Portrait cruel d’un président en devenir
« Je ne suis pas un escroc ! » Ce sont quasiment les premiers mots qui résonnent dans The Apprentice. Ils ne sont pas le fait de Donald Trump mais bien de l’un de ses prédécesseurs à la Maison Blanche. On a nommé Richard Nixon. Un Nixon qui devra, pour cause de Watergate, abandonner plutôt honteusement le pouvoir suprême…
C’est un Trump pas très reluisant qui est au coeur de The Apprentice. Car, bien avant de devenir milliardaire, star d’une émission de télé-réalité ou président des États-Unis, Donald J. Trump a été, dans les seventies, un travailleur acharné, déterminé à faire fortune sur le marché immobilier new-yorkais.
En attendant, le fils à papa, toujours soucieux de la position de sa mèche de cheveux, arpente les couloirs d’immeubles sans joie pour collecter des loyers qu’on devine usuraires. Trump est hargneux mais il est le plus souvent accueilli par des injures, voire des jets d’eau bouillante !
Même si, à l’époque, Manhattan était considéré comme un quartier miséreux et gangréné par la criminalité, Trump était convaincu que la ville allait renaître de ses cendres et qu’il était l’homme de la situation pour mener cette renaissance – si seulement il avait les bons appuis.
Ces appuis, il va les trouver en écumant les boîtes de nuit réservées à l’élite new-yorkaise. C’est là que ce jeune type qui ne boit que de l’eau, va croiser Roy Cohn, un avocat aussi pugnace que sulfureux. D’emblée, les deux hommes se rapprochent dans la même volonté d’intégrer la haute société de New York qui les bat froid alors même que l’un et l’autre appartiennent à des milieux aisés.
Connu pour Border en 2018 et pour Les nuits de Mashad (2022) qui valut à Zar Amir-Ebrahimi le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes, le cinéaste irano-danois Ali Abbasi n’entend pas balayer tout le parcours de Trump. Ici, dans son premier film en anglais, il porte un regard plus intime sur un épisode de la vie de Trump qui aura des répercussions majeures sur la culture américaine et le monde dans son ensemble. « Il ne s’agit pas d’un biopic sur Donald Trump, dit Abbasi. On ne s’intéresse pas aux moindres détails de sa vie, de sa naissance à nos jours. On a cherché à raconter une histoire très spécifique à travers sa relation avec Roy, et à travers celle de Roy avec lui. »
Le projet de The Apprentice voit le jour au printemps 2017, alors que Trump était président depuis quelques mois seulement. Le scénariste Gabriel Sherman, par ailleurs journaliste politique aguerri, travaille avec des sources de longue date, dont la plupart lui font remarquer que pendant sa campagne et ses premiers jours à la Maison Blanche, Trump se servait de tactiques auxquelles Cohn l’avait initié. « Roy lui a appris, note Sherman, à utiliser les médias en lui expliquant que faire parler de soi aux infos était un moyen d’obtenir du pouvoir ».
The Apprentice va donc s’axer sur cette relation entre Trump et Cohn qui présente un fort potentiel cinématographique. Loin du banal biopic mais sans tomber non plus dans la satire polémique totalement caricaturale, ce thriller sans coups de feu mais non sans violence, est un conte moral.
De fait, on y voit comment un jeune entrepreneur qui cherche ses mots tout comme l’approbation et la reconnaissance de son père, tombe sous le charme d’un Cohn qui va lui livrer toutes les ficelles pour mettre à profit un système corrompu en usant de méthodes aussi sournoises que féroces.
Ainsi Roy Cohn lui fournit trois commandements capitaux. Règle n°1 : Attaquer. Attaquer. Attaquer. Règle n°2 : Ne rien reconnaître. Tout nier en bloc. Règle n°3 : Revendiquer la victoire et ne jamais reconnaître la défaite. De son côté, le credo de Trump est simple comme bonjour. « Dans la vie, dit-il, il y a deux types de gens. Les tueurs et les losers ». On a compris que lui se situe du côté des gagnants. Donc des tueurs. Au bout du compte, pour les deux hommes, le seul objectif est de rafler la mise. Dans les seventies, c’est par exemple d’obtenir de la ville de New York des dégrèvements d’impôts pour construire, notamment, la fameuse Trump Tower. Plus tard, ce sera d’entrer à la Maison Blanche.
Reprochant à la plupart des reconstitutions historiques, leur côté lisse et trop sage, Abbasi entend proposer une version punk d’un film d’époque. Du coup, avec une belle énergie, il va chercher du côté de l’atmosphère du Casino (1995) de Scorsese ou encore de l’allant, souvent dévastateur, de séries comme Dallas ou Les Soprano.
Pour faire le poids, The Apprentice avait besoin de deux excellents interprètes pour cette success story sur fond de Make America Great Again. Sebastian Stan campe un jeune Trump excessif et haineux et à la morale sinon absente, du moins très élastique. Mais ce parfait rascal, déjà obnubilé par la peur de vieillir, est nanti d’une âme damnée aussi tordue que lui mais, alors, avec infiniment plus d’expérience. C’est l’excellent Jeremy Strong (connu pour son personnage de Kendall Roy dans la série HBO Succession) qui se glisse dans la peau de Roy Cohn, conseiller juridique de Trump de 1974 à 1986.
Type sulfureux dont l’existence lui vaudra d’être emporté par le sida, Cohn, marqué par son appartenance au maccarthysme, oeuvra comme procureur à la condamnation à mort des époux Rosenberg. Dans l’ombre de Trump, usant volontiers de méthodes mafieuses, l’avocat va façonner un disciple qui en viendra in fine à le dominer après avoir absorbé ses leçons les plus inquiétantes.
On le sait bien, le cinéma n’a jamais changé le monde mais il peut nous éclairer. Cette évocation de Trump est à la fois distrayante, mais oui, tout en faisant froid dans le dos. Sa relation aux femmes est singulièrement éprouvante et celle au reste de l’humanité marquée par un mépris profond.
Pour le reste et alors que l’élection présidentielle approche, Steven Cheung, directeur de campagne de Donald Trump, a publié naguère un communiqué critiquant le film et indiquant vouloir porter plainte contre le réalisateur. Attaquer toujours…
THE APPRENTICE Comédie dramatique (USA – 2h) d’Ali Abbasi avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova, Martin Donovan, Catherine McNally, Charlie Carrick, Ben Sullivan, Mark Rendall, Iona Rose MacKay, Emily Mitchell. Dans les salles le 9 octobre.
La reporter rebelle, la folie d’Arthur et les états d’âme de Barbie
PHOTOGRAPHIES.- C’est le temps béni des vacances sur la Côte d’Azur, les heures de farniente avant que les ombres de la Seconde Guerre mondiale s’avancent sur l’Europe. A Mougins, à la fin des années trente, Lee Miller, qui fut mannequin pour Vogue, passe du bon temps avec Pablo Picasso, Paul et Nusch Eluard ou encore Solange d’Ayen et son mari Jean de Noailles. C’est là que l’existence de Lee va croiser celle de l’écrivain surréaliste Roland Penrose. Elle épousera le Britannique dans l’Angleterre de 1947. Auparavant la vie de Lee Miller aura été bouleversée pour toujours par sa participation à la guerre en tant que reporter de guerre, témoignant, dans les rangs de la 83e division américaine, des combats de Normandie avant de poursuivre vers l’Allemagne en étant, l’une des premières, avec David E. Scherman, correspondant du magazine Life, à découvrir l’horreurs des camps de concentration de Buchenwald et Dachau… Il faudra à Lee Miller batailler dur pour que ses photos soient publiées. Elles le seront dans un numéro du Vogue américain dans l’immédiat après-guerre…
C’est en tombant, dans une librairie de New York, sur un livre consacré à Lee Miller qu’Ellen Kuras prend connaissance de l’extraordinaire destin de l’artiste américaine (1907-1977). Cette directrice de la photo réputée (elle a travaillé avec Spike Lee, Jim Jarmush, Michel Gondry ou Sam Mendès) trouve un air de ressemblance entre Lee et Kate Winslet qu’elle avait connu sur les tournages d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) puis des Jardins du roi (2014). Elle décide d’envoyer un exemplaire à la comédienne. Quelques années plus tard quand Kate Winslet songe à incarner Lee Miller, elle va demander à Ellen Kuras de la mettre en scène.
Lee Miller (USA – 1h52. Dans les salles le 9 octobre) est ainsi une bonne occasion de découvrir cette partie de la vie de Lee que furent les années de guerre. Une époque où celle qui fut la muse et la compagne de Man Ray dira : « Je préfère faire des photos que d’être dessus ». Et puis ce personnage de femme déterminée, quand même peu connue du grand public, permet à la cinéaste de brosser le portrait d’une femme habitée par un esprit de liberté et de révolte contre l’ordre social établi, tant dans sa vie amoureuse, sa carrière ou de précurseurs idéaux féministes.
Agréable biopic bien mis en scène même si la facture est assez conventionnelle, Lee (en v.o.) offre à Kate Winslet un nouveau personnage de femme forte et indépendante même si ses fêlures sont abondantes et douloureuses. Entourée de bons comédiens (dont les Françaises Noémie Merlant et Marion Cotillard), l’inoubliable interprète de Rose DeWitt dans Titanic (1997) se glisse avec aisance dans la peau d’une rebelle qui ira jusqu’à essuyer ses bottes boueuses sur le tapis de bain blanc de l’appartement privé d’Hitler. On connaît cette histoire qui fera entrer Lee Miller dans la légende de la photographie. Le 30 avril 1945, Lee et « Davie » Scherman qui viennent du camp de Dachau, sont à Munich. Au 16 de la Prinzregentenplatz, ils montent à l’appartement privé d’Hitler. Le même jour, le Führer vient de se suicider dans son bunker de Berlin. Avisant la salle de bain, Lee décide de se baigner. Elle se dévêt entièrement, entre dans la baignoire, place une photo d’Hitler sur le bord. Scherman shoote la photo qui sera publiée dans Vogue en 1945. Comme un défi à l’horreur du nazisme et du totalitarisme. La séquence fameuse est dans le film.
IDENTITES.- Deux ans après ses crimes sous les traits de Joker, Arthur Fleck est, en 1983, interné au sinistre hôpital psychiatrique Arkham de Gotham City dans l’attente prochaine de son procès. Toujours déchiré entre ses deux identités, Arthur est la cible des gardiens qui le chambrent sans arrêt : « T’as pas une blague pour nous, ce matin ? » Mais le détenu de la cellule 258 s’enferme dans un mutisme souvent inquiétant tant son regard transperce ses interlocteurs. La première fois qu’il lâche quelques mots : « Je peux avoir une cigarette ? »
Tandis que Maryanne Stewart, son avocate, prévoit de plaider un trouble dissociatif de l’identité pour faire valoir que le personnage de Joker est responsable des crimes commis deux ans plus tôt, Arthur tombe en arrêt devant l’atelier de musicothérapie. Il remarque d’emblée Lee Quinzel qui ne le lâche pas des yeux. Comme le détenu se tient bien, un gardien l’autorise à fréquenter l’atelier. Pour Arthur, c’est l’occasion de se rapprocher de Lee qui, complètement fascinée par lui, affirme qu’elle a vu pas moins de dix fois le téléfilm consacré à Arthur/Joker.
Alors que son procès va s’ouvrir, Fleck va rejoindre Lee dans une folie commune au travers de la musique alors qu’à l’extérieur du tribunal, les nombreux partisans de Joker affichent leur soutien pour qu’il soit libéré.
Cinq ans après la sortie de Joker (qui ne devait pas avoir de suite), voici donc Joker : Folie à deux (USA – 2h19. Dans les salles le 2 octobre) qui s’ouvre en dessin animé, façon Merrie Melodies (co-signé du Français Sylvain Chomet, connu pour Les triplettes de Belleville) dans lequel le Joker se bagarre avec une ombre qui veut son indépendance…
Todd Phillips revient derrière la caméra pour une approche cette fois, très musical de son récit. Bien sûr, le film s’inscrit dans deux sous-genres bien déterminés : le film de prison et le film de procès mais en y intégrant de multiples références aux grandes heures de la comédie musicale, avec, par exemple, Fred Astaire chantant That’s Entertainment. On entend aussi Get Happy, Fly Me to the Moon, That’s Life, voire même une variation sur le Ne me quitte pas de Brel.
Si le thriller perd, petit à petit, de son rythme et peine alors à captiver, il reste qu’on demeure impressionné par la brillante performance d’un Joaquin Phoenix, toujours aussi habité. Le visage émacié, l’oeil brûlant, le mot rare puis entraîné dans un torrent verbal, son Arthur Fleck est à la fois pathétique et effrayant. A ses côtés, Lady Gaga (qu’on avait vu, pour la dernière fois au cinéma, dans House of Gucci en 2021) est crédible dans le personnage trouble et tordu de Lee Quinzel. Sur les ailes de la transe…
SOLITUDE.- Dire que Barberie Bichette est complètement à l’ouest, est un doux euphémisme. Celle qu’on appelle à son grand dam, Barbie, a peut-être été belle, peut-être été aimée, peut-être été une bonne mère pour ses enfants, une collègue fiable, une grande amoureuse, oui peut-être… Mais aujourd’hui, c’est noir, c’est violent, c’est absurde et ça la terrifie : elle a 55 ans (autant dire 60 et bientôt plus !). C’était fatal mais comment faire avec soi-même, avec la mort, avec la vie en somme…
Alors Barbie parcourt l’existence comme une sorte de zombie. Oh, pas un méchant zombie mais un zombie quand même. Qui traverse sans s’arrêter la salle de réunion de son boulot dans la com’ ou qui croise, dans un jardin public à l’heure du déjeuner, Philippe Katerine.
Avec Ma vie ma gueule (France – 1h39. Dans les salles le 18 septembre), Sophie Fillières invite le spectateur à observer un monde dont l’inintelligible parfois nous dépasse, nous écrase, nous effraie et parfois nous rehausse, nous hisse, là où on ne s’y attend pas. Voici, entre sourire et détresse, une manière de conte fortement poétique dans ce sens où il déstabilise et émeut tout à la fois.
Emportée par la maladie le 31 juillet 2023 alors qu’elle venait d’achever le tournage de son film, la cinéaste de 58 ans, expliquait à propos de son dernier film : « Je voudrais essayer de traiter de plein fouet, pif, paf, youkou !, comment se débrouiller et faire avec l’énigme de soi. Car nous en sommes toutes et tous une. Comment nous admettre comme personnage, ce qui nous inscrira enfin dans une histoire qui serait la nôtre propre ? »
Bien sûr, il faut, ici, se laisser prendre, se laisser promener par le bout du nez sous peine de décrocher assez vite. Mais, comme la cinéaste, on peut faire confiance à cette épatante comédienne qu’est Agnès Jaoui. Habituée des rôles « normaux » bien ancrés dans le réel, elle s’offre, ici, de la fragilité, de l’instable, du déséquilibre. Avec elle, Barbie se débat comme elle peut sur le fil à peine encore assez tendu, en équilibriste trompe-la- mort, trompe-la-détresse, trompe-le-craquage…
Michelle entre les champignons et les silences
Savoureux hasard du calendrier, l’Ozon nouveau sort au lendemain du passage, dans mon ciné-club du Palace à Mulhouse, du Roman d’un tricheur. En 1936, Sacha Guitry raconte l’aventure parfaitement immorale d’un jeune garçon qui échappe à la mort parce qu’il a volé six sous dans la caisse de l’épicerie familiale. A quoi survit-il ? A la mort de onze membres de sa famille, tous empoisonnés par des champignons vénéneux. Et le chenapan de soupirer : « De là à penser qu’ils étaient morts parce qu’ils étaient honnêtes ! »
La comparaison avec Quand vient l’automne s’arrête là. A une platée de champignons. Gageons cependant que le cinéaste, cinéphile comme il l’est, a probablement eu une pensée émue en écrivant le scénario de son 23e film. Scénario original qui s’appuie sur des souvenirs d’enfance en Bourgogne lorsqu’une de ses tantes avait organisé un repas de famille où elle avait cuisiné des champignons, qu’elle avait elle-même ramassés. Pendant la nuit, tout le monde avait été très malade, sauf elle, qui n’en avait pas mangé. « Cette histoire, dit Ozon, m’avait fasciné et je soupçonnais ma tante, si gentille et bienveillante, d’avoir voulu empoisonner toute la famille (ce qui était un peu mon désir profond) ! »
Est-il sain, à défaut d’être délicieux, de cuisiner des champignons ? En le faisant, n’a-t-on pas, plus ou moins consciemment, le désir de se débarrasser de quelqu’un ? François Ozon part de cette question pour créer l’épatant personnage de Michelle -pivot de Quand vient l’automne- qui, en apparence, a tout de la «mamie gâteau», mais qui pourrait être plus trouble que l’image qu’elle renvoie.
Ce jour de la Toussaint, Michelle attend la visite de sa fille Valérie qui doit venir lui rendre visite, dans son ravissant coin de la campagne bourguignonne, pour déposer son fils Lucas pour une semaine de vacances auprès de sa grand-mère. Celle-ci est partie, dans les bois, avec son amie Marie-Claude pour cueillir des champignons. « Et celui-là ? » « Ah non, il n’est pas bon, c’est une fausse girolle ! »
Quelques heures plus tard, Michelle a cuisiné les champignons et se réjouit d’accueillir sa fille et son petit-fils. Si Lucas est ravi de retrouver Michelle, les relations de Valérie avec sa mère sont beaucoup plus tendues. Las, l’assiette de champignons passe mal. Valérie est transportée à l’hôpital pour un lavage d’estomac. De retour, elle décide de quitter immédiatement la Bourgogne avec Lucas. « Je n’ai plus confiance en toi ! »
Marie-Claude lui dira : « Avec ta fille, tu as toujours tout faux ». Mais Michelle tempère : « Je n’ai jamais été la mère qu’elle aurait voulu avoir ».
Après Mon crime (2023), allègre divertissement policier dans le Paris des années trente autour d’une jeune actrice désargentée et de son avocate débutante embarquée dans un procès pour meurtre, François Ozon aère sa caméra avec un récit dont le côté provincial fait songer à Georges Simenon pour ses atmosphères confinées et à Claude Chabrol pour le portrait de personnages « ordinaires » dont la complexité ne cesse de surprendre.
Le cinéaste de Grâce à Dieu (2018) et Eté 85 (2020) plante son décor dans la Nièvre, du côté de Donzy et de Cosne-sur-Loire pour un drame bien servi par les lumières mordorées du chef opérateur Jérôme Alméras. Un paysage automnal apaisé et quasiment immobile qui va venir en rupture avec l’histoire de Michelle, avec les doutes qui s’installent puisque rien n’est totalement volontaire ou clair dans ses actes. Car, pour être placée sous le signe de la douceur et de la simplicité, la mise en scène ne cesse jamais de distiller une tension et un suspense sur les véritables enjeux des personnages, confrontés à des cas de conscience complexes, au-delà du bien et du mal.
Ceux qui suivent François Ozon depuis ses débuts (et Sitcom (1998), son premier « long ») savent que la famille occupe une place significative dans son œuvre et qu’elle recèle toujours d’enviables doses de poison. Quand vient l’automne lui permet d’approfondir la question en faisant, cette fois, la part belle à deux femmes âgées. « Le désir premier, dit Ozon, était avant tout de filmer des actrices d’un certain âge. De montrer la beauté des rides sur leur visage, faites du temps qui passe et de leur expérience de la vie. Je suis effaré de voir à quel point cela disparaît de plus en plus dans la société et sur les écrans. »
Véritable thriller avec ses fausses pistes (à chacun de se faire son opinion sur les motivations de Michelle), Quand vient l’automne questionne le temps qui passe, le vieillissement, les silences du quotidien, les brèves absences, les douleurs muettes et infligées, une forme de protection comme moyen de survie, le poids de l’héritage mais aussi l’amour intangible pour un petit-fils.
Magnifique quand, la gorge serrée par les rebuffades de sa fille, elle traverse, désabusée et perdue, son jardin potager, Michelle offre à Hélène Vincent, 81 ans, l’inoubliable Madame Le Quesnoy de La vie est un long fleuve tranquille (1988), l’un de ses plus beaux rôles au grand écran. Avec sa doudoune rose, Michelle partage une vraie amitié avec Marie-Claude, superbement incarnée par une Josiane Balasko dont la démarche, le corps, le visage dégagent une forte humanité.
Elles sont comme deux sœurs, dont l’une a visiblement plus souffert que l’autre. Marie-Claude n’a pas la force de Michelle. Ni son absence de morale. Elle ne sait pas s’arranger avec le réel, elle le prend en pleine face, le subit dans son corps, en tombe malade. Elle se sent responsable de son fils, qui a été en prison, elle culpabilise et s’interroge sur ce qu’elle a fait de mal en tant que mère. Alors que Michelle se console et s’en arrange plus facilement : « On a fait comme on a pu !»
A côté de ces deux remarquables comédiennes, on retrouve, avec plaisir, Ludivine Sagnier (Valérie) qui revient au cinéma d’Ozon plus de vingt ans après Swimming Pool (2003) et Sophie Guillemin, lumineuse en femme-flic. Et puis on découvre, à chaque apparition un peu plus, Pierre Lottin qui fit ses débuts dans le rôle de l’aîné de la saga des Tuche (2011-2025) et qui impressionne, ici, dans le rôle de Vincent, le fils de Marie-Claude qui vient de sortir de prison. Avec une énergie qui fait songer au Depardieu des jeunes années, Lottin campe brillamment un type ambigu, vulnérable et inquiétant dont on se dit qu’il peut vriller à tout moment.
L’automne, au cinéma, va être palpitant.
QUAND VIENT L’AUTOMNE Drame (France – 1h42) de François Ozon avec Hélène Vincent, Josiane Balasko, Ludivine Sagnier, Pierre Lottin, Garlan Erlos, Sophie Guillemin, Malik Zidi, Paul Beaurepaire, Sidiki Bakaba, Pierre Le Coz, Michel Masiero, Vincent Colombe, Marie-Laurence Tartas. Dans les salles le 2 octobre.
Dans les couloirs feutrés d’un palace de Hong Kong
Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans… C’était en 1974 -une éternité donc- et Emmanuelle déboulait sur les écrans français. Sylvia Kristel, charmante bimbo batave, se lovait dans un fauteuil Peacock, affolait, avec ses seins nus, les jeunes spectateurs (les vieux, aussi) et bousculait la sexualité des Trente glorieuses. Le film, mis mollement en scène par Just Jaeckin, devint une solide success story. Lorsque le film, devenu un triomphe historique, est retiré de l’affiche en 1985, il aura été vu par 8 894 000 millions de spectateurs dans les salles de l’hexagone !
Il est douteux que l’Emmanuelle 2024 atteigne ce score. On le souhaite évidemment au distributeur Pathé mais on n’y croit pas vraiment. Aujourd’hui, les « audaces » sexuelles se trouvent dans les reels d’Instagram et tous les professionnels de la santé et de l’éducation déplorent l’addiction des plus jeunes aux images pornographiques disponibles à foison sur le net. Mais ceci est une autre histoire.
En route vers l’Asie, Emmanuelle est installée dans un avion de ligne, probablement en classe business. C’est la nuit. Les veilleuses de l’appareil diffusent une faible lumière. A l’hôtesse, Emmanuelle demande du baume à lèvres, « parce que l’air est sec ». Elle se lève ensuite, avance dans la coursive, entre dans les toilettes et y retrouve le passager avec lequel elle avait échangé un simple regard. L’homme lui fait l’amour en silence.
L’Emmanuelle d’Audrey Diwan (remarquée avec L’événement en 2021) rend ainsi hommage à son prédécesseur avec cette séquence emblématique qui précède son générique. Cela fait, la cinéaste embarque son personnage dans une aventure censément féministe, retenant qu’Emmanuelle Arsan, l’auteure du livre-support des deux films, avait écrit un récit à la première personne. « Son héroïne, dit la cinéaste, en est le sujet plus que l’objet. (…) Le premier parti pris qui m’a animé était de redonner à Emmanuelle cette puissance d’être sujet du récit. »
L’Emmanuelle de Sylvia Kristel (1952-2012) était une jeune femme parfaitement oisive qui partait rejoindre à Bangkok un mari libertin. L’Emmanuelle d’aujourd’hui est une executive woman solitaire et sans états d’âme en route pour Hong Kong. Elle a pour mission de faire du « contrôle qualité » au coeur du Rosefield, un immense palace de luxe et, accessoirement, de débusquer la faute grave qui permettait au groupe hôtelier de « flinguer » Margot Parson, la manager de l’hôtel (Naomi Watts), devenue trop indépendante et trop chère.
Tout à son enquête, Emmanuelle sillonne longuement les couloirs feutrés, les coulisses de l’hôtel, ses suites, son restaurant, sa réception, sa piscine. A l’occasion, elle entreprend au bar un couple avec lequel elle consommera un trio charnel. Elle croise aussi Zelda, une étudiante qui cite volontiers Les hauts de Hurlevent mais exerce surtout ses talents d’escorte. Avec la frêle Asiatique, Emmanuelle cédera également à quelques caresses lesbiennes. Mais c’est essentiellement Kei Shinohara qui intrigue puis fascine la belle. Qui est ce type insaisissable, ce fantôme qui vit dans le palace, s’ingénie à échapper aux caméras de surveillance et n’occupe pas sa suite n°2701 ? Et pourquoi demeure-t-il insensible aux appels du pied de cette femme de tête qui passe pour raide, autoritaire, caustique et probablement en quête d’un plaisir perdu ?
Audrey Diwan, auquel son producteur a fait lire le livre d’Emmanuelle Arsan, confiait à un magazine hollywoodien : « J’adore les histoires racontées à travers le corps. Avec L’Événement, j’ai passé ces dernières années à explorer l’idée de la douleur. Ensuite, je dirais « naturellement », j’ai eu envie d’explorer le plaisir. J’aimerais lui redonner ses lettres de noblesse, j’aime filmer le corps en le regardant de tout cœur mais sans provocation. Et je veux embrasser une grammaire propre à la notion d’érotisme. L’érotisme repose autant sur ce que l’on montre que sur ce que l’on cache. C’est de là que vient l’excitation. »
L’excitation, pourtant, n’est pas le mot qui caractérise le mieux la mise en scène d’Audrey Diwan. Son Emmanuelle, c’est de la belle ouvrage, du boulot élégant, avec une image léchée, une musique itou. Comme des pages de prestige dans un magazine de luxe. Mais pas une vieille édition de Play Boy ou Penthouse. Dans des clairs-obscurs dominés par le brun, la cinéaste filme à l’envi ce palace qui rythme, selon Margot Parson, l’existence de ses hôtes. Mais ce rythme est bien lent et surtout, il ne distille rien de lascif, d’impur, d’érotique pour tout dire. On se demande aussi à quoi rime le personnage de Sir John, créatif en yaourts ? Et pourquoi nous infliger cette tempête qui frappe Hong Kong, provoque une vaste panne d’électricité et oblige Emmanuelle à distribuer des bougies dans le restaurant de l’hôtel !
Si l’Emmanuelle de Sylvia Kristel semblait prendre du plaisir en s’envoyant en l’air sans se prendre la tête, l’Emmanuelle nouvelle est une grande cérébrale qui paraît quasiment se méfier de la gaudriole et du jeu de la bête à deux dos.
Noémie Merlant, dont le sex-appeal ne fait aucun doute comme en attestent aussi bien Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma ou Les Olympiades de Jacques Audiard, réussit, avec une belle maîtrise et une grâce distante sinon glaciale, à s’approprier un personnage si symbolique en tant qu’incarnation du plaisir libre et assumé.
D’ailleurs, in fine, Emmanuelle craque. Elle quitte le huis clos languide du palace pour s’aventurer, en fourreau grenat, dans une ville-monde qui enfin, de tripot clandestin en bar louche, suinte de sensualité. On a alors l’impression de retrouver l’atmosphère du Chunking Express (1994) de Wong Kar-wai. Pour appâter Kei, elle lui envoie quelques selfies hot de ses seins, de son ventre, de ses cuisses. Mais rien n’y fait. « J’ai épuisé mon désir » dit-il. Alors qu’un inconnu aborde Emmanuelle pour lui faire l’amour, Kei tiendra la chandelle en oeuvrant comme traducteur. « Dis-lui de mettre sa main entre mes cuisses… » Un sourire de ravissement aux lèvres, Emmanuelle jouira enfin. Pas nous.
EMMANUELLE Drame érotique (France – 1h45) d’Audrey Diwan avec Noémie Merlant, Will Sharpe, Naomi Watts, Chacha Huang, Jamie Campbell Bower, Anthony Wong, Harrison Arevalo, Bianca Lau. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 25 septembre.
Une famille iranienne dans le vent de « Femme Vie Liberté »
On dit souvent que, d’édition en édition, les jurys de Cannes ratent volontiers le film qui aurait « absolument » dû décrocher la Palme. Au moins au regard des critiques ou du public… On ne sait ce que vaut la Palme 2024 puisque nous n’avons pas encore vu Anora de Sean Baker attendu sur les écrans français pour la fin octobre.
Mais force est de remarquer que le prix spécial du jury accordé par la présidente Greta Gerwig à Mohammad Rasoulof est clairement un peu… juste ! Tout bonnement parce que Les graines du figuier sauvage est un immense moment de cinéma et également un formidable coup de projecteur sur la situation des femmes et plus généralement du peuple en Iran.
Une poignée de balles tombe, en gros plan, sur une table… Iman, robuste quinquagénaire barbu, ne sait pas encore que ces projectiles vont l’entraîner dans une spirale dont personne, ni lui, ni sa famille, ne se relèvera. Après avoir longtemps oeuvré comme un fonctionnaire discret et zélé, Iman vient en effet d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Une nomination qui va lui assurer un sérieux bien-être matériel pour les siens. L’un de ses collègues lui explique qu’il devra être exemplaire. Tout en écrivant sur un bout de papier « sur écoute ». Autant dire que l’atmosphère au tribunal n’est pas des plus sereines.
Comme désormais, Iman va occuper un poste de responsabilité et risquer de se retrouver en butte à ceux qu’il aura envoyé dans les geôles, on lui a confié une grosse arme de poing. Presque encombré par ce pistolet, il le range soigneusement tous les soirs dans un tiroir de sa chambre…
Alors qu’Iman vient juste de prendre son poste, un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Nous sommes en septembre 2022 et la jeune Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée par la police des mœurs du régime iranien pour n’avoir pas porté « correctement » le voile, vient de mourir dans un commissariat. Malaise cardiaque, disent les autorités. Assassinat, disent un grand nombre de jeunes filles et de femmes, rejointes ensuite par des étudiants et des hommes, qui déclenchent un soulèvement spontané et sans précédent, faisant vaciller, au cri de Femme Vie Liberté, le pouvoir et l’entraînant à durcir encore plus la répression.
Dans la famille d’Iman, Rezvan et Sana, les deux filles, qui sont constamment sur leurs téléphones portables, soutiennent le mouvement avec virulence. Najmeh, leur mère, tente de ménager les deux camps. Iman, qui part à l’aube et revient tard le soir, est de plus en plus déconnecté des siens. Pire, ce fonctionnaire qui se pose des questions sur l’exercice de son métier, est confronté à l’absurdité du système (comment renvoyer devant les juges un homme accusé d’offense à Dieu sans même avoir lu son dossier?) mais il décide cependant de s’y conformer. Dépassé par l’ampleur des évènements, Iman bascule dans la paranoïa lorsque son arme de service disparait mystérieusement…
« Après Le Diable n’existe pas, mon précédent film (Ours d’Or à la Berlinale 2020, ndlr), dit le cinéaste, il m’a fallu quatre ans pour me lancer dans un nouveau projet. Au cours de ces années, j’ai écrit plusieurs scénarios, mais ce qui m’a finalement conduit vers Les Graines du figuier sauvage, c’est une nouvelle arrestation à l’été 2022. Cette fois, mon expérience en prison a été singulière car elle a coïncidé avec le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran. Je suivais, avec d’autres prisonniers politiques, les changements sociaux depuis l’intérieur de la prison. Alors que les manifestations prenaient une ampleur inattendue, nous étions stupéfaits par la portée des protestations et le courage des femmes. »
De retour à une liberté toute relative et persuadé que le mouvement des femmes en Iran finira par s’imposer, Rasoulof envisage de tourner un nouveau film pour soutenir cette cause. La préparation du film, le casting de comédiens volontaires pour participer à une aventure risquée, la composition de l’équipe technique, tout devient problème. Et pourtant, alors qu’il avait le sentiment, chaque jour, de devoir définitivement interrompre son travail, Mohammad Rasoulof finira Les graines… tout en constatant que « la portée de la répression et de la censure s’est élargie à toutes les formes d’art. C’est d’une violence inouïe. »
Plutôt qu’un brûlot politique, Les graines du figuier sauvage a la beauté d’une véritable chronique familiale. Dans un appartement plutôt cossu, même si les filles partagent la même chambre, le cinéaste observe un huis-clos réunissant les trois femmes. La mère sort juste pour faire les courses, les filles pour aller en classe. Le reste du temps, elles rêvent de se teindre les cheveux en bleu, de se vernir les ongles. Mais surtout elles suivent les images, prises clandestinement par des portables et diffusées partout sur les réseaux sociaux, des manifestants et des militants des droits civiques traqués et frappés par la police, parfois laissés pour morts sur la chaussée. Lorsque Rezvan veut héberger, pour la nuit, Sadaf, une amie étudiante, sa mère s’y oppose. Mais Najmeh soignera Sadaf lorsque Rezvan ramènera son amie, le visage massacrée par un tir de chevrotines.
De son côté, Iman perd complètement pied. A la maison, Rezvan s’oppose clairement à lui. Dans son travail, il est devenu suspect depuis que son arme a disparu. Persuadé que sa femme ou ses filles ont volé le pistolet, il va jusqu’à les jeter entre les mains des pires enquêteurs de la police islamique. Mais, lorsque son nom, sa photo, son adresse sont diffusés sur les réseaux sociaux, Iman, convaincu que le danger est partout, décide de partir loin de Téhéran dans la maison où il a grandi…
Du huis-clos de l’appartement de Téhéran à celui de la maison dans les montagnes, Mohammad Rasoulof (qui vit aujourd’hui en exil en Allemagne) construit un film constamment sous tension. Il passe même quasiment par la case thriller lorsque Iman, au volant de sa voiture, entame un rodéo pour échapper à des activistes qui l’interpellent pour pointer ses exactions. Quand, enfin, Iman sera parvenu dans sa maison, il perdra tout contrôle, allant jusqu’à mener, sur les siens, les mêmes sinistres interrogatoires qu’il pratique dans ses bureaux. De la même manière que le pistolet du film est une métaphore du pouvoir au sens large, l’immense bâtisse ocre, véritable labyrinthe dans lequel se poursuivent Iman, sa femme et ses filles, est une métaphore d’un pays où la liberté est un vain mot.
En ouverture du film, des cartons racontent le cycle de vie du ficus religiosa, un arbre sauvage dont les graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle…
Dans une interview au Monde, le cinéaste disait : « La nouvelle génération s’est exprimée et ce message est sans ambages : elle s’est prononcée pour l’amour de la vie. (…) Ce sont des adolescents qui guettent des vieillards, le temps marche pour elle. »
Les graines du figuier sauvage est une œuvre puissante, sobre, bouleversante et utile, à voir sans délai.
LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE Drame (Iran – 2h46) de Mohammad Rasoulof avec Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami, Setareh Maleki, Niousha Akhshi, Reza Akhlaghi, Shiva Ordooei, Amineh Arani. Dans les salles le 18 septembre.
L’avocat, son client, les adolescentes d’Europe et les épouses de détenus
ASSISES.- Dans sa cuisine, Nicolas Milik rappelle ses cinq enfants à table. Il est l’heure de dîner. Il distribue des spaghettis à la tomate dans les assiettes. Mais ce quotidien banal bascule lorsque les gendarmes frappent à la porte de la modeste maison. On signifie au père de famille une garde à vue, on lui passe les menottes et on l’embarque. « Mais qu’est-ce qu’on me reproche ? » s’insurge le type visiblement ému et surpris. De son côté, Jean Monier, un avocat aguerri, tente de rassurer, quelque part dans un coin de Camargue, un père désespéré de voir son fils, futur grand de la tauromachie, embarqué dans une affaire de drogue… Dans son confortable bureau, Me Monier fait le point avec Annie Debret, avocate comme lui tout en étant son ex-épouse et néanmoins associée. Le téléphone sonne. On demande à Me Debret de se rendre à la gendarmerie pour assister, en commission d’office, Nicolas Milik. Trop fatiguée, Anne demande à Jean d’y aller à sa place. Pour Me Monier, c’est une aventure qui commence, celle de défendre un homme accusé du meurtre de sa femme et de tout mettre en œuvre pour le faire acquitter…
Immense comédien français, couronné meilleur acteur aux César en 1997 pour son rôle d’Ugolin dans Jean de Florette et Manon des sources puis à nouveau en 2000 pour La fille du pont, Daniel Auteuil est à la tête d’une filmographie riche d’une centaine de films. On se souvient qu’Hollywood avait demandé à Claude Berri, réalisateur des deux adaptations de Pagnol, où il avait trouvé un… non-professionnel aussi talentueux pour incarner son bossu amoureux !
Avec Le fil (France – 1h55. Dans les salles le 11 septembre), Auteuil signe sa cinquième réalisation et il n’est pas méchant de dire qu’il se « soigne » bien avec ce personnage d’avocat qui retrouve, en allant aux Assises, un sens à sa vocation. Cela d’autant plus que Monier avait décidé de ne plus prendre de dossiers criminels après avoir fait innocenter un meurtrier récidiviste. Mais, en ce qui concerne Milik, brave type ordinaire et taiseux encombré d’une femme alcoolique, le défenseur est persuadé de l’innocence d’un client. Mieux (ou pire), il fait quasiment une affaire personnelle de le tirer de son malheur…
En s’appuyant sur les récits de Me Mo, pseudo de l’avocat pénaliste Jean-Yves Moyart (1967-2021), le cinéaste a construit une manière de chronique de la justice pénale ordinaire. Et, de fait, l’image qu’il donne d’un procès aux Assises est particulièrement juste. Dans les pas de l’éphémère duo Milik/Monier, on voit ainsi se dévider le fil de la vérité, entre innocence et culpabilité, explorant la construction de l’intime conviction jusqu’à la plaidoirie finale toute d’humanité pour aligner les raisons de douter de la culpabilité de Milik.
Daniel Auteuil incarne, avec une intensité lasse, un avocat retrouvant sa pugnacité. « Parce que, dit le réalisateur, quelque chose va le toucher chez cet homme doté d’une grande part enfantine, accusé d’avoir tué sa femme. Parce qu’il sent que ce type va se faire laminer. Parce qu’il a gardé cette foi dans son métier. Il n’y a aucune gloire à tirer de cette affaire qui ne fera pas la une des journaux mais simplement une réconciliation, une guérison avec lui-même par rapport à ce métier. Et ce qui me touche chez Monier, c’est que bien que ce soit un homme d’expérience, il n’a au fond aucune certitude. »
Enfin, Auteuil peut compter sur Sidse Babett Knudsen dans le rôle d’Anne Debret. La star danoise de la série Borgen n’a quelques scènes mais elle est brillante. Alice Belaïdi est une avocat générale intraitable. Mais, une nouvelle fois, l’immense Gregory Gadebois impressionne avec ce Milik qui, au fil de son histoire, va révéler des facettes insoupçonnées…
JEUNESSE.- Elle est plutôt paumée sur le quai de la gare de Leipzig, Fanny, 17 ans, venue retrouver sa correspondante allemande Léna pour un séjour linguistique. Mais voilà que celle-ci arrive, agitant un petit drapeau français. La première n’ose pas trop parler allemand et la seconde est trop stressée à l’idée de parler français. Heureusement, Susanne, la mère de Léna, maîtrise bien le français, pour avoir vécu quelques années dans le sud de la France… En allemand, Susanne demande à sa fille d’être au moins polie avec Fanny. Mais Léna dira à sa correspondante: « Je ne voulais pas que tu viennes ». Pourtant, au fil des premières journées, alors qu’elles se retrouvent régulièrement dans le jacuzzi familial, les deux grandes adolescentes finiront par aller doucement l’une vers l’autre, se découvrant mutuellement, expérimentant aussi bien les champignons hallucinogènes dans des barres de chocolat qu’une étreinte vite interrompue avec un garçon. Mais c’est surtout ensemble que les deux jeunes filles vont trouver un terrain d’entente sentimentalo-sexuel… Mais si Fanny est troublée par Léna, elle l’embarque aussi dans des histoires qui impressionnent la jeune Allemande, ainsi lorsque Fanny lui explique qu’elle a une demi-sœur qu’elle n’a jamais rencontrée et qui milite au sein des black blocs…
Venue sur le devant de la scène avec Party Girl, couronné de la prestigieuse Caméra d’or à Cannes 2014, qu’elle co-réalise avec Marie Amachoukeli et Samuel Theis (qui apparaît, ici, dans un bref rôle de prof), Claire Burger signe, avec Langue étrangère (France – 1h46. Dans les salles le 11 septembre) un troisième long-métrage qui suit au plus près deux grandes adolescentes française et allemande. « Je voulais faire, dit la cinéaste, le portrait d’une jeunesse européenne. Enfant, j’ai grandi dans l’idéologie du couple franco-allemand. Dans ma région, en Moselle, on utilisait les marks et les francs. On a été biberonné à l’idée que ça allait être notre salut. Pour la plupart des gens, l’Europe c’est quelque chose d’un peu abstrait, mais pour moi c’était très réel. J’avais envie d’incarner ça. »
Avec la volonté de faire, moitié à Leipzig, moitié à Strasbourg, un film lumineux qui privilégie un mouvement fluide (où le tramway et le vélo occupent une bonne place), avec aussi une bande-son très travaillée, notamment avec le groupe d’Amsterdam Altin Gün et une B.O. écrite par Rebeka Warrior, Claire Burger réussit à montrer deux jeunes filles à la fois anxieuses et politiquement engagées même si Léna avoue qu’elle est lâche, dépassée, qu’elle a peur d’avoir une vie toute petite, « d’avoir des enfants cons ». Peur aussi des fascistes, de Poutine, du dérèglement climatique… De son côté, Fanny, introvertie et mythomane, va révéler la part « forte tête » de sa correspondante.
Sans jamais lâcher ses deux personnages principaux (Lilith Grasmug incarne Fanny et Josefa Heinsius est Léna), Claire Burger peut évoquer, au fil par exemple d’un houleux déjeuner de famille, des questions comme les changements de repères et d’idéologies qui ont fait suite à la chute du Mur ou encore, pour les jeunes, des convictions politiques qui passent dorénavant beaucoup par la radicalité.
Dans cette mise en perspective de jeunes qui veulent s’incarner politiquement mais qui se sentent un peu impuissants et fantasment la question du politique sans nécessairement rentrer dans un groupe, la cinéaste laisse une place intéressante aux adultes. Spécialement à deux mères (les belles Nina Hoss et Chiara Mastroianni), encore fortes mais un peu larguées et presque dépressives qui ont été pleine d’espoirs et d’idéaux avant de se faire rattraper et miner par le quotidien matériel, la réalité..
PRISON.- Grande bourgeoise de province, Alma, la bonne cinquantaine, attend, dans les locaux d’un centre pénitentiaire, de pouvoir se rendre au parloir pour voir son mari incarcéré. Elle remarque une jeune femme qui peste parce que les surveillants ne veulent pas lui donner accès au parloir. Las, la femme s’est trompée de jour. Feignant même un malaise, elle râle de plus en plus parce qu’elle vient de loin, qu’elle ne peut pas revenir demain, qu’elle doit s’occuper de ses gamins… Rien n’y fait. Au sortir de son parloir, Alma revoit la jeune femme. Elle se nomme Mina. Alma lui propose de l’héberger pour la nuit. Elle a toute la place qu’il faut dans sa vaste maison en ville. Mina accepte et découvre une belle demeure décorée de grands tableaux dont un superbe collage de Jacques Villeglé… Rapidement, les deux femmes s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…
Réalisatrice de films comme Peaux de vaches (1989) avec Sandrine Bonnaire, Sport de filles (2011) avec Marina Hands et Josiane Balasko, Paul Sanchez est revenu ! (2017) avec Zita Hanrot, Patricia Mazuy a souvent donné, dans ses œuvres, de beaux personnages de femmes. C’est à nouveau le cas, avec La prisonnière de Bordeaux (France – 1h48. Dans les salles le 28 août) où, vingt-cinq ans après Saint-Cyr (1999), elle retrouve Isabelle Huppert qui incarnait, alors, Madame de Maintenon.
Ici, la comédienne se glisse dans la peau d’Alma, femme fantasque et parfois déroutante qui semble s’accommoder plutôt bien de l’incarcération de son mari, grand neurologue et patron de clinique, condamné pour, sous l’emprise de l’alcool, avoir causé un accident mortel de la circulation suivi d’un délit de fuite. Alma s’est installée dans une nouvelle existence dans laquelle, autant par jeu que par compassion, elle va faire entrer Mina. Celle-ci, mère de famille et blanchisseuse, est régulièrement menacée par un complice de son mari emprisonné, persuadé qu’il a gardé pour lui le butin d’un braquage.
Ce sont sur ces deux femmes, très dissemblables, que se penche la cinéaste en observant comment elles ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’origine, le film devait s’intituler Les prisonnières mais la réalisatrice-scénariste avait une impression de déjà-vu. « Alors qu’au singulier, dit Patricia Mazuy, le titre a quelque chose de romanesque et de mélodramatique, une ouverture vers le conte, vers la fable. Mina et Alma sont bien sûr en liberté, mais c’est leur vie entière qui est en prison. »
Tout en montrant l’univers carcéral avec les maisons d’accueil, les parloirs mais aussi l’attente, les femmes entre elles, la cinéaste s’attache à détailler comment Alma et Mina vont devenir poreuses l’une à l’autre. L’arrivée de la seconde dans la grande maison et dans la vie solitaire de la première catalyse chez Alma la conscience de sa vie misérable dans les dorures et les fleurs. « Métaphore renversée de l’amour, dit encore la réalisatrice, les dames dehors, les maris en prison. »
Avec parfois une allure de comédie italienne pour les « délires » d’Alma, La prisonnière de Bordeaux présente cependant quelques coups de moins bien dans son scénario. Mais tout cela est gommé par le brio de l’interprétation d’Isabelle Huppert qui joue à la perfection la dépression, l’appartenance de classe, l’idée fixe, l’absence ou la folie. Avec sa Mina, Hafsia Herzi (qui venait de croiser Huppert dans Les gens d’à côté de Téchiné) se hisse sans peine à sa hauteur dans un mélange d’amitié, de complicité et d’alliance d’occasion.
Nicole, 52 ans et une vie de galères
Sur ce coin de banlieue parisienne, il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors. Nicole Bossi, elle, se bagarre avec un parapluie récalcitrant qui finira dans le caniveau. Pendant ce temps, au téléphone, Nicole raconte des vannes à une Sandrine, une ancienne collègue qu’elle devait rejoindre pour une fête au bureau. Mais, prétend-elle, le RER n’arrive pas à la gare et elle ne pourra donc venir…
Mais Nicole a un rendez-vous bien plus important. Complètement dans la lune, elle commence à se dévêtir dans l’agence… bancaire où on l’attend pour lui retirer son chéquier et sa carte bleue. « Je croyais que j’étais chez le médecin ! » « Si vous étiez chez le médecin, grince l’employé de banque, vous seriez en phase terminale ! » De fait, Nicole a 40 000 euros de dettes. Elle a épuisé les Cofidis et consorts… Ses suppliques, ni ses pauvres mensonges sur un nouveau travail, n’y changeront rien. « Ce n’est pas de gaieté de coeur » ose le loufiat financier.
Probablement comme beaucoup de personnes surendettées, cette femme de 52 ans affirme : « Je n’ai jamais fait de folie. Des écarts, oui peut-être. » Dans cet immense centre commercial où elle erre, quasiment hébétée, Nicole est sur le point de mettre un jeu vidéo dans son sac. Mais sa conscience et la vue des vigiles l’en empêchent. Pourtant, nous sommes à la veille de Noël et Nicole voudrait tant faire plaisir à Serge, son grand fils. Las, lorsqu’elle rentre chez elle, dans un appartement d’un cinquième étage d’une barre d’immeuble sans grâce, l’adolescent est avec sa copine Samira. Il n’a aucune envie de voir sa mère lui gâcher sa soirée. Il la verrait même bien aller faire un tour dehors. « Tu as une chambre, Serge ! » répond Nicole qui constate : « Quoi que je fasse, je fais tout mal ».
Auteur, en 2017, de Compte tes blessures, un premier film (nommé au prix Delluc du meilleur premier film et sélectionné dans une cinquantaine de festivals internationaux) qui s’intéressait à une trouble et douloureuse relation père-fils, Morgan Simon propose, ici, un portrait de femme et de mère dans lequel il a mis une part importante d’autobiographie : « En grandissant, on regarde ses parents différemment. J’ai pris conscience du parcours de ma mère et j’ai voulu questionner ce qu’elle a vécu. Cela avait un sens intime bien sûr et c’était aussi un angle qui me semblait pertinent pour questionner plus largement notre société. Je crois que mon but ultime c’était aussi de rendre ma mère immortelle… »
Entre Noël et Nouvel an, dans le quotidien d’une existence tristement banale, le cinéaste de 37 ans, observe, quasiment sans jamais la lâcher, une mère fantasque, parfois borderline mais constamment soucieuse du bien-être de son fils chéri. Une mère qui aimerait tant pouvoir partager un peu avec cet adolescent. Comme ils regardent, à la télé, une émission sur une jeune mariée qui a connu une nuit de noces ratée, Nicole demande : « Toi, comment tu te situes par rapport à ça ? ». Serge grogne. Nicole : « Tu ne me racontes jamais rien. Peut-être, dans un an, tu feras une phrase… »
Nicole a beau enfiler une robe pailletée, la soirée de Noël prendra un tour violent lorsque la mère offre au fils un cadeau très inattendu. « Tout est mort en toi ! J’ai envie de vomir » hurle Serge qui claque la porte d’un appartement étriqué, rempli de plantes vertes en plastique et traversé par une souris qui affole les locataires.
Une fois de plus larguée et paumée, Nicole trouvera la force de traverser la rue. Pour boire un café offert par Norah, la patronne de la bien nommée Oasis du Pacha. C’est, dans ce bar à chicha que commencera, peut-être la reconstruction sensible de Nicole.
Estimant qu’à 50 ans, on peut se réinventer, se réapproprier sa vie, se redécouvrir, appréhender autrement la personne qu’on est et qu’on s’autorise à être, Morgan Simon constate : « Dans ce processus, j’ai vraiment compris le côté iconoclaste de ma mère, sa modernité, qui pouvait en faire un personnage de cinéma, en plus de lui rendre hommage. Dans ce qu’elle et moi avons traversé, c’est-à-dire un déclassement social, des problèmes d’argent et de surendettement, il y avait tant à dire, tout en étant baigné d’un cocon d’amour infini de sa part. »
Car Une vie rêvée n’a rien à voir avec Cosette et Les misérables ! Si l’univers dans lequel évoluent Nicole et Serge avec, par exemple, ses dealers de couloir, qui barrent le passage pour leurs trafics, est quand même bien glauque, l’existence du fils et de la mère demeure traversée par une force vitale remarquable. L’adolescent avance vers une carrière de biologiste. Nicole dit : « Je suis nulle. J’ai rien, j’ai que des merdes. C’est mon destin. Je ne mérite que ça ! » Mais elle va trouver auprès de Norah une écoute forte. A l’oasis, elles dansent sur du Muddy Monk avant de se rapprocher sensuellement et de démarrer une belle liaison. « De quoi, t’as peur ? » demande Norah. « D’être heureuse » avoue Nicole.
Une vie rêvée séduit par son approche sensible d’une vie de galères, par l’introduction de moments fantastiques ou fantaisistes mais aussi politiques. Ainsi, dans le bar à chicha, Nicole discute avec Amine et Yacouba, deux jeunes du quartier qu’elle a toujours vu comme des fantômes. Ces deux-là lui demandent : « Toi, tu votes Le Pen ? » Nicole concède : « Une fois pour voir. Mais j’ai trop honte » tout en se livrant : « J’avais une petite maison avec jardin. Je l’ai perdue sous la gauche. Je veux savoir qui me défend… »
Pour porter cette histoire, le cinéaste, parfois comparé à un nouveau Pialat, a trouvé trois brillants interprètes. Felix Lefebvre, vu dans Eté 85 d’Ozon, campe un Serge fragile et explosif. Lubna Azabal (Exils, Incendies, Rock the Casbah, Tueurs, Le bleu du caftan) est l’énergique Norah, éprise d’un « petit désastre ambulant ». Enfin Valeria Bruni Tedeschi, que Morgan Simon filme souvent en gros plan et dans un lâcher-prise absolu, est remarquable dans la détresse, l’émotion, l’humour, la fantaisie, la dignité. Le dernier plan du film laisse à penser que tout n’est pas perdu. Nicole s’en sortira. Peut-être.
Hommage dû au hasard des sorties, on entend dans Une vie rêvée, Dalida et Alain Delon chanter Paroles, paroles.
Mon seul tourment et mon unique espérance
(Rien ne t’arrête comme tu commences
Si tu savais comme j’ai envie d’un peu de silence)
Tu es pour moi la seule musique
qui fait danser les étoiles sur les dunes
(Caramels, bonbons et chocolats)
Si tu n’existais pas déjà… je t’inventerais
(Merci pas pour moi, mais
Tu peux bien les offrir à une autre
qui aime les étoiles sur les dunes
Moi les mots tendres enrobés de douceur
Se posent sur ma bouche mais jamais sur mon coeur)
Encore un mot juste une parole…
UNE VIE REVEE Comédie dramatique (France – 1h 37) de Morgan Simon avec Valeria Bruni Tedeschi, Félix Lefebvre, Lubna Azabal, Dylan Benha-Guedj, Gédéon Ekay, François de Brauer, Antonia Buresi, Tya Deslauriers. Dans les salles le 4 septembre.
Emilia, Rita, Jessi, un tragique combat
Même si elle est singulièrement tonique et battante, Rita Moro-Castro est au bout du rouleau. Cette jeune avocate est à la fois surqualifiée et surexploitée. Au sein de son cabinet, elle rédige des plaidoiries que son patron n’est même pas capable de présenter proprement devant le tribunal. Pire, son cabinet n’hésite pas à manipuler les faits pour blanchir des ordures criminelles plutôt que de servir la justice.
Tel un prologue shakespearien, s’adressant à un auditoire imaginaire (et donc au spectateur), Rita, écoeurée devant une bouffonnerie mortelle qui n’essaye même pas de donner le change, s’interroge: De quoi parlons-nous? S’élever? Se soumettre? Combien de temps encore, faudra-t-il baisser la tête?
La vie de l’avocate mexicaine a tout d’une galère mais, soudain, par un simple coup de fil, elle va devenir une odyssée. Au téléphone, une voix grave et douce. Qui lui donne rendez-vous devant un kiosque à journaux. Rita n’a pas le temps de se retourner. Elle se retrouve avec un sac sur la tête, embarquée dans une voiture qui fonce dans la nuit. Celui qui l’attend dans sa cachette défendue par une armée de nervis, se nomme Manitas del Monte. L’avocate sait parfaitement qui il est: le patron redoutable et redouté d’un des cartels de la drogue au Mexique. Elle tombe des nues quand cette brute douce à la voix d’ange lui dit qu’il veut devenir une femme, être celle qu’il a toujours secrètement rêvé et voulu être. Sa proposition est de celles qu’il est impossible de refuser. Car le chef de cartel veut se retirer des affaires et disparaître à jamais. Il donne carte blanche et moyens illimités à Rita pour mettre en oeuvre cette transition. De Bangkok à Tel Aviv, l’avocate interroge, se renseigne. Le docteur Wassermann, en Israël, relève le gant…
Les cartels de la drogue ne sont pas une nouveauté au cinéma. On songe ainsi, simple exemple, au Sicario (2015) de Denis Villeneuve qui traitait le sujet sous l’angle de la guerre acharnée menée par le FBI et la CIA américaines contre les gangs mexicains. Avec Emilia Perez, Jacques Audiard se sert des cartels comme d’une toile de fond (omniprésente!) qui lui permet d’aborder des thèmes qui traversent toute sa filmographie: d’une part, la paternité, de l’autre la transmission de la violence. En 1994, le premier « long » d’Audiard s’intitulait Regarde les hommes tomber tandis que Le prophète (2009), son premier gros succès avant De rouille et d’os (2012), se déroulait dans le milieu clos, toxique et brutal de la prison.
« Emilia Perez, dit le cinéaste, pose le problème un peu différemment, en affrontant la question de la masculinité comme corolaire indissociable de la violence… C’est au fond, une histoire de rachat : est-ce que le fait de changer de genre peut faire percevoir différemment la violence des hommes ? Fondamentalement, je ne pense pas. Que le personnage d’Emilia se joue ce scénario avec conviction, soit, mais la violence la rattrape quand même. C’est le chemin qui la conduit à sortir de ce cercle de violence qui est en lui-même vertueux. A l’arrivée, qu’on y laisse sa peau ou qu’on y survive, on a appris quelque chose. »
Là où le dixième long-métrage d’Audiard fascine, c’est qu’il réussit, avec une parfaite aisance et surtout une impressionnante force de conviction, à mêler le thriller, le noir, la comédie de moeurs, le musical, la télénovela et même le pur mélodrame au travers d’une aventure menée comme un opéra guerrier et bouleversant, le tout dans une langue -l’espagnol- très forte, très physique, à la musicalité très accentuée.
Au départ du film, il y a Ecoute, un roman de Boris Razon qui détaille l’existence d’un flic dérouté qui, caché dans un « sous-marin », avenue des Gobelins à Paris, est chargé, pour parer à la menace terroriste, d’intercepter tous les messages échangés dans son périmètre. Au coeur du livre, passe un personnage de narcotrafiquant trans désirant se faire opérer. Ce sera le point de départ d’Emilia Perez, un film, dit encore Audiard (qui avait aussi, un temps, eu le projet d’en faire un livret d’opéra) « sur des gens qui, emprisonnés dans des situations impossibles, conçoivent pour en sortir des solutions impossibles. »
Majoritairement tourné en studio à Paris et porté par de remarquables collaborateurs autour du cinéaste (Paul Guilhaume à la photo, Camille et Clément Ducol à la musique, Damien Jalet à la chorégraphie, Virginie Montel à la direction artistique), Emilia Perez séduit par son incessant mouvement, ses temps suspendus ( la superbe séquence de « tante » Emilia avec son jeune fils qui se souvient de l’odeur de son père), par une dynamique reposant sur des dialogues chantés dans des séquences brillamment chorégraphiées (le gala de bienfaisance) et, évidemment, par quatre comédiennes qui apportent une formidable énergie à ce qui apparaît vite comme une magnifique réflexion sur le pouvoir des femmes à changer le monde!
Rita est une battante animée d’un profond désir d’autre chose. Même si la possibilité de changement se présente sous la forme du danger et que son cerveau lui crie que c’est une folie, son cœur le désire ardemment. Zoé Saldana, grande actrice latina d’Hollywood, lui apporte grâce, âpreté et courage. Jessi (Selena Gomez), qui fut la femme de Manitas et la mère de ses deux enfants, se bat, elle, pour sa liberté d’aimer qui elle veut. Et son choix rouvrira à nouveau le cycle infernal et éternel, de la violence. Epifania (Adriana Paz) représente une parenthèse enchantée puisqu’elle apporte son amour à Emilia…
Enfin, il y a l’époustouflante Karla Sofia Gascon qui a bataillé auprès du réalisateur pour incarner aussi ce Manitas pour lequel elle a songé au personnage de… John Rambo. La comédienne précise: « Emilia Pérez, c’est un peu comme si la Belle et la Bête étaient enfermées dans un même corps. Au début du film, elle est Manitas, une femme prisonnière d’une vie qui n’est pas la sienne mais qui, à un moment de son existence, a l’opportunité de laisser derrière elle cette vie dont elle ne veut plus. Manitas a grandi dans un monde où les parents préfèrent que leurs fils soient des délinquants plutôt que des « pédés ». Cela le piège à deux titres : dans la délinquance, et dans une masculinité qui n’est pas lui. »
Si Audiard, qui a rencontré pas mal d’actrices trans à Mexico City, a eu du mal à trouver l’interprète principale d’Emilia Perez, il a mis dans le mille avec Karla Sofía Gascon qui était acteur avant d’être actrice et qui a, ainsi, levé le problème de la transition comme scénario de vie. Fine, rapide, inventive et talentueuse, la comédienne s’empare avec brio d’une femme qui décide de faire de sa nouvelle vie une oeuvre vertueuse. Avant que la violence, une nouvelle fois, la rattrape…
Prix du jury à Cannes, Emilia Perez a valu aussi un quadruple prix d’interprétation à ses actrices. Et on veut oublier la polémique minable orchestrée par une politique d’extrême-droite. On préfère se souvenir -et cela nous poursuit longtemps- de la séquence finale célébrant « sainte » Emilia, patronne des damnés de la terre mexicaine. Une procession aux accents d’une banda jouant Les passantes, sur la musique de Georges Brassens. Encore un hommage à toutes les femmes!
EMILIA PEREZ Drame (France/Mexique – 2h10) de Jacques Audiard avec Zoé Saldana, Karla Sofia Gascon, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramirez, Mark Ivanir, Eduardo Aladro, Emiliano Edmundo Hasan Jalil. Tout public avec avertissement. Dans les salles le 21 août.
Aymeric et Jim, un père et son fils
C’est l’histoire d’Aymeric, un jeune type qui vit tranquillement dans son coin perdu de province, du côté du Haut-Jura. Une existence sans heurts même si, entraînés par des copains un peu voyous, il s’est laissé embarquer dans le cambriolage d’une villa qui lui valut une paire de mois derrière les barreaux… Mais ce bon fils, toujours proches de ses parents, s’est remis dans les rails, enchaînant de modestes boulots en intérim.
« Ce soir-là, ce n’est pas tout à fait une inconnue qui s’est approchée de moi… » En effet, l’existence d’Aymeric bascule lorsqu’au hasard d’une soirée à Saint-Claude, il croise Florence, une ancienne collègue de travail. Ils se reconnaissent et sont ravis de se revoir. En riant, elle lui dévoile son ventre rond. Elle est enceinte de six mois et célibataire.
Aymeric et Florence décident de vivre ensemble et s’installent, dans les hauteurs verdoyantes du Jura, dans la gîte aménagée par Monique, la mère de Florence. « Qui va s’en occuper de ce loustic ? » interroge Monique. « Ben, moi… Avec celui qui sera là quand il sortira. »
Quand Jim nait, Aymeric est bien là. Commencent alors de belles années où Jim et Aymeric sont ensemble, jouent, s’amusent, fraternisent au point que, pour le gamin, Aymeric ne peut être un autre que son père. Jusqu’au jour où Christophe, le père naturel de Jim, débarque… C’est un homme complètement cabossé -il a perdu sa femme et ses deux filles dans un accident- que Florence accueille puis, petit à petit, installe chez eux. Tout en s’inquiétant confusément, Aymeric donne le change. N’avait-il pas répondu à Jim qui lui demandait pourquoi ils n’avaient pas le même nom, « Nous avons décidé de ne pas faire les choses comme tout le monde ».
La carrière des frères Larrieu est belle, étonnante, atypique. Venus au cinéma en tournant des bandes en Super 8 dans la foulée d’un grand-père pyrénéen et passionné par les films de montagne, Arnaud et Jean-Marie se sont fait remarquer, en 2005, au Festival de Cannes, avec Peindre ou faire l’amour, une aventure intime et hédoniste traitant de l’échangisme. Un film, surtout, qui allait donner le ton d’une filmographie cultivant la fantaisie et les imprévus (Le voyage aux Pyrenées en 2008), une odyssée amoureuse et écologique (Les derniers jours du monde en 2009), le thriller sentimental (L’amour est un crime parfait en 2013), un récit crûment sexuel (Vingt et une nuits avec Pattie en 2015) ou la loufoquerie teintée de comédie musicale (Tralala en 2021).
A cet épatant florilège, les deux cinéastes, originaires de Lourdes, ajoutent donc une comédie dramatique qui semble réunir les codes du mélo, à cette nuance près, mais elle est capitale, qu’il n’y a aucun côté « tire-larmes » dans Le roman de Jim. Bien, au contraire, le film repose sur une émotion aussi forte que contenue pour traiter, avec finesse et tendresse, d’une vraie odyssée de la paternité.
Le scénario s’appuie, autour donc du thème de la paternité, sur l’adaptation du roman éponyme de Pierric Bailly (paru en 2021 aux éditions P.O.L.) et Arnaud Larrieu note : « Au-delà du sujet, c’est le romanesque qui nous a accrochés. Une manière d’écrire « comme dans la vie », qui n’est pas pour autant réaliste. Une véritable épopée se dessine à travers le récit de la vie quotidienne des personnages sur une longue durée. » Et les deux Pyrénens ont sans doute aussi été sensibles à la part faite par l’écrivain jurassien (il est né en 1982 à Champagnole) à l’importance de la nature et des paysages, voire même de l’évolution des personnages comme la météo en montagne où averses, éclaircies et nuages, chaud et froid s’enchainent…
Dans un récit qui s’étend sur presqu’un quart de siècle, entre la naissance de Jim et son (jeune) âge adulte, les Larrieu jouent avec le plaisir de l’ellipse et le spectateur est amené à reconstruire ce qui est arrivé, à deviner ce qui va survenir, à s’interroger évidemment sur les liens du sang et les liens du coeur. Au centre de ce récit, il y a la figure d’Aymeric qui vit de beaux moments avec ce fils qu’il a fait sien, avant de se voir « dépouiller » de cette paternité, de devoir assumer cette perte, de se reconstruire dans une autre vie et enfin de renouer -douloureusement- le fil avec Jim. Belle idée aussi que celle de faire d’Aymeric un homme qui prend des photos. Ce faisant, il se tient à la fois à distance et en même temps est très préoccupé par ce qui l’entoure. C’est par la photo qu’Aymeric racontera in fine son histoire, la mettra dans l’ordre, en fera le récit. Finalement Le roman de Jim, dit Jean-Marie Larrieu, « c’est Aymeric qui essaye de raconter à Jim d’où il vient, en racontant sa propre histoire. »
Si le neuvième long-métrage des Larrieu est une belle réussite, c’est aussi parce que les frères ont peaufiné de superbes personnages. Autour de Jim, ils sont quatre. Florence est une mère qui fait des choix de vie atypiques qu’elle défend avec aplomb. L’excellente Laetitia Dosch fait une composition complexe, suscitant à la fois l’empathie et le rejet avec une femme « dure », peut-être calculatrice, capable de dire au brave Aymeric qu’il faut faire une place à un autre. L’autre, c’est Christophe incarné tout en retenue et fragilité par Bertrand Belin, déjà vu dans Tralala, et qui signe aussi, ici, en conjointement avec Shane Copin, une bonne musique originale. Mais, comme il l’a raconté en venant présenter en avant-première le film à Mulhouse, c’est Karim Leklou qui a insisté auprès des réalisateurs, pour que La ballade de Jim, la chanson d’Alain Souchon, figure dans le film. Et puis il y a la lumineuse Olivia qui apporte un vent frais dans le quotidien d’Aymeric qui avoue, pudiquement, que, oui, il y avait une autre vie avant. Sara Giraudeau apporte à Olivia une force incroyable et une grâce magnifique.
Pour la bonne bouche, on a gardé Karim Leklou qui trouve, avec ce rare, au cinéma, garçon gentil (mais pas benêt) qu’est Aymeric, l’un des plus beaux rôles d’une carrière dans laquelle on avait remarqué Coup de chaud (2015), BAC Nord (2020), Goutte d’or (2022), Pour la France (2022) ou Vincent doit mourir (2023). Choisi tardivement par les Larrieu, le comédien de 42 ans, s’empare avec une impressionnante justesse d’un personnage tout en délicatesse, en tendresse et en résilience, qui évolue de manière imperceptible, prend des coups sentimentaux avec une capacité incroyable à encaisser. Quel plus bel hommage pouvait rendre les Larrieu à Karim Leklou en disant : « Physiquement, Karim amène un imaginaire expressionniste, proche du cinéma muet. Pour nous, c’est Peter Lorre chez Murnau. » Il faut voir le regard d’Aymeric chavirer lorsqu’il entend, au téléphone, le petit Jim dire : « C’est toi, mon vrai papa ! »
LE ROMAN DE JIM Comédie dramatique (France – 1h41) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Karim Leklou, Laetitia Dosch, Sara Giraudeau, Bertrand Belin, Noée Abita, Andranic Manet, Eol Personne, Mireille Herbestmeter, Suzanne de Baecque, Sabrina Seyvecou, Robinson Stévenin. Dans les salles le 14 août.
Le serial-killer, la star montante et l’aventurier vulnérable
NASSE.- Grand costaud au sourire charmeur, Cooper Adams est un père de famille que son adolescente de fille Riley adore… surtout depuis qu’il a pris des places pour le concert de la pop-star Lady Raven. Trop stylé, dit la gamine. S’il s’occupe parfaitement de Riley, Cooper semble constamment aux aguets. Son regard balaye de part en part la grande salle de concert. Partout, de nombreux policiers barrent les entrées et les sorties tandis que, sur le parvis, les véhicules du FBI s’alignent en rangs serrés. Grâce au sympathique Jamie, vendeur à la boutique de t-shirts dans l’enceinte de la salle, il apprend que la police, dirigée par une profileuse, a décidé de se servir du spectacle pour prendre au piège un tueur en série connu sous le nom du Boucher. Pris dans la nasse, Cooper va tenter de quitter les lieux…
Avec Trap (USA – 1h45. Dans les salles le 7 août), M. Night Shyamalan (qui a connu, en 1999, son premier grand succès, tant commercial que critique, avec Sixième sens) s’éloigne quelque peu de sa veine fantastique habituelle pour s’inscrire dans le genre serial-killer. Mais, ici, point de suspense. On comprend, dès les premières minutes, que le « gentil » Cooper n’est autre que le tueur recherché par toutes les forces de l’ordre. L ‘intérêt de Trap réside alors dans le portrait d’un type sacrément malade de la tête, à la fois bon père de famille et tueur froid, prêt à tout pour protéger les siens et disposé sans sourciller à asphyxier au monoxyde de carbone un malheureux enfermé dans une cave.
« J’aime le histoires sombres. J’aime les dénouements complexes » disait M. Night Shyamalan. Ici, c’est surtout la salle de spectacle qui est sombre pour mettre en lumière la prestation de la frêle Lady Raven. De fait, on sent que le cinéaste a spécialement peaufiné cette dimension de son film. « Nous voulions créer une expérience cinématographique où la musique fait vraiment partie de la structure de l’histoire. Cela nous a pris deux ans pour trouver la structure parfaite pour cette intrigue mais je pense que nous avons réussi notre pari. » Le réalisateur a confié à sa fille Saleka, 28 ans, le soin d’incarner la chanteuse pop mais aussi de coécrire, coproduire, mettre en scène le show et interpréter toutes les chansons originales intégrées dans un vrai concert live. Seuls les spectateurs sont moins nombreux qu’il n’y paraît. Grâce aux effets visuels, les 300 personnes présentes au concert ont été multipliées de manière à remplir les 15 000 places du concert.
Reste enfin à imaginer comment Cooper Adams va sortir d’une nasse bien close…
Pour porter le personnage du serial-killer, le cinéaste a trouvé un interprète de choix. Josh Hartnett s’est fait connaître, dans le genre horrifique, en jouant le fils de Jamie Lee Curtis dans Halloween, 20 ans après (1998) et a souvent incarné ensuite, des personnages complexes comme le flic Bucky Bleichert dans Le dahlia noir (2006) de Brian de Palma. Avec le regard qui dérape, le sourire qui vire au rictus, son Boucher a de quoi faire peur. Et c’est bien ce que recherche Trap.
HORREUR.- Sur les images en noir et blanc d’un film amateur, une charmante petite fillette blonde sourit et répond gentiment à son père : « Je n’accepterai jamais une vie que je ne mérite pas ». Nous sommes en 1959. Nous retrouvons, en 1985, Maxine Minx. La fillette est devenue une belle jeune femme qui a fait son chemin dans les films pour adultes. Mais Maxine en a assez du X et aspire à devenir une actrice de cinéma classique. Lors d’un casting pour La puritaine II, elle réussit à convaincre les producteurs et la rude réalisatrice Elizabeth Bender de lui confier le personnage principal de cette suite d’un film d’horreur à succès. La carrière hollywoodienne de Maxine Minz est désormais sur la bonne voie. Mais c’est sans compter sur un tueur en série, surnommé le Traqueur de la nuit, qui fait régner la terreur à Los Angeles en assassinant de jeunes starlettes et en marquant leurs cadavres du sceau de la Bête…
MaXXXine (USA – 1h44. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 31 juillet) est le troisième et dernier volet d’une trilogie entièrement réalisée par l’Américain Ti West. En 2022, X racontait, dans une ambiance grindhouse, les aventures de la jeune Maxine partant, en 1979, tourner, avec une petite équipe, un film pornographique dans une ferme du Texas, propriété d’un vieux couple, Pearl et Howard. Ceux-ci, découvrant le genre du film, vont provoquer un massacre. Dans la foulée, West met en scène Pearl, préquelle de X, qui s’attache au personnage de Pearl et explore ses origines.
Si Maxine a survécu au massacre orchestré par Pearl et Howard, elle continue à être hantée par les événements de 1979. Et cela déteint évidemment sur son parcours hollywoodien d’autant qu’un détective privé particulièrement tordu (Kevin Bacon) est accroché à ses basques. Heureusement, Maxine peut compter sur son agent dont les méthodes ressemblent singulièrement à celles des meilleurs membres de Cosa Nostra. Avec pas mal de sang, de crâne fracassé mais aussi d’humour, Ti West s’amuse avec les codes du film d’horreur. Poursuivie par une paire de flics persuadés qu’elle en sait plus qu’elle ne veut bien dire, Maxine fait d’ailleurs front avec beaucoup d’aplomb à toutes les misères qui lui tombent dessus. Il est vrai qu’elle est habitée par un désir irrépressible : devenir une star d’Hollywood.
« Maxxxine, dit la comédienne Elizabeth Debicki, est une lettre d’amour aux années 80, au cinéma des années 80 et au cinéma en général : c’est un film à l’intérieur d’un film… » De fait, ce dernier volet de la trilogie est bien l’occasion pour le cinéaste de rendre hommage au cinéma américain, serait-il de série B, en se glissant dans les coulisses d’un tournage, en poussant la porte des plateaux et en multipliant les clins d’oeil -les fans d’Hollywood savoureront le jeu de piste- à Theda Bara, l’un des premiers sex-symbols de la cité des rêves, à Norman Bates et au motel de Psychose, au Dahlia noir, à Buster Keaton, à Marilyn Chambers et Behind the Green Door et même à l’immense Bette Davis qui, en matière de monstre et de dureté à Hollywood, en connaissait un rayon. Assurément, l’Anglaise Mia Goth, vedette de ce thriller psychosexuel, semble marcher dans ses traces.
ACTION.- Au fin fond de la campagne thaïlandaise où il vient souvent se ressourcer, Largo Winch se recueille sur la tombe de son jeune épouse trop tôt disparue. A ses côtés, Noom, 15 ans, son adolescent de fils qui, rebelle, reproche à son père de n’être qu’un homme d’affaires sans égard pour l’avenir de la planète. De fait, Largo n’est pas aussi « mauvais » que cela puisque ce multimilliardaire à la tête d’un groupe planétaire, cherche bien à dépolluer son entreprise et à devenir plus conscient des enjeux environnementaux. D’ailleurs, il caresse le projet de présenter bientôt au monde Noom Challenger, un avion 100 % vert… Mais, quasiment sous les yeux de son père, le garçon va être être enlevé par des hommes lourdement armés. Au prix d’une course folle à moto, Largo réussit à neutraliser les kidnappeurs mais père et fils, dans leur fuite, vont chuter dans un lac. Largo revient à la surface. Mais point de trace de Noom… Largo ne peut cependant se résoudre à la disparition de son fils. Et il ne va pas être au bout de ses peines avec son empire financier.
Héros de six romans et d’une série (24 albums à ce jour) de bandes dessinées, Largo Winch a été créé, au début des années 70, par l’écrivain belge Jean Van Hamme (avec le dessinateur Philippe Francq (pour les BD) et a donné lieu à trois films : Largo Winch (2008), Largo Winch 2 (2011), les deux mis en scène par Jérôme Salle et donc Largo Winch : le prix de l’argent (France – 1h40. Dans les salles le 31 juillet) réalisé par Olivier Masset-Depasse qui adapte les tomes 13 et 14 et signe, ici, son premier film d’action.
De fait, comme le dit un personnage, « Il ne fallait pas le réveiller ! » Car, patron avisé et réfléchi, Largo Winch se transforme en père vengeur et en homme d’action qui ne craint pas d’aller au contact. S’il doit faire face à toutes les vilenies et traîtrises possibles de la part de ses associés et partenaires, Largo devra encore plus se colleter avec un tueur (James Franco) d’autant plus redoutable qu’il est insensible au mal et qu’il a un compte personnel à régler avec la famille Winch.
Avec parfois un petit côté 007, les scènes d’action de ce divertissement musclé sont bien menées. Tomer Sisley campe un Largo vulnérable et faillible, un peu « ancien monde » mais il va faire la preuve que s’il est un boomer, il n’est pas bon à jeter. Même Bonnie (Elise Tillovoy), la très jeune militante et influenceuse, qui l’asticote volontiers, devra en convenir.