers le vrai coupable. Les trois films sont présentés dans un coffret et une belle édition limitée enrichie de plus de douze heures de suppléments, ainsi que le storyboard d’Old Boy et un livret avec une interview exclusive du cinéaste. (Metropolitan)
LES RIVIERES POURPRES
Légende vivante de la police française, le commissaire Pierre Niémans se rend dans la ville universitaire de Guernon, afin d’enquêter sur le meurtre du bibliothécaire de la faculté locale, dont le corps a été retrouvé dans la montagne, suspendu dans le vide et sauvagement mutilé. Dans la petite ville de Sarzac, à environ deux cents kilomètres de Guernon, le jeune lieutenant Max Kerkérian enquête quant à lui sur la profanation de la tombe d’une certaine Judith Hérault, morte dans un accident de la circulation en 1982, à l’âge de 10 ans. À Guernon, Niémans découvre un second cadavre, qui porte les mêmes traces de mutilation que la première victime. Il n’est autre que le suspect recherché par Kerkérian… En 2000, Mathieu Kassovitz adapte le roman éponyme de Jean-Christophe Grangé pour signer un polar mâtiné de fantastique dont le climat constamment sous tension distille un vrai malaise. Au fil de l’enquête que les deux flics (Jean Reno et Vincent Cassel) vont mener ensemble, on découvre ce qui se passe dans l’étrange université de Guernon. L’établissement sert à créer une nouvelle race humaine en sélectionnant des couples vigoureux et intellectuels parmi les étudiants. Cette sélection des unions implique cependant une consanguinité qui nécessite d’échanger les nouveau-nés malades ou handicapés avec des enfants bien portants nés au sein de la maternité de l’université. Voici un thriller français bourré de rebondissements et servi par une mise en scène efficace qui joue habilement des codes du genre avec la pluie, la nuit, le suspense et l’action. On songe parfois au Seven de Fincher et malgré quelques faiblesses dans le scénario, on se prend largement au jeu. Le film sort, en édition limitée et en Blu-ray 4K UltraHD. (Gaumont)
BOY KILLS WORLD
Le jeune Boy vit avec sa mère et sa sœur cadette Mina dans une ville dirigée par la famille Van Der Koy. Une fois par an, la cheffe de cette famille, Hilda, fait rassembler douze personnes de la ville pour participer à The Culling. Ces douze personnes sélectionnées sont ensuite tuées en direct à la télévision. Boy, Mina et leur mère font partie des gens choisis. Seul survivant, Boy est laissé pour mort. Il s’échappe dans la jungle et est recueilli par un mystérieux chaman qui va l’entraîner à réprimer son imagination enfantine et à devenir plutôt un instrument de la mort. Des années plus tard, devenu sourd et muet mais toujours animé par la volonté de se venger, Boy retourne en ville et tombe sur Glen et Gideon Van Der Koy qui rassemblent les victimes pour l’abattage de l’année. Dans sa quête de vengeance, Boy qui a constamment des visions de Mina, va se lier d’amitié avec un certain Basho… Le cinéaste Moritz Mohr puise allègrement dans le registre très défoulatoire des comics et des jeux vidéo pour construire une intrigue parfois cartoonesque fondée sur la vengeance d’un gaillard qui, comme dans un jeu, va éliminer un à un les membres des Van Der Koy pour finir par le sommet de cette horrible famille d’affreux. Boy Kills World doit beaucoup au comédien suédois Bill Skarsgård (qu’on verra prochainement au cinéma en comte Orlok dans un nouveau Nosferatu) épatant dans sa manière d’incarner une innocence enfantine dans le corps d’un malabar aussi musclé que traumatisé. Du beau boulot qui s’achève en apothéose… (Metropolitan)
LES GUETTEURS
Mina est une Américaine (Dakota Fanning, révélée dans La guerre des mondes de Spielberg) travaillant dans une animalerie en Irlande. Ayant du mal à accepter la mort de sa mère, elle s’est séparée de sa sœur jumelle. Alors que son patron lui demande de lui livrer un oiseau précieux, un conure doré, sa voiture tombe en panne. Mina se retrouve alors bloquée dans une vaste forêt qui n’apparait sur aucune carte du monde. Après avoir entendu des bruits inhabituels ainsi que le cri d’une femme, elle court dans la forêt jusqu’à un bâtiment aux allures de bunker, surnommé « Le poulailler ». Elle y rencontre trois occupants, Kiara, Madeline et Daniel. Madeline dévoile à la nouvelle arrivante les règles de ce lieu très secret : chaque nuit, les habitants doivent se laisser observer par les mystérieux occupants de cette forêt. Ils ne peuvent pas les voir, mais eux regardent tout. Chez les Shyamalan, le cinéma est une affaire de famille. On connaît fort bien M. Night, le père, depuis Le sixième sens (1999), Incassable (2000) ou Signes (2002) On a vu tout récemment Saleka Shyamalan en pop-star dans Trap (2024) signé de son père. Avec The Watchers (en v.o.), c’est son autre fille, Ishana, qui signe sa première réalisation. Celle-ci réussit à créer une vraie atmosphère sur fond de monstres demeurant longtemps hors-champ et de grande forêt qui procure un solide sentiment de claustration. Un premier film plutôt réussi. (Warner)
FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX
Alors que le monde s’écroule, la jeune Furiosa est arrachée de la Terre Verte des Vuvalini et tombe entre les mains d’une grande horde de motards dirigée par Dementus, le seigneur de la guerre. En parcourant le Wasteland, ils tombent sur la Citadelle présidée par Immortan Joe. Alors que les deux tyrans se font la guerre pour la domination, Furiosa doit survivre à de nombreuses épreuves pour trouver le moyen de rentrer chez elle… Il est déjà loin le temps où Mel Gibson incarnait « Mad » Max Rockatansky, un policier devenu justicier en Australie dans un futur proche en plein effondrement sociétal. C’était en 1979 et George Miller signait le premier volet d’une franchise qui allait largement marquer les esprits tant en matière d’action que de science-fiction violente. Après un volet 2 en 1981 et un volet 3 en 1985 dans lequel Mel Gibson est Mad Max pour la dernière, il faudra attendre trente ans pour renouer avec la saga. Et de quelle manière ! Mad Max Fury Road (2015) devient rapidement l’objet d’un véritable culte en matière de cinéma d’action. Toujours aux manettes, George Miller remet le couvert, pour une cinquième fois, en centrant son film sur Furiosa. Incarné par Charlize Théron, le personnage est repris, ici, par Anya Taylor-Joy. Mais le cinéaste australien qui se refuse à jouer la carte du remake, n’a rien perdu de sa verve lorsqu’il orchestre ces « standards » virevoltants que sont l’assaut d’un convoi ou le ballet des engins volants. Certes, le récit, contraint par les « obligations » de la saga, ne tient pas toujours complètement la rampe mais, au total, ce Furiosa (dans lequel Charlize Théron vient même faire une apparition) est quand même du beau travail qui en met plein les yeux au spectateur. (Warner)
IL ETAIT UNE FOIS, CES DROLES D’OBJETS
Voici, avec les volumes 5 et 6, une nouvelle saison de la série d’animation Il était une fois… qui parvient à mêler la richesse et la justesse de l’information scientifique avec le ton agréablement humoristique caractéristique, depuis les débuts, de ce programme. Une série qui s’adapte aussi à notre époque en évoquant l’environnement, le respect des autres, la place de la femme ou l’inclusion pour sensibiliser les enfants aux valeurs humanistes et écologistes. Depuis plus de quarante-cinq ans, Maestro, grand sage à la barbe abondante, fait voyager les petits et les grands dans l’Histoire. Il dévoile, désormais, les histoires passionnantes qui se cachent derrière les objets du quotidien, pour apprendre en s’amusant. Qu’il s’agisse de l’automobile, du téléphone, du thermomètre, du télescope, de la caméra ou encore de l’ordinateur. Chaque épisode d’Il était une fois… ces drôles d’objets est consacré à un objet du quotidien, de ceux qui existent depuis des centaines d’années aux plus récents. Tous les thèmes abordés -la technologie, la maison, l’école, le sport, les moyens de transport- sont prétexte à éveiller la curiosité des enfants et à leur permettre d’apprendre en s’amusant ! (Arte éditions)
BREATHE
Depuis que notre planète a été rendue inhabitable par manque d’oxygène, Maya et sa fille sont obligées, depuis des années, de vivre recluses sous terre. Seuls de brefs voyages à la surface restent possibles grâce à une combinaison à oxygène ultramoderne fabriquée par Darius, le mari de Maya, qu’elle présume mort. Lorsqu’un mystérieux couple arrive, prétendant connaître Darius, Maya accepte de les laisser entrer dans leur bunker, mais sont-ils vraiment ce qu’ils semblent être ? Dans un futur proche, le réchauffement de la planète a carrément privé la Terre de son oxygène et forcément les humains sont confrontés à une existence… sans respirer. Sinon à se réfugier dans un bunker pourvoyeur d’oxygène. Deuxième film de science-fiction signé par Stefon Bristol, après See You Yesterday (2019), Breathe mêle le survival post-apocalyptique avec le drame familial. Si le scénario ne réserve guère de surprise, Sam Worthington, Jennifer Hudson et Milla Jovovich font le job dans cette petite série B pas déplaisante. (M6)
BRICKLAYER
Quelqu’un fait chanter la CIA en assassinant des journalistes étrangers et en donnant l’impression que l’agence américaine est responsable de ces crimes. La CIA reprend alors contact avec Steve Vail, un ancien de la maison qui officie désormais comme maçon à Chicago et passe son temps libre à écouter du jazz. Sans surprise, Vail va accepter de rempiler. A lui de localiser et de démanteler un groupe de criminels rançonneurs. Le scénario n’est pas fameux et compile les plus gros clichés du genre. Aaron Eckart se glisse dans un personnage qui aurait pu aussi bien être tenu par Gerard Butler, Nicolas Cage ou même Steven Seagal. Le plus surprenant, c’est que le film porte la signature de Renny Harlin qui donna quand même 58 minutes pour vivre (1990), Cliffhanger (1993) ou Au revoir à jamais (1996) qui s ‘y entendaient en matière de rythme et d’action. Mais le cinéaste américano-finlandais semble avoir perdu la main. Une petite série B d’espionnage et de géopolitique. (Metropolitan)
LES BODIN’S ENQUETENT EN CORSE
De Pouziou les Trois Galoches à l’île de Beauté, il n’y a qu’un pas… Investi d’un pouvoir surnaturel transmis par le fantôme de son père, Christian voit s’accomplir un futur meurtre dans un rêve prémonitoire. Un certain Pasqualini, producteur de clémentines dans la région d’Aléria, sera assassiné dans sept jours. Mais comment interpeller le meurtrier d’un mort-qui-n’est-pas-mort ? « Le polar est un genre qui plaît beaucoup au public. Là encore, un terrain inexploré par nos deux héros, qui s’est révélé être un formidable catalyseur de comédie », explique la productrice Clémentine Dabadie qui ajoute : « Si l’intrigue policière est solide, elle reste surtout un prétexte pour que les Bodin’s restent les Bodin’s, avec leur fantaisie, leurs codes et leur manière unique d’être au plus près des gens ». Grâce au bon sens légendaire et au caractère tyrannique de Maria (Vincent Dubois), prête à emmerder tous les Corses pour en sauver un et aux rares éclairs de génie de son grand benêt de fils Christian (Jean-Christian Fraiscinet), voici une aventure insulaire qui ravira les fans des Bodin’s. Et tant mieux s’il leur faut au passage s’imprégner des mœurs locales, se déguiser en bandit, s’essayer aux polyphonies corses ou forcer Christian à manger du brocciu… (M6)
LA CREATURE, LE MAQUISARD ET LE GAMIN DES RUES DE SAO PAULO
LE GOLEM
À Prague, au XVIe siècle, l’empereur Rodolphe II cantonne les Juifs dans des ghettos pendant qu’il se complait dans la ville avec sa cour. Philosophe et magicien, le rabbin Löw, qui a vu dans les étoiles, l’annonce d’un grand danger pour les Juifs, donne vie au Golem, une colossale statue de glaise dans laquelle il place le précieux « mot de vie », le tétragramme sacré du nom de Dieu. Grâce à lui, il obtient de l’Empereur que les Juifs ne soient pas chassés de la ville. Mais le Golem se révolte contre son créateur. Le mythe du Golem, mis en scène par Paul Wegener et Carl Boese dans les studios de l’UFA à Berlin, est tiré d’une légende juive du XVIe siècle, dans laquelle une créature d’argile prenait vie pour protéger les Juifs qui vivaient dans les ghettos de Prague. Un peuple alors sous la menace d’un décret de l’empereur autrichien Rodolphe II : « Nous n’ignorerons pas plus longtemps les accusations qui pèsent sur les Juifs, eux, qui ont crucifié notre seigneur, ignorent les fêtes chrétiennes, convoitent les biens de leurs concitoyens et pratiquent la magie noire et donnons ordre que la communauté juive ait quitté son quartier appelé ghetto avant la nouvelle lune. » Paul Wegener (1874-1948) qui avait déjà adapté au cinéma Le Golem en 1915 (une version disparue), revient en 1920 à cette histoire fantastique qui n’est pas sans faire écho, à travers la question centrale de la création par l’homme d’une créature qui in fine échappera à son créateur, au fameux Frankenstein (1931) de James Whale. Mais ce qui fait entrer Der Golem : Wie er in die Welt kam (titre original) dans la légende du 7e art, c’est moins son récit, somme toute classique, que son univers graphique qui en fait, avec Le cabinet du docteur Caligari de Paul Wiene, sorti la même année, l’un des premiers chefs d’oeuvre du cinéma expressionniste allemand. Wegener (qui prête ses traits au personnage du Golem) a imaginé une ville comme un labyrinthe étrange avec ses ruelles étroites et tortueuses, ses escaliers en colimaçon, ses maisons aux formes étranges, biscornues, tout en hauteur et coiffées de toits pointus. Quant à la séquence où le rabbin Löw expose à l’empereur une vision de l’exil à Babylone, elle rappelle les effets spéciaux utilisés de manière récurrente chez Georges Méliès. Le Golem est présenté avec trois accompagnements musicaux : Admir Shkurtaj et Mesimer Ensemble, une musique composée pour un orchestre de chambre, jouée lors de la présentation de la restauration à la Mostra de Venise 2023, puis enregistrée en studio; la bande son électronique composée par l’artiste polonais Wudec et le solo de piano interprété par Stephen Horne, l’un des accompagnateurs de films muets les plus connus en Angleterre… Dans les suppléments, Les légendes du Golem par Ada Ackerman, chercheuse au CNRS et Du Golem à l’homme-machine par Michel Faucheux, historien des idées. (Potemkine)
LE FRANC-TIREUR
En juillet 1944, alors que les Alliés ont débarqué depuis plus d’un mois en Normandie, les Nazis, malgré la débâcle, n’ont pas rendu les armes. Le 21 juillet, ils décident de se débarrasser des maquisards qui tiennent toujours un massif du Vercors réputé imprenable… Ce même 21 juillet, Michel Perrrat s’est réfugié chez sa grand-mère dans le petit village de Vassieux. Ce fils d’un collabo grenoblois pense ainsi tranquillement attendre la fin de la guerre. Mais il en ira autrement puisque les Allemands qui ont envahi le plateau, se livrent à de terribles exactions. La grand-mère de Perrat est tuée tout comme les habitants du bourg. Le jeune homme ne doit son salut qu’à la fuite. Dans la montagne, il croise un groupe de maquisards conduit par un ex-lieutenant des Chasseurs alpins. Perrat n’a guère d’autre choix que se joindre à eux. En exergue du film, figure une citation du général de Gaulle : « La France n’a pas besoin de vérité, elle a besoin d’espoir » suivie d’une mention rappelant que Le franc-tireur a été interdit pendant trente ans par le pouvoir gaulliste. C’est une étonnante aventure que celle de Jean-Max Causse et Roger Taverne, deux amis cinéphiles passionnés (le premier fut distributeur et exploitant des cinémas Action à Paris). En effet, ils tournèrent, durant l’été 1972 dans les superbes paysages du Vercors, ce western français qui ne sortira, dans une petite poignée de salles, que trente années plus tard ! La faute, sans doute, à des problèmes de production et de moyens financiers mais certainement aussi au propos jugé trop anti-gaulliste et surtout ternissant l’image héroïque des maquisards et des résistants. Avec un personnage principal d'(anti)héros… fils de collabo (Philippe Léotard dans son premier grand rôle), Le franc-tireur présente en effet une brochette disparate de braves types, pauvrement armés, qui cavalent dans tous les sens à travers les vastes espaces du plateau, tentant de sauver leur peau en affrontant, ici ou là, des escouades nazies avant de se retrouver à attendre dans des fermes ou des bergeries. Rien, évidemment, de très glorieux, sinon que quasiment tous tomberont sous les balles ennemies. Pour autant, le film n’apparaît pas, aujourd’hui, comme hostile aux maquisards. Simplement, à l’heure où le duo de cinéastes mit en scène son unique film, « il n’était pas, disait Causse, à l’image qu’il convenait de donner de la Résistance. L’image d’Épinal pour histoire officielle a longtemps prévalu, ignorant le hasard et la complexité des êtres et des circonstances. » L’objectif des auteurs, nourris du cinéma américain de l’âge d’or, était de montrer, comme chez Ford ou Mann, un groupe de personnages réunis par le hasard pour affronter un destin commun… Intéressante occasion de retrouver ou plus probablement de découvrir, dans un combo DVD Blu-ray, ce film beau et rare. (Extralucid Films)
PIXOTE, LA LOI DU PLUS FAIBLE
Livrée à la misère, une bande de gamins erre dans les rues de São Paulo, multipliant les petits larcins. Jusqu’au jour où la police débarque pour effectuer une vaste rafle. Embarqués, Pixote et ses amis sont incarcérés dans un centre de redressement. Mais la première nuit s’avère encore plus cauchemardesque que la rue elle-même. La drogue, les bagarres, voire le meurtre de sang-froid font désormais partie de son quotidien. Le viol d’un des camarades d’infortune du gamin constitue le début d’une longue suite de brimades… En guise de prélude, entre fiction et documentaire, un journaliste (joué par Babenco lui-même) évoque la condition du mineur au Brésil. Environ 3 millions d’enfants n’auraient ni maison ni foyer, en plus de ne pas connaître leurs familles. Sur cet amer constat, le cinéaste tire l’essence dramatique de son film, l’enfance déshéritée, sans lendemain, sans rien, l’embrigadement au sein de gangs les utilisant à moindre coût et sans risques légaux. En 1981, Hector Babenco (1946-2016) est remarqué pour son troisième long-métrage, portrait réaliste et dramatique d’une jeunesse sans avenir trouvant refuge, sur fond de disette, dans la drogue, le sexe et la délinquance. Avec cette œuvre bouleversante mais dépourvue de voyeurisme ni concessions puritaines, le cinéaste brésilien signe le film le plus impressionnant et le plus maîtrisé sur le tiers-monde des enfants et des adolescents depuis Luis Bunuel et Los Olvidados. Une impressionnante descente dans les bas-fonds brésiliens si réaliste qu’elle semble documentaire avant que le film glisse vers un émouvant mélodrame porté par le jeune et remarquable acteur non professionnel Fernando Ramos da Silva dont l’existence marginale s’achèvera tragiquement puisque le jeune homme sera abattu, en 1987, par la police militaire dans des circonstances troubles. Disponible pour la première fois en Blu-ray et dans une restauration 4K, Pixote, littéralement « petit gosse », aura une influence majeure sur le bouleversant La Cité de Dieu (2002) de Fernando Meirelles et Katia Lund mais aussi sur de nombreux cinéastes comme Spike Lee, Harmony Korine ou les frères Safdie. (Carlotta)
JUSQU’AU BOUT DU MONDE
Dans l’Ouest américain des années 1860, l’aventure est partout. Le danger aussi. Jeune femme résolument indépendante, Vivienne Le Coudy fait la rencontre, sur le port de San Francisco, d’Holger Olsen, un immigré d’origine danoise. Elle choisit de quitter son Québec natal pour le suivre dans le Nevada et vivre avec lui. Mais lorsque la guerre de Sécession éclate, Olsen, qui fut un soldat exemplaire, ne conçoit pas de ne pas s’engager au côté de l’Union pour défendre sa patrie. Restée seule dans sa petite maison, Vivienne cherche du travail. Elle en trouve au saloon de la ville voisine. Mais elle va devoir faire face à Schiller, le maire corrompu, à Jeffries, un important propriétaire terrien et surtout à Weston, gaillard brutal et imprévisible, qui la presse d’avances plus qu’insistantes. Quand Olsen rentre du front, il découvre un petit garçon au côté de Vivienne. Désormais, ils vont devoir réapprendre à se connaître pour s’accepter tels qu’ils sont devenus… Après l’émouvant Falling (2020), drame familial inspiré par la disparition de sa mère, Viggo Mortensen revient derrière la caméra avec ce western aux accents fortement contemplatifs dans lequel on retrouve les grands espaces, les cascades, les chemins poussiéreux, les chevaux fidèles, le saloon et son pianiste, la Cour martiale et sa justice expéditive, une pendaison, des injustices, du racisme envers les Mexicains malmenés… Mais le film est aussi un beau portrait de femme. Dans la mythologie westernienne, la femme occupe une place réduite. Souvent mère anxieuse, volontiers femme fatale ou entraîneuse de saloon. Ici, le comédien américano-danois, tout en adoptant les codes esthétiques du western classique, a réussi, avec le personnage de Vivienne, à dessiner une femme résolument indépendante et moderne qui refuse de se plier aux conventions sociales de son époque et connaîtra le pire dans un monde d’hommes traversé par la tension entre désir, vengeance et pardon. Découverte sur le plan international grâce à Phantom Thread (2017), Vicky Krieps est remarquable de sensibilité dans le rôle de Vivienne. Pour sa part, Mortensen incarne un Olsen taiseux et toujours à l’écoute de la femme qu’il aime… C’est lent, calme et doux (avec évidemment des éclairs de violence) et c’est aussi beau, romanesque et infiniment romantique. (Metropolitan)
WORLD CINEMA PROJECT
Créé par Martin Scorsese en 2007, le World Cinema Project a restauré plusieurs dizaines de chefs-d’œuvre du monde entier, permettant aux cinéphiles de découvrir des pans souvent méconnus de l’histoire du 7e art. Portant les visages et les paroles de sociétés dont les films sont trop rarement diffusés, de l’Asie centrale à l’Amérique du Sud en passant par l’Afrique, voici un coffret (six disques) qui regroupe huit classiques du patrimoine mondial qui sont autant de propositions libres, poétiques et résolument différentes, présentées pour la première en Blu-ray. Les révoltés d’Alvarado (Mexique, 1936) de Fred Zinnemann & Emilio Gómez Muriel évoque le drame de pêcheurs exploités. Prisonniers de la terre (Argentine, 1939) de Mario Soffici plonge dans l’Argentine de 1915 où les ouvriers agricoles saisonniers sont sous-payés. La loi de la frontière (Turquie, 1966) de Lütfi Ö. Akad suit les aventures d’un villageois qui tente de trouver, à ses risques et périls, des pâturages pour ses moutons. La femme au couteau (Côte d’Ivoire, 1969) de Timité Bassori raconte la parcours d’un jeune intellectuel ivoirien tiraillé entre ses idées modernistes et les traditions ancestrales de son pays. Huit coups mortels (Finlande, 1972) de Mikko Niskanen met en scène Pasi qui, dans une Finlande rurale, se bagarre pour donner une vie décente à sa famille. Comme il se précarise, il décide de se lancer dans la distillation clandestine… Muna Moto (Cameroun, 1975) de Jean-Pierre Dikongué-Pipa suit Ngando et Ndomé qui s’aiment et veulent se marier. Comme il n’arrive pas à réunir la dot, Ngando demande l’aide son oncle. Déjà flanqué de quatre épouses mais sans enfant, l’oncle décide d’épouser Ndomé pour qu’elle lui donne une descendance. Transes (Maroc, 1981) d’Ahmed El Maanouni est l’histoire de Nass El Ghiwane, un groupe de musiciens formé dans les années 70 au cour d’un quartier pauvre de Casablanca. L’explosion musicale déclenchée par le groupe met les foules en transe. La flûte de roseau (Kazakhstan, 1989) d’Ermek Shinarbaev traite de la vengeance à travers l’histoire, en 1915, dans la campagne coréenne, d’un instituteur, pris de rage, qui assassine une élève, fille d’un vieux paysan qui lui avait refusé l’hospitalité… Dans les suppléments, on trouve des introductions de Martin Scorsese, Paul Strand et Les révoltés d’Alvarado, Transes, c’est toute une histoire… et un document (30 mn) sur La force de la poésie. (Carlotta)
LA PROMESSE VERTE
Pour tenter de sauver son fils Martin injustement condamné à mort en Indonésie, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d’huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels. Avec son second long-métrage qui arrive après l’imposant succès de Au nom de la terre qui avait réuni, en 2019, près de deux millions de spectateurs dans les salles, le réalisateur-documentariste Edouard Bergeon reste, comme il le dit lui-même, « les pieds dans la terre ». Mais cette fois, il s’éloigne de la Mayenne où il avait tourné Au nom… pour ancrer son récit en Indonésie et se pencher sur le problème de l’huile de palme, « incroyable manne financière, dit-il, pour les industriels, aussi bien pour les pays producteurs que pour les importateurs. Le marché est tellement important que la plupart des dirigeants politiques ferment les yeux sur ses conséquences. L’huile de palme en Asie du Sud-Est représente en effet une grosse partie du PIB des pays producteurs et génère un grand nombre d’emplois. Et pour le consommateur qu’importe qu’à l’autre bout de la planète, on abatte des forêts primaires à la biodiversité inestimable, qui soit dit en passant ne repousseront jamais ! » Ici, les préoccupations du cinéaste -qui signe une fiction- sont bien présentes avec un combat de David contre Goliath, celui d’une femme et de son fils contre les gouvernements corrompus et les multinationales véreuses. Martin Landreau (Félix Moati) travaille sur une thèse sur la déforestation et fait un stage dans une ONG humanitaire. Muni de son appareil photo, il est témoin de heurts violents entre les habitants du village et une milice paramilitaire ayant pour rôle d’intimider les locaux. Comme Martin a pris une vidéo compromettante de pressions violentes envers les autochtones, l’étudiant est rapidement arrêté alors qu’il tentait de fuir à l’étranger. Accusé à tort de trafic de drogue, il se retrouve malgré lui au cœur d’un procès médiatique et politique qui dépasse largement son cas. Le cinéaste s’intéresse alors à Carole Landreau, prof d’anglais en lycée et mère de Martin (Alexandra Lamy, très engagée dans le projet) qui, confrontée à l’injustice, va se battre pour faire éclater la vérité et libérer son fils. Un thriller écologique qui dénonce en filigrane l’hypocrisie des biocarburants. (Diaphana)
CHALLENGERS
Encore adolescents, Patrick Zweig et Art Donaldson étaient déjà des pointures de la petite balle jaune. Sur les courts, ils frappaient tous les deux comme des sourds et s’affrontaient au petit jeu de celui qui serait le meilleur. Sur le circuit, tous les deux vont tomber sous le charme de Tashi Duncan, la plus talentueuse joueuse de sa génération. Leur existence bascule lorsque les deux se retrouvent sur le même lit que la gracieuse Tashi. Les trois vont rapidement échanger des baisers passionnés et se laisser emporter par un puissant désir… A la suite d’une grave blessure au genou, Tashi Duncan renonce à la compétition pour devenir coach. Elle va se consacrer à la carrière d’Art, devenu son mari et le père de sa fille, le faisant passer de joueur moyen à champion de Grand Chelem. Pour le sortir d’une récente série de défaites, elle le fait participer à un tournoi « Challenger » où il se retrouve face à Patrick… Une abondance de souvenirs se réveille instantanément. Si l’on en croit Luca Guadagnino, la force de caractère d’un individu dégage une puissance magnétique et charismatique. Quand elle se manifeste dans la manière dont les gens se consacrent à leur passion, à leur art, à leur vocation, elle peut même se révéler aphrodisiaque ! Remarqué pour A Bigger Splash en 2015 et Call Me by Your Name en 2017, le cinéaste italien signe une aventure où le tennis se mêle au sexe et à l’amour. Manifestement, Guadagnino a décidé d’en mettre plein la vue au spectateur, du genre : Vous allez voir ce dont je suis capable ! Les matches de tennis sont donc l’occasion de contre-plongées et de balles frappées puissamment qui foncent quasiment dans l’oeil du public. Comme la narration (le récit se déroule entre le début des années 2000 et 2019) n’est pas linéaire, on saute d’avant en arrière et d’arrière en avant au point de perdre un peu la notion du temps tout en ne cessant de constater que les rapports entre les trois protagonistes ne sont pas simples. Art aime-t-il toujours sa femme ? Patrick n’a-t-il jamais cessé de désirer Tashi ? Et comment Tashi fait-elle pour continuer à jongler entre les deux amants de ses 18 ans ? Interprète de Riff dans le West Side Story (2021) de Steven Spielberg, l’Américain Mike Faist incarne Art Donaldson face à Patrick Zweig joué par le Britannique Josh O’Connor qui tint le rôle du prince héritier Charles d’Angleterre dans la série The Crown. Mais Challengers est fait sur mesure pour la coruscante Zendaya, la nouvelle coqueluche afro-américaine d’Hollywood. Sa Tashi est une femme ambitieuse, forte, féroce, intransigeante et animée par un puissant esprit de compétition… (Warner)
UN HOMME EN FUITE
Dans les Ardennes, la fermeture prochaine de la principale usine de Rochebrune crée des tensions sociales. Les ouvriers sont soutenus dans leur grève par un marginal, Johnny Laforge, récemment sorti de sept années de prison pour avoir tiré sur son ancien patron. Pour les aider financièrement, Johnny se décide à braquer un fourgon bancaire. L’attaque à main armée se solde par la mort d’un des deux convoyeurs. Johnny et l’argent ont disparu. Ce fait divers médiatisé provoque le retour sur place de Paul Ligre, ami d’enfance de Johnny, devenu écrivain, qu’il n’a plus vu depuis quinze ans. Entre lui et Anna Werner, la gendarme chargée de l’enquête, également originaire de Rochebrune, une course pour être le premier à mettre la main sur Johnny s’engage. Dans le décor d’une ville du Nord en plein chaos, Baptiste Debraux réussit un thriller intense sur fond de tensions sociales et de lutte ouvrière. Haletant du début à la fin grâce à une intrigue finement construite et des flashbacks judicieux, ce film raconte une histoire d’amitié poignante, lourde de secrets entre un fils de la bourgeoisie locale et un garçon élevé dans un milieu très défavorisé. Polar à la mise en scène soignée, Un homme en fuite joue sur une ambiance visuelle glaciale, sublimée par l’excellente bande-son concoctée par Feu! Chatterton. Dans cette atmosphère à la fois pesante et mystérieuse, presque onirique lorsqu’il s’agit de souvenirs d’enfance, jusqu’au final explosif, on trouve de remarquables comédiens avec, en frères de sang, Bastien Bouillon (La guerre est déclarée, Seules les bêtes ou La nuit du 12) dans le rôle de Paul Ligre et Pierre Lottin, découvert dans Les Tuche mais qui impose de plus en plus souvent dans ses apparitions au cinéma une présence magnétique, voire inquiétante. A leurs côtés Léa Drucker incarne une enquêtrice en proie aux doutes et à l’introspection. Un bon polar social avec, en supplément, un entretien avec le réalisateur. (Blaq Out)
THEY SHOT THE PIANO PLAYER
Un journaliste de musique new-yorkais mène l’enquête sur la disparition, à la veille du coup d’État en Argentine, de Francisco Tenório Jr, pianiste brésilien virtuose (1941-1976), véritable génie de la bossa nova qui sera victime de l’opération Condor, campagne d’assassinats et de lutte anti-guérilla conduite conjointement par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. On avait remarqué Javier Mariscal et Fernando Trueba en 2011 avec Chico et Rita, un dessin animé musical relatant les vies et l’histoire d’amour orageuse d’un pianiste et une chanteuse cubains, dans le milieu du jazz afro-cubain à La Havane et à New York au milieu du XXe siècle. Les deux artistes espagnols récidivent avec ce docudrame dessiné en forme d’« ode à la bossa nova » qui, tout en célébrant la musique, capture une période éphémère de liberté créatrice, à un tournant de l’histoire de l’Amérique Latine dans les années 60 et 70, juste avant que le continent ne tombe sous le joug des régimes totalitaires. Film d’un genre inédit, They shot the Piano Player se situe entre animation musicale et thriller documentaire politique. Cette enquête aussi captivante qu’un documentaire d’investigation plonge le spectateur au cœur d’un moment clé de l’histoire de la musique brésilienne, ainsi que dans les heures sombres de l’histoire sud-américaine, le tout conté par les plus grandes légendes du jazz et de la bossa nova. Grâce à son animation fluide, ses couleurs chaudes, sa musique sublime, et la voix de velours de Jeff Goldblum, le film recréé parfaitement l’effervescence artistique et musicale du Rio des années 1960 et 1970. L’enquête, basée sur des faits réels et de véritables interviews, est passionnante. Tout en dénonçant les travers des dictatures d’Amérique latine, le film permet de découvrir le destin tragique de Francisco Tenório Jr. Dans cette pépite de l’animation sur la véritable histoire de Tenorio, on croise Gilberto Gil, Caetano Veloso, Paulo Moura, Vinícius de Moraes, João Gilberto, Chico Buarque, João Donato, Edu Lobo, Roberto Menescal, Milton Nascimento, Bud Shank, Bebo Valdés, Eduardo Luis Duhalde, Jorge Gonzalez, Ferreira Gullar, Lupicínio Rodrigues, Toquinho ou Horacio Verbitsky. Une belle affiche ! (Blaq Out)
PETITES MAINS
Eva s’apprête à entrer dans le grand bain des palaces, celui qui ne laisse rien au hasard. Tout doit être parfait, de la chambre au grenier. Eva, que rien n’avait préparé à l’exigence d’un grand hôtel, va intégrer une équipe de femmes de chambres. Elle découvre que le bataillon compte de sacrées personnalités, parmi elles, Safietou, Djaoua, Violette et Simone. Entre rires et coups durs, la jeune femme se glisse dans une équipe soudée et solidaire face à l’adversité, une sororité attachante et des femmes qui répondent présents dans les moments de joies comme dans les moments difficiles. Lorsqu’un mouvement social bouscule la vie du palace, chacune de ces « petites mains » se retrouve face à ses choix. Après Placés (2022) qui se déroulait dans le monde de l’aide sociale à l’enfance, Nessim Chikhaoui signe, ici, son deuxième long-métrage dans lequel l’ancien éducateur poursuit dans le genre de la comédie sociale, en abordant la sous-traitance de la profession des femmes de chambres, un fléau répandu en Espagne, mais aussi en France mais également la réalité de l’invisibilisation des personnes faisant des métiers ingrats. « Socialement, dit le cinéaste, je trouvais important qu’une chambre puisse coûter dix fois le prix du salaire mensuel de ces femmes. Et cinématographiquement, le décalage entre la vie de ces employées et le faste d’un palace offrait des contrastes fascinants ». En suivant Eva (interprétée par Lucie Charles-Alfred) petite nouvelle que Simone, femme de chambre usée par les années de travail (Corinne Masiero), le cinéaste s’attache a montrer la sororité et aussi l’entraide qui règnent entre ces femmes, toutes très fortes, et cela malgré les univers d’où elles viennent. Un film généreux. (Le Pacte)
HEROICO
Au Mexique, Luis, 18 ans, s’enrôle comme cadet d’infanterie au Heroic Military College. Il espère atteindre le grade d’officier dont la paye pourra ainsi subvenir aux besoins de sa famille. L’école militaire, dissimulée dans les montagnes, est construite à partir d’énormes dalles de pierre et est entourée de statues érigées pour honorer les dieux aztèques. Un code de conduite très strict règne dans les lieux. Le programme combine l’entraînement militaire quotidien avec des rituels d’abus et d’humiliation. Lorsque Luis (le débutant Santiago Sandoval) attire l’attention du sadique sergent Sierra, il connaîtra de nouvelles leçons sur la cruauté et les crimes parascolaires. La sortie d’Heroico, deuxième long-métrage de David Zonana, a suscité une vive controverse au Mexique. De fait, le cinéaste mexicain n’y va pas avec le dos de la cuillère en montrant la manière dont sont traitées et formées les recrues de l’académie militaire du pays. On suit ainsi la descente désabusée dans la folie d’un jeune homme aux origines indigènes, aussi idéaliste que décidé à subvenir aux besoins de sa mère malade. Et prêt donc à encaisser le pire tout en laissant, dans des séquences fantastique, s’envoler son imaginaire. Inspiré par le Full Metal Jacket de Kubrick mais aussi par des faits réels, Zonana signe un film sec dans sa mise en scène et donne un récit qui n’épargne rien au spectateur des violences et des humiliations multiples subies par le jeune soldat. Une représentation, certes largement pamphlétaire, d’une armée gangrenée par la violence. (Blaq Out)
LES INTRUS
En chemin pour commencer une nouvelle vie dans le nord-ouest du Pacifique, Maya et son petit ami Ryan tombent en panne avec leur voiture du côté de la petite ville de Venus au coeur des forêts de l’Oregon. Contraint de passer la nuit dans un Airbnb isolé, le couple tombe sous la coupe de trois inconnus masqués qui les séquestrent du crépuscule à l’aube. La série The Strangers a débuté en 2008 avec le film du même titre avec Liv Tyler dans le principal rôle féminin avant de se poursuivre, dix ans plus tard, avec Les inconnus : proies nocturnes. Cette fois, sous la houlette de l’expérimenté Renny Harlin, connu pour Le cauchemar de Freddy, 58 minutes pour vivre ou Cliffhanger, on retourne dans une nuit d’horreur et ceux qui ont vu les deux premiers films, retrouveront les ingrédients de la série même si le réalisateur fait des méchants des psychopathes moins fantomatiques et plus présents à l’image face à un petit couple venus de la côte Est (Madelaine Petsch et Froy Guttierez) particulièrement étonnés de se retrouver dans un pays de gros rustauds. Mais ils vont avoir à frémir rudement. (Metropolitan)
LES PARAMEDICS, LE COMMISSAIRE-PRISEUR ET TOMÉ, LA REBELLE
BLACK FLIES
Dans la nuit, l’ambulance du FDNY fait virevolter du rouge et du blanc sur les murs de New York. Rut et Cross sont en route pour une intervention. La radio de bord a grésillé : « Blessures par balles »… Pour les paramedics, une nuit comme les autres. Ollie Cross est un rookie dans le metier. Ce débutant, qui vit en colocation à Chinatown, travaille comme ambulancier en attendant de pouvoir repasser ses examens de médecine… A ses côtés, il peut compter sur Gene Rutkovsky, le vétéran qui machouille éternellement un cure-dents. Rut est constamment amer et mal embouché mais il ne laisse pas Cross dans la panade quand il est sur le point de perdre un patient… Né à Paris en 1968, le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire vit à New York depuis 2009. Fasciné depuis toujours par Big Apple, le cinéaste signe, pour son troisième long-métrage de fiction, une adaptation du roman 911 (publié en 2008) de Shannon Burke, lui-même ambulancier dans le Harlem de l’épidémie de crack des années 1990. Pour le cinéaste français, relater l’enfer quotidien de deux ambulanciers new-yorkais était une aubaine pour explorer New York, parcourir ses artères, y capturer le monde et la réalité de l’époque, en situant l’action dans l’après-pandémie, une période durant laquelle les ambulanciers ont joué un rôle primordial. Avec le quotidien très chaotique de Ruth et Cross, New York est comme une ligne de front. De fait, les urgentistes du Fire Department sont au contact permanent de la misère sociale. Se côtoient aussi bien l’alcoolisme, la drogue, la guerre des gangs, les violences conjugales qu’un accouchement qui finira mal et entraînera les deux ambulanciers dans un funeste vertige. Tye Sheridan, découvert chez Malick dans The Tree of Life (2011) ou chez Spielberg dans Ready Player One (2018), incarne, avec un air buté, le jeune Ollie Cross, bouleversé voire torturé jusque dans son intimité amoureuse, par toute la détresse humaine. Cross devra s’interroger sur des choix cruciaux. Est-il bien nécessaire, se demande l’un de ses coéquipiers (Michael Pitts), de secourir des malheureux qui vous couvrent d’insultes et n’ont aucune volonté de trouver leur place dans la société ? Quant à Gene Rutkovsky, il est bien au-delà de ces questions. Traumatisé par ce qu’il a vécu en première ligne dans les attentats du 11 septembre, Rut a déjà rendu les armes. Sean Penn, le masque buriné et la démarche hésitante, est remarquable en type face à la désolation. (Metropolitan)
LE TABLEAU VOLÉ
Dans une riche demeure, un commissaire priseur est aux prises avec une rombière raciste… Une première séquence sans lien avec le coeur du film sinon qu’elle installe, de manière plutôt humoristique, le spectateur dans le quotidien du marché de l’art. Malgré son relatif jeune âge, André Masson est une pointure qui gravite avec aisance dans cet univers feutré, très bcbg mais où tous les coups sont permis, surtout quand il en va de millions d’euros. Un jour, Masson reçoit un appel d’une avocate qui l’informe qu’une toile d’Egon Schiele aurait été découverte à Mulhouse chez Keller, un jeune ouvrier. Experte genevoise et ex de Masson, Bertina tranche: « A 99 %, c’est un faux ». Sceptique, Masson rejoint Mulhouse avec Bertina. Sur place, Me Egerman prévient : « Ce sont des gens simples. Ils sont très inquiets… » Devant le grand Schiele aux tournesols (peint en 1914 d’après Van Gogh) les deux pros se rendent à l’évidence. Combien ? « 12… millions » estime Masson. La maman de Keller s’évanouit. Au départ du scénario de Pascal Bonitzer, il y a une histoire vraie, en l’occurrence la découverte, au début des années 2000, d’un tableau de Schiele dans le pavillon d’un jeune ouvrier chimiste de la banlieue de Mulhouse par un spécialiste d’art moderne d’une grande maison de vente internationale. Mais ce qui intéresse avant tout le cinéaste, c’est de plonger dans les arcanes du marché de l’art. Masson s’impose comme le fil conducteur d’un récit allègre sur le côté cynique du monde de l’argent. S’il apprécie la beauté du Schiele, ce qui intéresse Masson, c’est sa valeur monétaire et marchande. Bonitzer donne le bon rythme à cette mini-saga de l’art et de l’argent et il s’amuse à dessiner d’intéressants personnages avec Masson (Alex Lutz) brutal, froid et fragile, Léa Drucker (Bertina), Nora Hamzawi (Me Egerman) ou Aurore, la fantasque stagiaire de Masson incarnée par Louise Chevillotte… Pour le reste, on ignore actuellement, dans quelle collection se trouve le Schiele… (Pyramide)
CONFIDENTIEL MARCHE SEXUEL DES FILLES
Prostituée de dix-neuf ans au caractère bien trempé, Tomé vend ses charmes à Naniwa, l’un des quartiers pauvres d’Osaka. Dans un petit appartement étriqué où la promiscuité est totale, elle vit avec sa mère, qui exerce la même profession qu’elle et qui devient donc une rivale sur le marché des amours tarifés. Tomé chérit Sanéo, son frère handicapé mental, seul être qui compte réellement à ses yeux et auquel elle tente de donner du plaisir. Afin de ne dépendre de personne, Tomé décide de travailler à son compte. Elle va devoir faire face aux menaces des souteneurs et de la concurrence… Comme son titre français en atteste, le film réalisé en 1974 par le Japonais Noboru Tanaka s’inscrit dans le pinku eiga, le cinéma rose qui connut son heure de gloire dans le Japon des années 60 et 70. Après des études de littérature française, Tanaka travaille à la société de production Nikkatsu comme assistant réalisateur, notamment, de Shohei Imamura. Lorsque la Nikkatsu se reconvertit dans le pinku eiga, souvent défini comme « roman porno », Tanaka (1937-2006) va pouvoir passer à la réalisation, devenant l’une des grandes figures de ce cinéma et lui donnant surtout ses lettres de noblesse avec des œuvres subversives comme Nuits félines à Shinjuku ou La maison des perversités. Tanaka va aussi s’affranchir, avec un sens certain de l’écriture cinématographique, des contraintes du pinku eiga (le cahier des charges de tous les films imposait une séquence érotique toutes les dix minutes) pour signer une œuvre surprenante dans ses passages du noir et blanc à la couleur et qui fait, tout à la fois, songer, par son naturalisme, au néo-réalisme italien et, par ses mouvements de caméra parfois hallucinés, à la Nouvelle vague française, façon Godard. Le cinéaste ne rechigne pas devant les séquences sexuelles mais son intérêt va, à travers la rebelle Tomé (Meika Seri, remarquable), à un personnage habité par une puissante énergie de survie, qui rêve de fuir son univers sinistre mais qui renoncera à suivre le seul homme qui l’aime peut-être, pour rester fidèle à sa ville et à son territoire. Au-delà du « roman porno », voici une puissante et amère charge sociale ! Dans les suppléments de ce Blu-ray présenté en v.o. sous-titrée en français et dans une nouvelle restauration 4K, on trouve Pan-Pan Girl (21 mn), un entretien inédit avec Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma asiatique. « Tomé revêt une forme de féminisme terroriste, explique l’essayiste. Elle nous dit : « Attention, ces femmes, vous pouvez les considérer comme des objets sexuels, mais elles sont prêtes à vous exploser à la figure ! » (Carlotta)
LE MAL N’EXISTE PAS
Dans le village de Mizubiki, à proximité de Tokyo, Takumi et sa fille Hana vivent paisiblement comme leurs aînés avant eux. Dans cette petite bourgade nichée dans une vaste forêt, ils profitent d’une vie en harmonie avec leur environnement au sein d’une communauté soudée, besogneuse mais heureuse, dont les heures sont rythmées par le respect des cycles de la nature. Mais le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément l’existence quasi idyllique de Takumi et des villageois… Auteur très applaudi de Drive My Car (prix du scénario à Cannes et Oscar du meilleur film international à Hollywood), Ryūsuke Hamaguchi déroute et fascine, ici, avec une œuvre mystérieuse autant qu’envoûtante. A la manière d’un exercice de style musical qui mêle subtilement violon et piano dans une musique d’Eiko Ishibashi, le cinéaste japonais donne une reflexion splendide et troublante sur l’équilibre délicat entre les hommes et la nature. Hamaguchi s’intéresse, ici, au glamping (mot né de l’association de glamour et camping), une nouvelle tendance du tourisme de plein air qui se pique d’allier luxe et nature, confort et respect de l’environnement, en jouant la carte de l’atypique et en proposant des hébergements « hors des sentiers battus », aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. Porté par un couple de Tokyoïtes, le projet de glamping menace de polluer les sources du village. Ce qui préoccupe le cinéaste, c’est évidemment de signer un beau poème à la nature, une ode à la vie sauvage. Une existence au plus proche de la nature que vit Hana entre la contemplation d’un mélèze du Japon griffé par les morsures d’un cerf, celle d’une immensité blanche dans un ciel d’hiver traversé par le vol d’un oiseau de proie ou la vision d’un cerf à l’arrêt observant les alentours, narines en alerte. Grand prix du jury à la Mostra Venise 2023, Le mal n’existe pas multiplie les changements de ton, voire même les points de vue puisque la caméra va suivre le couple de citadins qui, en venant à Mizibuki, a été saisi par la beauté d’un petit coin de paradis. Une superbe fable écologique, poétique et politique. Par ailleurs, on retrouve, dans un coffret de trois films, outre Le mal n’existe pas, deux films précédents de Ryūsuke Hamaguchi, en l’occurrence Drive my car (2021) et Contes du hasard et autres fantaisies (2021). Dans le bonus du coffret, deux entretiens avec le cinéaste et une analyse sur Contes du Hasard et autres fantaisies par Clément Rauger. (Diaphana)
MAX MON AMOUR
Diplomate anglais en poste à Paris, Peter Jones soupçonne sa femme Margaret d’avoir des rendez-vous secrets et peut-être d’entretenir une liaison extra-conjugale. N’y tenant plus, le distingué British engage un détective privé. Il lui apprend qu’elle loue un appartement mais qu’il n’a jamais vu l’amant supposé qui s’y cache. Après avoir réussi à s’en procurer la clé, Peter Jones découvre que l’amant de sa femme est un chimpanzé dénommé Max. En 1976, Nagisa Oshima (1932-2013) défraye la chronique en racontant, dans L’empire des sens, la passion torride et mortifère qui unit, dans le Japon des années trente, Sada Abe, ancienne prostituée devenue domestique et son patron Kichizo… Cette escalade érotique sans bornes fit scandale et provoqua des débats d’anthologie sur érotisme et pornographie. Dix ans plus tard, le cinéaste, avec son avant-dernier film, renoue avec un sujet propre à faire scandale puisque son scénario, co-écrit avec Jean-Claude Carrière, traite de désir et de zoophilie. Cette fois, c’est dans la bonne bourgeoisie qu’Oshima installe son récit. Et il va s’ingénier à faire sauter les codes de la normalité et les apparences en confrontant le diplomate et son épouse à la question des pulsions et de la bestialité tout en jouant sur les tabous. Avec son petit côté bunuélien, façon Charme discret de la bourgeoisie (Charlotte Rampling, dans le rôle de Margaret, est parfaite en bourgeoise prise de vertiges sensuels), cette histoire prend ainsi une allure de farce surréaliste à l’humour froid. A ce jeu, c’est plutôt Max, placide chimpanzé, qui a le… beau rôle, plutôt que le malheureux Peter réduit à regarder par le trou de la serrure. Et lorsque le mari enjoint à l’épouse de ramener à la maison l’amant velu, la famille, comme le personnel (Victoria Abril en bonne), n’a pas fini d’en voir. Le film sort dans une belle édition Blu-ray. (Studiocanal)
LITTLE BUDDHA
Jesse Conrad, neuf ans, vit à Seattle, dans l’État de Washington, avec ses parents, Dean (Chris Isaak), ingénieur et Lisa (Bridget Jones), enseignante. Un jour, la famille reçoit la visite surprise d’une délégation de moines bouddhistes venus du Bhoutan, au cœur de l’Himalaya sous la conduite du lama Norbu et de son adjoint Champa. Ils sont persuadés que Jesse pourrait être la réincarnation d’un de leurs plus éminents chefs spirituels, mort 9 ans plus tôt, et souhaitent convier l’enfant au monastère pour lui faire passer une série de tests… Les lointains visiteurs offrent alors à Jesse (Alex Wiesendanger) un livre narrant la vie de Siddhartha et attendent sa visite dans l’Himalaya. Réalisé en 1993 par Bernardo Bertolucci, entre Un thé au Sahara et Beauté volée, Little Buddha est composé de deux histoires : d’un côté l’histoire de Jesse, le jeune Américain supposé être la réincarnation d’un grand lama, et de l’autre, l’histoire du prince Siddhartha (Kena Reeves) qui deviendra le futur Bouddha. Dans une production de Martin Bouygues, le cinéaste italien (1941-2018) devenu mondialement célèbre à cause du scandale du Dernier tango à Paris (1972), propose, à la fois une très belle quête spirituelle et une grandiose épopée. Sorti dans une édition 4K Ultra Haute Définition (et enrichie de 80 minutes de bonus inédits) dont la restauration a été supervisée par Vittorio Storaro, le directeur de la photographie habituel de Bertolucci, le film est une aventure initiatique captivante, qui retrace la vie de Siddhartha Gautama jusqu’à l’Éveil et son accession au statut de Bouddha. D’une grande poésie, le film délivre tout en délicatesse le message de paix du bouddhisme, et permet de plonger au cœur d’une culture et d’un mode de vie exemplaires. Brillamment réalisée et superbement photographiée, cette odyssée spectaculaire embarque le spectateur à l’autre bout du monde dans des décors somptueux. Et, dans le même mouvement, elle invite à un périple mystique aux confins de la vie, de la mort et de la réincarnation. (Rimini Editions)
RICARDO ET LA PEINTURE
« C’est une sacrée gageure de vouloir faire un film sur la peinture ! » Mais, à travers la profonde amitié qui le lit au peintre Ricardo Cavallo, Barbet Schroeder l’a fait. Et bien fait. Voici donc, par le réalisateur de More (1969), Général Idi Amin Dada : autoportrait (1974), Barfly (1987) ou Le mystère Von Bülow (1990), un portrait d’un artiste né à Buenos Aires en 1954 et installé aujourd’hui dans le Finistère. En passant aussi par Paris et le Pérou, le film est une invitation à plonger dans l’histoire de la peinture mais aussi à découvrir la vie de Cavallo qui, avec simplicité et humilité, s’est toujours engagé entièrement, jusqu’à transmettre sa passion aux enfants de son village breton de Saint-Jean-du-Doigt. Fruit d’une amitié qui dure depuis 40 ans, ce documentaire hautement chaleureux raconte un homme et son œuvre. D’une grande érudition, d’une simplicité sophistiquée et d’une accessibilité sans réserve, le peintre se dévoile devant l’équipe (à laquelle il arrive, sans que cela gêne, de traverser le champ) et les caméras. On voit Ricardo Cavallo à l’oeuvre. En tenue de pêcheur, chevalet et matériel sanglés sur le dos, il escalade des roches et traverse allègrement une crique, de l’eau jusqu’aux genoux. Tout cela pour obtenir le meilleur point de vue depuis les incroyables pierres colorées à l’entrée de la grotte de Saint-Jean-du-Doigt. Pour Cavallo, peindre est « une question de vie ou de mort ». Parce qu’il faut se battre pour saisir la beauté qui échappe. On le voit aussi, avec ses jeunes élèves, dans l’école gratuite qu’il a ouvert en Bretagne et qu’il veut accessible à tous. Ricardo Cavallo dit encore que, d’un côté, il faut suivre les maîtres et, de l’autre, peindre comme si personne ne l’avait fait. Une belle rencontre entre deux amis: un cinéaste attentif et admiratif, un peintre enthousiaste, généreux et humaniste. (Carlotta)
PURPLE RAIN
Auteur, compositeur, interprète, multi-instrumentiste, producteur, danseur et comédien, Prince (1958-2016), de son vrai nom Prince Rogers Nelson a exploré durant sa carrière de multiples styles musicaux, de la pop au funk en passant par le rock ou le RnB. Pendant les enregistrements de 1999, son cinquième album studio, Prince est souvent vu en train de prendre des notes dans un carnet violet. Son idée est de développer un film qui raconterait sa propre histoire. Si Warner Bros rejette d’abord le projet, il aboutira en 1984. Purple Rain rapporte, à sa sortie en salles, 71 millions de dollars. Quant à sa bande-son, elle s’écoule avec les années à vingt millions de copies (dont treize millions pour les seuls États-Unis). L’Oscar de la meilleure chanson de film récompensera le morceau-titre. À Minneapolis, le club First Avenue est un tremplin vers la gloire pour de nombreux groupes. Le Kid est un brillant musicien, mais son caractère introverti et ses problèmes familiaux lui créent du tort. Le Kid doit aussi faire face à la concurrence du groupe The Time, mené par Morris Day, ainsi qu’à des tensions à l’intérieur de son propre groupe. Débarque alors la belle Apollonia que Morris engage pour constituer un groupe de filles, dont l’objectif est de renverser le Kid de la scène du First Avenue… Au début des années 80, dans la vogue du clip vidéo, Prince, au sommet de sa popularité, profite de ce moment privilégié pour sortir Purple Rain (présenté en Blu-ray dans une version K Ultra-HD), réalisé par Albert Magnoli, qui raconte la success story d’un artiste maudit. Plein de candeur, Prince incarne le Kid, jeune précieux de Minneapolis, lâché dans la grande jungle rock. Si le scénario n’est pas bien lourd, la musique remarquable de Prince emporte le morceau. Bien des années après la première apparition cinématographique de la pop-star, on écoute toujours avec bonheur et nostalgie les titres d’un chanteur alors au sommet de son inspiration artistique. (Warner)
POUR TON MARIAGE
« En épousant la fille d’Enrico Macias, je ne me doutais pas que trente ans plus tard je lui en voudrais encore d’avoir transformé nos noces en show démesuré. En revoyant le film du mariage, je réalise que c’est vraiment là que j’ai commencé à « fonder une famille » (…) Sur la tombe de mon psy, je tente une sorte d’inventaire. Que nous ont légué nos pères et nos mères. Et moi, que vais-je laisser à mes enfants ? » C’est ce que remarque Oury Milshtein qui, après 40 ans de carrière dans le cinéma (essentiellement dans la production), passe, pour la première fois, derrière la caméra et réalise un long-métrage à la fois personnel et introspectif. L’occasion de mesurer combien la vie de cet artiste fut tumultueuse et parfois semée d’embûches. Un premier mariage qui détonne entre un ashkénaze et une séfarade (la fille d’Enrico Macias) qui donnera lieu à deux fils, une séparation, une seconde femme avec qui il aura trois filles (dont l’aînée décèdera à l’âge de 14 ans), une autre séparation et enfin, une troisième femme. Au coeur de cette existence mouvementée, le producteur de Sans toit, ni loi de Varda, Esther Kahn de Desplechin, La disparue de Deauville de Sophie Marceau ou Guy d’Alex Lutz aura fréquenté, un quart de siècle, un psychanalyste. A la mort de ce dernier, Milshtein continuera à aller le voir pour lui parler… sur sa tombe! Avec ce documentaire intimiste, fascinant et barré qui repose sur des archives familiales, le cinéaste, pour libérer la parole des uns et des autres, sonde ses proches, ses anciennes compagnes, ses enfants et évoque sa relation compliquée avec sa mère mais aussi sa judéité et bien évidemment son héritage. (Blaq Out)
BLUE ET COMPAGNIE
Depuis qu’elle est née, Béa est une fille très imaginative comme ses parents et sa grand-mère, à qui ils rendent visite régulièrement pendant les vacances. Lorsque sa mère disparaît, la fillette de 12 ans emménage avec sa grand-mère à New York et cesse d’avoir de l’imagination, car elle s’inquiète pour son père qui va passer une opération du cœur alors que celui-ci ne peut pas s’empêcher de jouer les comiques devant elle. Après le succès de la série Sans un bruit, l’acteur et réalisateur John Krasinski a fait son retour derrière la caméra pour une comédie magique et résolument familiale conçue comme une véritable célébration, très dans l’esprit Pixar, de l’imagination enfantine. Autour de l’idée de retrouver les amis imaginaires (les AI) de son enfance, le cinéaste a imaginé une aventure chargée de réveiller le gamin qui dort en chacun de nous et, bien entendu, d’entraîner les enfants dans un univers de pure fantaisie. La facture ressemble un peu à celle de Toy Story ou de Monstres et Cie et surtout l’histoire a un charme frais et désarmant. Autour de Cailey Fleming (déjà vu dans la série The Walking Dead) et Ryan Reynolds en voisin loufique, le film développe, après un démarrage un peu lent, de belles scènes pleines d’émotion et de tendresse sur l’enfance, l’âge adulte et le temps qui passe. Enfin, Blue et Compagnie aligne une kyrielle de créatures hilarantes, envahissantes et savoureuses, qui sont un bonheur de l’oeil. Une jolie réussite. (Paramount)
LATE NIGHT WITH THE DEVIL
Autrefois étoile montante du petit écran, Jack Delroy, fragilisé par le décès de son épouse, est confronté à la chute vertigineuse de l’audience de son émission de divertissement. Déterminé à retrouver sa gloire perdue et a marqué les esprits en dépassant la concurrence, il planifie un show en direct « spécial Halloween » en invitant sur son plateau une jeune fille supposément possédée par le démon. Mais, durant cette nuit fatidique, l’animateur réalisera que le prix du succès peut être bien plus effrayant que ce qu’il avait imaginé. Réalisé en 2023 par Cameron et Colin Cairnes, cette plongée horrifique dans l’univers des talk-shows américains des années 70, joue à fond sur l’aspect « documentaire » avec notamment l’utilisation d’images en noir et blanc, façon archives et petit côté found footage, pour mieux troubler le spectateur. Lors de son premier visionnage, le grand Stephen King avait affirmé qu’il était « impossible de détourner le regard ». Quant au cinéaste Kevin Smith, il a carrément vu dans le film un extraordinaire croisement entre Rosemary’s Baby et Network. Excusez du peu. Late Night… ou comment la folle quête d’audimat peut conduire au plus sombre cauchemar. Autour du présentateur Jack Delroy (David Dastmalchian, vu dans Blade Runner 2049, Prisoners, Dune ou Oppenheimer), l’univers de la télévision est propice à ce côté exposition en plateau et avanies en coulisses. Les Cairnes, en tout cas, s’y entendent pour trousser une comédie bien horrifique qui tire toutes les ficelles du genre. Des ficelles qu’on voit parfois un peu mais qui n’enlèvent rien au plaisir de passer une bonne soirée de cinéma devant son petit écran. Qui, décidément, est une bien étrange lucarne. (Wild Side)
L’AMERIQUE EN FEU ET MELISSA DANS LA MAUVAISE SPIRALE
CIVIL WAR
Devant la bannière étoilée, au coeur de la Maison blanche, un président américain grave s’adresse à la nation : « Nous sommes plus proches que jamais de la victoire… » Las, dans les villes, les campagnes, dans les zones commerciales, l’émeute est totale, les combats entre les forces fidèles au gouvernement et les troupes sécessionnistes de l’Armée de l’Ouest soutenue notamment par l’Alliance de Floride et les maoïstes de Portland, font des milliers de morts… C’est une plongée au coeur d’une guerre qui touche directement l’Amérique sur son terrain qu’orchestre le Britannique Alex Garland. Tout y est : les frappes aériennes, les cibles civiles, les dommages collatéraux. La réalité de la guerre, on la vit en suivant une poignée de journalistes qui couvrent au plus près l’événement. Tout commence dans les rues de Brooklyn à feu et à sang. Au milieu du chaos urbain, Jessie Cullen, photographe débutante (Cailee Spaeny), reconnaît Lee Smith, photo-reporter chevronnée. Lee et son collègue Joel ont le projet de se rendre à Washington pour interviewer un président qui n’a plus parlé à la presse depuis des mois. Malgré l’opposition de Lee (Kirsten Dunst), Joel invite Jessie à se joindre à eux. Garland choisit de s’installer dans un futur proche pour imaginer ce que pourrait être une Amérique en proie à une guerre civile qui embrase tout le pays et où chacun lutte pour sa survie alors que le gouvernement est devenu une dictature dystopique et que les milices extrémistes partisanes se livrent à la pire violence. Si le point de départ de Civil War relève de la science-fiction, Alex Garland réussit à rendre terriblement angoissante et réaliste des situations où le drame et la mort sont omniprésents. Prendre de l’essence à une station-service devient une épopée. Et que dire de toutes les péripéties absurdes ou monstrueuses (ah, le charnier digne de la Shoah) d’une expédition constamment périlleuse. Dans une approche évidemment romanesque d’initiation et de passage de relais, Lee transmet à Jessie les trucs du métier : « Dors dès que tu en as l’occasion », « N’oublie pas de manger » ou « Si tu veux aller sur le front, tu penseras à prendre un casque et une tenue en kevlar ». Civil War se vit comme un cauchemar éveillé où la mort rôde, omniprésente. On a froid dans l’échine pendant un bon moment après avoir vu Civil War ! (Metropolitan)
BORGO
Surveillante pénitentiaire expérimentée, Melissa Dahleb a tourné le dos à l’épuisante vie parisienne et plus encore à la difficile pression de la prison de Fleury-Mérogis. Elle vit désormais en Corse avec ses deux jeunes enfants et Djibrill, son mari. Melissa intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens. Rapidement, la matonne est surnommée Ibiza en référence à la chanson de Julien Clerc. A l’Unité 2 (où sont regroupés uniquement les Corses), l’intégration de Melissa est facilitée par Saveriu. Sa peine purgée, Saveriu reprend contact avec Melissa. Il a un service à lui demander… Oh, trop fois rien, faire parvenir une montre à l’un de ses amis détenus… Pendant ce temps, la police détaille les images de caméras de surveillance et se casse la tête sur un double assassinat à l’aéroport d’Ajaccio. Avec La fille au bracelet (2019), Stéphane Demoustier proposait une approche singulière du film de genre. Il récidive avec Borgo qui n’est pas tout à fait un film sur la prison, pas vraiment un film policier mais plutôt une réflexion, au coeur d’une action de plus en plus palpitante et angoissante, sur la hiérarchie sociale, la notion d’éthique et aussi le fait d’être étranger à une communauté. En allant au-delà des grilles de son nouveau lieu de travail, Melissa découvre vite une autre « appréciation des problématiques ». Outre le fait que la prison fonctionne selon un régime ouvert où les détenus vivent « librement » leur vie, la matonne constate que, dans ces lieux, les rivalités des bandes sont mise de côté le temps de l’incarcération. Mais, hors les murs, ce n’est pas vraiment la même chose. D’abord parce qu’on sait tout d’elle. Ainsi l’aimable Saveriu va régler aussi bien le conflit de voisinage dans la cité que l’accès à la formation de Djibrill. Ensuite, la redoutable spirale des services rendus se met en place. Saveriu invite Melissa à venir tirer au fusil automatique et lui demande la date de sortie en permission pour un détenu. Bientôt, c’est un beaucoup plus gros service qu’on va demander à la surveillante… L’excellente Hafsia Herzi incarne brillamment cette Melissa tout le temps prise dans un rapport de forces entre les injonctions de sa hiérarchie et les sollicitations (doucement) pressantes de Saveriu et d’autres. Un film constamment sous tension. (Le Pacte)
LEVANTE
Prometteuse et talentueuse joueuse de volleyball dans le club Capao Leste, un quartier de Sao Paulo, la jeune Brésilienne Sofia, 17 ans, apprend qu’elle est enceinte à la veille d’un championnat qui peut sceller son destin puisqu’elle est sur le point de devenir professionnelle et également candidate à une bourse sportive au Chili. Ne voulant pas de cette grossesse, elle cherche à se faire avorter illégalement et se retrouve la cible d’un groupe fondamentaliste bien décidé à l’en empêcher à tout prix. Mais ni Sofia ni ses proches n’ont l’intention de se soumettre à l’aveugle ferveur de la masse… On l’ignore sans doute mais l’IVG est interdit au Brésil et sévèrement sanctionné. L’opinion publique est du côté de la représsion et le retour en force de l’évangélisme dans le pays n’arrange rien. Ainsi, Sofia, métisse bisexuelle aux cheveux crépus bicolores (Domenica Dias), va avoir à se débattre avec ce drame provoqué par quelqu’un qu’elle décrit , en haussant les épaules et sans émotion, comme « un type à moto ». Joueuse dans une équipe inclusive, elle est donc doublement piégée : elle a du mal à trouver le moyen d’avorter et de plus elle devient la cible de catholiques fondamentalistes. En portugais, Levante signifie insurrection. Celle que la cinéaste Lillah Halla appelle de ses vœux dans ce film-brûlot en réaction à l’intégrisme religieux qui pollue de plus en plus la société brésilienne. Tout en suivant la préparation d’un tournoi de volley avec tout ce que cela représente de pression et de tension nerveuse, la cinéaste s’attache à détailler le rude parcours de Sofia, montrant la visite dans un centre de santé dont l’objectif est en fait de dissuader les femmes d’avorter, le tout dans un inquiétant sentiment de menace. Pour la jeune femme et son apiculteur de père, il y a peut-être l’espoir d’un voyage jusqu’à une clinique uruguayenne… Quant à l’équipe de volley très queer (elle compte dans ses rangs des sportives trans et non-binaires), elle constitue une sorte de cocon protecteur pour Sofia, notamment lorsqu’un groupe d’extrême-droite, partisan de Bolsonaro, a vent de ce qui se passe. Avec une énergie rageuse, Lillah Halla signe un film militant d’urgence et de combat du côté d’une communauté inclusive contre une pensée ultra-conservatrice. (Blaq Out)
LES CARNETS DE SIEGFRIED
En 1914, le jeune Siegfried Sassoon, poète en devenir, est enrôlé dans l’armée britannique. Il participe, comme sous-lieutenant d’infanterie, à la bataille de la Somme et y fait preuve d’une grande bravoure. Blessé, médaillé, il publie dans la presse en 1917 une lettre qui dénonce les horreurs de la guerre et l’inutilité de sa poursuite, frisant ainsi la cour martiale et la peine capitale. Jugé « neurasthénique » (car, étant de très bonne famille, il bénéficie, sans en avoir pleinement conscience, d’appuis hauts placés), il est envoyé dans un hôpital militaire à Edimbourg pour y soigner son stress post-traumatique. Là, il sympathise avec un autre authentique poète : Wilfred Owen (dont la renommée, finalement, dépassera la sienne) qui, bientôt réexpédié en France, y est tué lors d’une offensive franco-britannique, juste une semaine avant l’Armistice, à l’âge de 25 ans. Au grand dam de Siegfried. De retour du front, révolté par ce qu’il a vu, il devient objecteur de conscience. Ses pamphlets pacifistes lui valent une mise au ban par sa hiérarchie, mais aussi une forme de reconnaissance artistique, lui ouvrant les portes d’une nouvelle vie mondaine. Mais dans cette société du paraître, Siegfried se perd, tiraillé entre les diktats de la conformité et ses désirs de liberté… Disparu en octobre 2023 à l’âge de 77 ans, le cinéaste britannique Terence Davies était un cinéaste à l’oeuvre discrète marquée par la récurrence des thèmes de souffrance émotionnelle ou physique ou encore de l’influence de la mémoire dans la vie de tous les jours comme Distant Voices, Still Lives (1988) ou The Long Day closes (1991). Benediction (en v.o.) est le dernier long-métrage de Davies qui y consacra six années de sa vie et dont la critique internationale pensait que c’était son meilleur film. Sans aucun respect de l’ordre chronologique (on passe d’un séduisant trentenaire à un vieil homme triste et austère), le film est un biopic consacré au poète et écrivain britannique Siegfried Sassoon (1886-1967). Mêlant la couleur au noir et blanc, opposant musiques symphoniques et vieilles chansons western, passant des champs de bataille aux soirées mondaines, Terence Davies offre une œuvre sophistiquée sur un grand poète pacifiste et sur la vie artistique anglaise. (Condor)
LES GUERRES DE L’OMBRE
À Varsovie, l’ambassadeur américain et sa famille sont sauvagement assassinés par un groupuscule terroriste nommé Armée de libération internationale. Parent des victimes, l’agent de la CIA Gary Redner est déterminé à faire tomber le commanditaire, un certain Hannibal. Alors que la prochaine cible des terroristes semble être une délégation commerciale américaine en route pour Hong Kong, Redner se rend sur place et fait équipe avec l’inspecteur Lee Ting-bong des renseignements généraux afin d’empêcher un nouveau massacre… Venus d’horizons différents, les deux policiers vont néanmoins travailler ensemble. Mieux, ils développent progressivement une profonde amitié tout en s’attelant à briser la tentative des terroristes de tout faire sauter. Ils parviennent même à blesser Hannibal, le chef de l’organisation. Mais les deux enquêteurs ne sont pas au bout de leurs peines car Hannibal fait irruption sur un plateau de télévision, prend tout le personnel en otage (y compris la petite amie de Lee) et se prépare à un bain de sang qui sera diffusé dans le monde entier. Lorsque Lee et Redner déboulent, ils se retrouvent en présence de l’assistant de Lee, soudoyé par les terroristes… En 1990, le cinéaste hong-kongais Ringo Lam fait sa première incursion à l’international avec ce thriller géopolitique situé en pleine Guerre froide. Spécialiste des films d’action et des polars, Lam montre la dérive d’un monde de plus en plus chaotique où tous les coups sont permis. Il peut s’appuyer pour ce faire sur un casting casting éclectique avec le Hongkongais Danny Lee (l’inspecteur Bong), l’Australien Vernon Wells (Hannibal) ou l’Américain Peter Lapis (l’agent Redner). Pour la première fois en Blu-ray, en version restaurée 2K et avec, en bonus, une présentation du film par Jean-Pierre Donnet. Explosif, rapide et efficace ! (Carlotta)
BACK TO BLACK
Amy Winehouse fait ses premiers pas dans la musique au début des années 2000 en tant que musicienne de jazz du nord de Londres. Elle va connaître une impressionnante ascension sur la scène internationale en tant que chanteuse primée aux Grammy Awards avec des chansons à succès comme Rehab et Back to Black. Réalisatrice en 2015 de Cinquante nuances de Grey (plus de quatre millions d’entrées dans les salles en France), la Britannique Sam Taylor-Johnson s’intéresse, ici, à l’histoire d’amour tumultueuse, passionnée, tourmentée et toxique entre la chanteuse et son mari Blake Fielder-Civil. Plus qu’un strict biopic, le film suit la vie et l’oeuvre de la Londonienne à travers la création de l’un des albums les plus iconiques de notre temps (Back to Black a été six fois disque de platine au Royaume-Uni) qui illustre bien -c’est la thèse du film- la cause de la perte de l’icône rock morte à 27 ans et entrée donc dans le fameux « cercle des 27 » qui compte Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones ou Kurt Cobain… Entourée de bons comédiens anglais comme Eddie Marsan, Lesley Manville ou Jack O’Connell (dans le rôle de Blake Fielder-Civil), c’est l’Anglaise Marisa Abela qui se glisse dans la peau d’Amy Winehouse. Vue dans des séries comme Industry ou Cobra et attendue dans le prochain Soderbergh, la comédienne s’empare brillamment d’un riche personnage. Son Amy est une rock-star entière mais également une femme « ordinaire » qui a des envies de maternité et souffre de boulimie ou encore d’addictions à l’alcool et aux drogues. Une approche intimiste plus que fulgurante… (Studiocanal)
NOTRE MONDE
Dans le Kosovo de 2007, Zoé et Volta quittent leur village reculé pour intégrer l’université de Pristina. À la veille de l’indépendance, entre tensions politiques et sociales, les deux jeunes femmes se confrontent au tumulte d’un pays en quête d’identité dont la jeunesse est laissée pour compte…Pour son second long-métrage après La Colline où rugissent les lionnes (2021), qui avait été présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, Luana Bajrami se penche sur le destin de deux cousines. Zoé et Volta ont grandi ensemble et vivent dans un village reculé du Kosovo, quelques mois avant l’indépendance du pays. Zoé rêve de rejoindre la capitale pour faire des études et devenir traductrice d’anglais. Volta, qui n’a plus ses parents et vit chez son oncle et sa tante, se fait moins d’illusions mais possède une vieille voiture, qu’elle tient de son père. Ensemble, les deux inséparables cousines, toujours complices, filent en douce et s’inscrivent à la faculté de Pristina, partageant la même chambre à la cité universitaire. Elles déchantent vite, ayant le sentiment, entre l’absentéisme des professeurs et le manque de perspectives, d’être des oubliées de l’histoire. D’origine kosovare, née en 2001 dans le Val-de-Marne, la réalisatrice et scénariste découverte comme actrice, notamment dans L’événement (2021) d’Audrey Diwan ou Une année difficile (2023) de Nakache et Toledano (qui sont, ici, producteurs) réussit d’entrée une vraie chronique adolescente dans laquelle Zoé et Volta, toutes à leur fureur de vivre, caressent de belles illusions. Les deux actrices, Elsa Mala (Zoé) et Albina Krasniqi (Volta) forment un beau duo même si la seconde partie du film donne une impression plus convenue avec un regard sur une jeunesse désenchantée… (Gaumont)
THE MOON WARRIORS
Suite à une tentative d’assassinat ratée orchestrée par son propre frère, le treizième prince du royaume de Yan-ling trouve refuge chez Fei, modeste pêcheur mais qui fut, autrefois, un redoutable épéiste. Séduit par la candeur et la dextérité de cet homme à qui il doit la vie, le prince déchu lui demande d’aller chercher sa fiancée, Croissant-de-lune. De nombreux obstacles vont se mettre en travers de la route de la jeune femme de bonne famille et de l’ingénu villageois. Mais le duo s’avère plus soudé qu’il n’y paraît… Réalisateur de films comme Le moine d’acier (1977), Warriors Two (1978) ou Prodigal Son (1981), Sammo Hung, 72 ans, est l’une des figures les plus marquantes du cinéma de Hong Kong et un artisan, dans les années quatre-vingt, de la nouvelle vague hongkongaise en réinventant notamment les films de genre d’arts martiaux. Hung est largement crédité pour avoir aidé nombre de ses compatriotes, les faisant démarrer dans l’industrie du film hongkongaise en leur donnant des rôles dans les films qu’il a produits, ou en les embauchant dans les équipes de production. En France, Sammo Hung est bien connu pour avoir interprété le rôle de Sammo Law, dans la série américaine Le flic de Shanghaï, diffusée entre 1998 et 2000. Réalisé en 1992, dans la dernière partie de sa carrière, The Moon Warriors renoue avec la grande tradition du wu xia pian, un genre souvent traduit par « film de chevalier errant » ou « film de sabre chinois ». Le genre qui reprend des thèmes traditionnels comme l’opposition du bien et du mal ou du devoir et du désir, est aussi remarquable par ses somptueux décors et, évidemment, ses combats aériens spectaculaires. La chorégraphie de ceux-ci a été confiée par le cinéaste à ses confrères Ching Siu-tung (la série des Swordsman ou Shaolin Soccer) et Corey Yuen (Le transporteur). Enfin, le film, disponible pour la première fois en Blu-ray et en version restaurée 2K, se distingue par un fameux casting avec Andy Lau (remarqué dans As Tears Go By de Wong Kar-wai), Anita Mui, Kenny Bee et Maggie Cheung (In the Mood for Love). Un chassé-croisé amoureux aussi trépidant que mélancolique. (Carlotta)
N’AVOUE JAMAIS
Dans la famille Marsault, on fête l’anniversaire d’Annie, épouse de François et mère heureuse de trois grands enfants déjà entourés de leurs propres enfants. Pour avoir été général dans l’armée française, François prône toujours des valeurs d’honneur, de droiture, de respect et de courage. En entreprenant des travaux dans les combles de la maison, François tombe sur des lettres serrées dans un ruban rouge. Elles sont adressés à Annie, datent de quarante ans mais François s’étrangle à l’évocation de la poitrine incandescente de sa femme. Annie affecte d’avoir oublié : « C’est loin tout ça ! » En s’appuyant sur une histoire vraie, Ivan Calbérac a imaginé une comédie où André Dussollier tout en élégance et Sabine Azéma toute en grâce sont au centre d’une aventure douce-amère où un couple qui semblait aller bien jusque là, se retrouve dans une impasse. Si Annie affirme ne plus se souvenir de rien, François veut aller casser la gueule d’un rival (Thierry Lhermitte) qui fut aussi un ami… de jeunesse. Une histoire où tout le monde a un secret, quelque chose à cacher. Et lorsque la chanson de Guy Mardel qui donne son titre au film, résonne sur l’écran, on se dit qu’en effet… (Wild Side)
EPOUVANTE SUR NEW YORK
À Manhattan, les forces de police sont confrontées à plusieurs crimes aussi atroces et étranges les uns que les autres. Au même moment, un énorme monstre violent est aperçu dans le ciel de New York. Panique à Manhattan ! Un laveur de vitre décapité, des corps mutilés, des disparitions sanglantes en haut des gratte-ciels, Larry Cohen (Le monstre est vivant, Meurtres sous contrôle) signe, ici, l’un de ses films les plus marquants. Plus qu’un simple film de monstre, le cinéaste mêle, à toute vitesse, les péripéties d’un arnaqueur raté, l’enquête de police sur une série de meurtres ressemblant à des sacrifices, et une énorme bestiole ailée en liberté sur Big Apple. Cohen a eu l’idée de son film au Mexique en découvrant les vestiges du temple de Quetzalcoati, un dieu des Aztèques en forme d’énorme serpent volant. Pour donner vie à son monstre (point d’images de synthèse en 1982 !) le cinéaste a fait appel à des experts de l’animation image par image, du stop motion « à la Ray Harryhausen ». Appuyé sur un bon casting (Michael Moriarty, David Carradine, Richard Roundtree) et doté d’un savant mélange entre humour et scènes d’horreur, Q: The Winged Serpent (en v.o.) a été tourné à New York même et le film offre de superbes prises de vues aériennes de l’architecture exceptionnelle de la ville. (Rimini Editions)
IMMACULEE
Jeune novice, sœur Cécilia s’est tournée très tôt vers le christianisme, convaincue que Dieu l’a sauvée en la faisant survivre à une chute dans un lac gelé. Elle débarque dans un couvent au fond de la campagne italienne pour s’occuper de nonnes mourants. Cecilia fait ses vœux, adhère aux conseils évangéliques et devient nonne. Elle se lie d’amitié avec une autre nonne, sœur Gwen mais est surtout frappée par diverses bizarreries comme des cicatrices en forme de croix sur les voûtes plantaires d’une ancienne religieuse. Un jour, Cecilia apprend avec surprise qu’elle est enceinte malgré sa virginité. Les pensionnaires du couvent commencent à la traiter comme une nouvelle Vierge Marie. Les nonnes terrifiantes ou en détresse sont des figures régulières du thriller horrifique. Mis en scène par Michael Mohan, cette production italo-américaine s’inscrit dans cette veine et l’on comprend très vite que, derrière les apparences, la nouvelle maison de la dévote religieuse recèle de sombres et terribles secrets. D’ailleurs différents critiques présentent Immaculate (en v.o.) comme le début d’une renaissance moderne de la nonnesploitation (un sous-genre du cinéma d’exploitation en vogue dans les années 70 autour de la sœur chrétienne et ses tourments religieux ou sexuels), tandis que d’autres comparent son esthétique et sa thématique au cinéma européen des années 1970 et à des réalisateurs comme Argento, Bava ou Fulci… Si, du point de vue du scénario, le film n’innove guère et a même tendance à jongler avec les poncifs, il reste la prestation de la charmante Sidney Sweeney qui fait une Cécilia… appétissante. (Metropolitan)
UNE BARBE POUR LA LIBERTE ET DES LESBIENNES TRASH ET TONIQUES
ROSALIE
« Faites qu’il m’aime… » Dans un souffle, après une nouvelle nuit de cauchemar, Rosalie se réveille. C’est le grand jour même si le temps n’est pas à l’été. Son père a attelé une carriole. Ils prennent la route vers un village aux maisons basses appuyé contre une grande usine de blanchisserie. Là, les attend Abel Deluc, un homme rude et taiseux. Un furtif échange d’argent entre le père et le futur marié. La dot a changé de main. Le mariage est arrangé. Entre la blonde jeune femme qui semble à peine sortie de l’adolescence et l’homme au pas lourd, revenu de la guerre de 1870 avec de sérieuses blessures, comment les choses vont-elles se passer ? D’autant que Rosalie déclare très vite : « Je ne veux pas une vie sans enfant ». A quoi Abel grogne : « C’est un peu tôt, non ? » Ce qu’Abel Deluc, « homme simple », ne sait pas, c’est que sa future épouse cache un secret : depuis sa naissance, son visage et son corps sont recouverts de poils. Huit ans après La danseuse, évocation de Loïe Fuller (1862-1928), pionnière de la danse moderne en France, la cinéaste française Stéphanie Di Giusto signe son second long-métrage et se tourne encore vers le 19e siècle. Son second film s’inspire de la vie de Clémentine Delait (1865-1939), boulangère puis tenancière de bistrot à Thaon-les-Vosges et célèbre pour avoir été l’une des premières femmes à barbe connues en France. Cependant, la cinéaste signe une histoire d’amour. En effet Rosalie veut être regardée comme une femme, malgré sa différence qu’elle a décidé de ne pas cacher. Le motif : aider Abel à faire tourner un café qui bat de l’aile. Alors Rosalie qui se rasait en cachette, décide de laisser fleurir sa barbe et d’apparaître ouvertement dans le troquet. Bientôt, la clientèle masculine se presse. Par curiosité, par trouble, par désir muet… Mais il y a aussi des jeunes filles qui viennent rire et s’amuser avec Rosalie. Les cauchemars récurrents de Rosalie se sont enfuis. C’est une femme bien dans sa peau qui avance vers une liberté inédite. Mais surtout Rosalie veut, du moins espère, qu’Abel (Benoît Magimel, massif et fragile) va l’aimer comme elle est. Même si une femme potentiellement heureuse et à l’aise dans son corps dans l’univers machiste de la fin du 19e siècle, prend bien des risques. Y compris d’obliger les « braves gens » à se dévoiler. Mais la cruauté de l’être humain est sans limite et amènera Rosalie et Abel à une funeste mais sublime issue. Nadia Tereszkiewicz (qui avait débuté dans un petit rôle dans La danseuse) campe avec douceur et grâce (après de longues séances quotidiennes de maquillage) une femme à barbe qui veut juste être une femme comme les autres. (Gaumont)
DRIVE AWAY DOLLS
Un type complètement tétanisé attend dans un bar glauque quelqu’un qui ne viendra pas. Il serre contre lui une mallette en métal dont on se dit qu’elle doit contenir quelques millions de dollars. Las d’attendre, le nommé Santos s’en va, suivi par le serveur du bar. Santos finira sauvagement assassiné dans une ruelle sombre de Philadelphie. Et la mallette sera emportée par les truands. Planquée dans le coffre d’une voiture, elle doit retrouver son propriétaire à Tallahassee (Floride). Tout se gâte lorsque la jeune et charmante Jamie, en pleine rupture amoureuse avec sa compagne Sukie, se présente dans une agence de covoiturage et demande une voiture pour… Tallahassee ! C’est là que Curlie, le responsable de l’agence, fait l’erreur de sa vie. Il confie les clés de la Dodge Arie à la jeune femme. Et là voilà en route vers la Floride… avec Marian, sa nouvelle petite amie. Avec bientôt un trio de truands à ses trousses. Depuis quatre décennies, les frères Joël et Ethan Coen enchaînent de beaux moments de cinéma, d’Arizona Junior (1987) à Inside Llewyn Davis (2013) en passant par Barton Fink (1991), Fargo (1996), No Country for Old Men (2007) sans oublier The Big Lebowski (1998). Pour Drive-Away Dolls, Ethan Coen est aux manettes en solo et a concocté une fable loufoque qui va suivre deux amies lesbiennes traversant chacune une mauvaise passe et qui décident qu’un road trip leur ferait le plus grand bien. Il ne faut pas chercher une once de vraisemblance dans cette histoire qui, bien évidemment, ne se prend pas au sérieux. On va, ici, de rebondissements en rebondissements au fur et à mesure que les truands, joyeusement bas du front, cherchent la piste de Jamie et Marian. La première, décidée et gourmande, profite de sa cavale pour collectionner les expériences amoureuses tant dans des bars lesbiens que dans une pyjama-party avec toute une équipe féminine de football. Le tout sous le regard courroucée de Marian qui se meurt d’amour pour Jamie. Il est vrai que, totalement coincée, elle part de loin, elle qui, adolescente, se servait de son trampoline pour s’élever et voir, par-dessus la clôture, sa pulpeuse voisine dans le plus simple appareil au bord de sa piscine. On ne saurait rien prendre au sérieux dans cette (très) légère mais gentiment coquine bluette. Sinon que Margaret Qualley en Jamie libre d’esprit et Geraldine Viswanathan en Marian pudique, réservée et frustrée s’amusent avec leurs personnages. Et que ceux-ci donnent, ici, des lesbiennes, une vision trash, tonique et malicieuse. (Universal)
QUELQUES JOURS PAS PLUS
Critique musical dans un magazine parisien, Arthur Berthier a détruit une chambre d’hôtel après un concert rock. Sanctionné par sa direction, il se retrouve aux informations générales. En couvrant l’évacuation d’un camp de migrants, il est envoyé à l’hôpital par la matraque d’un CRS. Sur l’événement, Berthier avait remarqué Mathilde, l’une des responsables de l’association Solidarité Exilés. Pour revoir Mathilde, dont il est tombé amoureux, Arthur se rend dans les locaux de l’association. Un peu, malgré lui mais pour plaire à Mathilde, il accepte d’héberger Daoud (Amrullah Safi), un jeune immigré afghan. Pour quelques jours croit-il… En adaptant De l’Influence du lancer de minibar sur l’engagement humanitaire, le roman de Marc Salbert publié en 2015 aux éditions Le Dilettante, Julie Navarro réussit une excellente comédie sociale qui évoque, avec justesse, la réalité des migrants et réfugiés mais aussi plus globalement le drame des personnes qui souffrent dans notre société. Par ailleurs, la cinéaste est également à l’aise dans la partie « romantique » en dessinant habilement ses deux personnages avec un journaliste qui découvre dans le même mouvement que son métier est un sport de combat et qu’il est tombé sous le charme de Mathilde. Pour se rapprocher de Mathilde, Berthier va largement s’engager dans un combat auquel il n’avait jamais songé. Mieux encore, il va passer pour un « héros » aux yeux de son adolescente de fille. Enfin, Arthur va developper une véritable amitié avec Daoud… Le film bénéficie d’un remarquable duo de comédiens avec Camille Cottin, toujours juste, en femme engagée dans les luttes sociales après avoir connu une autre carrière professionnelle. Et puis il y a l’épatant Benjamin Biolay, parfait en critique de rock distillant quelques bonnes vannes sur la musique… Un excellent film ! (M6)
SCANDALEUSEMENT VOTRE
Lorsqu’à Littlehampton, Edith Swan commence à recevoir des lettres anonymes truffées d’injures, Rose Gooding, sa rousse voisine irlandaise à l’esprit libre et au langage fleuri, est rapidement accusée des crimes. Pourtant Rose et Edith semblaient être des amies. Toute la petite ville, concernée par cette affaire, s’en mêle. L’officière de police Gladys Moss, rapidement suivie par les femmes de la ville, mène alors sa propre enquête : elles soupçonnent que quelque chose cloche et que Rose pourrait ne pas être la véritable coupable, victime des mœurs abusives de son époque… Dans l’Angleterre corsetée des années 20, Scandaleusement vôtre est une comédie truculente et irrévérencieuse qui s’inspire de faits réels qui se sont effectivement déroulés dans cette cité balnéaire du sud du pays. Et Gladys Moss (incarnée par la découverte Anjana Vasan) fut la première femme nommée officier de police dans le Sussex en 1919. Sur fond de « Fesses de singe », de « Baiseur de lapins » et on en passe de plus salées, la réalisatrice Thea Sharrock réussit un délicieux triple portrait de femmes qui confère à ce film d’époque un touche contemporaine bienvenue. Jessie Buckley s’empare avec drôlerie d’une Rose Gooding, forte en gueule mais qui cache un secret familial. Quant à Olivia Colman, oscarisée pour La favorite (2018) de Yorgos Lanthimos, elle se régale manifestement de son Edith Swan. Vieille fille coincée et infantilisée par ses vieux parents (Gemma Jones et Timothy Spall, grands comédiens britanniques), elle devient hystérique quand elle prend la plume pour aligner goulument les invectives les plus crues. Comme une manière de s’offrir une impossible liberté. Savoureux ! (Studiocanal)
ET PLUS, SI AFFINITES
Même s’ils évoluent encore dans le bel âge, Xavier et Sophie semblent pourtant à bout de souffle. C’est qu’ils sont sans doute usés par vingt-cinq ans de vie commune. Il est vrai que Xavier s’est replié sur son boulot de prof de musique et son vieux chien. Alors, quand Sophie a l’idée d’inviter à dîner leurs voisins de dessus, Xavier fait la tête. Et si on reportait cette invitation à un autre soir ? Mais Sophie ne veut rien entendre et elle a déjà le repas au four. Xavier est furieux parce qui ‘il reproche à ce couple, visiblement très amoureux, son manque de discrétion, surtout la nuit. Et voilà qu’Adèle et Alban sonnent à la porte… Le dîner se passe doucement sur fond de petites piques de Xavier tandis que Sophie essaye d’arrondir les angles. Peu à peu Adèle et Alban évoquent, en toute simplicité, leurs mœurs débridées devant un Xavier dérouté et une Sophie légèrement émoustillée. En signant le remake du film espagnol Sentimental sorti en 2020, les réalisateurs Olivier Ducray et Wilfired Méance réussissent une agréable comédie qui a raflé pas moins de trois prix au Festival du film de comédie de L’Alpe d’Huez (prix du public, prix spécial du jury et double prix d’interprétation pour Isabelle Carré et Bernard Campan). Avec un bon petit côté huis-clos façon Le prénom (2012) et des dialogues aiguisés, ce Et plus… fait la part belle à des comédiens en verve. Bernard Campan est un Xavier renfrogné et aigre et Isabelle Carré, une Sophie pétillante et pleine de drôlerie. Quant aux voisins, ils sont amusants à souhait avec Pablo Pauly (Alban) et Julia Faure (Adèle). Au contact de ce jeune couple déluré et échangiste, Xavier et Sophie seront poussés dans leurs retranchements et amenés à redonner du peps à leur quotidien. Rythmé, drôle, grinçant et enlevé. (Wild Side)
YURT
Dans la Turquie de 1996, Ahmet, 14 ans, est dévasté lorsque sa famille l’envoie dans un pensionnat religieux. Pour son père récemment converti, c’est un chemin vers la rédemption et la pureté. Pour Ahmet, c’est un cauchemar. Le jour, il fréquente une école privée laïque et nationaliste. Le soir, il retrouve son dortoir surpeuplé, les longues heures d’études coraniques et les brimades. Mais grâce à son amitié avec un autre pensionnaire, Ahmet défie les règles strictes de ce système, qui ne vise qu’à embrigader la jeunesse… Avec son premier long métrage, le cinéaste turc Nehir Tuna donne une sorte de variation sur les fameux 400 coups de Truffaut mais non point dans le Paris de la fin des années cinquante mais dans la Turquie de la fin des années 90 où les tensions sont exacerbées entre les laïcs et les islamistes. Le cinéaste s’inspire, ici, de sa propre expérience (il a fréquenté pendant cinq ans un yurt) et le jeune héros du film navigue entre deux mondes, apprenant l’anglais dans une école privée laïque en journée avant de rejoindre, le soir, un internat radical dans lequel on l’initie avec rigueur aux principes religieux. En s’appuyant sur le jeune comédien Doga Karakas, le cinéaste suit, avec beaucoup de finesse, le difficile parcours d’un gamin ballotté entre dogme, pression sociale, embrigadement, surgissement des sens et épanouissement personnel. En jouant la carte d’une belle photographie noir et blanc avant une dernière partie qui s’ouvre à la couleur, Nehir Tuna donne une œuvre forte et déjà mature qui questionne une civilisation en quête de sens et observe un jeune garçon qui se demande en permanence s’il est sur le bon chemin… (Blaq Out)
BRISBY ET LE SECRET DE NIMH
Madame Brisby est une souris des champs, veuve de Jonathan Brisby et mère de quatre souriceaux : Teresa, Martin, Cynthia et Timothée. Lorsque son fils Thimothée tombe malade, elle doit demander de l’aide à ses voisins, d’étranges rats qui cachent un terrible secret. Premier long-métrage de Don Bluth, Brisby est une petite merveille intemporelle de l’animation. Animateur chez Disney, Bluth décide, en 1979, de voler de ses propres ailes pour réaliser ce film avec ses compères Gary Goldman et John Pomeroy. Si on y retrouve l’anthropomorphisme animalier cher à Disney, le ton et l’aspect sombres du film le démarque des productions de l’époque. Ici, pas question de princesse ni de prince charmant, mais de veuvage, de maladie, de mort et de crimes. Pourtant, le film reste accessible aux enfants grâce à la beauté des dessins, la féérie du conte, son sidekick comique, l’entraide, l’amour d’une maman prête à tout pour son fils… Voici un chef-d’œuvre plein de contrastes : un univers mystérieux et tourmenté, mais un film fascinant, au scénario riche et intelligent, et aux personnages attachants. On y retrouve le trait si particulier de Bluth: une animation fluide, faisant preuve d’une constante poésie et d’un grand sens du détail, conférant une forte humanité à tous ses personnages. La dimension mystique du film est renforcée par la splendide musique de Jerry Goldsmith. Pour la première fois en haute définition, ce film émouvant (dans une superbe édition digipack Blu-Ray + DVD) est enrichi de différents bonus, ainsi que de cinq cartes postales tirées du film. (Rimini Editions)
KUNG FU PANDA 4
Désormais devenu un maître accompli du kung-fu et capable d’accomplir des actes héroïques tout en aidant son père adoptif M. Ping, et son père biologique Li Shan, à ouvrir leur nouveau restaurant, le cher Po est capable de se passer des Cinq Cyclones partis, chacun, accomplir sa mission. Pour sa part, Maître Shifu demande à Po de devenir le nouveau guide spirituel de la Vallée de la Paix. Po ne peut plus être le Guerrier Dragon et doit trouver un successeur approprié pour prendre sa place. Il va se saisir d’une renarde nommée Zhen alors qu’elle dérobe des reliques anciennes dans le palais de jade et l’envoie en prison. Po apprend que Tai Lung est revenu mystérieusement et a détruit tout un village. Zhen (qui pourrait bien devenir l’héritière de Po) lui révèle que le Tai Lung qui a attaqué le village est en fait la Caméléone, une puissante sorcière métamorphe qui peut prendre la forme de n’importe qui. Po décide de libérer Zhen pour qu’elle le guide vers Juniper City afin d’arrêter la Caméléone… Une fois pour toutes, même si son parcours le dirige, dans ce quatrième opus de la franchise mis en scène par Stéphanie Stine et Mike Mitchell, vers la maturité, l’expérience et la sagesse pour devenir un chef siprituel, Po demeure (et cela dure depuis 16 ans), le plus zen, le plus maladroit et le plus touchant des pandas. Un héros qui fait le bonheur des petits et de leurs parents. (DreamWorks)
GODZILLA x KONG : LE NOUVEL EMPIRE
Trois ans après avoir vaincu Mechagodzilla, Kong a établi son nouveau territoire dans la Terre creuse et recherche d’autres individus de son espèce. À la surface de la Terre, Godzilla continue de maintenir l’ordre entre l’Humanité et les monstres géants que sont les Titans. Il affronte ainsi Scylla à Rome avant de se reposer au Colisée. Un avant-poste d’observation de l’agence crypto-zoologique Monarch stationné dans la Terre creuse capte un signal non identifié. En surface, le signal provoque des hallucinations et des visions chez Jia, la dernière survivante connue de la tribu Iwi de Skull Island, ce qui inquiète sa mère adoptive, le Dr Ilene Andrews (Rebecca Hall). Détectant également le signal, Godzilla quitte Rome et attaque une centrale nucléaire à Montagnac en France pour absorber les radiations. Godzilla se dirige ensuite vers le repaire du Titan Tiamat dans l’Arctique. Monarch pense que Godzilla se renforce pour faire face à une menace imminente. Après leur dernière confrontation explosive, Godzilla et Kong doivent se réunir pour affronter une menace colossale cachée dans notre monde, qui remet en question leur existence même – et la nôtre. Nouvelle plongée dans le MonsterVerse avec du grand spectacle dopé aux multiples effets visuels numériques. Si la critique, lors de la sortie en salles, n’a pas été spécialement aimable pour le film mis en scène par Adam Wingard, il faut reconnaître que ces énormes bestioles qui dézinguent tout ce qui passe à portée de griffes ou de pattes, sont plutôt marrantes. On dirait du catch (très) grand format! (Warner)
AND JUST LIKE THAT…
Pouvait-on (devait-on?) espérer le retour de Sex and the City ? A la fin des années 90 et début des années 2000, la chaîne américaine HBO frappait un grand coup avec cette série aussi savoureuse que subversive qui nous lançait dans les pas de quatre copines indépendantes (et aux carrières bien remplies) que l’on suivait dans leur épanouissement romantique et sexuel au coeur de Big Apple. La série bousculait les codes de la féminité sur le petit écran et surtout abordait un sujet alors tabou : les femmes et le sexe. And Just Like That… suit le quotidien de Carrie Bradshaw, Miranda Hobbes et Charlotte York désormais dans leur cinquantaine et qui doivent faire face à des événements tragiques et à de nouveaux défis dans leurs vies amoureuses, professionnelles ou familiales. Pour l’occasion, sur un solide fond de nostalgie et une volonté aussi de tourner la page d’une série considérée comme très blanche, on a rebaptisé la série (exit Sex…) pour un clin d’oeil, dans le nouveau titre, à un propos, en voix off, de Carrie qui concluait souvent les épisodes originaux. D’autant qu’avec le passage de la tornade MeToo, la série diffusée entre 1998 et 2004, a pris un sévère coup de vieux. Du coup, les personnages tentent de rester dans le coup même si l’époque a changé et qu’ « on ne peut pas rester comme avant ». Pour les fans de SATC, c’est l’occasion de retrouver trois des quatre personnages emblématiques de la série: Sarah Jessica-Parker (dont la Carrie est désormais influenceuse), Cynthia Nixon (Miranda) et Kristin Davis (Charlotte) sont de la partie mais pas Kim Catrall qui a refusé de se glisser à nouveau dans la peau de Samantha. (Warner)
DEAD FOR A DOLLAR
En 1897, dans la région de Chihuahua dans le territoire du Nouveau-Mexique, Max Borlund, un célèbre chasseur de primes, est engagé par l’homme d’affaires Nathan Price, installé à Santa Fe, pour retrouver Rachel, sa femme kidnappée par Elijah Jones, un déserteur. Au cours de ses investigations au Mexique, Max tombe sur Joe Cribbens, son ennemi juré qu’il avait envoyé en prison des années auparavant. Il retrouve aussi, dans le désert mexicain, Rachel et le déserteur et comprend qu’ils sont amants. Et que Rachel a voulu échapper à son mari violent. Borlund la renverra-t-il chez son mari ou va-t-il lui venir en secours ? Réalisateur de second équipe (pour L’affaire Thomas Crown ou Bullitt), scénariste (Guet-apens ou Le piège), Walter Hill est passé à la réalisation en 1975 avec Le bagarreur et Charles Bronson en tête d’affiche. Il dirigera aussi le duo Nick Nolte-Eddie Murphy dans 48 heures, Arnie Schwarzenegger dans Double détente ou Mickey Rourke dans Johnny Belle gueule… Ici, en 2022, le vétéran dispose de deux bons comédiens (Christoph Waltz est Borlund et Willem Dafoe incarne Cribbens) mais Hill n’a plus vraiment la main et son western « à l’ancienne » a un petit goût d’inachevé. (M6)
UN BRIN DE NOSTALGIE OLYMPIQUE ET LE JARDINIER AMOUREUX
JEUX OLYMPIQUES PARIS 1924
Ce vendredi 26 juillet, Paris accueille les Jeux de la 33e Olympiade. Et c’est une immense fête sportive qui est attendue… malgré un « JO bashing » qui a été assez lourd. Ce sera la troisième fois que la capitale accueillera les Jeux après l’édition de 1900 et celle de 1924. Cette dernière est en majesté dans un document exceptionnel et complètement inédit disponible pour la première fois chez Carlotta en Blu-ray et en DVD dans une restauration 2K. Si la France de 1924 était à bien des égards différente de celle d’aujourd’hui, ces JO ont soulevé des problématiques communes à celles de 2024 sur le financement, les transports, les équipements ou la sécurité. C’est le Français Jean de Rovera qui couvre cet événement majeur en tournant des images en noir et blanc de tous les principaux sports à l’affiche. Cent ans après, on découvre donc avec une certaine nostalgie, ce film officiel des JO de Paris 1924 qui témoigne de la ferveur mondiale pour l’olympisme et met en lumière les exploits de grands sportifs. Le documentaire muet et avec accompagnement musical (174 mn) s’ouvre longuement, dans le cadre du stade de Colombes, sur la cérémonie d’ouverture de la VIIIe Olympiade placée sous la présidence de Gaston Doumergue avec son défilé des délégations et au cours de laquelle l’ancien athlète et rugbyman Géo André prêta le serment olympique devant une foule imposante et enthousiaste. En 1924, la participation atteint un nouveau record: 44 nations (dont 27 pays européens) et 3088 athlètes (mais seulement une grosse centaines de femmes) pour un total de 126 épreuves. Devant des juges en canotier, chapeau ou casquette, le Finlandais Paavo Nurmi va devenir une star des Jeux de Paris en s’imposant sur les épreuves de fond et de demi-fond. Un certain Barnes deviendra champion olympique à la perche en passant 3,95m tandis que les sprinters creusent, sur la ligne de départ, des trous dans la cendrée pour avoir de meilleurs appuis et piaffent « comme des lévriers tirant sur leur laisse » ! Des champions comme les Britanniques Harold Abrahams et Eric Liddell écrivent des pages épiques qui leur vaudront d’être immortalisés par le cinéma dans Les chariots de feu (1981). Un autre champion va connaître la gloire à Paris 1924, c’est l’Américain Johnny Weissmuller qui s’impose en natation avant de connaître la gloire hollywoodienne en incarnant Tarzan en 1932. Les Français se font remarquer en water-polo tandis que les « Mousquetaires » Borotra, Lacoste, Brugnon et Cochet s’imposent en tennis. Le documentaire distille encore des images de lutte libre (dans le cadre du Vel d’Hiv), d’escrime, d’aviron, de voile, d’équitation, de marathon, de polo, de cyclisme, de rugby à 15, de boxe ou de football. En 1924, la France finira troisième au tableau des médailles avec 38 breloques dont 13 en or. Dans les suppléments, Les Jeux Olympiques de Chamonix 1924 (37mn). Organisée à Chamonix du 25 janvier au 4 février 1924, la Semaine Internationale des sports d’hiver a précédé de quelques mois les Jeux Olympiques de Paris 1924. Mêlant patinage artistique, course de ski et bobsleigh (entre autres épreuves), cette compétition sera rétrospectivement considérée comme la première édition des Jeux Olympiques d’hiver. (Carlotta)
L’HOMME D’ARGILE
C’est une vie de grande routine que celle de Raphaël, le gardien du domaine campagnard dans lequel se trouve la demeure décatie mais pleine de charme de la famille Chaptel. Il passe ses journées à chasser les taupes à l’explosif, effectue divers travaux de jardin avant de rentrer chez Lucienne, sa vieille mère avec laquelle il se chamaille volontiers. Raphaël s’évade dans la pratique de la cornemuse dont il joue au sein d’un groupe local de musique traditionnelle. Le costaud taiseux et borgne s’offre aussi des escapades érotiques avec Samia, la factrice du bourg qui aime l’entraîner dans des jeux coquins. Pourtant, une nuit de gros orage, l’existence de Raphaël va basculer. Débarquant sans bagages d’une grosse limousine, Garance Chaptel demande qu’on lui ouvre le manoir familial. Tandis qu’en hâte, Raphaël retire les draps qui couvrent meubles et fauteuils, Garance s’installe et demande qu’on la laisse en paix. L’héritière Chaptel n’est pas du genre commode mais c’est aussi une artiste-plasticienne qui s’est taillée une réputation grâce à des performances remarquées. Si on ignore ce que Garance vient faire sur les lieux de son enfance, on a d’emblée la certitude que Raphaël est tombé fou amoureux d’elle. Tandis que Raphaël tourne comme un ours en cage, refusant désormais les invitations de Samia à la gaudriole et se demandant encore ce que Garance, la bourgeoise froide et cassante, recherche, cette dernière va lui faire une proposition inattendue. Elle lui demande de poser pour elle. « Nu ? » demande Raphaël qui s’y refuse d’abord… Fille des comédiens et réalisateurs Karl Zéro et Daisy d’Errata, Anaïs Tellenne signe, ici, à 36 ans, son premier long-métrage et réussit d’emblée une belle et surprenante histoire de passion amoureuse qui explore aussi le thème de la création artistique. Un homme simple, d’apparence frustre, est bouleversé par l’amour et va devenir, face à Garance, une sorte de muse au masculin. Pour Raphaël, emporté dans un univers aussi inconnu que fascinant, cette femme-artiste représente tout ce dont il est exclu, en l’occurrence le monde de l’art, la société des riches, l’esthétisme… En s’appuyant sur une belle image, une lumière très travaillée, une musique captivante, la cinéaste construit, ici, une fable contemporaine touchante, drôle et sensible sur la manière dont le regard de l’autre nous façonne et nous transforme. Surtout, elle réunit deux comédiens magnifiques. Emmanuelle Devos (qu’on a vu récemment dans Boléro et qui est actuellement au cinéma à l’affiche de Pourquoi tu souris?) incarne parfaitement une artiste en plein questionnement. Quant au gardien, il est incarné par le brillant Raphaël Thiéry et on finit par ne plus voir que lui tant son Raphaël est merveilleux. (Blaq Out)
HORS SAISON
La belle cinquantaine grisonnante, Mathieu est un acteur de cinéma qui tourne beaucoup et que le public apprécie. Mais le comédien a le bourdon. Le voilà débarquant d’un taxi dans un hôtel breton et immaculé pour un séjour de thalasso. On lui attribue une suite prestige Océan spirit et va pour le peignoir blanc, les bains à remous, les soins et les massages. Stéphane Brizé plante un décor à la Tati dans lequel Mathieu a l’air bien emprunté. Tout cela serait d’ailleurs assez burlesque si le comédien n’éclatait pas en sanglots en entendant le metteur en scène de la pièce de théâtre qu’il a laissé en plan à un mois de la générale, le traiter de « petit mec… » L’aventure bascule avec un message déposé à la réception et envoyé par Alice. Elle a dépassé la quarantaine, est mariée et a une fille adolescente. Elle donne des leçons de piano non loin de la thalasso. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps a passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Remarqué avec sa trilogie sociale (La loi du marché, En guerre et Un autre monde), le cinéaste signe, ici, une authentique chronique sentimentale autour du sentiment de désillusion. Sans jamais perdre de vue Alice et Mathieu. Guillaume Canet incarne cet acteur en plein doute face à cette Alice (excellente Alba Rohrwacher) qui a masqué son désarroi derrière un sourire poli. Une femme qui a renoncé à ce qui l’habite profondément pour se réfugier dans une vie avec un homme aimant qui ne lui fera jamais de mal. Depuis quinze ans, elle s’est protégée en se réfugiant dans une existence rangée. Mais le pansement commence aujourd’hui à se décoller. Alice se révèle une femme audacieuse qui décide de se mettre en danger. C’est elle qui pose tendrement sa main sur la nuque de Mathieu pour une brève rencontre de quelques jours. On croit entendre alors les paroles de la chanson (signée Delerue/Colpi en 1961) qu’Alice fait chanter aux pensionnaires de l’Ehpad où elle intervient : Trois petites notes de musique – Ont plié boutique – Au creux du souvenir – C’en est fini de leur tapage – Elles tournent la page – Et vont s’endormir. (Gaumont)
MADAME DE SEVIGNE
« Où est la marquise de Sévigné qui m’enchantait ? » Françoise de Grignan se désole. Elles sont loin, les heures indolentes et ensoleillées où, sur les bords d’un fleuve, la mère promettait : « Je vous veux heureuse, indépendante et maîtresse de votre destinée. » Une destinée qui passe par la fréquentation de la Cour et la perspective d’un beau parti. Las, par une nuit de fête et sous les éclats des feux d’artifice, le roi croise la jeune Françoise et la bouscule dans un fourré. Marie de Sévigné, en réussissant à arracher sa fille aux ardeurs royales, signe aussi une forme de disgrâce. La ravissante Françoise devient difficile à marier. En 1669, Françoise épouse le comte de Grignan, déjà veuf deux fois et nettement plus âgé qu’elle. Dans ce mariage, elle apporte l’argent, lui le nom… Pour son second long-métrage de fiction, Isabelle Brocard, dans une mise en scène fluide qui privilégie l’intime, orchestre le duo mère-fille le plus célèbre de la littérature française mais montre surtout les tourments d’une relation fusionnelle et finalement dévastatrice. Car, en ce milieu du 17e siècle, la marquise veut faire de sa fille une femme brillante et libre, à son image. Plus elle tente d’avoir une emprise sur le destin de la jeune femme, plus celle-ci se rebelle… Avec deux belles comédiennes (Sara Giraudeau et Karin Viard), la cinéaste décrit une relation emplie de déception, de provocations entre les deux femmes. Françoise pourrait tout à fait se séparer de sa mère : elle préfère adopter une posture de victime permanente. Madame de Sévigné pourrait prendre ses distances et cesser d’empiéter sur la vie de sa fille… Mais l’une et l’autre en sont incapables. (Ad Vitam)
COMME UN FILS
Pour Jacques Romand, l’enseignement, c’est terminé. Naguère, le prof a été une « vedette » des réseaux sociaux pour s’être retrouvé au coeur d’une bagarre entre deux lycéens qu’il tentait de séparer. Un soir alors qu’il fait ses courses, Jacques est témoin d’un vol commis par trois individus. Deux réussissent à s’enfuir mais Jacques ceinture le troisième, un adolescent de 14 ans, sans papiers et sans adresse. Plus tard, Jacques est victime d’un cambriolage. Dans une chambre, il trouve son jeune voleur endormi. Jacques va alors complètement s’investir dans le « sauvetage » de Victor. Nicolas Boukhrief brosse le portrait d’un enseignant qui a perdu sa vocation et s’attache donc à l’un de ces « piliers de la République » dans sa vie quotidienne. Une existence évidemment bouleversée par un jeune Rom sauvage et soupçonneux qui va, petit à petit, passer de la survie dans la rue à une approche, d’abord timide puis prometteuse, de cette éducation qui permet d’être dans la société et non pas à côté. Dans un rôle écrit pour lui, le monstre sacré Vincent Lindon se glisse, avec son habituelle aisance, dans la peau d’un héros du quotidien confronté aux silences et aux non-dits d’un Victor qui explique qu’il vole pour éviter de se faire battre par son oncle. Victor (Stefan Virgil Stoica) devient la première préoccupation de l’ancien prof. Cependant, alors que Victor et les siens disparaissent de leur campement, l’histoire se met un peu à tourner à vide. Jacques devient bénévole dans une association d’aide à l’enfance en danger. Et on voit sans peine se pointer une romance entre Jacques et la responsable de l’association… Mais l’hommage à l’éducation reste évidemment bienvenu. (Le Pacte)
SON NOM DE VENISE DANS CALCUTTA DESERT
Le cinéma a toujours occupé une place de choix dans le parcours de Marguerite Duras. Du scénario d’Hiroshima mon amour (pour Resnais) à ses adaptations de ses propres écrits au grand écran (La Musica, Détruire, dit-elle) en passant par ses réalisation originales comme Nathalie Granger, La femme du Gange ou Baxter, Véra Baxter, l’écriture en images a volontiers captivé la romancière. En 1975, elle porte à l’écran India Song, adapté de sa pièce de théâtre éponyme de 1973. Duras filme magnifiquement Delphine Seyrig dans l’emblématique personnage d’Anne-Marie Stretter, autrefois épouse de l’ambassadeur… Un soir, lors d’une réception à l’ambassade et dans la torpeur estivale de la mousson, le vice-consul de France (Michael Lonsdale) à Lahore avait crié son amour à Anne-Marie au beau milieu de la réception… Pour India Song, Duras pratique la désynchronisation de ce qu’elle nomme « le film des voix » et « le film des images ». L’année suivante, avec Bruno Nuytten à la photographie et Carlos d’Alessio pour la sublime musique, la cinéaste retrouve les voix de Delphine Seyrig et Michael Lonsdale et ira plus loin encore avec Son nom de Venise dans Calcutta désert, œuvre hypnotique et extrême qui s’applique à briser complètement la représentation au cinéma. Radical, étrange, âpre (dans son long cri d’amour), provocant évidemment dans sa permanente voix off, cette quête vagabonde et mortifère d’un amour (le mystère Anne-Marie Stretter) et cette réflexion sur la mémoire, traversée par des fantômes et des lieux vides et hantés, est un fameux moment de cinéma. Déroutant mais étourdissant. (Gaumont)
BIS REPETITA
« Si on la ferme, on peut avoir 19 ! » Propos d’élève de la minuscule classe de latin d’un lycée public d’Angers. C’est là que Delphine est professeur. Elle a en charge une section de classe d’une demi-douzaine d’élèves auxquels elle a tout bonnement renoncé à enseigner. Cependant la prof accorde à sa petite bande de très bonnes notes (19/20) et a donc acquis une excellente réputation pédagogique. Et voilà donc que, patatras, sa classe est sélectionnée pour participer à un concours académique international en Italie. Pas question de faire faux bond. Contrainte par des raisons administratives, la proviseure du bahut lui ordonne de se rendre à cette compétition. Mieux, Delphine devra se rendre en Italie en compagnie de Rodolphe, un doctorant en lettres classiques qui se trouve être le neveu très zélé de la proviseure. Voilà, notre bande de cancres, leur prof désabusée et un accompagnateur lunaire en route pour le championnat du monde de latin, à Naples. Pour sauver l’option latin, et surtout sa situation confortable, Delphine ne voit qu’une solution : tricher ! Après avoir travaillé sur différentes séries télé comme HP, Parlement, Les sept vies de Léa ou Loulou, Emilie Noblet est passée au grand écran avec cette comédie dans l’univers du lycée. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que le cinéma choisit ce cadre, de préférence avec des adolescents bien nazes ou complètement amorphes. Mais jusqu’à présent, on n’était pas encore entré dans une classe de latinistes. Quant à la prof, même si elle a de « mauvaises idées » pour réussir son championnat, elle parvient cependant à embarquer ses élèves dans une belle aventure. Et puis, comme c’est souvent le cas pour que ce genre de production, il faut un duo d’acteurs qui tiennent la route. Ici, c’est Louise Bourgoin et Xavier Lacaille (vu en assistant parlementaire novice dans la série Parlement de France Télévisions) qui s’y collent. Et ça marche agréablement. (Le Pacte)
ROBOT DREAMS
Chien solitaire, Dog vit à Manhattan. Un jour, il décide de se construire un copain robot. Leur amitié grandit, jusqu’à devenir inséparables, au rythme du New York des années 1980. Une nuit de fin d’été, après avoir nagé à Ocean Beach, Robot commence à rouiller au point d’être immobilisé. La saison se terminant et la plage ne rouvrant qu’à partir du début juin de l’année suivante, Dog est contraint de l’abandonner sur la plage car le poids trop important l’empêche de le déplacer. Les saisons passent, Dog essaye de vivre sa vie tout en espérant revenir réparer son ami lors de la réouverture, et Robot continue de rêver de son côté. Tous deux continuent de garder l’espoir de se retrouver un jour. Tombé rapidement sous le charme de l’émouvante histoire d’amour contée par le roman graphique américain éponyme de Sara Varon, le cinéaste espagnol Pablo Berger (remarqué en 2012 pour Blancanieves, une libre adaptation de Blanche-Neige dans l’Andalousie des années 20) a décidé de l’adapter en film d’animation en mettant fortement l’accent sur les thématiques de la solitude mais surtout de l’importance et de la fragilité de l’amitié. Berger réussit un film efficace, qui avec une animation de belle qualité, parvient à contourner les clichés et à procurer, sans mots, une émotion véritable. Récompensé dans divers festivals dont celui d’Annecy et nommé à l’Oscar du Meilleur film d’animation, ce film est un petit bijou d’animation sensible. (Wild Side)
IL N’Y A PAS D’OMBRE DANS LE DESERT
Ecrivaine française, Anna se rend à Tel Aviv pour assister au procès d’un ancien nazi. Son père doit venir la rejoindre pour témoigner au procès. Dans la salle d’audience, Anna est observée par Ori, un homme dont la mère doit également témoigner. Ils ont en commun d’avoir des parents victimes de l’extermination des Juifs par les nazis mais surtout Ori affirme qu’ils se sont connus et aimés vingt ans plus tôt à Turin. Anna n’en a aucun souvenir. Et pourtant, elle propose de ramener Ori et sa mère chez eux en voiture quand Ori victime de crises d’angoisse devient incapable de conduire. Puis Anna accepte de se faire accompagner à l’aéroport par Ori tout en ne cessant de lui répéter qu’il l’importune… Mais, peut-être qu’au milieu du désert, les choses deviendront plus claires… Car, sur la route de l’aéroport, Ori (Yona Rozenkier) décide d’entraîner Anna dans les sables… « On était écrasés par une souffrance qui n’était pas la nôtre ». Alors que la génération des survivants de la Shoah disparaît peu à peu, le poids du traumatisme historique et de la culpabilité pèse toujours sur leurs familles. À travers l’intrigue mystérieuse et romantique entre deux descendants de survivants, Il n’y a pas d’ombre dans le désert mêle habilement les thèmes de mémoire collective et de souvenirs intimes. Entre quête d’identité, film de procès, road-movie désertique et histoire d’amour, le second film de l’Israélien Yossi Aviram s’avère aussi inclassable qu’original. Drame profond et mélancolique, superbement photographié dans le désert israélien, sur les souvenirs incertains d’une relation passionnelle, le film doit beaucoup à Valerie Bruni-Tedeschi dans un personnage de femme entre force et fragilité. (Blaq Out)
LE SUCCESSEUR
Nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de haute couture française, Ellias Barnès, heureux et accompli, peut voir la vie en rose. Quand il apprend que son père, avec lequel il n’entretient plus de relation depuis de nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias se rend au Québec pour régler la succession. En vidant la demeure paternelle, le « prince de la mode » va découvrir une horrible vérité enfouie. Le jeune créateur, aussi réputé que torturé, va découvrir qu’il a hérité de bien pire que du coeur fragile de son père. Largement fêté par la critique qui célèbre son intensité et sa maîtrise, Xavier Legrand avait frappé un grand coup en 2017 avec Jusqu’à la garde, un premier film sur les violences conjugales qui lui valut pas moins de quatre César dont celui du meilleur film et celui du meilleur scénario original. Autant dire qu’on attendait de découvrir le second « long » du cinéaste… Avec l’envie de parler de « la violence des hommes et de montrer comment le patriarcat peut écraser les femmes, les enfants mais aussi les hommes », Legrand se lance franchement, ici, dans le cinéma de genre en entraînant le spectateur dans les profondeurs très noires d’un thriller familial traversé par la question de l’hérédite. Car la découverte que va faire Ellias dans la cave de la maison de son père, va l’emporter dans une histoire vertigineuse. Le fils, sans alerter la police, va tenter de gérer lui-même une tragédie qui va forcément l’éclabousser au moment même où il arrive sur le devant de la scène lumineuse et immaculée de la mode internationale dont il pourrait devenir l’un des maîtres… Librement inspiré de L’ascendant, le roman d’Alexandre Postel, publié en 2015 chez Gallimard, Le successeur a, cette fois, divisé la critique. Les uns vantant une ambiance asphyxiante, une mise en scène précise et flamboyante, les autres pointant un scénario invraisemblable et l’absence de toute idée de mise en scène un peu maline. Mais la critique s’accord à saluer les belles interprétations des comédiens québécois Marc-André Grondin (dans le rôle d’Ellias) et d’Yves Jacques. (Blaq Out)
DANS LA PEAU DE BLANCHE HOUELLEBECQ
Michel Houellebecq a accepté d’honorer de sa présence un concours de sosies de lui organisé en Guadeloupe. Une compétition dont le jury est présidé par Blanche Gardin, une artiste aux opinions politiques assez éloignées des siennes. Assez réticent à s’y rendre, le romancier accepte cependant et part, accompagné de Luc, son assistant et garde du corps. Ce dernier profite de ce voyage pour régler une obscure et mystérieuse affaire avec des amis qu’il avait sur place. S’en suivent de burlesques et rocambolesques épisodes qui verront Michel témoin d’un meurtre, attaché par des menottes à Blanche Gardin après avoir échappé à la police, ou sous l’emprise de champignons hallucinogènes. À cela s’ajoute un climat de revendications indépendantistes sur l’île qui va perturber le concours… Connu pour ses films noirs (Une affaire privée, Cette femme-là, La Clef), Guillaume Nicloux s’est ensuite diversifié, adaptant notamment La religieuse de Denis Diderot. Le cinéaste a aussi fait tourner à plusieurs reprises Michel Houellebecq dans son propre rôle, au cinéma dans L’enlèvement de Michel Houellebecq (2013), Thalasso (2019) et donc désormais dans ce nouvel opus. Réalisateur prolifique et surprenant, Nicloux signe, ici, une fantaisie loufoque dans laquelle on sent clairement que le cinéaste s’amuse à expérimenter, incluant notamment dans sa mise en scène, les imprévus du tournage. Nicloux, qui aligne une série de caméos (Françoise Lebrun, Gaspar Noé, Jean-Pascal Zadi) laisse aussi la bride sur le cou à son duo-vedette… Houellebecq a toujours l’air « décalé » et décati tandis que Blanche Gardin se régale, s’offrant même quelques écarts pipi-caca… Irrévérencieux, caustique, absurde, politiquement incorrect. (Blaq Out)
KARAOKE
« Chanter, c’est ma passion ! » Mais voilà, Fatou ne chante pas juste. Ce que Bénédicte traduit par un « Vous avez une voix un peu difficile… » La première est femme de chambre dans un hôtel de luxe. La second est une diva de la scène qui vit, depuis toujours, dans le dit hôtel. Deux femmes que rien, évidemment, ne devait amener à se rencontrer. Sauf qu’après une soirée pleine d’excès, la célèbre chanteuse d’opéra, voit sa carrière s’écrouler. Fatou, passionnée de karaoké, est la seule à lui tendre la main. Mais la pétulante femme de chambre a une idée derrière la tête : convaincre Bénédicte de participer au grand concours national de karaoké. La parfaite maîtrise vocale de l’une et la ténacité de l’autre pourraient bien faire des étincelles et les amener très loin. Scénariste et réalisateur, Stephane Ben Lahcene utilise un ressort classique de la comédie de cinéma, en l’occurrence les tensions puis la rencontre amicale, enfin l’énergie partagée d’un tandem dépareillée. D’un côté, la coincée déconnectée du vrai monde et surtout de la culture populaire, de l’autre une femme de la réalité qui doit se bagarrer avec des problèmes abondants. Mais, entre les deux, quelque chose va se jouer. Autour du… karaoké et d’un (improbable) concours qui va les entraîner jusqu’au Japon. Le cinéaste peut, ici, s’appuyer sur un duo qui fonctionne bien avec Michèle Laroque en diva reconvertie et Claudia Tagbo, l’humoriste franco-ivorienne, en passionnée de karaoké. Bien complices, ces deux-là réussissent à entraîner le spectateur dans une sympathique comédie musicale. (UGC)
L’HORREUR NAZI HORS-CHAMP ET AYA LA BELLE CONTEMPLATIVE
LA ZONE D’INTERET
Des azalées et des roses, des phlox et des dahlias ! Dans le joli jardin de la famille Höss, il y a de quoi réaliser de ravissants bouquets pour embellir une grande maison propre et claire. Et, dans le potager, poussent des tomates et des choux-rave, du fenouil, du romarin, des citrouilles et des haricots qui feront d’excellents repas pour papa Rudolf, maman Hedwig et leurs petits Johann, Hans, Inge-Brigit, Annagret et Heideraut… Mais ces images parfaitement bucoliques avec fleuve tranquille, abords ombragés, verdure et forêt alentour ne trompent pas longtemps. Nous sommes en Pologne, là où, durant la guerre, le Reich hitlérien étend son espace vital. L’Obersturmbannführer Rudolf Höss n’est autre que le commandant du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. Mari tranquille et attentionné, il veille au bien-être des siens et laisse à son épouse Hedwig le soin d’élever sa petite troupe. Pourtant cette observation de la paisible vie quotidienne de la famille Höss se heurte constamment à un haut mur, à des barbelés, à des bâtiments surmontés de cheminées qui crachent nuit et jour des fumées rougeoyantes. De ce côté-ci du mur gris, Hedwig Höss et ses amies prennent le café et du strudel, de l’autre, on assassine de manière industrielle. Avec un regard implacable autant qu’impassible, Jonathan Glazer orchestre la coexistence de deux extrêmes. Celui des Höss se déroule devant nos yeux. L’autre est dans un hors-champ d’autant plus terrifiant qu’il se résume à des sons. Optant pour une forme audacieuse d’inversion, le cinéaste britannique conserve une horreur fugitive sans que son importance soit banalisée, ni sa capacité à déranger diluée. Car un bourdonnement ininterrompu traversé d’éclats brutaux, de coups de feu, de hurlements glace le sang. Peut-on, hors le documentaire, filmer l’Holocauste ? Le cinéma s’est régulièrement posé la question. Glazer demeure aux portes de l’enfer mais c’est pour mieux bousculer le spectateur confronté à l’innommable à travers les allers et venues de la famille Höss. Bonne mère de famille allemande dévouée à son époux, à ses enfants et à la cause national-socialiste, Hedwig vaque aux tâches du foyer. Lorsque sa mère lui demande si les domestiques sont juifs, elle lance, joyeusement, « Les Juifs sont de l’autre côté du mur ». Hors de vue, hors de l’esprit. A côté d’un Christian Friedel impressionnant dans la peau d’un Rudolf Höss, calme fonctionnaire de la banalité du Mal, on retrouve Sandra Hüller, déjà applaudie naguère dans Anatomie d’une chute. La comédienne, qui se refusait jusque là à incarner un personnage de nazi, est une véritable bobonne allemande, qui rit, en racontant, que son Rudi la surnomme « la reine d’Auschwitz ». Elle est effroyable de calme quand elle dit, à une domestique polonaise : « Si je voulais, mon mari pourrait répandre tes cendres à Babice… » « Nous parlons ici, dit Glazer, de probablement l’une des pires périodes de l’histoire de l’humanité, mais nous ne pouvons pas dire ‘mettons-la au placard’ ou ‘il ne s’agit pas de nous, nous sommes à l’abri de tout ça, c’était il y a 80 ans’. Nous ne pouvons pas nous dire que cela ne nous concerne plus. Clairement, cela nous concerne, et c’est troublant de le constater, mais cela sera peut-être toujours le cas. Donc je voulais porter un regard moderne sur le sujet. » Grand prix du festival de Cannes 2023, La zone d’intérêt est à bien des égards, un film majeur et exceptionnel. Y compris par sa manière, aussi étrange que saisissante, de nous rappeler qu’il importe de ne jamais oublier l’Histoire. Au risque de la revivre. (Blaq Out)
BLACK TEA
Dans une mairie en Côte d’Ivoire, des couples attendent de convoler. L’ambiance est à la joie. La seule qui ne sourit pas sous son voile blanc, c’est Aya. Son promis vient de dire: « Oui, je consens ! ». La jeune femme tarde. A une parente, elle a glissé : « Je ne veux pas vivre mon futur dans le mensonge. » Alors, dignement, Aya se lève et, devant l’assistance médusée, s’éloigne… On la retrouve dans les rues de Canton où elle a trouvé un travail dans la boutique de thé du taiseux Cai, un Chinois de la quarantaine… Largement célébré à Cannes 2014 pour l’impressionnant Timbuktu, le cinéaste Abderrahmane Sissako signe, cette fois, une déambulation grave et poétique, entre la Côte d’Ivoire, la Chine et le Cap-Vert, au coeur de laquelle Aya va tenter de trouver ses marques. Pratiquant bien le mandarin, elle est aussi à l’aise dans la boutique de thé que parmi la communauté d’expatriés africains. Mais Aya (Nina Mélo) s’interroge sur sa liaison avec Cai et se demande si elle pourra survivre autant aux préjugés qu’aux tumultes de leurs passés. Les deux personnages centraux du film incarnent la rencontre sociale, politique et économique entre l’Afrique et la Chine. De fait, Aya et Cai se retrouvent surtout dans l’envie d’une vie harmonieuse à travers une entente et une compréhension des autres. Refusant le folklore, Sissako met en scène une œuvre contemplative traversée par des émotions, des sentiments, des sensations mais aussi par une douceur charnelle, ainsi les séquences dans l’arrière-boutique où Cai initie Aya aux gestes immuables et précis de la cérémonie du thé. Et ces gestes semblent appartenir aussi à un rituel amoureux. On songe parfois au In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Impression renforcée par la musique avec les accents très saudade de la morna cap-verdienne ou encore à la reprise du Feeling Good de Nina Simone par Fatoumata Diawara. Une œuvre singulière et belle, grave et gracieuse. (Gaumont)
BOLERO – LE MYSTERE RAVEL
Comme le rappelle le générique de fin, il ne se passe pas un quart d’heure sans qu’une interprétation du Boléro ne se fasse quelque part dans le monde ! A son tour, Anne Fontaine s’est donc penché sur cette pièce qui sera, en 1928, l’instrument de la consécration internationale de Maurice Ravel (1875-1937) même si le compositeur ne la considère que comme une expérimentation d’orchestration. Le film s’ouvre sur la visite de Ravel et de la célèbre danseuse et chorégraphe Ida Rubinstein dans une usine. Ravel veut lui faire entendre « les sons d’une symphonie mécanique », ceux de la marche du temps qui avance. Ida Rubinstein veut que le musicien écrive la musique de son prochain ballet. Avec une exigence : qu’il soit à la fois « charnel, envoûtant et érotique ». Las, Ravel n’arrive pas « à faire surgir l’idée tapie dans un coin… » Cinéaste éclectique, Anne Fontaine propose une belle variation autour du biopic, l’abordant sous l’angle -franchement romantique- de Ravel et les femmes et emportant le spectateur dans les pas d’un homme à la frêle stature, compositeur aussi exigeant que talentueux et personnage cerné par les femmes. Ainsi, tournent autour de lui, sa mère persuadée que le monde reconnaîtra l’excellence de son fils, Ida Rubinstein, Marguerite Long, Madame Revelot, la fidèle gouvernante ou la séduisante Misia Sert, surnommée « la reine de Paris », amie et muse amoureuse, toujours présente et qui lui glisse : « Ce que vous demandez à la musique, je le demande à l’amour… » Entouré d’Anne Alvaro, Jeanne Balibar, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin, Mélodie Adda et Doria Tillier, Raphaël Personnaz incarne un artiste taraudé par les doutes qui, parlant de son Boléro, dira : « Je lui en veux un peu d’avoir mieux réussi que moi ». (M6)
MOONLIGHT EXPRESS
Après la mort tragique de Tatsuya, son fiancé disparu dans un accident de voiture, Hitomi décide de partir pour Hong Kong où le couple avait prévu de s’installer. Là-bas, la Japonaise croise la route de Karbo, un policier local infiltré qui ressemble trait pour trait à son amour perdu. À mesure que les deux jeunes gens apprennent à se connaître, l’attirance qu’ils ressentent l’un pour l’autre se fait plus forte. Et lorsque Karbo, trahi par ses pairs, voit sa mission échouer, Hitomi choisit de fuir avec lui… Connu pour ses films d’action rythmés ou des films de super héros (Black Mask, A Fighters’s Blues, La quatorzième lame), le réalisateur hongkongais Daniel Lee surprend, en 1999, en changeant de registre et en mêlant le thriller, façon Infernal Affairs , à une romance tendre et touchante. De fait, parce que la mise en scène soignée peut s’appuyer sur une photographie de qualité, une belle histoire (sans qu’elle ne soit très originale) portée par de charmantes plages musicales et surtout sur des comédiens en verve, tout cela fonctionne bien agréablement. Daniel Lee donne en effet le double personnage de Tatsuya/Karbo à un Leslie Cheung aussi bon que dans des films qui l’avait mis dans la lumière, ainsi, en 1993, le magnifique Adieu ma concubine de Chen Kaige ou, en 1997, Happy Together de Wong Kar Wai. L’alchimie fonctionne entre Cheung et la jeune comédienne japonaise Takako Tokiwa. Sans oublier une apparition de la grande Michelle Yeoh. Du beau travail à découvrir pour la première fois en Blu-ray dans sa version restaurée 2K. (Carlotta)
INCHALLAH UN FILS
En Jordanie, de nos jours. Nawal et son mari vivent dans la capitale Amann. Ils ont une fille et essaient d’avoir un deuxième enfant. Bien que jeune, le mari de Nawal meurt dans son sommeil. Désormais, Nawal, 30 ans, va devoir se battre pour sa part d’héritage, afin de sauver sa fille et sa maison, dans une société où avoir un fils changerait la donne. Le temps des condoléances passé où chacun affirme évidemment à Nawal qu’il est là pour elle en cas de besoin, la jeune femme va se retrouver face au système injuste d’une société encore patriarcale où, en l’absence d’héritier mâle, le patrimoine du couple revient… à la famille du défunt ! En 2023, le réalisateur Amjad Al Rasheed, considéré comme l’un des talents montants du jeune cinéma jordanien, évoque le parcours complexe et difficile d’une jeune veuve qui tente de préserver ses biens et la garde de sa fille, face aux cadres juridique, religieux et culturel qui étouffent ses initiatives et sa liberté. C’est bien entendu l’absurde injustice administrative qui impressionne dans cette chronique marquée par la profonde solitude de Nawal. Au-delà même du droit, il lui faut faire aussi avec son beau-frère qui réclame une dette impayée. Nawal sait bien ce que dernier peut également en cas de défaillance devenir le tuteur de sa nièce et l’enlever à la garde de sa mère… Luttant à la fois pour son indépendance et même, plus que cela, pour sa survie, Nawal va tenter de faire valoir ses droits -d’autant qu’elle travaille comme aide-soignante mais sans contrat de travail. Elle explique aussi qu’elle a apporté des biens et de l’argent en dot au moment du mariage, rien n’y fait. D’ailleurs, aucun document officiel ne confirme ses affirmations. Et se dire que si elle avait un fils, tous les ennuis disparaitraient comme par enchantement. Avec pour cadre, la capitale jordanienne qui est aussi un personnage marquant d’Inchallah, un fils, Amjad Al Rasheed, pour son premier long-métrage, réussit à nous embarquer, sans céder au mélo lourdingue, dans le récit réaliste et bouleversant du combat d’une femme marquée par le deuil et qui, cependant, ne veut pas baisser les bras, ni rentrer dans le rang. Vue dans Je danserai si je veux (2016) de Maysaloun Hamoud et dans la série Fauda (2015-2022), la comédienne israélienne Mouna Hawa est une superbe Nawal digne et courageuse, austère et sensuelle, qui, à cause de la camionnette de son mari, entrevoit un brin d’espoir. (Pyramide)
BULLETS OVER SUMMER
Alors qu’un gang tue des flics, des gardes et des invités lors d’un mariage, deux flics en civil sont désignés pour faire l’enquête sur ce bain de sang. Ils vont chercher un appartement en face de celui d’un des suspects, un revendeur d’armes, que leur informateur leur a indiqué. Il se trouve que l’appartement qu’ils choisissent est celui d’une dame âgée quelque peu excentrique. Sénile, elle les prend pour des membres de sa famille et les appelle Mike et Brian. Les jours passent et les deux hommes commencent à s’attacher à leur colocataire et à tisser des liens avec les gens du quartier. « Brian » drague une écolière un peu punk sur les bords et « Mike », orphelin, essaie de trouver le confort d’une famille avec une femme enceinte, propriétaire d’une laverie. Mais il se rend vite compte qu’il est atteint du syndrome de Huntington, une maladie héréditaire et rare qui se traduit par une dégénérescence neurologique provoquant d’importants troubles moteurs, cognitifs et psychiatriques… Mais le gangster et ses sbires font leur grand retour… Imprévisible de bout en bout, le septième long-métrage du prolifique cinéaste hongkongais Wilson Yip (Juliet in Love, SPL) impressionne par la richesse de sa mise en scène et d’un récit, tout en ruptures de ton et de genre. Croisant le film d’action ultra-violent au polar pur et dur, passant du buddy cop movie à la chronique familiale réaliste, Bullets Over Summer, réalisé en 1999, offre un remarquable exemple du savoir-faire inimitable du Nouveau Cinéma hongkongais, formidablement interprété par le duo Francis Ng et Louis Koo. Le film, qui sort pour la première fois en Blu-ray dans sa version restaurée 2K, est accompagné, dans les suppléments, d’une présentation par Jean-Pierre Dionnet. (Carlotta)
14 JOURS POUR ALLER MIEUX
Cadre ambitieux et cartésien, Maxime ne pense qu’à sa carrière et à son futur mariage avec Nadège, la fille de son patron. Au bord du burn-out, seul à ne pas s’en rendre compte, il se retrouve embarqué par son futur beau-frère Romain au beau milieu de son pire cauchemar… Un stage de bien-être encadré par Clara et Luc, un couple de « clairvoyants », avec des stagiaires plus lunaires les uns que les autres. Deux semaines pour aller mieux, au cours desquels ses principes et préjugés vont être soumis au régime zénitude et bienveillance ! C’est en travaillant sur les spectacles de Kev Adams qu’Edouard Pluvieux, le réalisateur de 14 jours… a découvert Maxime Gasteuil. Il le trouve sympathique et décide d’aller voir son one-man-show intitulé Maxime Gasteuil arrive en ville. Ensemble, ils collaboreront au second long-métrage du cinéaste avec l’idée centrale de voir comment le le personnage de Max, un type avec une grande gueule enfarinée, allait évoluer dans un stage de bien-être. Plutôt qu’un enchaînement de sketches, Edouard Pluvieux a mis en scène une vraie comédie, agréablement barrée et qui fait la part belle, outre Maxime Gasteuil dans le rôle principal, à des comédiens comme Zabou Breitman et Lionel Abelanski (le couple de gourous) ou encore Chantal Lauby, Michel Boujenah, Romain Lancry ou Bernard Farcy… (Wild Side)
TRUE DETECTIVE – SAISON 4
Dans la ville reculée d’Ennis, en Alaska, les huit scientifiques travaillant à la Station de Recherche Tsalal disparaissent. Sur les lieux du drame, on découvre la langue coupée d’une femme dont les enquêteurs pensent qu’elle serait une autochtone. Cette femme pourrait être Annie Kowtok, une Inuit poignardée à mort et la langue coupée après avoir protesté contre la construction d’une mine locale… Des photographies attestent d’une relation entre Annie et l’un des chercheurs disparus. Bientôt les policiers sont invités à se rendre à proximité d’un lac gelé. On y a découvert les corps nus des chercheurs, figés dans une masse solide, avec leurs vêtements soigneusement pliés sur la neige. True Detective: Night Country, le quatrième volet de la série anthologique primée de HBO se déroule en six épisodes captivants. Ce sont à nouveau les détectives Liz Danvers (Jodie Foster) et Evangeline Navarro (Kali Reis) qui sont sur le coup et qui devront affronter les ténèbres qu’elles portent en elles et creuser les vérités hantées qui se trouvent enfouies sous la glace éternelle. Après la Louisiane (saison 1), la Californie (saison 2) et les monts Ozarks dans l’Arkansas (saison 3), la quatrième saison a, pour décor, une station de recherche arctique du côté de North Slope en Alaska, où il fait nuit en permanence durant plusieurs semaines en hiver. Dans les bonus: A la rencontre des “True Detectives”, Exploration de la culture Inuit, Test de Rorschach, le décor et un récapitulatif des épisodes. (Warner)
2001 : L’ODYSSEE DE L’ESPACE
Cet été, la collection The Film Vault propose différents titres fameux dans des éditions steelbooks collectors tirées des dessins originaux de Matt Ferguson et Florey de Vice Press. Ainsi, plus de cinquante années après sa sortie, on peut revoir 2001: L’odyssée de l’Espace, le chef-d’œuvre oscarisé de Stanley Kubrick. Une œuvre-culte réalisée en 1968 et qui présente une vision poignante de l’homme contre la machine sur un mélange stupéfiant de musique et d’action. Kubrick, (qui a co-écrit le scénario avec Arthur C. Clarke), rend d’abord visite à nos ancêtres préhistoriques, puis effectue un bond de plusieurs milliers d’années, grâce à un fondu enchaîné magistral, vers l’espace colonisé. Enfin, il envoie l’astronaute Bowman (Keir Dullea) vers les régions inconnues de l’espace, sur la route de l’immortalité. Resté célèbre pour sa précision scientifique, ses effets spéciaux révolutionnaires pour l’époque, ses scènes ambiguës, son usage d’œuvres musicales au lieu d’une narration traditionnelle, et pour le rôle secondaire qu’occupent les dialogues dans l’intrigue, le film est mémorable aussi pour sa bande-son (avec Le beau Danube bleu ou Ainsi parlait Zarathoustra) conçue par Kubrick lui-même, afin d’épouser au mieux les scènes du film. « Hal, ouvre la porte s’il te plait. » Que l’extraordinaire voyage commence. Un film qui demeure toujours comme une référence à n’importe qui voulant représenter l’espace. (Warner)
IMAGINARY
Autrice et illustratrice de livres pour enfants, Jessica est en panne d’inspiration. Et sa vie personnelle ne va pas beaucoup mieux que sa vie professionnelle. En couple avec Max, Rebecca est désormais la belle-mère de Taylor, qui la déteste, et d’Alice, qui, au moins, l’aime bien. À cela s’ajoute un père hospitalisé et catatonique. Lorsque cette famille recomposée emménage dans la maison où Rebecca a vécu durant son enfance, la petite Alice devient tout accaparée par un mystérieux ourson en peluche qu’elle a trouvé dans le sous-sol et prénommé Chauncey. Tout commence par des jeux innocents, mais le comportement d’Alice devient de plus en plus inquiétant. Tandis qu’elle tente de recoller les fragments oubliés de son enfance, Jessica comprend alors que Chauncey est bien plus qu’un simple jouet et qu’Alice court un réel danger. Passé dans la cour des grands à Hollywood en dirigeant Aaron Taylor Johnson, Chloe Grace Moretz et Jim Carrey dans Kick-Ass 2 (2008), Jeff Wadlow joue avec la figure inoffensive de l’ami imaginaire et donne un film d’horreur autour du sous-genre du jouet maléfique. Normalement rassurant pour son jeune propriétaire, ce jouet va se révéler spécialement mortifère. Tout cela alors que les adultes alentour semblent bien inconscients des machinations du monstre. Même si elle paraît dépassée, Rebecca (l’Américaine DeWanda Wise, vue en Nola Darling dans la version série télé du She’s Gotta Have It de Spike Lee) va quand même se battre… Efficace ! (Metropolitan)
L’AMOUR FOU ET LA MEMOIRE DE NICKY
L’EMPIRE DES SENS
Dans les quartiers bourgeois de Tokyo en 1936, Sada Abe, ancienne prostituée devenue domestique, aime épier les ébats amoureux de ses maîtres et soulager de temps à autre les vieillards vicieux. Attiré par elle, Kichizo, son patron, bien que marié, va l’entraîner dans une escalade érotique sans bornes. Partagé entre ses deux maisons, celle qu’il partage avec son épouse et celle qu’il partage avec Sada, Kichizo va avoir de plus en plus de mal à se passer de Sada et celle-ci va de moins en moins tolérer l’idée qu’il puisse y avoir une autre femme dans la vie de son compagnon. Kichizo demande finalement à Sada, pendant un de leurs rapports sexuels, de l’étrangler sans s’arrêter, quitte à le tuer. Sada accepte, l’étrangle jusqu’à ce qu’il meure, avant de l’émasculer dans un ultime geste. Elle écrit ensuite sur la poitrine de Kichizo, avec le sang de ce dernier : « Sada et Kichi, maintenant unis ». A son producteur français Anatole Dauman, le réalisateur japonais Nagisa Oshima dira : « Notre film doit devenir une arme bien efficace pour la lutte contre la censure franco-japonaise, contre la censure de nos deux pays. » De fait, lorsqu’il réalise L’Empire des sens en 1976, le cinéaste japonais Nagisa Oshima, enfant terrible de la Nouvelle vague nippone, brise tous les tabous en filmant la passion amoureuse à l’état pur et de manière frontale. Cet hymne à l’amour et au sexe reste aujourd’hui l’une des œuvres les plus insolentes sur l’obsession érotique et sa pulsion de mort. Autour de ce film d’une scandaleuse beauté, Carlotta a fait ce remarquable travail éditorial dont on sait qu’il a le secret. Voici en effet un beau double coffret ultra collector dans une restauration 4K et dans une édition limitée et numérotée à 3000 exemplaires. On y trouve L’empire des sens accompagné de suppléments comme l’histoire du film (41 mn) ou un documentaire (54 mn) de David Thompson et Serge July qui mêlant documents d’archives et entretiens réalisés en 2010, retrace l’histoire et la postérité du film et celle de son réalisateur. On y trouve aussi L’empire de la passion réalisé en 1978 par Oshima et La véritable histoire d’Abe Sada (1975) de Noboru Tanaka. Enfin le coffret (avec un visuel exclusif d’Adam Juresko) propose La Révolte de la chair, un livre de 160 pages (avec 45 photos d’archives) dans lequel Stéphane du Mesnildot relate le combat engagé par Oshima pour la liberté d’expression. Après avoir retracé le destin hors norme de la véritable Abe Sada, Stéphane du Mesnildot revient sur le scandale provoqué par le film comme par sa suite « à rebours », L’empire de la passion. L’ouvrage propose également le dossier de presse français de L’Empire des sens enrichi d’un texte inédit de Nagisa Oshima sur le montage de son film à Paris… (Carlotta)
UNE VIE
Fin septembre 1938, Hitler, en champion du principe des nationalités, décide de « libérer les Allemands des Sudètes » de l’« oppression » tchécoslovaque, promettant à l’Europe, « une paix pour mille ans ». Du côté de Prague, nul, pourtant, n’est dupe des visées du Führer. Et les familles juives peuvent craindre la solution finale… Pourtant, en 1938, entre Londres et Prague, un courtier britannique décide de tout mettre en œuvre pour sauver le plus d’enfants tchécoslovaques. Cet homme, Nicholas Winton, on le retrouve, dans l’Angleterre de 1987. Même âgé, Winton ne cesse de penser aux autres en militant dans des associations caritatives. Son épouse, elle, se désole de voir s’accumuler partout des cartons de documents, d’autant que leur fille, récemment maman, doit les rejoindre. Alors Nicholas décide de tout brûler. Mais pas question de faire disparaître une mallette en cuir. Elle contient le précieux « livre de Prague » avec des coupures de presse, des courriers, des listes avec des milliers de noms et surtout les photos des visages tristes des enfants tchèques… Avec son premier long-métrage, l’Anglais James Hawes signe un bon biopic qui réussit d’une part à rendre hommage à Nicholas Winton dont l’action, durant la dernière guerre, n’était guère connue et d’autre part à provoquer l’émotion, notamment grâce au jeu sensible de cet immense comédien qu’est Anthony Hopkins. Il incarne le vieil homme qui se retourne sur ses souvenirs, hanté par les noms et les photos des enfants qu’il n’a pu arracher à l’ignominie nazie. Un homme qui, dans la tourmente guerrière, s’est dit : « Je dois le faire ! » Et qui entendra un rabbin praguois qu’il doit convaincre de lui donner une liste d’enfants juifs à emmener vers l’Angleterre, lui enjoindre : « Si tu commences, tu achèves ! » Avec fougue et peut-être même un peu d’ingénuité, Nicholas Winton sauvera 669 enfants juifs. Une vie revient aussi sur l’événement qui a conduit à faire connaître cet Oskar Schindler britannique du grand public. En 1988, l’émission That’s Life de la BBC consacre une partie de son programme à Winton et à son « livre de Prague ». A cette occasion, Winton (disparu en 2015 à l’âge de 106 ans) retrouvera des enfants, désormais adultes, qui ont survécu grâce à lui. Alors, on peut entendre la litanie des noms des « enfants de Nicky » : Elsie, Petr, Jan, Marta, Esther, Vera, Hanus… (M6)
DAAAAALI !
Quentin Dupieux est un ovni dans le cinéma français ! Il réalise des films à la chaîne et conjugue le mot fantaisie à tous les modes. Sa rencontre avec l’univers de Salvador Dali était une évidence. Avec le premier plan du film sur un piano-fontaine, Dupieux, d’entrée, ramène le spectateur à l’oeuvre du peintre de Cadaquès et donne les règles du jeu. « On entre dans un monde où les pianos sont des fontaines infinies, où poussent des arbres, sur fond de paysage doré ». Voici donc un 12e long-métrage complètement foutraque, carrément délirant, positivement barré ! Mais sans jamais verser dans le n’importe quoi. Comment en aurait-il pu être autrement puisque le cinéaste confie : « Pour écrire et réaliser cet hommage, je suis entré en connexion avec la conscience cosmique de Salvador Dali et je me suis laissé guider, les yeux fermés. » Jeune journaliste, Judith Rochant semble tenir le bon bout puisqu’elle a l’inestimable chance de pouvoir interviewer l’immense Salvador. Voilà pour un semblant de trame car Daaaaaali ! s’embarque joyeusement sur ces brisées loufoques qui font le sel (et l’ordinaire!) des œuvres de Quentin Dupieux. Il faut bien cela pour cerner un personnage « excentrique et concentrique, à la fois anarchiste et monarchiste ». Un évêque sur un âne, une pluie de chiens morts, un repas qui prend une étrange tournure… Luis Bunuel est convoqué aussi… Enfin, on ignore si c’est le maître qui a soufflé à Queeeeeentin, l’idée de convoquer cinq comédiens pour interpréter son personnage, évidemment trop complexe pour un seul homme… Gilles Lellouche, Pio Marmaï, Jonathan Cohen, Didier Flamand et Edouard Baer s’emparent de Dali avec une joie manifeste. Quant à Quentin Dupieux, il s’amuse comme un fou à changer, d’un plan à un autre, d’interprète pour son singulier artiste. Anaïs Demoustier, dans le rôle de Judith, participe avec grâce au généreux vent de folie qui traverse Daaaaaali ! Dali le disait lui-même, sa personnalité était probablement son plus grand chef d’oeuvre. Avec drôlerie et déférence, mais oui, Dupieux nous le raconte ! On monte à bord de cette aventure surréaliste avec ravissement. (Diaphana)
GREEN BORDER
Ayant fui la guerre, une famille syrienne entreprend un éprouvant périple pour rejoindre la Suède. A la frontière entre le Belarus et la Pologne, synonyme d’entrée dans l’Europe, ils se retrouvent embourbés avec des dizaines d’autres familles, dans une zone marécageuse, à la merci de militaires aux méthodes violentes. Ils réalisent peu à peu qu’ils sont les otages malgré eux d’une situation qui les dépasse, où chacun -garde-frontières, activistes humanitaires, population locale- tente de jouer sa partition… C’est un sacré parcours que celui d’Agnieska Holland ! La cinéaste polonaise, aujourd’hui âgée de 75 ans, est remarquée dès 1988 avec Le complot sur l’assassinat du prêtre Jerzy Popiełuszko, membre de Solidarność, par la police secrète communiste. En 1990, elle signe Europa Europa, drame de guerre sur l’odyssée de Sally Perel. Dès le début des années 90, elle va travailler pour la télévision et réalise des épisodes des séries The Wire, Cold Case, The Affair ou House of Cards. Avec Green Border, entièrement tourné en Pologne, la cinéaste revient à des temps de guerre au coeur de l’Europe en nous amenant à voir à la fois des familles syriennes fuyant leur pays comme des Polonais qui ont décidé d’assister ces personnes maltraitées par l’armée de leur pays. « Ce ne sont pas des gens ! Ce sont des balles vivantes ! » dit un officier. Car les armées polonaise et biélorusse considèrent les migrants comme des ballots trimballés de part et d’autre des barbelés, sans aucune considération pour la vie humaine, et notamment les enfants qui composent ces groupes traqués dans un jeu inhumain. Agnieska Holland s’intéresse particulièrement à une psychologue qui décide d’aider un collectif oeuvrant dans la région : « On ne laissera plus jamais personne dans les bois… » mais aussi à un militaire qui excite ses hommes contre ces intrus présentés comme des combattants planifiant une invasion de la Pologne ! Agnieszka Holland qui a réalisé son film dans « un état d’urgence et de colère », a obtenu le prix spécial du jury à la Mostra de Venise tandis qu’Amnesty international lui décernait un coup de cœur. En Pologne, par contre, la cinéaste a fait l’objet d’attaques haineuses et antisémites. Le ministre polonais de la justice a comparé le film à de la propagande nazie, comme du temps où « les Allemands, durant le IIIe Reich, produisaient des films de propagande montrant les Polonais comme des bandits et des meurtriers ». (Condor)
VIVANTS
Ancienne guide de haute-montagne, Gabrielle, 30 ans, intègre une prestigieuse émission de reportages. Elle doit très vite trouver sa place au sein d’une équipe de grands reporters. Malgré l’engagement de Vincent, leur rédacteur en chef, ils sont confrontés au quotidien d’un métier qui change, avec des moyens toujours plus réduits, face aux nouveaux canaux de l’information. Habités par leur passion pour la recherche de la vérité, leur sens de l’humour et de la solidarité, ils vont tout tenter pour retrouver la foi de leurs débuts et se réinventer. Après avoir fait ses débuts comme journaliste-caméraman à l’agence Capa, Alix Delaporte s’est tournée vers le cinéma. Elle débute dans le « long » avec le touchant Angèle et Tony (2011) qui vaudra les César du meilleur espoir à Clotilde Hesme et Gregory Gadebois. Deux comédiens qu’elle retrouvera, en 2014, pour Le dernier coup de marteau. Avec Vivants, la cinéaste aborde un genre dans lequel le cinéma hollywoodien, de Bas les masques (1952) à Spotlight (2015) en passant par Les hommes du président (1976), excelle, en l’occurrence le film de journalisme. La cinéaste choisit de montrer la fin d’un monde, celui des grands reportages à l’international qui ont fait les belles heures de la télévision. Aujourd’hui les audiences sont en baisse et les responsables des chaînes sont de plus en plus tenus à des objectifs de rentabilité. « Petit à petit, dit-elle, les jeunes journalistes finissent eux-mêmes par s’autocensurer. C’est dommage, mais ça ne me rend pas pessimiste. » Ainsi elle met en scène le personnage de Vincent qui annonce l’arrêt d’une émission et s’adresse aux plus jeunes en leur demandant s’ils veulent vraiment s’accrocher à un programme qui a plus de quinze ans. « Inventez vos trucs », dit-il… Si Alix Delaporte a situé l’action dans une agence de presse, c’est pour pouvoir jouer aussi la carte du film choral, de chercher à montrer la vérité de personnages incarnés par d’excellents comédiens : Alice Isaaz, Roschdy Zem, Vincent Elbaz, Pascale Arbillot. Un film qui célèbre la beauté du journalisme ! Auquel on reprochera sans doute d’être hagiographique. (Pyramide)
LES TSIGANES MONTENT AU CIEL
Dans la Ruthénie subcarpathique au 19e siècle, profitant que les soldats austro-hongrois passent joyeusement la soirée au quartier, le tzigane Loïko Sobar et trois comparses s’emparent de leurs chevaux pour les vendre à un maquignon qui leur verse un acompte et promet de verser le solde à Pâques. En chemin, ils sont interceptés par des gendarmes qui tentent de les capturer, font feu et tuent les trois compagnons de Sobar. Blessé, Sobar s’échappe, mais finit par tomber inanimé dans des broussailles. Quand il revient à lui, une belle jeune fille le soigne avec de la « poussière de lune » puis disparaît. Désormais l’image de la jeune fille tzigane ne le quitte plus…. Alors que ses proches affirment que la jeune fille, prénommée Rada, est une sorcière, la tête de Sobar est mise à prix. La gendarmerie austro-hongroise vient saccager le campement des Roms et menace de tuer tous les chevaux. Menacé de ruine, le père de Sobar promet de leur montrer où son fils se trouve. En rentrant au campement Sobar découvre le désastre… En s’inspirant de récits de l’écrivain russe Maxime Gorki, le cinéaste russo-moldave Emil Loteanu (1936-2003) a imaginé cette aventure d’un voleur de chevaux au tournant du 20e siècle dans les steppes de la frontière ukraino-roumaine. Le cinéaste propose son projet aux studios Moldova-Film mais ce sont les studios russes de Mosfilm qui, en 1976, donneront naissance à cette fresque qui tient à la fois du western, de la romance shakespearienne et du musical façon Broadway ! Loteanu insuffle à son film un beau souffle lyrique dans une série de tableaux visuellement superbes qui s’intéressent aux visages de cette tribu joyeuse et tragique. Du beau cinéma ! (Potemkine)
BOULEVARD
Abandonné par son cafetier de père qui a refait sa vie avec une mégère abusive, Jojo habite seul dans une mansarde donnant sur la place Pigalle. Par orgueil vis-à-vis de ses voisins et notamment les parents italiens de la jeune Mariette, il s’efforce de ne pas avoir l’air seul, joue au dur et tombe amoureux de Jenny, une danseuse de cabaret, maîtresse de Dicky, un boxeur de seconde zone. Commence alors pour cet adolescent, la découverte d’un monde aux mœurs et activités déroutantes. En s’appuyant sur un roman de Robert Sabatier et un scénario de René Barjavel, Julien Duvivier, le merveilleux cinéaste de La belle équipe, Pépé le Moko ou Panique, réalise, en 1960, son 66e film (présenté dans une resauration 4K) sur une carrière qui en comptera 71, témoignant d’une véritable poésie de la jeunesse et de ses amours enfantins, exaltés par le parfum authentique du Paris des années soixante. Au moment où la Nouvelle vague s’apprête à bousculer les règles du 7e art, Duvivier engage, pour tenir le rôle de Jojo, l’épatant Jean-Pierre Léaud, tout juste sorti des 400 coups de Truffaut. Cette aventure qui fleure bon le Paris populaire de la place Clichy lui donne l’occasion de camper un presque gamin découvrant les règles impitoyables du monde des adultes. Un monde dont Jojo s’échappe en montant sur les toits pour observer combien c’est beau, une ville la nuit. Autour de Léaud, Duvivier réunit une jolie galerie de personnages défendus par Magali Noël, Pierre Mondy, Robert Dalban ou Jacques Duby. (Pathé)
LES COUPABLES
Sur une plage, dans les années 1900, des enfants font une macabre découverte, ce qui oblige le juge d’instruction Spiccaci à se rendre dans un petit village au sud de Naples pour mener une enquête. Les indices sur les auteurs du double crime mènent vers la Camorra, mais la peur et la corruption freinent l’enquête. Jeune et courageux, le magistrat travaille à partir d’indices fortuits et tente de reconstituer la dynamique du délit. Beaucoup de gens sont interrogés, même ceux qui sont apparemment au-dessus de tout soupçon. Décidé à aller au fond de la question, Spicacci met tous les suspects en état d’arrestation, ce qui provoque une réaction hostile de l’opinion publique. Face à la résistance passive générale, même de ses propres collègues, le juge découragé est sur le point d’abandonner l’enquête, mais un élément nouveau apparaît. Remotivé, le juge (Amedeo Nazzari) est prêt à « mettre toute la ville en résidence surveillée ». Souvent considéré, à ses débuts, comme un tenant du néo-réalisme rose, en raison d’un mariage entre des éléments mélodramatiques et des aspects de comédie de mœurs, colorée d’ironie grinçante, Luigi Zampa (1905-1991) signe, en 1952, Processo alla città (titre original), l’une de ses réalisations les marquantes, coécrite avec Francesco Rosi, et l’une des premières interprétations courageuses des phénomènes sociologiques liés à l’activité de la Camorra, la mafia napolitaine, notamment l’emprise sur les populations, et la figure de l’enquêteur incorruptible (ici un juge) qui continue à accomplir sa tâche, parfois au péril de sa vie… (Gaumont)
BOB MARLEY ONE LOVE
En 1976, la Jamaïque est en proie à un violent conflit armé entre le parti travailliste et le parti national du peuple. Dans ce contexte tendu, Bob Marley annonce que lui et son groupe The Wailers vont participer au concert Smile Jamaica organisé à Kingston pour promouvoir la paix. Peu de temps avant l’événement, Bob Marley, sa femme Rita et certains musiciens sont victimes d’une tentative d’assassinat à leur domicile. Rita et Bob sont hospitalisés mais remis à temps pour le concert alors que Don Taylor est le plus touché après avoir reçu plusieurs balles… Après avoir mis en scène La méthode Williams (2021), biopic sur Richard Williams et sur la façon dont il a entrainé ses filles Venus et Serena à la pratique du tennis, le réalisateur américain Reinaldo Marcus Green s’attaque à une icône musicale avec Bob Marley considéré comme l’un des artistes les plus prolifiques de l’histoire et largement célébré pour avoir fait connaître le reggae au cours de ses presque vingt ans de carrière avant de disparaître en 1981, emporté par le cancer. Au même titre que Walk the Line (2005) sur Johnny Cash ou Bohemian Rhapsody (2018) sur Freddy Mercury et Queen, Bob Marley One Love se range parmi les bons biopics que le cinéma a offert à la musique. D’autant que le metteur en scène ne se contente pas de passer en revue les étapes de la vie de Marley mais propose notamment un point de vue sur l’engagement du chanteur en faveur de la paix tout en mettant en lumière la spiritualité et la philosophie de vie Rastafari. Le britannique Kingsley Ben-Adir (vu dans Barbie) se glisse avec aisance dans la peau du musicien jamaïcain et porte un film riche en séquences musicales et qui évoque la fameuse tournée en Europe ou encore la création de l’album Exodus. C’est parti pour Get Up, Stand Up ! ou No Woman No Cry qui vont nous traîner dans l’oreille pour un moment. (Paramount)
LE CHATEAU DES AMANTS MAUDITS
En 1598, au château de La Petulla à Rome, le riche seigneur Francesco Cenci règne en cruel despote sur tous les siens. Ce patricien violent, dissolu et avide de jouissance, vient de faire assassiner son fils aîné. Sa seconde femme, de l’âge de ses fils, est devenue la maîtresse de son fils Giacomo… Lorsque Francesco meurt assassiné, l’enquête diligentée pour retrouver son meurtrier s’arrête sur son fils Giacomo, l’amant de sa belle-mère Lucrezia. Pour le défendre, Lucrezia accuse Olimpio Calvetti, l’intendant de Francesco, qui avait aidé Béatrice Cenci, la fille de Francesco. Soumise à la torture, Béatrice accuse également Olimpio, mais elle est condamnée à mort et décapitée au château Saint-Ange. Le personnage de Beatrice Cenci (1577-1599), la noble Italienne surnommée la belle parricide a inspiré les auteurs, de théâtre, de littérature (Stendhal, notamment), de musique et de cinéma. Dès 1908, Albert Capellani signe un film sur elle, suivi en 1909 par Mario Caserini. Le dernier film en date est celui de Lucio Fulci en 1969 intitulé, en français, Liens d’amour et de sang. Mais avant Fulci, c’est Riccardo Freda qui avec le superbe mais méconnu Château des Amants maudits, s’emparait librement de l’histoire de Béatrice (Mireille Granelli) en jouant sur l’atmosphère torve d’un mélodrame historique. Maître du cinéma populaire italien et de la série B, Freda (1909-1999) donne une touche gothique et colorée à cette aventure intime où il fait de Béatrice une jeune innocente broyée par une sale machination familiale. (Gaumont)
LA ROSE DE LA MER
Jérôme Jardehu et son oncle Romain possèdent, ensemble, un bateau, La Rose de la Mer. A bord de ce vieux cargo, ils naviguent avec une bande de forbans. Mais Jérôme comprend que son oncle, capitaine du bateau, et son équipage de malfrats ont décidé de couler le cargo pour toucher la prime d’assurance. Sur le point d’intervenir, il découvre à bord une passagère clandestine qui vient d’accoucher et meurt en lui confiant son enfant. Pour sauver le bébé, Jérôme tue un homme, parvient à ramener le cargo au port, et se rend à la justice. Peu connu du grand public, souvent injustement oublié, Jacques de Baroncelli (1881-1951) n’en reste pas moins un cinéaste prolifique. Lui qui débuta sa carrière en 1915, alors que le cinéma n’était pas encore parlant, a réalisé plus de 80 films. Tourné en 1946, La Rose de la mer est l’une de ses dernières œuvres cinématographique du cinéaste. En 1948, il tournera encore un Rocambole avec Pierre Brasseur dans le rôle-titre puis sa suite, La revanche de Baccarat. Passionné de littérature et ayant regretté toute sa vie de n’avoir eu une carrière d’écrivain, De Baroncelli adapte, ici, un roman de Paul Vialar, prix Fémina 1939, et plonge dans l’univers très masculin de la marine. Cette fois, il dirige Roger Pigaut (Sortilèges de Christian-Jaque, Antoine et Antoinette de Becker) dans le rôle d’un marin touché par la bonté face à Fernand Ledoux (Goupi mains rouges de Becker, La bête humaine de Renoir) en cruelle crapule. Un huis clos haletant (restauré à partir des négatifs originaux nitrate) qui cache en creux un touchant récit d’espoir et de rédemption. (Pathé)
LES CHEVRES !
Saviez-vous qu’au 17e siècle, les animaux pouvaient être jugés pour avoir commis un crime ? A Paris, en l’an 1691, un homme âgé raconte aux spectateurs l’histoire d’un procès, auquel il assista quarante ans plutôt en compagnie de son oncle, Maître Pompignac, qui a accepté de défendre sans le savoir une chèvre accusée d’avoir tuer Grégoire Hubert de Colombe, un Maréchal de France. Ce dernier marchait un matin le long d’une rivière où on le retrouva à moitié immergé dans le courant avec une blessure profonde dans la fesse et la chèvre à côté du corps sans vie. Maître Pompignac, risée du barreau, pense avoir trouvé l’affaire de sa vie. Mais c’était sans compter sur son adversaire, le redoutable et réputé Maître Valvert et surtout sur Josette ! Après un long procès où la défense et l’accusation rivalisent de spectacle pour gagner le public, il s’avère que la chèvre est innocente. En effet, Maître Pompignac démontre comment le vieux Maréchal s’est tué tout seul par accident. Après Le Jeu (2018) et Radin ! (2016), Fred Cavayé est de retour avec un film désopilant renouant avec la tradition des grandes comédies d’époque ! Le scénario est bien ficelé, les dialogues enlevés et tant Dany Boon (Pompignac) que Jérôme Commandeur (Valvert) s’ingénient, en cabotinant volontiers, à camper deux avocats hauts en couleur, qui se livrent un combat aussi féroce qu’hilarant. Le film s’achève avec l’homme du début et l’on comprend qu’il s’agit de Jean de La Fontaine, dont la carrière littéraire a démarré grâce aux nombreux procès que son oncle remporta en défendant systématiquement des animaux… (Pathé)
INSPECTEUR SUN ET LA MALEDICTION DE LA VEUVE NOIRE
Célébrissime araignée détective, Inspecteur Sun embarque dans un hydravion pour San Francisco après avoir enfin capturé son ennemi juré, le Criquet Rouge. Pendant le vol, le meurtre du Docteur Bugsy Epinestone l’entraîne dans une nouvelle enquête au cœur d’un complot qui menace à la fois le monde des humains et celui des insectes… Pur produit du cinéma d’animation espagnol, le film de Julio Soto Gurpide repose sur une histoire qui plaira autant aux jeunes spectateurs qu’à leurs parents. En effet, voici un flic renommé qui doit trouver l’auteur d’un crime, qui s’est déroulé en vase clos, au sein d’un avion reliant Shanghai à San Francisco, dans les années 1930. Un peu contre son gré, il est flanqué d’une jeune groupie qui voudrait qu’il lui apprenne les ficelles du métier. Les adultes pourront s’amuser des références au polar, à Agatha Christie et même aux femmes fatales, personnages classiques du film noir. Les plus jeunes s’amuseront de ces personnages aux corps d’insecte ou d’araignée. Bien sûr, question moyens, le cinéma d’animation ibérique ne peut rivaliser avec Hollywood mais il a, pour lui, un sens avéré du rythme, un design joliment coloré et un scénario digne de ce nom. (Blaq Out)